Pour sa 6e édition, le Marathon des images atteint sa vitesse de croisière. La formule qui a fait le succès de ce rendez-vous reste inchangée : 24 historiennes et historiens feront l'analyse en 5 minutes « montre en main » d'une image ou d'un très court extrait de film. Mais le Comité organisateur continue d'innover : l'an passé, les trois présidents de séance avaient soumis aux spectateurs une « image mystère », que le public était invité à commenter. Cette année, dans un esprit participatif, le Comité lancera un appel à projets auprès du public et sélectionnera deux propositions d'intervention. Les festivaliers dont l'image aura été retenue seront invités à en faire le commentaire en toute fin de Marathon. Dernière nouveauté : la troisième séance sera suivie d'un échange informel entre le public et les Marathoniens, autour d'un verre.
Avec:
Bruno BERTHERAT
Régis BERTRAND
Corinne BONNET
Catherine BRICE
Tal BRUTTMANNGuillaume CALAFATCaroline CALLARDAnne CAROL
Isabelle CARTRON
Dominique CASTEX
Joël CHANDELIERPhilippe CHARLIERPaul CHOPELINGuillaume CUCHETJean-Paul DEMOULEVanessa DESCLAUXMarie FAVEREAUJérémie FOAMathieu GRENETEmmanuel LAURENTINMichel LAUWERSFlavie LEROUXDidier LETTPascal ORYAnnie SARTRE-FAURIATStéphanie SAUGETLydwine SCORDIAClaire SOTINEL
Mileva STUPAR
William VAN ANDRINGA
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Alors que la mort était autrefois au cœur de la vie quotidienne et qu’elle s’inscrivait de manière forte dans le cadre symbolique et rituel de la vie collective, on assiste progressivement à son relatif effacement de l’espace public.
Le caractère public et particulièrement organisé du cérémonial qui entourait le mourant ou les rituels des funérailles au début du XXe siècle a disparu. D’un phénomène public, inscrit dans la vie collective, la mort est peu à peu devenue, comme le souligne Norbert Elias, le fait d’individus isolés, placés en dehors de la vie sociale.
La mort s’apparente de plus en plus à une expérience privée, intime, à distance du reste de la société.
Tout se passe en fait comme si, assez soudainement, au terme de tout un travail de préparation souterrain, des pans entiers de l’ancienne doctrine considérés jusque-là comme essentiels, tels le jugement, l’enfer, le purgatoire, le démon, étaient devenus incroyables pour les fidèles et impensables pour les théologiens.
J'aurais tendance à dire personnellement que le concile a non pas provoqué la rupture (en ce sens qu'elle n'aurait pas eu lieu sans lui), mais qu'il l'a déclenchée tout en lui donnant une intensité particulière. On a longtemps eu du mal à en convenir dans I'Église, notamment en France, en partie parce qu'on avait peur en le faisant de donner raison, ne serait-ce que sur la chronologie, aux intégristes et traditionalistes qui ont depuis longtemps planté leur drapeau noir sur cette fâcheuse « coincidence ». Même si le concile s'inscrivait dans l'axe d'un processus de modernisation déjà bien amorcé dans certains milieux et domaines, il n'en a pas moins constitué, pour la masse des catholiques ordinaires, un choc religieux dont l'entrée dialectique avec la mutation socioculturelle simultanée a donné à la période son explosivité particulière.
[...] on peut se demander si, dans le processus de la réforme conciliaire et le prolongement d'une évolution au moins biséculaire, un certain nombre d'éléments de croyance comme l'enfer ou le diable, qui font partie de la doctrine chrétienne, n'ont pas été sacrifiés sur l'autel de la réconciliation de l'Eglise avec le monde moderne, plus ou moins victimes d'une opération de démythologisation ou d'euphémisation rampante qui ne disait pas son nom. C'est la part de vérité de la thèse traditionaliste. Le diable a fait les frais de cette opération de dédiabolisation dont le concile était aussi le nom, même si l'on assiste depuis, dans l'Eglise, à un processus de récupération progressif d'une partie de cet héritage, volontiers assimilé par certains à une forme de réaction.
Une conscience patrimoniale n'est certes pas I'équivalent de la foi, même si elle peut y conduire, mais elle est du moins une conscience là où, autrement, prévaut le plus souvent la liquidation sans phrase d'un héritage d'une richesse prodigieuse, qui me paraît bien relever, elle, d'une forme d'inconscience collective. Elle a d'ores et déjà commencé à déboucher sur une prolétarisation métaphysique de masse dont les symptômes éclatent de toute part, notamment dans le succès de cette très médiocre littérature psycho-spirituelle qui nous tient lieu de maître intérieur.
Nos sociétés sont traversées par un débat sur la « fin de vie » et l'euthanasie qui remonte aux années 1970. Le parallèle avec celui sur l'« interruption volontaire de grossesse » est suggestif. La loi Veil date du 17 janvier 1975 et le premier projet de loi sur l'euthanasie, de 1978. Les deux questions ont donc été posées en même temps et souvent par les mêmes, mais elles n'ont pas eu le même calendrier ni, provisoirement, la même issue, en partie parce que la naissance et l'officialisation du mouvement des soins palliatifs, dans les années 1980, ont fourni une réponse au problème de la mort, qui a retardé l'issue probable du débat. Tout le monde sent bien cependant qu'on y vient par étapes, comme on est venu au reste, la dernière en date étant celle de la « sédation profonde terminale ». On ne voit pas bien, en l'état de nos courbes, ce qui pourrait nous empêcher d'arriver à l'euthanasie.
Paul Yonnet est un des premiers à avoir souligné le lien entre ces deux « révolutions atomiques » dans la subjectivité contemporaine et, partant aussi, dans la culture, qu' ont été le contrôle quasi infaillible de la fécondité d'une part, et le recul de la mort de l'autre. Comment accepter, à partir du moment où on a délogé le hasard des origines de la vie, qu'il se maintienne à la fin, a fortiori quand le moment précis de la mort dépend de plus en plus d'une décision médicale ? Les contemporains voudront boucler la boucle et se donner le même niveau de maîtrise de la vie en amont qu'en aval.
Une autre raison probable de cette difficulté à penser la rupture en temps réel est ce qu'il faut bien appeler la sanctuarisation idéologique du concile Vatican II, qui, de facon plus ou moins consciente, a longtemps sous-tendu les raisonnements sur le sujet. On a voulu éviter d'apporter de l'eau au moulin intégriste ou traditionaliste en admettant qu'il ait pu avoir raison au moins sur la chronologie, un peu comme, dans les mêmes années, on avait tendance à minorer le rôle de la Révolution dans le décrochage religieux de la fin du XVIIIeme siècle, pour éviter d'avoir l'air de ressasser de mauvais souvenirs. La génération du concile, qui a vécu l'événement comme un progrès majeur dans sa conception du christianisme, a eu le plus grand mal à admettre qu'il puisse avoir joué un rôle dans la crise et, pour être plus précis, dans le décrochage de la pratique. Tout au plus a-t-elle bien voulu convenir généralement du fait que le sens de la pratique avait évolué (en bien), privilégiant désormais, comme critères du christianisme véritable, les comportements volontaires et les engagements "évangéliques" , de type social ou politique en particulier.
Le fait est que l'on assiste alors, dès 1963-1964, à une dépénalisation tout à fait nouvelle au sein du catholicisme de l'abstention religieuse, considérée désormais comme secondaire au regard des « vrais » critères de christianisme que seraient la sincérité des consciences, T'engagement militant ou le service de la cité et des pauvres. Les pratiques religieuses - ce qu'on appelait jadis, dans les anciens catéchismes, les « commandements de l'Eglise »- ont alors cessé d'être présentées comme des devoirs impérieux dont il fallait s'acquitter, bon gré mal gré, parce que c'était l'habitude, que le clergé le demandait et qu'il en allait du salut. Désormais, au contraire, la pratique religieuse devait être d'abord volontaire, et mieux valait à la limite s'en abstenir si l'on ne s'en acquittait que pour de "basses" raisons, comme obéir à de vieilles habitudes ou par crainte de Dieu.
Il en est résulté un vaste phénomène de décompression collective dont toutes les pratiques se sont ressenties, mais tout particulièrement celle de la confession parce qu'elle avait toujours été, pour le grand nombre, la plus coûteuse et la plus problématique.
Si l’on compare la structure religieuse de la France d’hier avec celle d’aujourd’hui, trois faits principaux ressortent : le recul du catholicisme, la montée des non-affiliés (les nones des études américaines) qui représentent désormais près de 50 % des 18-50 ans, et celle de l’islam, devenu par immigration la deuxième religion du pays et qui rassemble environ cinq millions de fidèles et 7,5 % de la population.
Il est difficile de se figurer aujourd’hui qu’encore au début des années 1960, avec des nuances significatives selon les régions, les confessionnaux étaient pris d’assaut à la veille des grandes fêtes religieuses et que le sacrement de pénitence était considéré par le clergé comme l’un des plus chronophage de son ministère avec les enterrements. (p 200) (…) Cette chute de la confession constitue donc en soi un fait sociologique et spirituel majeur dont il est probable qu’historiens et sociologues n’ont pas pris toute la mesure. Rien moins, en somme, que la foudroyante mutation par abandon massif, en l’espace de quelques années seulement, d’une pratique qui a profondément façonné les mentalités catholiques dans la longue durée, ainsi que les formes culturelles de la culpabilité individuelle et collective.