Jean Frémon La Blancheur de la baleine éditions P.O.L où Jean Frémon tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre "La Blancheur de la baleine" à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L et où il est notamment question de Michel Leiris, David Hockney, Emmanuel Hocquard, Bernard Noël, Alain Veinstein, Etel Adnan, Louise Bourgeois, Jannis Kounelis, Jacques Dupin, Claude Esteban, Samuel Beckett, Marcel Cohen, Jean- Claude Hemery, Jean- Louis Schefer, David Sylvester, Edmond Jabès à Paris le 2 février 2023
"Ce sont des écrivains, des peintres, des sculpteurs.
Aventuriers de l'impossible. Ce sont des bribes de leurs vies. Tous des chercheurs davantage que des trouveurs. J'ai eu le privilège de les côtoyer. Ce qu'ils poursuivent est ce qui toujours se dérobe. La grâce est une fieffée baleine blanche."
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L'amour commence par la conscience de la courbe d'une silhouette, la longueur d'un sourcil, la naissance d'un sourire. "Cela arrive !". La présence d'un autre mobilise votre attention, vos sens. Ce sentiment grandit, devient désir de recommencer l'expérience. Cela devient un itinéraire, un voyage. (p.18)
Comme tous les Grecs de Smyrne, ma mère était très superstitieuse. Le matin du 1er janvier, il fallait commencer la journée en allant toujours à droite. En sortant de la maison, on crachait trois fois et on disait "Je crache l’année qui s’en va et je fais face à une nouvelle année heureuse" et on allait à l’église orthodoxe. Si elle se trouvait à gauche, on faisait le tour du quartier par la droite, puis on y entrait, du pied droit. Parce que ce jour-là, il ne fallait pas dépenser d’argent sinon on allait se ruiner, ma mère avait pris soin d'acheter des grenades la veille. En rentrant à la maison - du pied droit toujours - on jetait la grenade par terre dans l’entrée en disant : "Comme cette grenade est pleine de petits grains, ma maison sera pleine de prospérité." Ensuite, il ne fallait surtout pas manger la grenade en entier parce que cela signifiait qu’on allait manger toute sa fortune.
Etel Adnan, poétesse libanaise disparue le 14 novembre dernier.
On pourrait dire que l'amour pour un certain arbre, ou même pour la Nature, est quelque chose de bénin, mais l'amour n'est jamais bénin. Il peut mobiliser, et il le fait, tout votre être. Ce que nous appelons "Nature" recouvre une infinité de réponses. Cela englobe l'exploration, la prise de risque, la révolution dans votre vie. Cela peut vous conduire au sommet de l'Himalaya, au bord de volcans, de gouffres ou dans les laboratoires. Cela vous révélera à vous-même. Cela inspirera des artistes, des poètes et des philosophes. Cela ouvrira des voies pour la compréhension du sublime (p. 13)
Il est difficile de ne pas prendre en considération l'amour irrésistible qui nourrit l'énergie des mystiques dans toutes les religions. Même les non croyants peuvent s'émerveiller, par exemple, des écrits des grands maîtres soufis, où poésie, questions philosophiques et lyrisme profond se mêlent dans un intense désir humain d'atteindre le divin. (p. 10)
Je sais que les fleurs brillent plus fort
Que le soleil
Leur éclipse marquera la fin des
Temps
Mais j’aime les fleurs pour leurs trahisons
Leurs corps fragiles
Ornent les avenues de mon imagination
Si elles n’étaient pas là
Mon esprit serait une tombe
Anonyme.
Cela devient cette voix dans la nuit qui vous dit "je t'aime", et qui perturbe votre sens de l'équilibre. A la fin, cela touche des zones qui vous font interroger l'univers entier. (p.18)
Les cerisiers plient sous le
poids de leurs fleurs
ils exécutent une danse
à laquelle personne
n’a jamais été invité
Extrait 4
C'est arrivé dans des années dont personne ne se souvient.
Je n'ai pas tenté de faire quoi que ce soit de plus.
Ma propre disparition suivit un nuage qui m'avait trouvée
assise dans un jardin.
Les tunnels reproduisent les schémas des artères. Il y a un
ver dans le cœur qui se nourrit de sa pitance et dans la cour
des oiseaux pour qui l’histoire importe peu, bien qu’elle ait
brisé nos vies.
Un jour, le soleil ne se lèvera pas à son heure, alors le jour
ne sera pas. Et en l’absence de jour, il n’y aura pas de nuit
non plus. Ainsi, la Révélation se sera accomplie.
//Traduction de l’américain de Françoise Despalles.
Le XIXème siècle est un siècle étrange car, alors, les empires de l'intérieur commencent de s'écrouler, doucement mais sûrement, pendant que des empires extérieurs, coloniaux, sont en train d'être construits par les français, britanniques, hollandais, belges, dans toute l'Afrique et dans de très grandes parties de l'Asie, pour ne pas dire dans sa totalité. d'un côté il y a des mouvements de libération et d'un autre, au même moment, d'autres peuples se voient brutalement soumis.
De plus en plus de gens se comportent comme s'ils ignoraient la Nature, ne l'aimaient pas ou même la méprisaient. Nous ne connaîtrions pas la catastrophe écologique actuelle s'il en était autrement. Ces gens sont incapables de comprendre la réponse du chef indien Joseph aux colons américains quand ces derniers essayèrent de faire labourer la terre aux Indiens : "Comment pourrais-je éventrer ma mère avec une charrue?" - et pour lui ce n'était pas une métaphore, il le disait au sens propre.