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Citations de Johana Gustawsson (270)


Suède, Falkenberg, hôtel Strandbaden,

samedi 3 décembre 2016, midi.



Alexis Castells remplit son verre et celui de sa mère de bière de Noël.

— Bon Dieu, qu’il est bon, ce saucisson ! C’est fait avec quoi ? demanda goulûment Mado Castells en avalant sa troisième tranche.

— Tu es sûre que tu veux savoir, maman ?

— Je te préparais des beignets de cervelle de mouton quand tu étais petite et on mange bien du lapin, alors croquer du Bambi ne me fait pas peur. Dis-moi ce que c’est.

— De l’élan.

— Voilà, madame Eklund.

Dans deux semaines, Alexis deviendrait « Mme Stellan Eklund », comme la taquinait sa famille. Pourtant, ils s’unissaient selon la mode suédoise et Stellan prendrait le patronyme d’Alexis. M. Stellan Castells, véritable poster boy du multiculturalisme ! Le père d’Alexis était fou de joie : son gendre embrassait si bien l’héritage catalan de la famille qu’il le gravait sur son arbre généalogique.

Mado termina son assiette et s’offrit une nouvelle tournée à la julbord, le traditionnel buffet de Noël proposé par les restaurants suédois à l’approche des fêtes de fin d’année.

Leur matinée mère-fille au marché d’Halmstad avait été joviale et légère, avec une dégustation de glögg, le typique vin chaud sucré et saupoudré de raisins secs et d’amandes effilées. Mado avait acheté quantité de bougies et de décorations de Noël en s’amusant par avance de la réaction de Bert, son mari, quand viendrait le moment de faire les valises. De toute façon, les kilos de sassenage et de morbier apportés de France pour Alexis et sa belle-famille avaient laissé suffisamment de place dans leurs bagages.

— C’est très sympathique, cette tradition, en tout cas, concéda Mado en trempant une saucisse dans de la moutarde de Västervik. C’est comme des tapas de Noël, tu ne trouves pas ? Bon, c’est moins raffiné que chez nous, mais ce n’est tout de même pas mauvais.

— Tu crois que tu arriveras un jour à les complimenter, ces pauvres Suédois ? Ça fait un peu snob, non, de toujours critiquer leur bouffe ?

— Snob, ta mère ? Moi qui collais des affiches pour le Parti communiste ! Toi, alors, tu m’en sors de belles !

Une bourrasque fouetta la baie vitrée.

Mado sursauta.

Le vent jouait avec la mer ; des brassées de vagues mousseuses titubaient avant de s’écraser contre la jetée.

— Tu vas t’installer ici définitivement, je le sais bien…

Le ton de Mado portait le caractère tragique d’un verdict.

Alexis se raidit. Garde ton calme, se sermonna-t-elle.

— M’an… C’est plus facile pour moi de venir vivre en Suède, tu le sais bien. Je peux écrire mes livres partout, mais le business de Stellan est avant tout scandinave ; ce serait impossible pour lui de travailler depuis Londres. Leur entreprise avec Lena est ici, tu comprends ?

Alexis caressa le visage de sa mère. Mado blottit sa joue dans la paume de sa fille.

— Je conçois que ce soit compliqué pour vous de venir à Falkenberg, continua Alexis, mais tu as toujours trouvé Londres tentaculaire et intimidante. Falkenberg est une ville à taille humaine…

Mado se dégagea de l’étreinte d’Alexis.

— Oui, bon, d’accord, mais passer de plusieurs millions d’habitants à vingt mille, ça va te faire un choc. Encore, si c’était Stockholm, je me dirais, ma foi… Mais Falkenberg ? Autant t’enterrer vivante. Et puis, avec toi, je n’ai pas le temps de m’habituer qu’il y a déjà un autre changement…
— Oh, maman, arrête, enfin ! J’ai passé plus de dix ans à Londres !

La patience d’Alexis s’érodait déjà. Elle se tapa mentalement sur les doigts.

— Bon, d’accord, d’accord… Explique-moi ce qui te dérange vraiment. Il y a un problème avec Stellan ?

— Non, pas du tout, répondit Mado, le regard vissé à son assiette.

Alexis eut soudain la sensation que les rôles s’inversaient. Ou peut-être pas. Les mères avaient certainement le besoin et le droit d’être rassurées par leurs grands enfants…

— C’est… la culture scandinave, Alexis… Elle est à mille lieues de la nôtre… C’est… plein de petites choses… Ils sont flegmatiques, impassibles, limite coincés, alors que nous autres, Méditerranéens, on est communicatifs, spontanés, pour ne pas dire démesurés. Chaque fois que j’ouvre la bouche, ils sursautent ! Comme si j’étais une extraterrestre exubérante ! Ils ont une sorte de tiédeur qui me donne envie de leur coller des baffes, tiens ! Non, mais c’est vrai, il est bizarre, ce peuple… Prends seulement l’exemple de ce dessin animé avec le canard, là, comment il s’appelle ?

— Donald.

— Non, le dessin animé…

— Kalle Anka.

— Oui, voilà. Tous les 24 décembre, le même dessin animé, à la même heure et depuis plus d’un demi-siècle ! Tu te rends compte ? Sans parler de ce pain sec qu’on te met à table et qu’il faut tartiner de beurre et de fromage pour espérer lui donner du goût ! On dirait des galettes de paille ! On ne le filerait même pas aux poules, chez nous ! Et leur obsession du golf… Bref, c’est ton choix…

— Et moi qui pensais que tu passais un bon moment…

— Si tu me disais que tu fais tout ça parce que vous comptez avoir des enfants, là, je comprendrais, poursuivit sa mère sans l’entendre.

Ah, voilà. Mado avait craché le morceau. On arrivait enfin au cœur du problème. Alexis, presque quarantenaire, et sans enfant. Rien de pire, pour Mado Castells, que de laisser le sacro-saint utérus en jachère. La femme se réalisait et se révélait dans la maternité. La femme était mère avant tout. Et mère louve, s’il vous plaît. Donc, après avoir sorti l’utérus, mesdames, sortez les dents !

Alexis étala du beurre sur un morceau de knäckebröd qui se brisa dans sa main.

— Tu vois ! Qu’est-ce que je te disais ? De la paille, ce truc !

— Oh, arrête, m’an ! Tu ne vas pas me sortir la rengaine francofrançaise sur la baguette, si ?

— Je n’en ai même pas besoin ! claironna Mado en repoussant du bout des doigts les miettes de pain azyme.

Alexis soupira.

L’après-midi allait être long. « Comme un jour sans pain », aurait ajouté sa mère.
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Il n'avait jamais assez de Mona. C’était bizarre, d’ailleurs. Il n’avait jamais ressenti ça, ce besoin irrépressible d’être avec une fille. Toute la journée il luttait pour ne pas penser à elle, pour ne pas revisiter les images qu’ils créaient ensemble, la nuit. Il pourrait passer tout son temps à contempler Mona. A la regarder jouir. Sourire. Rire. Manger. Se préparer, se vêtir, se devêtir, et même dormir. Ouais, dormir : il adorait le pli boudeur qui ourlait ses lèvres et la ride qui apparaissait entre ses yeux. Bon sang…il devenait complètement fleur bleue. Mou du cerveau. Mais toujours dur du…
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La gars du train avait raison. C'était bien l'enfer qui les attendait au bout de ce long voyage. Mais un enfer organisé.
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La tête de la morte était tournée vers la fenêtre, comme si la misérable voulait qu'on la regarde une dernière fois. Freda était incapable de dire s'il s'agissait bien de Mary Kelly allongée là, sur ce lit imbibé de sang, tant son visage avait été broyé. Il ne lui restait que des lambeaux de front et de menton, et quelques dents qui saillaient entre les entailles. Une mare de sang avait coulé sous le sommier et s'étendait sur le côté, tel un tapis. A côté de la fenêtre, sur la table de nuit qui jouxtait le lit, le tueur avait abandonné un amas de chair sanguinolente, comme d'autres y auraient laissé leur bible.
- Dieu tout-puissant ! répéta Freda, sans parvenir à détacher son regard du lit.
La femme reposait sur le dos, les jambes écartées et repliées à la façon d'un nouveau-né. Ses cuisses semblaient avoir été rongées jusqu'à l'os, son sexe n'était plus qu'une infâme bouillie, comme si un chien enragé s'était mis à le dévorer. Son bras gauche, près de la fenêtre, lacéré d'entailles profondes, avait été rabattu sur son corps. Sa main trempait dans sa panse béante, juste au-dessous de sa poitrine, où deux renfoncements rouge sombre remplaçaient les seins.
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Le viol, une mort avec laquelle il faut vivre.
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Les douleurs du passé étaient un peu comme des sables mouvants : lorsqu'on mettait les pieds dedans, il fallait accepter la situation, s'apaiser et cesser de s'agiter, au risque de s'enliser davantage.
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Quel concept à la con, quand même, cette résilience, surtout quand on sait que le mot latin signifie, littéralement, "sauter en arrière". Grande différence avec le fait de rebondir, non ?
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« Lobes à ma façon »
Trempez les lobes dans deux jaunes d’œufs battus.
Panez avec une chapelure de pain de mie.
Faites frire dans du beurre persillé.
Servez accompagné d’une purée à l’huile d’olive.
Lobes-à-ma-façon.
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Mon coup de cœur 2015 ❤️ ! J'étais sceptique quant au moment de l'histoire mais il s'agit de 2 histoires qui se rejoignent.. Une pépite ce bouquin. Pour un 1 premier livre, c'est franchement réussi ! J'attends impatiemment la suite !
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Où que j’aille, j’emporterai le souvenir de Freyja avec moi. Ma femme est partout : dans le café du matin, dans la bière du soir, dans le silence de la nuit. Je l’aimais de cet amour qu’elle trouvait féminin, j’aimais être l’ombre de sa lumière. Elle trouvait ça fleur bleue, ça la faisait rire.
Freyja est ma terre. Je la transporte partout, accrochée à la semelle de mes chaussures. Elle me suit malgré moi.
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Ah, on se plaint, on se plaint des nuits sans sommeil quand ils sont petits, mais lorsque les monstres qui les hantent deviennent réels, c'est nous qui les faisons, les cauchemars. (p. 37)
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Une autre traversée en navette maritime me revient tout à coup en mémoire : celle du Vieux-Port, à Marseille, entre la mairie et la place aux Huiles, à bord du César, leur fameux « ferry boîte ». Ce trajet matinal de quelques minutes avait ensoleillé ma journée. Malgré leurs visages pétris de sommeil, les gens semblaient danser. Il existe un feu chez eux que nous, Scandinaves, faisons taire. À moins qu’il ne nous habite pas, après tout. Ou que le trop-plein de nuit l’avale. Aujourd’hui, un bain dans une atmosphère qui pétille m’aiderait à avancer. Littéralement, me dis-je, en répondant d’une main levée au salut du vieil homme qui m’attend au ponton.
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Une heure et vingt minutes plus tard, je me trouve de l’autre côté de la baie, sur l’île de Storholmen. Face à moi se dresse un sapin fier et majestueux, nappé de givre comme s’il avait été dessiné pour illustrer un conte de Noël.
Cette fois, la nuque que je regarde tangue entre les branches.
L’air glacé me brûle le gosier comme une gorgée de snaps.
J’extirpe avec peine mes bottes enlisées dans la neige compacte pour me rapprocher de la pendue. La corde a remonté ses cheveux blonds jusqu’au niveau des joues, dessinant deux touffes grotesques qui semblent jaillir de ses oreilles. Elle est accrochée à une branche basse, pratiquement contre le tronc du sapin, ses pieds dansent à trente centimètres du sol.
Je pose mon majeur et mon pouce sur son épaule. Le latex de mes gants adhère à sa peau gelée et, durant quelques secondes dilatées, je ne vois que la couleur parme de mes doigts qui détonne comme un détail de mauvais goût dans le paysage immaculé. Je tourne prudemment le corps vers moi, la corde crisse sur la branche.
Ses yeux sont grands ouverts.
Je ferme les miens un instant.
Elle est jeune. Bon Dieu qu’elle est jeune. Une enfant de… quatorze, quinze ans tout au plus. Elle porte autour du cou un lacet en cuir, caché sur sa nuque par la corde et l’amas de ses cheveux. Une paire de ciseaux ouverte y est attachée comme un pendentif démesuré ; une des pointes pique son sein nu, côté cœur. De larges coupures à l’intérieur de ses cuisses, au niveau de l’artère fémorale, ont laissé couler beaucoup de sang. Leur tracé est propre et net, d’une précision chirurgicale.
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Quel concept à la con, quand même, cette résilience, surtout quand on sait que le mot latin signifie, littéralement, "sauter en arrière". Grande différence avec le fait de rebondir, non ?
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-Si je devais prier quelqu'un, je préférerais alors prier le diable.
- Le diable ? et pourquoi donc ?
- Parce qu'il ne renie pas les femmes, lui, bien au contraire : il les choisit et les appelle auprès de lui : ce sont essentiellement des sorcières qui le célèbrent lors de la grande fête du sabbat non ?
Elle acquiesce d'un signe de tête.
- Il accepte aussi que nous ayons des désirs condamnables, comme le mien de me venger de Tamara ; et il consent, sans nous juger ou nous punir, à ce que nous les assouvissions. Peut-être qu'il a tout simplement un sens du mal et du bien qui correspond plus au mien.
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ce ne sont pas les personnes qui changent, mais leurs désirs. Leurs aspirations. Leurs priorités.
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La vie est trop courte pour perdre du temps chaque matin à dessiner une meilleure version de soi,et à l'effacer ensuite chaque soir .
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-Ton ventre n'est pas gros, maman : il est flasque. On dirait de la pâte à pizza.
Deux coups de Klaxon intimèrent à Karla d'avancer.
-Je te signale que cette pâte à pizza comme tu l'appelles, t'a servi de chambre à coucher et de garde manger ! Et tu étais tellement bien dans mon resto italien qu'il a fallu te forcer à sortir !
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C'était la "règle des trois" : deux victimes similaires pouvaient toujours relever du hasard; trois relevaient du calcul.
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Le train ralentit en amorçant la montée.

Le prisonnier tira sur la porte du wagon en poussant un grognement animal. Les autres accueillirent l’air en allongeant le cou, comme si cette bouffée inespérée pouvait étancher la soif qui leur brûlait la gorge.

Il attendit quelques secondes, comme un moineau sur une branche qui tarde à prendre son envol, puis disparut dans la nuit d’encre. D’autres détenus décidaient de sauter à leur tour, quand le train s’arrêta.

Une série de bruits sourds retentit et la forêt fut soudain parsemée de taches jaunâtres : les projecteurs plantés sur les tourelles commençaient leur chasse à l’homme. Ils fouillaient les fourrés, les arbres échevelés, le sous-bois.

— Ich habe sie ! Ich habe sechs von ihnen !

L’annonce fut suivie d’un ballet des mitrailleuses. Les ordres vociférés en allemand se mêlèrent aux détonations, jusqu’à ce qu’un silence encore plus terrifiant que les rafales enveloppe le convoi.
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