Citations de Etty Hillesum (320)
Je cherche à comprendre et à disséquer les pires exactions, j'essaie toujours de retrouver la place de l'homme dans sa nudité, sa fragilité, de cet homme bien souvent introuvable. Enseveli parmi les ruines monstrueuses de ses actes absurdes.
La mort est là, grande et simple et naturelle, elle est entrée dans ma vie sans un bruit. Elle y a désormais sa place, et je la sais indissociable de la vie.
Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous.
Je voudrais n'écrire que des mots insérés organiquement dans un grand silence, et non des mots qui ne sont là que pour dominer et déchirer ce silence. En réalité les mots doivent accentuer le silence. [...] les mots ne devraient servir qu'à donner au silence sa forme et ses limites (Éditions du Seuil, 1985, pp. 117-118).
C'est en souffrant que j'apprends ce que je sais. Ayant appris à lire en moi-même, je me suis avisée que je pouvais lire aussi dans les autres. Je sens en moi ce besoin de franchir toutes les frontières et de découvrir le fond commun à toutes les créatures, si différentes et si opposées entre elles. Et je voudrais parler de ce fond commun d'une petite voix douce, mais inlassable et persuasive.
Quand je cesse d’être sur mes gardes pour m’abandonner à moi-même, me voilà tout à coup reposant contre la poitrine nue de la vie… Et ses bras qui m’enlacent sont si doux et si protecteurs – et le battement de son cœur, je ne saurais même pas le décrire : si lent, si régulier, si doux, presque étouffé, mais si fidèle, assez fort pour ne jamais cesser, et en même temps si bon, si miséricordieux.
Deux vies ne sauraient coïncider. Pour moi, en tous cas. Tout au plus connaît-on quelques moments de communion. Mais ces moments justifient-ils une association pour la vie ? Suffisent-ils à cimenter une vie commune ?
107. Ce matin en me réveillant m’est soudain revenue à l’esprit une phrase que j’avais écrite autrefois sur un petit bloc-notes, petite gamine toute fière d’elle-même : « Mon cœur est comme un accordéon, il se contracte et se dilate et le musicien, c’est la Vie. »
107. Vanochtend bij het wakker worden kwam me opeens een zin in het hoofd, die ik als trotse bakvis eens in een blocnootje geschreven had : ´M´n hart is als een harmonica, het krimpt en het zet zich uit e, z’n speelman is het Leven’ (Cahier huit, 5 juin 1942. Voulant dire « accordéon », Etty a écrit « harmonica »).
Traduit du néerlandais par William English et Gérard Pfister | pp. 92-93
Soyez simples et vivez simplement. Soyez honnête, combattez l'envie d'être bien vu des autres.
Je ne vois pas d'autre issue que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu'il croit devoir anéantir chez les autres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il ne l'est déjà.
La vie et la mort, la souffrance et la joie, les ampoules des pieds meurtris, le jasmin derrière la maison, les persécutions, les atrocités sans nombre, tout, tout est en moi et forme un ensemble puissant, je l'accepte comme une totalité indivisible.
Les quelques grandes choses qui importent dans la vie, on doit garder les yeux fixés sur elles, on peut laisser tomber sans crainte tout le reste. Et ces quelques grandes choses, on les retrouve partout, il faut apprendre à les redécouvrir sans cesse en soi pour s’en renouveler. Et malgré tout, on en revient toujours à la même constatation : par essence la vie et bonne, et si elle prend parfois de si mauvais chemins, ce n’est pas la faute de Dieu, mais la nôtre. Cela reste mon dernier mot, même maintenant, même si l’on m’envoie en Pologne avec toute ma famille.
26 juin 1943
(...) et à s'accorder tant d'importance à soi-même, à s'agiter et à se débattre, on passe à côté de ce grand, de ce puissant et éternel courant qu'est la vie. Ce sont de ces moments - et ils m'emplissent de gratitude - où toutes les aspirations personnelles tombent, où ma soif de savoir et de connaissance s'apaise et où, d'un large coup d'aile, un petit peu d'éternité vient me survoler. Je sais parfaitement, bien sûr, que ces dispositions ne durent pas. Elles auront peut-être disparu dans une demi-heure mais j'y aurai tout de même puisé des forces.
p. 90
La vie est si curieuse, si surprenante, si nuancée et chaque tournant du chemin nous découvre une vue entièrement nouvelle.
Je voudrais parfois me réfugier avec tout ce qui vit en moi dans quelques mots, trouver pour tout un gîte dans quelques mots. Mais je n'ai pas encore trouvé les mots qui voudront bien m'héberger. C'est bien cela. Je suis à la recherche d'un abri pour moi-même, et la maison qui me l'offrira, je devrai la bâtir moi-même pierre par pierre. Ainsi chacun se cherche-t-il une maison, un refuge. Et moi je cherche toujours quelques mots.
On ne peut tout dominer par la raison, laissons donc les fontaines du sentiment et de l'intuition jaillir un peu elles aussi.
(page 58)
Dimanche 9 mars. Eh bien, allons-y ! Moment pénible, barrière presque infranchissable pour moi : vaincre mes réticences et livrer le fond de mon coeur à un candide morceau de papier quadrillé. Les pensées sont parfois très claires et très nettes dans ma tête, et les sentiments très profonds, mais les mettre par écrit, non, cela ne vient pas encore. C'est essentiellement, je crois, le fait d'un sentiment de pudeur. Grande inhibition ; je n'ose pas me livrer, m'épancher librement, et pourtant il le faudra bien, si je veux à la longue faire quelque chose de ma vie, lui donner un cours raisonnable et satisfaisant. De même, dans les rapports sexuels, l'ultime cri de délivrance reste toujours peureusement enfermé dans ma poitrine. En amour, je suis assez raffinée et, si j'ose dire, assez experte pour compter parmi les bonnes amantes ; l'amour avec moi peut sembler parfait, pourtant ce n'est qu'un jeu éludant l'essentiel et tout au fond de moi quelque chose reste emprisonné. Et tout est à l'avenant. J'ai reçu assez de dons intellectuels pour pouvoir tout sonder, tout aborder, tout saisir en formules claires ; on me croit supérieurement informée de bien des problèmes de la vie ; pourtant là, tout au fond de moi, il y a une pelote agglutinée, quelque chose me retient dans une poignée de fer, et toute ma clarté de pensée ne m'empêche pas d'être bien souvent une pauvre godiche peureuse.
J’ai en moi une immense confiance. Non pas la certitude de voir la vie extérieure tourner bien pour moi, mais celle de continuer à accepter la vie et à la trouver bonne, même dans les pires moments.
Il faut oublier des mots comme Dieu, la Mort, la Souffrance, l'Éternité. Il faut devenir aussi simple et aussi muet que le blé qui pousse ou la pluie qui tombe. Il faut se contenter d'être.
La vie est si curieuse, si surprenante, si nuancée et chaque tournant du chemin nous découvre une vue entièrement nouvelle.