Citations de Félix Leclerc (169)
VIOLON À VENDRE
____Sur les conseils répétés de mes professeurs du collège, mon père m'acheta un violon. J'avais du talent, beaucoup d'oreilles, une main agile, et l'âme à fleur de peau. J'ai étudié un an. Ma passion était du délire , tant j'aimais ça. Pour partir le soir, après le souper, encore avec mes chiens, et, une fois par semaine, faire sept milles, aller chercher ma leçon et revenir, il fallait aimer ça. Roulé dans une couverte, je serrais mon violon dans mes bras, comme on tient un enfant. J'étais heureux.
Quand on n'a pas le moyen de perdre une vache et qu'on la regarde mourir étendue dans l'herbe, seul avec elle dans le fin fond des champs, qu'il y a ni vétérinaire, ni remède, on fait le geste de la mort et on creuse un grand trou à côté. On revient avec sa pelle ronde sur le dos et sa masse dans la main. La solitude est un mot qui prend des proportions; on se dit: «Je deviendrai riche par tous les moyens».
''Le Petit bonheur'' (extraits)
Alors le petit bonheur
A fait sa guérison
Sur le bord de mon coeur
Y avait une chanson
(...)
Mon bonheur a fleuri
Il a fait des bourgeons
C'était le paradis
Ca se voyait sur mon front
Comme bien d'autres ruisseaux, son lit était de poussière de roche, ses côté de mousse verte, et son plafond de grands jeux de soleil.
Les femmes l'appelaient lavoir ; les hommes, puits.
C'était le bain des filles, le boulevard des libellules, le bateau des feuilles mortes et, à cause de son agitation, de son clair mouvement, le désennui de ceux qui n'allaient pas au large.
"L'amour se passe de cadeaux, mais pas de présence."
Fidor m'avait fait connaître le mot amitié, c'était merveilleux ; maman et les gardes-malades, le mot courage ; papa et mon frère le premier, celui d'audace ; Anne-Marie et mon frère le second celui de musique ; Gaspard Lavoie, celui du théâtre ;Ledeenne, tout cela ensemble;Ludger, terre. Dans mon vocabulaire du temps figuraient aussi les mots larmes, tempêtes, punitions ; ...Mais je me serais passé des mots :séparation, feu, haine, vol, guerre, mort.
Mots atroces!
On se demande plus tard quand on est homme, ...on se demande d'où viennent les cheveux blancs, les rides dans le visage, les tics nerveux, les dos courbés, les myopies, les tremblements de genoux, les syncopes, les yeux hagards, les lèvres ruinés et les crevasses sur la peau... Tout cela vient des mots atroces. Ce sont eux qui font vieillir. (Page 131-132)
C'est beau la vie,
comme un noeud dans le bois
C'est bon la vie,
bue au creux de ta main
Fragile aussi,
même celle du roi
C'est dur la vie,
vous me comprenez bien.
Assez, assez, assez! Au nom de l'humanité, de l'Union Jack, du Fleur de Lys, du Canada, assez! (Temps. On s'assoit, découragés.) Et moi avec la soutane, qu'est-ce que j'ai fait? J'ai tenu tête à mon patron, vous êtes venus et vous m'avez humanisé d'un coup sec quand mon rôle était de vous «cielliser» si je peux dire! Qu'est-ce qui va nous arriver maintenant? Il faudra faire amende honorable, mes frères.
L'hymne au printemps
Les blés sont mûrs et la terre est mouillée
Les grands labours dorment sous la gelée
L'oiseau si beau hier s'en est envolé
La porte est close sur le jardin fané
Comme un vieux rameau oublié
Sous la neige je vais hiverner
Photos d'enfants qui courent dans les champs
Serons mes seules joies pour passer le temps
Mes cabanes d'oiseaux sont vidées
Le vent pleure dans la cheminée
Mais dans mon coeur je m'en vais composer
L'hymne au printemps pour celle qui m'a quitté
Quand mon amie viendra par la rivière
Au mois de mai après le dur hiver
Je sortirai bras nus dans la lumière
Et lui dirai le salut de la terre
Vois les fleurs ont recommencé
Dans l'étable crient les nouveaux nés
Viens voir la vieille barrière rouillée
Endimanchée de toiles d'araignées
Les bourgeons sortent de la mort
Papillons ont des manteaux d'or
Près du ruisseau sont alignées les fées
Et les crapaud chantent la liberté
Gagner son foyer un soir d’hiver avec quelque chose de précieux sous le bras : un disque, un pain, de la viande, un cadeau.
L’avenir, cet invisible, nous figeait sur place ; une grande brume nous le voilait. Ce que nous aimions, c’était le présent et nous le dégustions comme un fruit juteux et tendre.
"Une île
Une fleur dans l'eau.
Et la falaise abrupte qui porte les maisons.
Des pêcheurs, des cultivaeurs, des barges, des charrues, des granges,des entrepôts à poissons.
Des chemins de terre sous des abres. Croix et sorcières aux carrefours.
Des nuits noires comme des trous, des matins comme des portes d'or.
Des gens heureux, aveugles.
Des enfants qui vont à l'école par des talus.
Un vent éternel qui souffle dans les cavernes et les oiseaux maigres aux grandes ailes qui s'en moquent.
Le vent ! Un jour, debout comme un lion en colère, le lendemain couché.
Suivez-moi, il y a fête sur l'île. (...)"
On pardonne plus facilement les défauts que les qualités.
Célestin : Taisez-vous ! Silence ! Plus un mot ! Pire que ça : sortez ! Allons ! Et pas d’écorniflage ! Je vais vous en faire , moi, des « petites santés » puis des « Terre de vos aïeux » (Il tousse. Bouleversé, à Satan.) Combien de temps ?
Satan : Aller-retour.
Célestin : Tu prendrais la tête de cette révolte ?
Satan : « Expédition » Pourquoi toujours les grands mots ? « Expédition ».
Célestin : Tu prends sur tes épaules…
Satan : Oui, Célestin. N’avons-nous pas mérité de vacances ? Depuis des siècles de compilations, de dossiers, d’interrogatoires, de procès ? Tout chérubins que l’on soit, nous avons les yeux fatigués et le dos rond d’avoir tant travaillé. Au téléphone parfois, tu as une voix de vieillard épuisé. Je vais te donner deux bonnes raisons : Sommes-nous moins que les hommes ? Et les hommes vont dans la lune pour se changer les idées. Deuxièmement : on connaîtra mieux cette race ayant vécu avec elle. Riches de cette expérience pratique, notre travail en bénéficiera pour la grande gloire de Dieu.
Célestin : Pour la plus grande gloire de Dieu ??
Satan : Pour la plus grande gloire de Dieu !
Pages 138-139.
C'est dans cette maison de la rue Claire-Fontaine , remplie des rimes du Barbu, de " Schubert " , dans l'odeur des manches de hache et des copeaux d'érable blanc, au milieu de ces visages cuit de vent , de ces grosses mains cornées, de ces yeux couleur d'évasion que nous avons passé nos premières soirées d'enfants pendant qu'au dehors poudrait la neige des mystères.
C'est dans cette maison de la rue Claire-Fontaine , remplie des rimes du Barbu, de " Schubert " , dans l'odeur des manches de hache et des copeaux d'érable blanc, au milieu de ces visages cuit de vent , de ces grosses mains cornées, de ces yeux couleur d'évasion que nous avons passé nos premières soirées d'enfants pendant qu'au dehors poudrait la neige des mystères.
Souvent, le jour, avec Lédéenne et mon frère le deuxième, le discret, le "rangé" de la famille qui rêvait d'être musicien, tous trois main dans la main, nous allions en cachette sur la galerie de la maison chanteuse et, sans parler, nous contemplions par les carreaux les instruments de cuivre.
Mon frère le deuxième savait leur nom, leur origine et leur pouvoir de charmeur, qu'il avait appris dans un livre. Il nous racontait des fables au sujet du piccolo et de la flûte. "Pendus au mur, ils se font la cour, disait-il. Lui, c'est un berger ; elle, une chanson insaisissable comme une abeille. La clarinette est la seule, remarquez-la, qui beau temps mauvais temps rit toujours de toutes ses clefs ; c'est la coquette du village. Le xylophone nerveux et maigre, avec ses côtes à jour, se tient au fond ; il claque des dents ; c'est qui? c'est le pauvre." Une vieille harpe qui ne sortait jamais, en avant de tous les autres, comme une ancêtre, semblait tirer ses fils dans la vie, fendait les malheurs comme une proue de navire. Et le drapeau tricolore jetait ses plis vers nous, comme s'il eût voulu nous envelopper, nous enlever dans ses voiles.
Le pauvre Rondudu buvait trop aussi. Ses scandales étaient connus. Sa cruauté révoltait le pays. Il devait finir ainsi. Dans le sang. Espérons qu'il a crié le nom de sa mère en mourant, comme l'affirme le mulot des sables…
On n’a pas sitôt bâti une chose qu’il faut en recommencer une autre, dans le fond, semblable. La mer n’a pas sitôt posé une vague sur le rivage, qu’elle court en chercher une autre. Les fourmis n’arrêtent pas de transporter les grains de sable. Dans cent ans, les feuilles de tremble trembleront encore, et la chanson de l’oiseau ne sera pas terminée. L’homme n’arrête pas de charroyer les jours.
C'est précieux, les peines. Je ne donnerais pas ma confiance à celui qui ne sait pas ce que c'est.