Citations de Joumana Haddad (170)
« Libre et élancée
Libre et élancée et mystérieuse comme un cyprès
Comme un cyprès pour que je me cicatrise dans le corps du vent
Comme lui pour devenir les ombres du vent. »
(p. 41)
« Je suis Lilith, la Lune intérieure
L’errance est ma boussole et l’exil ma demeure
Aucun facteur ne sonne à ma porte
Aucune maison ne mène à ma fenêtre
Et aucune fenêtre sinon l’illusion d’une fenêtre. »
(p. 38)
Leurs Beyrouth n'était pas les mêmes. Pour elle c'était une ville de terreur, de violence et de destruction; pour lui, une ville de liberté, de lumière, d'émotion. Il y avait un fossé, un monde entre les deux. Rien qui les relie. Elle pourrait tout aussi bien être d'un autre pays, dans une autre capitale. Chaque fois qu'elle entendait l'expression "Paris du Moyen-Orient" qui qualifiait Beyrouth, elle avait envie de vomir. Parfois, elle enviait ses parents, car dans leurs esprits les réminiscences de l'avant-guerre pouvaient soulager les horreurs de 'après-guerre.
"La majeure partie de l'histoire durant, l'Anonyme était femme" (Virginia Woolf). Eh bien, la femme arabe "non anonyme", "l'autre" femme arabe, atypique, libre, rebelle, indépendante, moderne, de libre pensée, non conventionnelle, éduquée et autonome, n'est pas un mythe. Elle existe aussi, à côté de la première. En outre, elle n'est pas si rare que vous pourriez le penser.
Et là réside l'enjeu du présent témoignage, modeste maillon dans une longue chaîne de travaux et d'études déjà écrits sur la question. Il ne vise pas à prouver que la vision dominante de la femme arabe typique est totalement fausse ; mais à en montrer l'incomplétude, en plaçant en regard "l'autre" image, afin que cette dernière devienne partie prenante de la perception moyenne qu'ont les Occidentaux (et les Arabes).
J’ai moi-même encore beaucoup de mal à parler de la plupart de mes expériences de la guerre civile libanaise, une guerre qui a ruiné mon enfance et mon adolescence (et celles de tant d’autres), et dont les répercussions continuent de dévaster mon pays, autant que mon âme […] J’ai écrit ce roman avec ma chair et mon sang, j’ai creusé le passé et le présent de mes ongles angoissés, et je suis trop directement impliquée dans ces quatre guerres et leurs conséquences désastreuses pour pouvoir tenir une quelconque position neutre […]
“Si vous abordez ces pages en quête de vérités que vous croyez
déjà connaître ; si vous espérez être conforté dans votre vision
orientaliste, ou rassuré quant à vos préjugés anti-Arabes ;
si vous vous attendez à entendre l’incessante berceuse du
conflit des civilisations, mieux vaut ne pas poursuivre. Car
je ferai dans ce livre tout ce qui est en mon pouvoir pour
vous «décevoir».”
Y a-t-il une différence authentique, significative et définitive entre la situation de la femme arabe musulmane et celle de la femme arabe chrétienne ? J’ai peur que non. Pas en profondeur. L’injustice, les doubles critères et les préjugés sont visibles avec plus d’évidence chez la première, c’est tout. Or, l’évidence est presque toujours un piège.
De nouveau, que veut dire être femme pour une femme?
Ce n'est pas évidemment la banalité de porter une jupe, du maquillage, ni d'avoir les cheveux longs. Ce n'est pas non plus transformer son corps en quartier de viande. De fait, malgré ma conviction que chacun est libre de faire ce qu'il/elle veut de son corps, je trouve le prototype féminin "quartier de viande" aussi humiliant et dégradant que le modèle voilé. Tous deux annulent l'authentique entité qu'est la femme, qui dépasse le traitement de son corps comme une marchandise en exposition, ou comme une tentation devant être effacée d'un coup de gomme noire.
Bien que j’aime l’histoire – en tant qu’étude du passé -, je ne peux m’empêcher de lui trouver des lacunes. Dans le langage aride de l’Histoire, les victimes deviennent des statistiques, les prédateurs des conquérants, les profiteurs des vainqueurs, les maisons deviennent des blocs de béton, les lieux de naissance des morceaux de terre perdus ou pris, et la souffrance devient une conquête ou une défaite. Relégués à la marge, les orphelins, les veuves, les familles endeuillées, les personnes violées, battue, torturées, à la rue, déplacées, les personnes abattues, massacrées, les blessés, les morts. Reléguées à la marge, les victimes innocentes dans chaque camp, celles qui n’avaient pas leur mot à dire face aux calamités qu’elles enduraient. On les appelle « dommages collatéraux », et l’objectif grand angle de l’histoire (History ou His Story, « son histoire à lui » ?) poursuit son chemin. Mais ce sont ces personnes, à mon sens, qui sont les véritables héros de guerre ; celles qu’on ne peut observer qu’au microscope du cœur ; celles qui sont plutôt racontées par l’histoire en version Her Story, « son Histoire à elle ».
(Extrait de la note au lecteur)
Impossible de venir vivre une vie d'être humain sans développer une forme de trouble mental pour contrer la brutalité de ce monde. Pour pouvoir la justifier, ou au moins la tolérer.
Le trouble peut être évident, comme la schizophrénie. Ou bien camouflé, comme la foi religieuse : la psychose collective ultime.
Le trouble est le remède, pas la maladie.
Le remède à la vie
Je suis la lionne séductrice et je reviens pour couvrir les soumises de honte et régner sur terre
Je reviens pour guérir les côtes d'Adam et libérer chaque homme de son Eve.
Je suis Lilith et je reviens de mon exil pour hériter la mère que j'ai enfantée.
Affamez-moi pour que les parfums s'enflamment
Aiguisez mon appétit pour que je me déverse
C'est le temps du tendre abricot
Rebelle comme une grenade
Broyez-moi
Et essuyez avec l'huile de mes poèmes les pieds des femmes vertueuses.
Il faut qu'il y ait une première fois. Toujours.
La première fois que notre coeur se referme sur nous comme un piège à rats. La première fois que nous goutons l'amertume. La première fois que nous optons pour le silence. La première fois que nous découvrons des limites. La première fois que nous n'avons pas d'autre choix que comprendre ce que nous ne voulions pas comprendre. La première fois que nous ouvrons les yeux pour voir le monde tel u'il est Son incongruité. Sa versatilité. L'âpreté de sa beauté. La grandeur de sa sauvagerie. Il faut qu'i y ait une première fois. Toujours.
La première fois que nous constations que toutes les routes devant nous sont des impasses.
Je suis Lilith la lionne séductrice.
Main de chaque servante, fenêtre de chaque vierge.
Ange de la chute et conscience du sommeil léger.
Fille de Dalila, de Marie Madeleine et des sept fées.
Pas d'antidote à ma damnation.
De ma luxure s'élèvent les montagnes et s'ouvrent les fleuves.
Je reviens pour transpercer avec mes flots le voile de la pudeur, et pour essuyer les plaies du manque avec le parfum de la débauche.
De la flûte des deux cuisses monte mon chant
Et de ma luxure s'ouvrent les fleuves.
Comment pourrait-il ne pas y avoir de marée
A chaque fois qu'entre mes lèvres verticales brille un sourire ?
Parce que je suis la première et la dernière
La courtisane vierge
La convoitée crainte
L'adorée méprisée
Et la voilée nue,
Parce que je suis la malédiction de ce qui précède,
Le péché disparut des déserts lorsque j'abandonnai Adam.
Il erra ça et là, il brisa sa perfection.
Je le descendis sur terre et allumai pour lui la fleur du figuier.
Ne cherchez pas la lame. Tout est dans les cicatrices
Car une femme arabe en colère rôde. Elle a ses propres récits, classés « fermés-à-la-négociation », sa propre liberté et sa propre vie, classées « non-accordees-par-quiconque », et elle a l’arme du crime idéale
Les mots mâle et femelle ne décrivent qu'une différence, pas une hiérarchie de valeur.
Non seulement les religions institutionnelles ont des préjugés envers les femmes , mais elles sont, toutes les trois, racistes, sexistes, homophobes, impitoyables, sanguinaires et pleines de réticence envers l'humanité, envers la liberté, envers les droits de l'humain. Elles vont à l'encontre du sens commun. Ce sont des institutions de pouvoir créées par l'homme, dont le but et de contrôler les gens et leur mode de vie. Elles ont toutes, au cours de leur histoire, utilisé la guerre et le terrorisme pour atteindre leurs objectifs et contenir les forces de la société civile qui menaçaient leur pérennité.
Oui, nous nous ressemblons beaucoup, et nos vies ne diffèrent guère des vôtres. En outre, si vous fixez le miroir assez longtemps, je suis presque sûre que c'est nos yeux que vous verrez briller sur votre visage.
En effet, nous vous ressemblons beaucoup, mais nous n'en sommes pas moins différents. Non parce que vous êtes de l'Occident, nous de l'Orient. Non parce que vous êtes des Européens, nous des Arabes. Non parce que vous écrivez de gauche à droite, nous de droite à gauche. Nous sommes différents parce que tous les humains sur cette planète le sont. Nous différons de vous comme vous de votre voisin. C'est ce qui fait l'intérêt de la vie.
(Dieu) "Oui, un jour je me réveillerai et oublierai que je suis LUI. (...) J'oublierai tous ceux qui m'ont injurié, ceux qui se sont prosternés devant moi et ceux qui ont injurié en mon nom tous ceux qui ne se sont pas prosternés devant moi."