Françoise Bourdin

Cette coupe est la mienne, la première que je décide seule, sur un terrain que j’ai acheté moi-même, je ne peux pas avoir l’air de Bécassine dans les bois ! Seulement voilà, je suis une femme, haute comme trois pommes, alors de toute façon, les gros machos ne me prennent pas au sérieux. Ils préféraient encore l’époque où Tristan m’accompagnait malgré les sottises qu’il proférait. En réalité, tant qu’ils m’ont tenue pour quantité négligeable, ma brave petite dame, ils se montraient tout disposés à m’aider, mais maintenant que je veux diriger les choses à ma façon, ça ne passe plus ! 

 Les êtres vivants des bois servent tous à quelque chose. Ils produisent de la matière, ou la consomment, ou la recyclent. 

 Vous n’êtes plus une petite femme effacée qui compte sur les initiatives de ses employés, vous êtes celle qui décide.

Céline n’aurait quitté la capitale pour rien au monde, elle avait besoin du bitume, des lumières, de ce qu’elle appelait le « sirop de la rue ».

Quand mes enfants sont nés, elle a été si présente, si efficace ! Et puis, en quelques années, elle est devenue une autre personne, quelqu’un qui a son apparence mais qui n’est plus elle…

Trop de vin et pas assez d’exercice lui donnaient du ventre. Mais n’était-ce pas le lot de presque tous les hommes à la cinquantaine ? Pourtant, il se jugeait encore capable de plaire aux femmes, même s’il n’en avait plus très envie.

Quoi de pire que ne plus pouvoir communiquer avec ceux qu’on aime ?

Sur les routes de montagne, quatre roues motrices font toute la différence.

À la période malheureuse de sa jeunesse s’étaient ajoutés des choix désastreux, et aujourd’hui, elle se trouvait dans une impasse. Pour en sortir, elle n’aurait pas seulement besoin de courage ou de force de caractère, cette fois, il allait aussi lui falloir un peu de chance.

Le courage, même si tu en as une bonne dose, il faut t’en fabriquer un peu plus chaque jour. Et quand il avance vers le taureau, il doit le dominer parce que sa vie en dépend.

Ce qui te séduit, toi, moi, ou n’importe quel spectateur, il s’en fout. L’esthétique du mouvement, il l’a apprise pour sauver sa peau. Leur seule vérité c’est la trouille. Leur seule grandeur est de pouvoir la maîtriser. C’est leur supériorité.

Mais le pire de tout ça est que, lorsqu’il y a un accident grave, tu te sens coupable parce que c’est pour toi, spectateur, que le torero a pris des risques, pour te séduire et pour te satisfaire.

L’obscurité et l’alcool servent souvent à transcender des êtres qui n’accompliront jamais la moitié de ce qu’on leur prête dans ces moments-là, ce que la nuit semble rendre possible et qui meurt avec le sommeil.

Boire avant un combat, ce serait vraiment suicidaire.

Mon fils est une vedette, à présent, une star de la tauromachie ! Il faut que quelqu’un le prenne en main, s’occupe de sa carrière ! Tu parles d’un fromage ! Un homme qui le pousse devant n’importe quels taureaux pourvu que ça rapporte, et qui s’en va prier à l’abri des planches que sa pompe à fric ne se fasse pas encorner !

L’opportunisme était plutôt bien porté, dans son petit groupe, et plus apparenté à un esprit pratique qu’à une veulerie sans excuse.

Un cinquantenaire qui soigne sa peur de vieillir près de jeunes maîtresses. Un numéro de vieux beau, ni ridicule ni attendrissant, charmeur à tout propos et même hors de propos. Le goût de l’argent, du luxe, et ses certitudes. Le goût tout court, aussi, des jolies femmes, des objets rares, des vêtements impeccables.

Aucun enfant ne vit bien un divorce, même s’il se tait.

Les années de femme au foyer pesaient lourdement. Il fallait qu’elle retrouve des gestes sûrs, l’autorité naturelle qui avait été la sienne à la fin de son internat, une manière de convaincre et d’imposer qui ne laissait aucun choix au patient. Pour regagner son statut de spécialiste, elle aurait eu besoin de l’atmosphère de l’hôpital, cette immense machinerie bien huilée dans laquelle elle mourait d’envie de reprendre une place.

On peut engloutir une vie sans y prendre garde.