Citations de Emmanuelle Richard (164)
Cette absence d'envie et de possibilité m'a concernée à un âge où je n'aurais pas songé l'être, venant par là ébranler et altérer une certitude. Les livres qui engagent l'expérience de celui qui écrit sont ceux qui m'interessent le plus à la fois en tant que lectrice et autrice, en ce qu'ils donnent à voir des chemins de pensée, un passage d'un état à un autre; en ce que le corps de l'auteur, parfois utilisé sciemment comme cobaye, ou pour le moins l'expérience tirée d'une tranche de vie accidentelle, permettent la restitution d'un ressenti au plus juste.
Nous avons besoin d’être des sujets avant tout. Il nous faut être maîtres de nous-mêmes, en possession de nos moyens, de notre pouvoir de décision pour accepter ce qui s’offre à nous.
Le seul manque que j’avais vraiment pu ressentir fortement, c’est le manque d’amour à me donner, à m’offrir à moi-même. Et avec lui, l’incapacité à accueillir l’amour des autres. Comme une déconnexion d’avec la vie, quelque part.
La souffrance mentale occupe toute la place tout le temps. Le reste du corps est anesthésié. La douleur psychique est pure, solide, invasive, fidèle compagne de chaque seconde.
À vingt ans, dans ma génération, beaucoup d'entre nous vivaient dans l'angoisse d'avoir oublié des poils et de lui déplaire, à l'Homme, au Garçon. Peur de ne pas être validées. À trente, c'était fini, celui qui nous ferait encore chier ce serait la porte et basta.
Les vingt-cinq premières années de leur vie commune ont ainsi été marquées par une abstinence régulière, d'environ huit mois chaque année. Sa compagne "faisait des efforts pour consentir à quelques rapport annuels", "elle prenait du Lexomil pour tenir le coup".
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Accepter et croire que l'on peut aimer sans désirer a été, et est toujours, très difficile pour moi.
(...) il y a à mes yeux, dans cette situation de deux personnes qui se voient sans rien exiger l'une de l'autre, dans la douceur, la lenteur et le respect, quelque chose qui me touche ; quelque chose que je ne sais pas nommer, tout en la trouvant délicate et très belle.
Je lui décrit le projet de ce livre en tant que volonté de déconstruire la honte associée au tabou de l'absence de sexualité partagée.
Faire l'amour de mille façons différentes avec une seule personne plutôt que l'inverse.
La haine était ma soeur, ma compagne, ma came, et la colère mon meilleur carburant. Du sucre dans ma bouche amère.
La médaille avait son revers : rien n'était jamais totalement gratuit. Autrement dit, il n'est rien de plus cher que la gratuité.
Je dis quelque chose pour rompre le silence en lui demandant si à un moment ça s’estompe, si à un moment l’oubli est permis. Est-ce-qu’il existe un jour où ça ne fait plus mal du tout ?
Quand je pense que ce sont ces gens, tous propriétaires, qui ne connaissent pas le prix du pain, n'ont aucune idée de ce que c'est que la fatigue économique et l'usure, de ce que c'est de travailler tout le temps pour parvenir à être seulement précaire, qui dirigent le pays.
La colère, sœur de la haine, pulsa en moi et m’offrit son cœur noir.
Je n'étais pas attirée par une classe ou par un milieu [social], mais je fantasmais de parvenir à posséder les codes d'une variété de groupes la plus étendue possible afin de me mouvoir avec fluidité dans chacun d'eux sans appartenir à aucun. Je me voulais illimitée.
(p. 56-57)
Quand il m'a déposée tout à l'heure, j'ai bien vu le regard de mon père sur les voitures des autres parents, leurs cabriolets coupés sport et 4 x 4 divers. Je suis convaincue qu'il a cru que j'étais embarrassée par notre vieille Ford. Pourtant il se trompe, il me semble qu'il n'a fait que reporter sa propre gêne sur moi, car s'il y a bien un truc qui m'a toujours laissée assez indifférente ce sont les voitures et autres possessions matérielles, domaines en lesquels je serais plutôt partisane de la sobriété heureuse. Hélas, je n'ai pas réussi à faire sortir cette phrase de ma bouche pour la lui offrir, le réconforter, que ça n'avait pas d'importance et merci.
(…) parmi les réflexes de survie les plus élémentaires, il y a celui de ne jamais être en demande, de ne jamais rien laisser poindre de ses besoins et manques et inassouvissements les plus intimes, les plus à vif, sauf lorsqu'il s'agit de déclarer sa flamme avec superbe et courage, de se battre pour l'être aimé. L'amour est le seul lieu où les questions de dignité ne devraient plus avoir cours, à mon avis, toutefois cette façon de se non-protéger va immanquablement de pair avec la destruction de soi-même.
Je le situe du côté des vainqueurs qui n'ont pas combattu, ou si peu. Chacun croit que sa position est la plus exceptionnelle et représente la plus difficile à partir de laquelle composer. Il a traversé des épreuves, seulement la précocité de sa réussite, il la doit en partie à une chose à laquelle il n'est pour rien, quand il m'aura fallu près de quinze ans pour arriver à sa table et y être traitée par lui en presque égale. Et toi, comment tu m'aurais parlé si tu m'avais rencontrée derrière une caisse de supermarché, si nous nous étions trouvés de part et d'autre de n'importe quelle transaction de service ? Aurais-tu exercé de la violence, du mépris à mon endroit, ou bien te serais-tu adressé à moi en égal humain ou avec un respect élémentaire ? ne puis-je m'empêcher de m'interroger.
Je découvrirais plus tard que le luxe ne débute même pas là et que m'exhorter à cette épreuve de confrontation, conjointement à celle de la possession, afin de m'endurcir et de m'affermir dans l'exercice de l'appropriation de certains codes, d'un certain naturel, d'un mime de l'aisance et de la décontraction au contact de certaines matières et gammes de produits, comme pour un entraînement sportif de très haut niveau, régulier, minutieux, difficile, douloureux, étape inévitable avant libération, était vain de toute façon : c'était une course de fond qui n'avait pas de fin."