Ni votre vie ni vos actes n'ont de saveur, parce que vous n'êtes rien vous-même., parce que - entendez-moi!- vous êtes un mort errant dans le chaos du monde!
Oui, le peuple juif connaissait un double exil: il était environné de nations hostiles, et trahi, de l'intérieur, par ses propres membres.
Malgré la croix dorée dessinée sur la couverture noire du livre, Wolf n'était pas dépaysé en écoutant la lecture. Les histoires qu'il entendait parlaient des Patriarches, des Juifs d'Égypte persécutés par Pharaon et que Dieu avait ordonné à Moise de faire partir du pays. Ça lui rappelait ses années d'enfance, quand son maître étudiait la Torah avec lui. Le fait que cette fille goy aux cheveux raides lise l'histoire du peuple juif, d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, de la sortie d'Égypte, l'emplissait de fierté. Il se sentait plus important.
Le monde ne repose que sur trois choses, se plaisait-il à répéter, l'argent, l'argent, et encore l'argent.
Elsa ne l'interrompt pas. Elle se contente de le regarder de ses yeux intelligents dont elle semble avoir pris soin de faire disparaitre toute trace d'atterrissement. Elle plaisante : "Qu'est ce que c'est que ça, un ultimatum, jeune homme ?"
Elle songeait à lui tantôt avec une nostalgie insupportable, tantôt avec haine. Quel droit avait-il de partir ainsi, l'abandonnant dans cet horrible désert sans amis, sans espoir ? Elle serrait les poings, se disant qu'elle aurait aimé le battre, le griffer pour le punir de sa cruauté. Puis la colère passait, et son désir pour lui, tel un doux poison coulait dans toutes les veines de son corps.
Un seul lieu était encore éveillé –la synagogue. Le rabbi et ses disciples disaient les prières du premier soir de Shavouot. Une faible lumière éclairait les fenêtres. Malka n’écouta pas les voix des fidèles, elle ne vit pas la lueur de leurs bougies. Elle voyait seulement la nuit, elle entendait les voix muettes de la forêt. Chuchotements secrets, senteurs mystérieuses, évocatrices. S’éloignant de la cour, elle approcha des bois, distinguant l’odeur de chaque arbre. Ses narines frémissaient comme celles d’un animal en chasse. Ses yeux grands ouverts, avides, suivaient le tracé des sentiers, parfois attirés par un ver luisant. Elle percevait l’éclat phosphorescent du bois en décomposition. Autour d’elle la nuit prenait vie.