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Citations de Juan José Saer (194)


Cet enfant qui pleure en un monde inconnu assiste, sans le savoir, à sa naissance. On ne sait jamais quand on nait : l’accouchement est une simple convention. Beaucoup de gens meurent sans être nés ; d’autres naissent à peine, d’autres mal, comme avortés. Certains, par naissances successives, passent de vie en vie, et si la mort ne venait pas les interrompre, ils seraient capables d’épuiser le bouquet des mondes possibles.
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Seul le présent lui semble réel et si inséparable de l'épaisseur des choses, si confondu avec l'extension palpable du monde, que sa dimension temporelle est comme abolie.
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Le Vieux Soldat détient la vérité de l'expérience et le Jeune Soldat la vérité de la fiction. Elles ne sont jamais identiques mais, bien qu'elles soient de nature différente, parfois elles peuvent n'être pas contradictoires, dit Pigeon.
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Toute vie est un puits de solitude qui va se creusant avec les années.
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Dans cette situation déjà étrange, d'autres adversités attendent le mousse. L'absence de femmes finit par rendre plus sensible l'ambiguité de ses formes juvéniles, produit de sa virilité incomplète. Ce à quoi les marins, honnêtes pères de famille, pensent avec répugnance dans les ports, finit par leur apparaître, au cours de la traversée, de plus en plus naturel, de la même façon que l'homme respectueux de la propriété, à mesure que la faim ronge ses principes, ne voit plus, en son imagination, le poulet du voisin que plumé et rôti. Il est à remarquer aussi aussi que la délicatesse n'était pas la qualité première des marins.
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La condition même des Indiens était sujette à discussion. Pour certains, ce nétaient pas des hommes, pour d'autres, c'étaient des hommes mais pas des chrétiens; et pour beaucoup ce n'étaient pas des hommes parce que ce n'étaient pas des chrétiens.
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Même si le dernier dieu de l'Occident s'était incarné comme on dit dans ce monde et s'était fait crucifier à trente-trois ans afin que les grands magasins, les supermarchés et les boutiques de cadeaux multiplient leur chiffre d'affaire le jour de son anniversaire, ses adorateurs, qui ont échangé la prière contre les achats à crédit et le culte des martyrs contre la photo dédicacée de quelque joueur de football et n'attendent plus d'autre miracle qu'un voyage pour deux personnes à la loterie des jeux télévisés, avaient déserté à cause du mauvais temps les seuls lieux de culte qu'ils fréquentaient avec régularité et sans le moindre soupçon d'hypocrisie : les centres commerciaux.
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Même si le dernier dieu de l'Occident s'était incarné comme on dit dans ce monde et s'était fait crucifier à trente-trois ans afin que les grands magasins, les supermarchés et les boutiques de cadeaux multiplient leur chiffre d'affaires le jour de son anniversaire, ses adorateurs, qui ont échangé la prière contre les achats à crédit et le culte des martyrs contre la photo dédicacée de quelque joueur de football et n'attendent plus d'autre miracle qu'un voyage pour deux personnes à la loterie des jeux télévisés, avaient déserté à cause du mauvais temps les seuls lieux de culte qu'ils fréquentent avec régularité et sans le moindre soupçon d'hypocrisie : les centres commerciaux.
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La nuit d'été, une fois calmée la rumeur des rues, envoie jusqu'à ma pièce blanche des odeurs de ciel et de chèvrefeuille qui, à mesure que le silence s'installe dans la ville, me lavent du bruit des années vécues.
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A cette époque la mode était aux Indes car cela faisait quelque vingt ans qu'on avait découvert de pouvoir les atteindre par le ponant, de là bas revenaient des bateaux chargés d'épices ou en piteux état après avoir dérivé sur des mers inconnues; dans les ports on ne parlait pas d'autre chose et l'idée fixe donnait parfois un air dément aux regards et aux conversations. L'inconnu est une abstraction, le connu, un désert ; mais le connu à demi, l'entr'aperçu, est le lieu parfait où faire onduler désir et hallucination.
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En pratiquant des excavations dans les vieux jardins de Rome, les hommes du XVe siècle relancèrent, en la renouvelant, la tradition classique, et tentèrent d'y greffer, y compris dans l'art religieux, un christianisme humanisé, presque mondain, sur la sensualité réaliste du paganisme. Le littoral américain leur révéla, à travers les péripéties atroces qui les attendaient, qu'ils étaient contemporains d'un passé encore plus archaïque. A trois mois de navigation, de l'autre côté de l'océan, ils pouvaient vivre aux côtés de la préhistoire. En plein humanisme, le sauvage - de salvaticum, ce qui vient de la sylve, de la forêt - était la négation même des idéaux d'émancipation qui lui avaient donné naissance.
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L'expérience directe n'avait pas abouti : je devais me contenter de l'érudition. Ainsi va le monde : une chose vous paraît proche, immédiate, et voilà qu'il vous faut faire un long détour pour parvenir à seulement l'effleurer, ne serait-ce que furtivement, du bout des doigts. Rien de ce qui nous intéresse vraiment ne nous est directement accessible. Le corps que nous sommes censés désirer n'est qu'une superposition de projections culturelles inculquées par un système tortueux dont le but est précisément de nous interdire sa jouissance, et notre plat préféré, le seul choix que nous laisse un répertoire rigide ratifié par la coutume. Notre passé le plus lointain, le coucher de soleil que nous sommes en train d'admirer, aussi bien que la nature exacte de l'extrémité de notre langue, ne peuvent trouver de sens ou du moins de description acceptable que dans quelque chapitre ou volume d'une bibliothèque infinie. Se retrancher derrière l'empirisme n'augmente pas la connaissance, mais seulement l'ignorance.
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L’odeur de ces fleuves est sans égale en ce monde ; C’est une odeur des origines, de formation humide et laborieuse, de croissance. Sortir de la mer monotone et pénétrer dans ces eaux fut comme descendre des limbes sur la terre.
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C’est, comme nous le savons déjà, le matin : et bien que cela n’ait aucun sens de le dire, étant donné que c’est toujours la même fois, une fois de plus le soleil, de même que la terre, à ce qu’il semble, tourne, a donné l’illusion peu à peu de monter, depuis cette direction dont ont dit qu’elle est l’Est, dans l’étendue bleue que nous appelons ciel, et peu à peu, après l’aube, après l’aurore, il est parvenu assez haut, mettons à la moitié de son ascension, pour que, à cause de l’intensité de ce que nous appelons lumière, nous appelions l’état qui en résulte, le matin – un matin de printemps où, une fois de plus, bien que, comme nous le disions, ce soit toujours la même fois, la température est montée, les nuages se sont dissipés, et les arbres qui, pour quelque raison, avaient perdu auparavant leurs feuilles se sont mis à reverdir, à refleurir une fois de plus, bien que, nous le disions, ce soit toujours la même, d’équinoxe en solstice, l’unique Fois, en la même, n’est-ce pas ? comme je le disais, nous disons « une » car il nous semble qu’il y en a eu plusieurs, à cause des changements que nous croyons, nous qui donnons des noms, percevoir – un matin de printemps, lumineux, qui se préparait depuis trois ou quatre jours déjà, depuis les dernières pluies qui ont nettoyé, dans un ciel chaque fois plus tiède et plus transparent, les ultimes traces de l’hiver. Leto ne se sent ni bien ni mal ; il marche, insouciant, dans le matin, au centre d’un horizon matériel qui lui envoie, en ondes constantes, des bruits, des textures, des brillances, des odeurs. Il est plongé dans cet horizon et il en est, en même temps, le centre ; si, soudain, il allait ailleurs, ce centre changerait de place.
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Voilà comment vivaient ces Indiens, de la naissance à la mort, perdu dans ce pays démesuré. Le feu qui les consumait, omniprésent, brûlait à la fois en chacun d'eux et en la tribu entière. Un feu unique qui ne s'allumait pas, soudain, en une personne mais plutôt circulait, continu, de toutes parts et, de temps à autre, se manifestait. Malmenés par cette exhalaison incandescente, ils n'étaient pas plus maîtres de leurs actes que la spirale de poussière dans la tornade de novembre.
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C'était un homme austère et distant, sans rudesse, et, de temps à autre, on le voyait travailler sur le pont aussi durement que les matelots. Parfois, il s'arrètait près du bastingage, seul, le regard fixé sur l'horizon vide. Il ne semblait voir ni la mer ni le ciel mais quelque chose à I'intérieur de lui-même, comme un souvenir interminable et lent; ou, peut- être, le vide de l'horizon s'installait-il en lui et le tenait là, un bon moment, sans ciller, pétrifié sur le pont.
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Son bien-être provenait moins de la joie issue de la conversation, tout compte fait assez restreinte, de par elle-même et par le contexte où elle etait apparue, que de l'effet de certains mots, de certaines associations, lesquelles, de façon inattendue, lui permirent de déplier, ou plutôt de décoller, des portions de sa vie entas- sées les unes sur les autres comme ces affiches qui, aux murs des villes, sous les couches successives de colle et de papier imprimé, forment une espèce de croûte dont on peut à peine feuilleter les bords épais et tourmentés, tout en sachant que sur chacune de ses strates subsiste, invisible, une image.
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L'expression du Mathématicien trahit une lutte intérieure, lutte dont le résultat, au début incertain, finit par confirmer, de façon provisoire bien sûr, la thèse, pour dire la chose de quelque façon, humaniste comme on dit, d'après laquelle, chez l'être appelé homme, les éléments dits rationnels - pour l'instant Dieu, la patrie, le foyer, la technologie, la réconciliation des classes - finissent toujours par s'imposer aux éléments non rationnels - excréments, succion ou mastication, sperme, sang, autodestruction - de façon constante et selon une courbe ascendante indéfinie, de sorte qu'après une hésitation rapide et mal dissimulée, le Mathématicien, imitant Leto entre les mains de qui, aveugle et désarmé, il a remis tout pouvoir de décision, abandonne le trottoir et s'aventure, lent, sur la chaussée.
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Certains, par naissances successives, passent de vie en vie, et si la mort ne venait pas les interrompre, ils seraient capables d'épuiser le bouquet des mondes possibles à force de naître sans relâche, comme s'ils possédaient une réserve inépuisable d'innocence et d'abandon.
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Comme tous les notables de son temps, Lautret savait d'ailleurs que l'imense majorité des habitants de ce continent, et sans doute aussi des autres, confond le monde avec un archipel de représentations électroniques et verbales, de sorte que, quoiqu'il se passe dans ce qu'on appellait autrefois le monde réel, il suffit de savoir ce qui doit être dit sur le plan artificiel des représentations pour que chacun se trouve plus ou moins satisfait, avec l'impression d'avoir participé aux deliberations qui modifieraient le cours des événements.
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