AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Juan José Saer (194)


Le souvenir est comme une photographie ou une image assombrie, imprimée à l'intérieur de sa tête et les émotions et les sentiments d'humiliation ou de colère forment des trous à bords noirs et craquelés, comme si l'image avait été traversée en divers points de sa surface par la braise d'une cigarette.
Commenter  J’apprécie          100
La condition même des indiens était sujette à discussion. Pour certains, ce n’étaient pas des hommes; pour d’autres, c’étaient des hommes mais pas des chrétiens ; et pour beaucoup ce n’étaient pas des hommes parce que ce n’étaient pas des chrétiens.

p122
Commenter  J’apprécie          100
Il est à noter que de tous les hivers que je passai avec eux, le premier fut le plus long et le plus implacable. Pendant des semaines, une bruine glacée noya l'horizon et le ciel, et quand enfin elle s'arrêta, le froid, au lieu de diminuer, augmenta; nuit après nuit, il se mit à tomber, d'un ciel limpide et si proche qu'il nous écrasait presque, des gelées blanches, de sorte que la campagne chaque matin se réveillait toute blanchie, comme si les étoiles, pulvérisées sous le choc du froid, étaient en train de s'effriter et de saupoudrer la terre.
Commenter  J’apprécie          90
Les marins, satisfaits de les reconnaître, montraient certains soldats dont le visage endormi émergeait de l'eau. Mais les officiers donnèrent l'ordre de les laisser flotter. Entre les Indiens et les soldats cela faisait beaucoup de corps, raides et indistincts, dérivant de plus en plus vite, comme une procession muette.
Commenter  J’apprécie          90
C'est dans cette ville que j'ai compris pour la première fois, du fait d'y être revenu après bien des années, que la part du monde qui perdure dans les lieux et les choses que nous avons désertés ne nous appartient pas, et que ce que nous appelons de manière abusive le passé n'est rien de plus que le présent coloré mais immatériel de nos souvenirs.
Commenter  J’apprécie          90
Un beau matin de printemps, par un accord parfait et sans doute purement matériel entre le dedans et le dehors, par un consentement circonstanciel et fugitif des choses, nous voilà transportés, l'espace d'un instant, hors de l'éternel va-et-vient de l'offre et de la demande, hors des cauchemars du passé et des inquiétudes de l'avenir, ne faisant plus qu'un, enfin, avec le monde. Ni récompense méritée, ni préfiguration de quelque transcendance, il prend possession de nous lorsque nous parcourons, sous les grands acacias en fleur, les alentours du fleuve. Du fait d'être déjà un don, la perfection d'un tel instant ne recèle aucune promesse ; elle ne nous prépare nullement à un ordre plus élevé ; elle est une fin en soi, et il n'est pas question de l'invoquer en vue de telle ou telle ascèse, ni de prétendre l'avoir méritée à la faveur de douteuses prérogatives dues à l'étude, à l'intelligence ou la à la personnalité ; elle est donnée pour rien, et à n'importe qui, sans nécessité d'avoir été choisi en haut lieu, de sorte qu'il est inutile de perdre son temps à à remercier un quelconque dispensateur. Et si nous la considérons comme un don, c'est parce que, trop conscients de l'horreur, nous ne nous attendions guère à ce qu'elle nous fût octroyée. C'est le présent comme don : reçu non dans l'angoisse, ni dans l'étrangeté du sentiment d'être, mais dans la joie, qui englobe et dissout la conscience même de l'étant. Dans la lumière du matin, quand on marche parmi les pétales jaunes recouvrant les trottoirs, le présent infini n'est désormais plus perçu par les sens, mais en parfaite identité avec eux.
Commenter  J’apprécie          90
Beaucoup des souvenirs qui, durant le jour, comme des météores, traversent à leur guise ma mémoire viennent des alentours de ce grand fleuve dont la surface était rayée par le sillage des barques qui y passaient, rapides, en toutes directions, et bon nombre des gestes que je fais, machinaux, aux moments les plus inattendus, sont comme imprégnés de ces souvenirs, parfois de façon si indirecte et secrète que je ne me rends pas compte moi-même qu'ils y sont reliés, mais j'éprouve, à travers cet acte fugitif et secondaire, la sensation étrange que toutes les années soudain vont remonter de la région obscure où elles sont enfouies.
Commenter  J’apprécie          90
C’est, comme nous le savons déjà, le matin : et bien que cela n’ait aucun sens de le dire, étant donné que c’est toujours la même fois, une fois de plus le soleil, de même que la terre, à ce qu’il semble, tourne, a donné l’illusion peu à peu de monter, depuis cette direction dont ont dit qu’elle est l’Est, dans l’étendue bleue que nous appelons ciel, et peu à peu, après l’aube, après l’aurore, il est parvenu assez haut, mettons à la moitié de son ascension, pour que, à cause de l’intensité de ce que nous appelons lumière, nous appelions l’état qui en résulte, le matin – un matin de printemps où, une fois de plus, bien que, comme nous le disions, ce soit toujours la même fois, la température est montée, les nuages se sont dissipés, et les arbres qui, pour quelque raison, avaient perdu auparavant leurs feuilles se sont mis à reverdir, à refleurir une fois de plus, bien que, nous le disions, ce soit toujours la même, d’équinoxe en solstice, l’unique Fois, en la même, n’est-ce pas ?
Commenter  J’apprécie          90
C'est ainsi que, soixante ans plus tard, ces Indiens occupent encore, invincibles, ma mémoire. Je ne peux pas les voir séparés du ciel immense, bleu et lumineux qui, le soir, se remplissait d'étoiles. Quand il n'y avait pas de lune, elles étaient infinies, énormes et grésillantes. En hiver, bleues, vertes, violettes, rouges, jaunes, glacées, elles scintillaient. Je me rend compte à présent que si elles étaient là à nous entourer, nous, frange si mince de peur, d'ignorance et de pulsations, c'était parce que les Indiens, à tout moment, sans trêve, les soutenaient. Le grand fleuve qui les redoublait, s'emplissant à son tour d'étincelles, coulait vers le sud avec l'élan que les Indiens lui donnaient et les arbres, à chaque printemps, reverdissaient parce que leur sang se mêlait à la sève. Ils payaient jour après jour, jusqu'à l'usure, le prix interminable qu'il en coûtait de s'être à demi arrachés à un berceau fangeux qui leur avait laissé pour toujours une saveur d'égarement.
Commenter  J’apprécie          80
I. No hay, al principio, nada. Nada. El río liso, dorado, sin una sola arruga, y detrás, baja, polvorienta, en pleno sol, su barranca cayendo suave, medio comida por el agua, la isla. El Gato se retira de la ventana, que queda vacía, y busca, de sobre las baldosas coloradas, los cigarrillos y los fósforos. Acuclillado enciende un cigarrillo, y, sin sacudirlo, entre el tumulto de humo de la primera bocanada, deja caer el fósforo que, al tocar las baldosas, de un modo súbito, se apaga. Vuelve a acodarse en la ventana: ahora ve al Ladeado, montado precario en el bayo amarillo, con las piernas cruzadas sobre el lomo para no mojarse los pantalones. El agua se arremolina contra el pecho del caballo. Va emergiendo, gradual, del agua, como con sacudones levísimos, discontinuos, hasta que las patas finas tocan la orilla.
Commenter  J’apprécie          80
Malgré le froid, la veille de Noël obligeait les gens à sortir de chez eux et vers une heure, pendant qu'il [le commissaire Morvan] marchait lentement en direction du restaurant -[...]- il s'aperçut que le Burger King de la place était bondé. Des familles entières, encombrées d'enfants et de paquets, faisaient la queue aux caisses ou bien, installées à des tables aux bancs inamovibles, vissés au sol, mangeaient des menus identiques dans des assiettes et des gobelets de carton, profitant d'un court répit dans leur pénible course entre la reproduction et la consommation. Rigoureusement programmés de longue date par quatre ou cinq institutions fossilisées qui se complètent l'une l'autre - Banque, Ecole, Religion, Justice, Télévision - comme l'est un robot par le perfectionnisme obsessionnel de son constructeur, le plus insignifiant de leurs actes et la plus secrète de leurs pensées, à travers lesquels tous sont convaincus d'exprimer un individualisme farouche, se retrouvent, identiques et prévisibles, en chacun des inconnus qu'ils croisent dans la rue et qui, comme eux, se sont endettés en une semaine pour toute l'année qui va commencer en achetant, dans les mêmes grands magasins ou les mêmes chaînes de boutiques, les mêmes cadeaux qu'ils installeront au pied des mêmes arbres décorés de petites lumières, de neige artificielle et de guirlandes dorées, pour aller s'asseoir à des tables identiques et manger les mêmes aliments supposés exceptionnels qu'on pourra retrouver au même moment sur toutes les tables de l'Occident, desquelles ils se lèveront, passé minuit, se croyant réconciliés avec le monde opaque qui les a modelés, et emportant avec eux jusqu'à la mort - la même pour tous -, octroyées par le monde extérieur, les mêmes expériences qu'ils croient uniques et incommunicables, après avoir vécu les mêmes émotions et emmagasiné dans leur mémoire les mêmes souvenirs.
Commenter  J’apprécie          80
Une poignée de médecins qui étaient aussi des penseurs affirmaient, comme quelques philosophes de l'Antiquité l'avaient entrevu, que de certaines maladies de l'âme, même si des facteurs corporels pouvaient parfois être déterminants, la cause devait être recherchée non pas dans le corps mais dans l'âme elle-même.
Commenter  J’apprécie          80
Des familles entières, encombrées d'enfants (...), rigoureusement programmées de longue date par quatre ou cinq institutions fossilisées qui se complètent l'une l'autre -Banque, Ecole, Religion, Justice, Télévision- comme l'est un robot par le perfectionnisme obsessionnel de son constructeur, le plus insignifiant de leurs actes et la plus secrète de leurs pensées, à travers lesquels tous sont convaincus d'exprimer un individualisme farouche, se retrouvent, identiques et prévisibles, en chacun des inconnus qu'ils croisent dans la rue et qui, comme eux, se sont endettés en une semaine pour toute l'année qui va commencer en achetant, dans les mêmes grands magasins ou les mêmes chaînes de boutiques, les mêmes cadeaux qu'ils installeront au pied des mêmes arbres décorés de petites lumières, de neige artificielle et de guirlandes dorées, pour aller s'asseoir à des tables identiques et manger les mêmes aliments supposés exceptionnels qu'on pourra retrouver au même moment sur toutes les tables de l'Occident, desquelles ils se lèveront, passé minuit, se croyant réconciliés avec le monde opaque qui les a modelés, et emportant avec eux jusqu'à la mort - la même pour tous -, octroyées par le monde extérieur, les mêmes expériences qu'ils croient uniques et incommunicables, après avoir vécu les mêmes émotions et emmagasiné dans leur mémoire les mêmes souvenirs.
Commenter  J’apprécie          80
De sorte que Soldi se trompe s'il croit que Pigeon et Tomatis, monolithiques et semble-t-il à leur aise dans le présent, échappent au tiraillement constant ou à la crépitation qui, comme dans le ciel étoilé, explose à chaque instant dans la nuit intérieure. Ce qui se passe, c'est que par une espèce de complicité dans le style, acquise au cours de tant d'années depuis qu'ils se connaissent, cristallisé dans une convention tacite, ils ont appris à ne pas trop montrer.
Commenter  J’apprécie          80
[...] : contre ce mur épais vient battre, à moins que ce ne soit une divagation rapide et fragile d'après-dîner, le vécu. Si ce qu'envoie périodiquement la mémoire parvient à fissurer cette épaisseur, dès que ce qui a filtré s'est déposé sur la page, sec et noir comme une scorie, la persistance pâteuse du présent ne s'en recompose pas moins et elle redevient muette et lisse comme si aucune vision venue d'autres parages ne l'avait jamais traversée. Ce sont ces autres parages, incertains, fantomatiques, aussi peu palpables que l'air que je respire, qui devraient être ma vie.
Commenter  J’apprécie          80
De esas costas vacías me quedó sobre todo la abundancia de cielo. Más de una vez me sentí diminuto bajo ese azul dilatado: en la playa amarilla, éramos como hormigas en el centro de un desierto. Y si ahora que soy un viejo paso mis días en las ciudades, es porque en ellas la vida es horizontal, porque las ciudades disimulan el cielo. Allá, de noche, en cambio, dormíamos, a la intemperie, casi aplastados por las estrellas. Estaban como al alcance de la mano y eran grandes, innumerables, sin mucha negrura entre una y otra, casi chisporroteantes, como si el cielo hubiese sido la pared acribillada de un volcán en actividad que dejase entrever por sus orificios la incandescencia interna.
Commenter  J’apprécie          80
Et silence n’est pas, tant s’en faut, le mot qui convient pour cette absence de vie. Je suis sûr que cette obscurité entrait si fort en chacun de nous qu’il ne restait plus trace de cette petite lumière que, de temps en temps, provisoire et menue, les Indiens voyaient briller en eux. Enfin nous pouvions percevoir la couleur juste de notre patrie, débarrassée de la variété trompeuse et sans épaisseur conférée aux choses par cette fièvre qui nous consume dès la pointe du jour et ne cède que lorsque nous sommes enfoncés bien avant au cœur de la nuit. Enfin nous pouvions toucher, de l’extérieur, la pulpe brumeuse de l’indistinct dont nous avions cru jusque-là, qu’elle était issue de notre délire, de l’invention capricieuse d’un enfant trop gâté dans un foyer matériel fait de nécessité et d’innocence. Enfin nous arrivions, après tant de pressentiments, à notre lit anonyme.
Commenter  J’apprécie          80
Nos vies s’accomplissent en un lieu terrible et neutre qui ne reconnait ni la vertu ni le crime et qui, sans nous dispenser ni le bien ni le mal, nous anéantit, indifférent.
Commenter  J’apprécie          80
La tribu entière ressemblait à un malade qui se fût peu à peu remis de sa maladie. Ceux qui mouraient, ceux qui tardaient à guérir, étaient comme les organes irrécupérables ou fort mal en point d’un être dans son entier. Les corps étaient comme les signes visibles d’un mal invisible. Plaies, faiblesses, pâleur, sang ou pus, brûlures n’étaient que les signaux qu’une chose dépêchait, sans cause, à partir du fond noir, une chose présente en tous, répartie entre tous, mais qui était comme une substance unique face à laquelle chaque Indien, pris séparément, semblait fragile et contingent.
Commenter  J’apprécie          80
Ce ne fut pas facile ; plus que le latin, le grec, I'hébreu et les sciences qu'il m'apprit, il eut du mal à m'inculquer leur valeur et leur nécessité. Pour lui, c'était comme des pincettes destinées à manipuler l'incandescence du sensible ; pour moi, fasciné par le pouvoir de la contingence, c'était comme de partir à la chasse d'une bête féroce qui m'eût déjà dévoré. Et cependant, il m'améliora. Cela lui prit des années, et ce qui soutint mes efforts ce fut plutôt mon amour pour sa patience et sa simplicité que celui du savoir.
Commenter  J’apprécie          70



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Juan José Saer (638)Voir plus

Quiz Voir plus

quiz été quiz cadeau, chat ou chien ?

Pif

chien
chat
-
-

10 questions
113 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}