Citations de Hélène Gestern (526)
J'ai promené la loupe sur les mains des trois hommes .Je ne m'étais pas trompé: leurs chevalières étaient identiques. Y était gravé en relief non pas un monogramme, comme je l'avais d'abord cru, mais un dessin que j'ai reconnu sans peine: le tracé de Cézembre qui servait d'emblème à la compagnie
De loin en loin, l'ingénieur concède une réflexion plus personnelle : une pensée, une émotion, un doute. Au cours de cette année, un nouveau visage de lui s'esquisse en pointillé: celui d'un homme isolé, entouré d'une femme malade et de deux associés à la probité friable.
Reprenant la lecture des archives, j'ai acquis la certitude que Augustus Minchinton, dont le nom revient à plusieurs reprises dans le livre de raison de l'année 1906, était bien l'associé anglais de mon arrière-grand-père.
‶La passion des secrets de famille n’est parfois rien d’autre qu’une névrose égoïste. ″
″Le seul héritage qui compte c’est l’amour qu’on reçoit. ‶
Le monde des musiciens est un village [...]
Aujourd’hui, avec ma compagne, nous atteignons l’âge où les gens ont envie de jouir en paix des années qui leur restent, de réaliser leurs rêves avant qu’il soit trop tard.
Je soupire. L’espace d’un instant, oui, je voudrais bien faire ce qu’il me suggère. Vider mon sac une fois pour toutes, jusqu’au tréfonds, et qu’on n’en parle plus. Mais c’est impossible. Alors je mens, je mens encore, en serrant la vérité au plus près, comme toujours quand on veut s’en tirer.
Depuis toujours, je suis fasciné par les musiciens. J’ai beau savoir que leur technique, leur virtuosité sont le fruit d’heures de pratique et de milliers d’exercices enchaînés, pour moi, ce sont des magiciens, des prestidigitateurs. Je regarde leurs doigts courir à une vitesse surnaturelle sur le clavier et, chaque fois, j’ai l’impression d’assister à un miracle.
Lorsqu’elle était auprès de moi, sa présence était une évidence que je ne questionnais jamais. Depuis qu’elle n’est plus là, elle obsède mon présent jusqu’au vertige. Je regrette le temps perdu, les heures que je ne lui ai pas consacrées. Son souvenir chemine à mes côtés, escorte mes pas, comme une ombre douce, têtue et persistante.
Car être musicien, avant d’affronter la scène, les feux de la rampe, le public, c’est cela, avant tout : s’asseoir devant son instrument, aligner les notes pendant des heures, chaque jour, chaque semaine que Dieu fait, et nourrir l’illusion de toucher, de temps en temps, à une éphémère perfection.
Pour un nom dont on se souviendra, pour une Tamara Isserlis rescapée de l'oubli, combien d'autres, perdus à jamais? Ce livre est né du désir de tresser des histoires de disparus, avalés par la guerre, le temps, le silence. De raconter le devenir de leurs traces, qui éclairent,mais aussi dévorent les vivants.
Trop d'émotions ont défilé en trois minutes, l'éblouissement, la joie, la tristesse, la nostalgie Je n'arrêtais pas de penser à ma femme, aux soirées durant lesquelles, devant un verre de vin, nous écoutions les disques de Manig Terzian, sans rien faire d'autre que nous plonger dans ce sortilège-là.
J'ai pensé que dans le monde, à cette heure, la fureur et la haine embrasaient la planète un peu partout, qu'on mourait ici dans le bruit des fusils, là dans la détresse des famines et des exils. Mais ce soir, une fraction d'humanité s'était donné rendez-vous, à l'abri des notes, pour se réconcilier, se recueillir dans la joie pure d'une communion musicale.
Je sais simplement que le jour où nous sommes rentrés de l'hôpital, après l'annonce du diagnostic, je lui ai pris la main dans le taxi et je ne l'ai plus lâchée. Et qu'au moment où mes doigts ont dû abandonner les siens, trois ans plus tard, à la clinique Sankta Margareta, après que nous avions décidé, ensemble, qu'il était temps que la morphine et sa miséricorde éteigne pour de bon la douleur qui la torturait sans répit, j'ai regretté de ne pouvoir glisser dans le néant à ses côtés.
Parfois, je me demande après quelle "vérité" nous courons au juste, tous les deux, et dans quel état sa découverte, si nous trouvons ce que nous cherchons, nous laissera.
J'hérite.../... du souvenir d'une robe turquoise et d'une adresse dans un cimetière. .../... C'est bien mince pour affronter le temps qui passe.
Je suis entre deux eaux : une part de moi veut clore l'enquête, l'autre n'est pas encore prête à rendre ma mère à l'amnésie du monde.
Mais quelles étaient-elles, au juste, ces fameuses "nécessités de l'information" ? Le spectacle de la mort en direct était-il devenu un dû ? On avait bien d'autres pudeurs quand il s'agissait de masquer le visage d'un confrère retenu en otage? Et nous-mêmes dans tout cela ? Quel genre d'êtres stupides, engourdis de violence, étions-nous devenus, qu'il nous faille voir le sang en double page pour admettre qu'il avait coulé ?
... ils portent en eux, au-delà de la blessure, la lumière brûlante, têtue, inexpugnable de ceux qui ont arpenté les ténèbres, et ce sont à temps souvenu de la vie.