Citations de Isabelle Carré (367)
L’année de ses dix ans a sonné la fin d’une récréation, celle de l’insouciance.
Si je me refuse à employer les mots d'usage - "liaison" ou "adultère" - c'est qu'ils sonnent faux. "Infidèle" et "maîtresse" sont obscènes, nous ne sommes pas dans une pièce de Feydeau.
Le désir ne fait pas tout. Non, Brel n’a pas raison de dire que « le talent c’est l’envie ».
Elle me tient par la main,et pousse en même temps mon frère dans son landau.Nous traversons la rue nous marchons,personne ne parle.Les voitures roulent et les gens bougent en silence ,c'est comme un film muet.Je n'ai pas encore remarqué, je crois,son regard fixe,sa démarche fantomatique,même si je sens qu'elle est loin ,ses pensées l'ont encore capturée à des années-lumiere,J'ai l'habitude....oui,mais si loin,ce jour-là, qu'elle ne m'entend pas crier lorsqu'un passant m'arrache à Elle.....
C'est une évidence, sans doute inutile à préciser, mais le problème de mon père ne tenait pas à son orientation sexuelle. Le problème venait en grande partie d'une époque, d'une éducation, d'un milieu, et de désirs si bien verrouillés qu'ils étaient devenus des bombes à exploser à l'intérieur de lui-même. C'est peut-être à cet endroit précis qu'ils se retrouvaient avec ma mère, dans la compréhension immédiate, la complicité d'un vécu partagé: la même absence de liberté, et surtout d'intérêt de leur famille à l'égard de ce qu'ils étaient vraiment.
"Au pied de l'arc en ciel se dissimule toujours un trésor. " nous répétait mon père. Notre univers avait la texture d'un rêve, oui, une enfance rêvée, plutôt qu'une enfance de rêve.
Lorsque quelqu'un me blesse je lui écris une lettre, que je n'envoie jamais, le fait qu'elle existe pour moi m'apaise déjà, alors à quoi bon aller au bout de mon geste ?
page 260
Quand on est si poreux, à nu, on a besoin d'être face à quelqu'un à l'écoute de vos limites, et non de quelqu'un qui les repousse pour avoir la meilleure scène possible. [...] A mon époque, la possibilité du "non" n'existait absolument pas. [...] On voit que les prises de parole ont des effets positifs très concrets. Une société qui écoute ses enfants et ses adolescents est forcément une société plus humaine.
Elle s'arrête toujours devant les murs éventrés des maisons en démolition pour reconstituer la cuisine avec les marques des placards et de l'évier, chercher les chambres aux papiers peints déchirés où se devine la place d'un lit, d'une commode ou d'un bureau grâce aux lignes poussiéreuses, plus sombres, qui trahissent encore l'existence des meubles fantômes, puis repérer la salle de bains où luisent des morceaux de carrelages bleus ou blancs, parfois même un lavabo accroché à des tuyaux qui ne fuiront plus.
A peine avons -nous fermé la porte d'entrée que toutes les lumières sont allumées. Quelqu'un passe sous nos fenêtres et semble hésiter avant de s'éloigner. Joue t- il à deviner ,comme je le faisais , le quotidien les habitudes des gens qui vivent ici.
Oui ,en observant la course des enfants et leurs glissades sur le parquet l'inconnu ,depuis la rue ,imagine quels gestes les parents échangent chaque soir en rentrant ,aiment-ils se raconter l'un à l'autre leur journée puis recevoir du monde à dîner, faire la fête ? Lisent-ils des histoires aux plus jeunes pour les endormir?Comptent-ils ensemble les étoiles au lieu de suivre naïvement la météo une en face deux derrière les nuages?....S'il y a plus de cinq étoiles dans le ciel,il fera beau demain....
Le passant s'est éloigné, je l'ai perdu dans la nuit.Ce n'était peut-être qu'une ombre ,comme un reflet, ou juste un souvenir, un très vieux souvenir de nous.
C'est une évidence, sans doute inutile à préciser, mais le problème de mon père ne tenait pas à son orientation sexuelle. Le problème venait en grande partie d'une époque, d'une éducation,d'un milieu, et de désirs si bien verrouillés qu'ils étaient devenus des bombes prêtes à exploser à l'intérieur de lui-même. C'est peut-être à cet endroit précis qu'ils se retrouvaient avec ma mère, dans la compréhension immédiate, la complicité d'un vécu partagé : la même absence de liberté, et surtout d'intérêt de leur famille à l'égard de ce qu'ils étaient vraiment.
Dix ans... Il bomba la poitrine à l'évocation de ce nombre parfait, magique, il allait enfin ajouter un second chiffre à son âge, lui qui les aimait par dessus tout, appréciait tant leurs jolies symétries.
On devrait trouver des moyens pour empêcher qu’un parfum s’épuise, demander un engagement au vendeur -certifiez moi d’abord qu’il sera sur les rayons pour cinquante ou soixante ans, sinon retirez-le tout de suite. Faites-le pour moi et pour tous ceux qui, grâce à un flacon acheté dans une parfumerie ou un grand magasin, retrouveront l’odeur de leur mère, l’odeur d’une maison, d’une époque bénie de leur vie, d’un premier amour ou, plus précieux encore, quasi inaccessible, l’odeur de leur enfance.
Je rêve surtout de rencontrer des gens. Je n'ai jamais trouvé simple de faire connaissance, ailleurs que sur un plateau. Mais on se quitte une fois le tournage terminé, et on ne se revoit jamais comme on se l'était promis... Alors je m'offre une seconde chance, j'écris pour qu'on me rencontre.
Le roman, c’est la clé des chambres interdites de notre maison.
Aragon
Dans cette famille dont les femmes semblaient dénuées de tendresse.
Des femmes sans bras.
p 178
« Il l’a prise en main, les a portés, elle et son enfant. Je sais combien cet homme a changé le cours des choses, a transformé sa vie, ses connaissances, puis modifié ses désirs et ses habitudes, de quelle façon il a bouleversé son regard sur le monde, sa façon d’être au monde. » (p. 22)
Je me souviens être entrée , une fois encore, dans une librairie en quête de solutions, et d'avoir enfin dégoté le livre que je cherchais , cette fameuse "Vie : mode d'emploi" ! Je l'achetai aussitôt pour le titre, pensant avec naïveté que c'était exactement ce que j'allais y trouver. Mon sourire masquait si bien mon désarroi et cette étrange solitude , mais bon sang, où le trouver, ce mode d'emploi ?!
Lorsque quelqu'un me blesse je lui écris une lettre, que je n'envoie jamais, le fait qu'elle existe pour moi m'apaise déjà, alors à quoi bon aller au bout de mon geste?
Pourquoi n’ai-je jamais su quitter les lieux que j’aimais? Pourquoi est-ce si difficile de les laisser, d’accepter qu’on ne pourra pas les revoir car ils ne nous appartiennent plus, la porte s’est claquée pour toujours, le temps ne fera que nous en éloigner, à moins d’être un bon rêveur, celui qui se souvient toujours de ses rêves, de rêves si clairs et précis qu’ils permettent de s’y attarder encore, d’entrer à nouveau dans ces pièces de l’enfance, sans autre clé que le désir constant d’y revenir.