Voilà un curieux petit livre dont l'action se déroule en Normandie.
Deux personnages principaux, qu'a priori rien ne destine à se rencontrer.
Le premier s'appelle Andrew.
Nous sommes en Juin 1944, du côté de Colleville-sur-Mer dans le Calvados.
Les quarante-cinq premières pages sont consacrées au récit de l'approche des barges dans le cadre de l'opération Neptune, qui implique la traversée de la Manche par plusieurs milliers de navires sur les plages du nord-est du Cotentin et de l'ouest du Calvados dans les secteurs, d'ouest en est, d'Utah Beach et Omaha Beach, et de la pointe du Hoc pour les Américains, en attendant le fameux débarquement des troupes dès le 6 juin au matin (« Jour J »).
Tout le monde connaît le «
D Day » bien sûr.
Mais tout le monde ne connaît pas les détails de ce déchargement de soldats hors des barges américaines – en tout cas moi je ne connaissais pas les détails.
Les chiffres sont vertigineux : 5 000 bateaux, dont 4 000 barges de débarquement et 130 navires de guerre sont impliqués. En ce matin du 06 Juin, lestés par du matériel qui pèse des tonnes, et alors qu'on est à marée basse, 20 000 véhicules et 156 000 hommes tentent de
débarquer sur les plages de Normandie. Mais au travers du personnage d'Andrew, doté d'une curieuse attirance pour un dénommé Garnett, son barreur, on vit ce débarquement minute par minute, et le moment est tout sauf merveilleux.
Faut-il attendre que la vague soit au plus haut pour
débarquer ? Ou bien au contraire profiter du creux de la vague ? Et comment nager avec du matériel autour du cou ? le fait est que, tout autour d'Andrew, qui est sergent et qui dirige ses hommes, nombre de soldats se noient. le face-à-face avec Garnett est terrible, puisqu'il est question de vie ou de mort. Et de la mort il y en a partout.
Tant bien que mal Andrew, qui échappe de justesse à une mort par noyade, parvient à ramper jusqu'à la plage. Mais son calvaire est loin d'être terminé. Les Allemands, en embuscade au sommet de la dune, tirent sur les malheureux qui n'ont presque aucune chance de s'en sortir.
Andrew finit, échoué sur cette plage dont il pense qu'elle sera son dernier territoire, par sangloter comme un enfant, pelotonné contre le sable froid.
Des pleurs d'enfant, il en est encore question, mais soixante plus tard.
La seconde partie s'ouvre sur Magali, jeune mère de famille, doté d'un fils prénommé Etienne, et d'une petite Albane qui apprend à marcher.
Mais rien ne va dans la vie de Magali. Par exemple elle est épuisée psychologiquement par le mystère qui plane autour de la disparition de son mari Darius, neuf mois plus tôt, parti un matin faire son jogging, et jamais rentré depuis.
Mais il faut affronter le quotidien. Déposer Albane chez une nounou compatissante. S'occuper d'Etienne et aller à un rendez-vous avec une psychologue qui a bien compris que quelque chose cloche.
Quel rapport entre Magali et Andrew ? A priori aucun, si ce n'est que Magali habite près de Colleville sur Mer.
Et sauf qu'on comprend que le métier de Magali est d'être guide. Guide pour cette partie de la Normandie qui accueille toutes ces personnes qui viennent voir les plages du débarquement.
Et justement ce jour-là elle doit prendre en charge un vétéran.
Et ce vétéran ce sera Andrew.
Rien ne sera simple entre ces deux personnages : Magali, enferrée par ses problèmes de mère seule devant assurer un quotidien infernal, et Andrew, dont on comprend qu'il n'a prévenu personne de son escapade hors des Etats-Unis, et qui vient sur les terres de sa jeunesse, revivre un drame enfoui sous le poids des années, auront bien du mal à se comprendre.
Hugo Boris tissera l'histoire d'une rencontre entre deux êtres bousculés par la vie. Dans une improbable retrouvaille sur la plage où il a débarqué, Andrew et Magali fraterniseront dans une fraternité spontanée, chacun des deux abandonnant quelques minutes la posture figée dans laquelle ils survivaient jusque là.
La plume d'
Hugo Boris est agréable sans être littéraire.
On suit les deux protagonistes avec circonspection et intérêt, dans ce paysage de bocage si typique du Calvados, et en refermant le livre en ayant l'impression d'avoir appris un peu plus sur cette histoire mythique de Juin 44, un récit à hauteur d'homme qui démystifie le conte qu'on raconte depuis dans les films, et qui montre que les héros qu'on honore cachent aussi des hommes et des femmes marqués à jamais par une guerre destructrice.