Citations de Fabienne Jacob (102)
La voix est comme une rivière qui traverse des couches et des couches de sédiments et puis un beau jour ça sourd, tout ce que doit traverser une voix, quand on y pense, comme organes, membranes, fibres, matières roses, rouges, sombres, claires, profondes avant de sourdre. Ces traversées font sa tessiture.
La rue d’aujourd’hui n’est plus un terrain de jeu et de hasard
A la fin de la classe, si on a été sages Mme Bayeux fait la lecture. C'est la récompense.
Les personnes qui résistent m'attirent. J'en connais une qui résiste depuis l'enfance .Je n'ai jamais pu lui extorquer le moindre secret.
C'est une ex-nonne.
Toute ma vie j'ai voulu leur ressembler. De grâce, deux minutes me suffiraient. Une actrice italienne des années cinquante. A la limite, soixante. Quand elles apparaissent, on les gobe. On est leur peau, leur grain de peau, les pores serrés, fins, on est leurs longs bras nus sous leur robe noire sans manche, on est leur taille qui sinue dans la robe noire, on est le bout de leurs pieds gainés dans des bas de Nylon, et on marche, on marche sans fin dans de beaux appartements milanais ou romains.
Que regardent-ils au juste ? Cet attrape-nigaud d'horizon, ils n'y croient plus depuis longtemps ni l'un ni l'autre. L'horizon ne recèle jamais rien de ce qu'on attend. N'empêche, aucun des deux ne parvient à détacher les yeux de la magnétique ligne bleue qui clôt le paysage au loin.
L'audace est le joker des timides.
Ce qui était banal devient précieux, ce qui était respiration devient souffle, l'imminence d'une fin réévalue le prix et le nom des choses.
Sex appeal
Un mot que je ne connaissais pas. Au début j'ai cru qu'on y mettait des piles comme dans les transistors.
la douceur est une impasse.
J'ignore pourquoi notre société ne fait pas aux timides la place qu'ils méritent, elle préfère promouvoir les extravertis,les décomplexés. Il s'agit surtout et partout de s'affirmer, de dire haut et fort ses pensées, toutes ses pensées. Maître mot,la transparence. Pour être dans la course, je joue le jeu,mais tout au fond de moi,secrètement, je continue d'avoir un faible pour la réserve et la pudeur.
Ce qui est caché me paraît toujours autrement plus désirable que ce qui est montré. (p.184)
Le premier homme à m'avoir abordée dans la rue ne l'a pas fait avec des mots, mais avec des cailloux, une intifada. Ce n'était pas un homme, c'était un garçon. Le jour où la scène a eu lieu aurait pu s'appeler Jour de l'Indépendance.
Je n'aime pas quand les choses sont finies, je n'aime pas les femmes comblées, tout le monde pense qu'elles sont heureuses elles ont tout pour l'être. Je ne le pense pas, elles ne sont pas heureuses j'aime mieux les femmes à qui il manque quelque chose celles qui désirent à celles qui possèdent. J'aime mieux celles qui continuent d'attendre qui continuent de palpiter. Les autres sont déjà mortes comme des poissons.
Je préférerai toujours un Dostoïevski à un de ces écrivains autocensurés au point qu'il ne coule plus de leur oeuvre qu'un filet d'eau tiède. (p.140)
Première difficulté, la vie sans modèle. Il faudrait désormais s'inventer soi-même sans la grâce de personne.(p.76)
C'était à n'y rien comprendre, le rugueux fabriquait de la douceur.(p.88)
Sans doute les femmes tolèrent-elles mieux que les hommes les mouvements souterrains.
Les hommes qui suivent les femmes dans la rue ne font pas autre chose que de tenter de percer l’énigme qu’ell ont sous leur robe.
A côté d'Eva, Liv et Irène, deux hommes sont assis chacun à un bout de table et s'observent intensément. ils se regardent dans les yeux sans se dire un mot. On n'arrive pas à déterminer si les deux s'apprécient ou non. Leur visage affiche un air neutre. Soudain l'un lève sa cuillère. Le geste n'a pas l'air agressif, mais l'autre homme, celui qui est en face, lance aussitôt un cri suraigu qui une fois de plus déchire le silence de la salle à manger. L'autre baisse immédiatement la cuillère. Le piaillement a fait courir l'infirmière qui leur lance un Chut. Pas la peine, les deux sont à nouveau comme avant, à nouveau à se regarder droit dans les yeux dans un tête-à-tête mutique. Le motif de leur bref différend est resté obscur.
La beauté d'une femme s'était ancrée comme cela dans nos têtes à Else et à moi, porter les chaussures qu'on veut, garder la tête haute en toute occasion et pouvoir emmerder la terre entière.