Citations de Hugo Boris (200)
J'ai la maladie de la peur. Je suis devenu la proie de ce mot. Ma propre réaction me terrorise, me dévirilise, me tend mon reflet authentique, celui d'un pauvre mec sans couilles au cul. Si lâche, si friable. Montre voir un petit peu. Oui, c'est ça, tu avais peur d'être mangé par les petits cochons tout à l'heure, tu ne voulais pas mourir, hein, tu as encore plein de choses à faire, alors tu t'es laissé entamer tout de suite, n'as offert aucune résistance.
Quelque chose s'est apaisé en elle depuis tout à l'heure. Se mettre en colère contre cet homme, même sous un mauvais prétexte, lui fait du bien. Elle était invisible depuis neuf mois, se laissait marcher dessus, c'est comme si elle avait enfin trouvé quelqu'un à qui parler, un pauvre bougre sur lequel se défouler un peu.
Quinze ans que je consigne dans le métro en quelques lignes, sur le vif, les cadeaux du hasard, le ravissement d’une scène, d’une rencontre, le saisissement d’un mot lu ou entendu. Quinze ans que j’herborise dans les transports en commun. L’herbier est posé de longue date sur une étagère dans le coin nord-ouest de mon bureau (…)
A relire les notes de ces trajets minuscules, ces microfictions involontaires, je vois pointer le carrousel de mes trouilles. L’herbier pointe du doigt mon état de sidération pathologique devant la violence et ma tentative de la mettre immédiatement à distance par l’écriture.
Elle se tourne encore vers les deux escorteurs, amère :
- Vous faites un beau métier, les mecs.
Un flot de sang lui monte au visage en s’entendant le dire
Aux yeux des Français, la police est tracassière, provocatrice, basse du front, fainéante, alcoolique. Aux yeux de ce Tadjik, elle est forcement tortionnaire et assassine.
Lui, le petit branleur baraqué, il avait pu amorcer quelque chose de solide et de durable, une raison de vivre sans l’avoir cherchée, mais Virginie la lui retirait aussitôt.
Il se sentait congédié. Il n’avait été qu’un homme pansement, une friandise, un tour de manège.
Le regard sans précipitation de la jeune femme enjambe l’uniforme de la police nationale, enjambe l’avortement, plonge dans le sien avec douceur, gentillesse, une sollicitude d’être humain qui voudrait soulager l’autre de la pierre à son cou. Virginie essaie de sourire mais sent que ce n’est pas beau à voir.
Le sang sur son treillis n’est pas le sien. Elle est intervenue sur une bagarre plus tôt dans la journée, se serait salie à cette occasion.
Accaparée par ses efforts pour le refiler à un collègue, elle est passée à côté de l'essentiel. Andrew Calkins est un vieillard en cavale. La mort lui souffle dans la nuque. C'est elle qui lui a donné le courage de prendre ce vol long-courrier.
Il fait participer son groupe en débitant sa petite marchandise, demande aux uns et aux autres s'ils préféreraient débarquer à marée haute ou à marée basse.
Haute, bien sûr, parce que cela fait moins de distance à parcourir à pied.
Ils sont tombés dans le panneau.
Les Alliés ont débarqué à marée basse pour que les obstacles de Rommel soient bien visibles.
Une drôle de journée le 7 juin , on n'en parle jamais du 7 juin. Je me suis réveillé dans un trou, j'étais gelé, j'étais sale. J'étais vivant.
Elle ne comprend pas pourquoi l'indifférence de cet homme lui est à ce point insupportable. Il a risqué sa vie, ici,. C'est plus fort qu'elle, elle lui en veut. Plus qu'aux autres. Comme si lui seul mettait à nu son invisibilité, comme si sa transparence devenait manifeste avec cet étranger. Ce n'est pourtant qu'un vieillard exténué après un très long voyage, qui revient sur une terre gorgée de sang, peuplée de fantômes. Pourquoi faudrait-il qu'il lui accorde de l'attention? Pourquoi son détachement la met-il dans un tel état?
Je vois l'embrouille venir avec une certitude absolue alors qu'il ne se passe encore rien. Je l'anticipe sans la moindre hésitation, avec la prescience du marin qui aurait développé une connaissance de la mer quasi divinatoire et annoncerait le coup de chien sous le ciel bleu. Mais au lieu de me donner un peu d'assurance, ce coup d'avance me tétanise. Je baisse les yeux pour devenir invisible.
Reste le rythme.
Ce rythme sans lequel la musique ne peut exister. Ce rythme qui la précède en tout, et qui existe sans elle, dans le roulis du train, sous les pas, dans le froissement des arbres, le bourdonnement du frigo, le battement de la branche sur la vitre, le passage du jour à la nuit, le mouvement de l'eau, le moindre geste. Ce rythme qui fait de la musique une durée avant d'être une mélodie, une alternance de sons et de silences entremêlés, qui donne aux phrases leur respiration, lie les notes entres elles, inséparables.
- Faut quand même avoir les nerfs solides pour rester comme ça sans bouger.
Je reprends ce RER maintenant que j'ai un enfant à mon tour et je m'aperçois que la peur a complètement disparu. Je suis protégé par mon fils de moins d'un an. Ses neuf kilos font passer en moi une vigueur qui ne vient pas de moi. Je suis invincible quand je voyage avec Gabriel. Si quelqu'un le touche, je le tue. Je le sais et tout le monde le sait. En me permettant d'émettre ce tendre rayonnement de sécurité moi aussi, celui que je cherchais à l'époque chez les mères de famille assises dans ce train, il me fait entrevoir quelques instants le doux confort de la force.
N'empêche que c'est officiel, j'héberge le mâle dangereux et irrationnel moi aussi, il est terré quelque part, planqué. Disons que c'est mon roi et qu'il se montre quand il veut.
Il monte dans la rame. Je le suis comme un vautour, un papier et un stylo à la main. (p. 86)
Il y a de plus en plus de monde autour de nous, principalement des travailleurs de nuit (...) tous des travailleurs pauvres- petits salaires et grands trajets. (p. 101)