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Critiques de Juan Marsé (64)
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Teresa l'après-midi

Les auteurs espagnols comme les auteurs israéliens sont des fins psychologues et sociologues. Bien qu'écrivant dans des styles très différents, leur introspection minutieuse qui peut être considéré de beaucoup comme « des longueurs » sont au contraire pour moi des moments de délectations où l'auteur prenant son temps, observe tout, dans ses moindres détails. Un “foulard de soie rouge flottant derrière elle.....”, le ton d'une voix, un désordre vestimentaire ,.....qui laissent une plus ample liberté à notre imagination qu'une description concrète et concise, qui fixe l'image du personnage ou de la situation. Juan Marsé, l'écrivain espagnol ne déroge pas à la règle. Apprenant sa mort par le biais d'un quizz de ma copine Pecosa, j'ai vite fait de retrouver ce livre qui gisait dans ma Pal depuis des lustres.



Dans l'Espagne franquiste des années 60, deux portraits de femme, Teresa jeune étudiante bourgeoise qui s'initie aux idées d'avant-garde, Maruja sa bonne, et un troisième personnage, Bande-à-part, le joker du triangle, de son vrai nom Manolo Reyes. Second fils d'une domestique et de père inconnu Manolo apprend très jeune qu'il est impossible de se délivrer de la misère sans risquer sa vie. Un concours de circonstances va lui faire croiser le chemin de Teresa Serrat, jeune fille de « la haute société » barcelonaise, qui semble tout droit sortie d'un roman de Sagan. Contre tout pronostic, le Manolo va nous révéler des signes d'une intelligence qui va le mener loin.....Fasciné par ce monde de la haute bourgeoisie insouciante, un leurre auquel il aspire éperdument, ("Quel mensonge, quel insupportable mensonge que ces nuits sur la côte, que ces vacances de princesse phtisique, que c'est ennuyeux château féodal qu'était la villa ! "), il va se lancer dans une entreprise dangereuse, agissant en milieu hostile......



Un livre sur les différences de classe, l'amour, et la difficulté de s'affranchir de sa condition sociale . En s'appuyant sur un autre portrait de femme, celle d'Hortensia, ayant "une extraordinaire ressemblance avec Teresa Serrat ", une apprentie pharmacienne, nièce d'un oncle mafieux, ex-patron de Manolo, l'auteur émet ses doutes sur l'honnêteté du sentiment amoureux, plus suscité par l'image des apparences que de ce que réellement est l'autre , " s'il avait connu Hortensia au volant d'une voiture de sport, par exemple, comme c'avait été le cas pour Teresa, il serait très facilement tombé amoureux d'elle.....". Marsé y aborde aussi des thèmes universels. On aspire toujours à ce que l'on n'a pas, à ce dont l'image nous fascine, même si la déception nous attend au coin à peine le but approché ou atteint. Et qu'aussi la solitude, la tristesse, le bonheur, le désir.... sont des sentiments indépendants de nos conditions sociales, même si les contextes diffèrent.

C'est un grand roman intemporel, dont je regrette le peu de critiques sur Babelio, et dont l'une qui donne une idée complètement erronée du sujet ( "beaucoup de coucheries", probablement il est question d'un autre livre :)....). Si vous aimez la plume de Javier Cercas ou Javier Marias, lisez Marsé !



"L'éclair d'une réalité atroce qui jaillit, comme il le fait d'ordinaire, du coeur même du printemps. Car la jeunesse...."

Virginia Woolf



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Les nuits de Shanghai

Les Mille et Une nuits sont catalanes, Shéhérazade se nomme Forcat, un homme sorti de nulle part. Susana, une jeune tuberculeuse recluse, et son ami Daniel, sorte de Prince d'Aquitaine à la Tour abolie sont ceux à qui il raconte ses histoires. Dans les récits de Forcat, Aladin et Sinbad ont fait place à Joaquim Franch alias Kim, le père de Susana, un combattant républicain réfugié à Toulouse, ville de repli des guérilleros espagnols. Kim est un résistant qui vient de quitter la France à la demande de Michel Lévy, son chef de réseau cloué sur un lit d'hôpital à cause des tortures infligées par Hans Meiningen, le chef de la Gestapo. Kim est parti pour Shanghai afin de protéger la belle Chen Jing, épouse Lévy, du dangereux trafiquant Omar Kruger, qui n'est autre que le nazi qui l'a réduit en miette et l'a fait déporter. Lévy a conservé la balle qui lui a détérioré la colonne vertébrale. Quand l'intrépide Kim l'exécutera, il la glissera dans sa bouche, en guise de signature.

Daniel dont le père républicain est mort à la guerre et son amie Susana attendent avec impatience le récit de Forcat, et l'arrivée des lettres de Kim expédiées depuis la Chine.

Un jour pourtant débarque dans la Barcelone grisâtre de 1948 un autre guerillero, Denis, qui a tout perdu pendant la guerre. Les contes chinois volent en éclat, comme volent en éclat l'innocence des jeunes protagonistes, les illusions des personnages, et les rêves d'heureux lendemains.



Magnifique roman que ces Nuits de Shanghai, ou plutôt ce sortilège qui envoûte les enfants, et les fait voyager jusqu'à la mythique ville chinoise, et ses lieux interlopes, loin, bien loin de l'Espagne mortifère hantée par la guerre. C'est un Marsé jeteur de sort au sommet de son art, qui dresse un portrait crépusculaire d'une Barcelone d'après-guerre peuplée par des veuves et des orphelins, des gens affamés, des taupes, des maquis et des guérilleros qui vont et viennent.

Hommage au cinéma américain des années 40 et 50, le titre original est un clin d'oeil au film The Shanghai Gesture de Josef von Sternberg, dans lequel Gene Tierney partageait l'affiche avec Victor Mature. Les aventures de Kim, peuplées d'aventuriers sans scrupule, de Chinoises fatales, sentent l'opium et le jasmin. Ce sont des « chinoiseries » (les « cuentos chinos » en espagnol sont des bobards) empruntées aux romans de gare ou au cinéma américain. Les héros y sont des perdants magnifiques, comme Bogart dans Casablanca, ou des cyniques sans scrupule comme George Macready dans Gilda.

La trame narrative perd le lecteur dans le temps et l'espace mais Marsé l'envoûte comme le fit jadis Shéhérazade.



« Au milieu de l'agitation frénétique et du mélodieux brouhaha des quais, quelques secondes avant de monter dans la voiture qui est venue le chercher, Kim se sent enveloppé dans ces instants magiques où le coeur pressent des choses que la raison ne peut comprendre, et subitement il est assailli par une certitude: ce qui l'attend ici, et qu'il perçoit dans l'air, ce qu'exsude le fleuve pestilentiel et qui flotte dans l'atmosphère humide et suffocante de Shanghai, ce n'est pas ce qu'il est venu chercher, ce n'est pas l'accomplissement d'une vengeance ou un règlement de comptes avec l'histoire, ce n'est pas la balle infaillible que mérite un criminel, ni la compassion pour un ami invalide, et ce n'est pas même le désir ou l'espoir d'amener ici Susana, un jour point trop lointain, mais quelque chose de bien plus profond et de secrètement désespéré: le désir inavoué, la douloureuse anxiété d'effacer avec cette dernière balle tout vestige d'un passé qui l'écrase, de réussir à faire disparaitre une fois pour toutes la plus petite trace d'une humiliante et interminable défaite. » A SUIVRE.
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Calligraphie des rêves

A la fin des années 1940, observée par l’œil rêveur d’un jeune garçon épris de musique et de littérature, la vie d’un quartier populaire de Barcelone donne naissance à sa vocation d’écrivain…



« La rue Torrente de las Flores croise quarante-six rues, a une largeur de sept mètres et demi, est bordée d’immeubles peu élevés et compte trois bars." Mais pour le jeune Ringo, elle est avant tout le théâtre de ses rêveries et de ses illusions, de ses erreurs et de ses égarements, de ses réflexions et de ses ambitions.

De son poste d’observation, jour après jour assis près de la fenêtre du bar Rosales, Ringo se fait le témoin muet de tout un petit monde de déshérités pour qui l’espoir le dispute à l’amertume quotidienne de vivre dans une Barcelone où le franquisme plane telle une ombre de cendres, enveloppant chacun d’un sentiment de morosité et de perte malgré des dehors faussement gouailleurs et enjoués.

Ringo connaît ces sentiments d’abandon que beaucoup d’habitants portent sur le visage.

A commencer par lui-même qui a vu son rêve de devenir musicien disparaître en même temps que son index dans les rouages du laminoir de l’atelier de joaillerie où il faisait son apprentissage; à commencer par sa mère dont les heures de travail comme aide-soignante laissent souvent, au terme de la nuit, totalement épuisée ; ou encore son père, le fort-en-gueule Raticide, dont les activités de résistance clandestines et les blagues sarcastiques camouflent mal les désillusions face à ce qu’il nomme « le trou du cul du monde », une Espagne envahie par les « rats bleus » et abandonnée des nations alliées; ou bien encore Mme Mir, femme d’âge mûr au cœur de midinette, pathétique amoureuse attendant désespérément une lettre qui ne viendra plus…



Mais « sous les ombres persistantes de l’imagination » de son regard rêveur, Ringo fait s’animer et s’auréoler tout ce petit peuple d’une réalité nouvelle car « ce qui est inventé peut avoir plus de poids et de crédit que la réalité, plus de vie propre et plus de sens, et par conséquent plus de possibilités de survie face à l’oubli. »

Peu à peu germe en lui quelque chose qu’il avait pressenti depuis longtemps déjà, le pouvoir de la fiction et des mots inscrits sur le papier.

Au gré de ses observations et des attentions constantes qu’il porte aux personnages de sa rue, une certitude se fait jour et une nouvelle inclination éclot, qui poussera Ringo à croire « que ce n’est que dans ce territoire ignoré et abrupt de l’écriture qu’il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l’environnement hostile et se réinventer soi-même. »

Mais les mirages et les faux-semblants, les allers-retours entre mensonge et vérité sont quelquefois source d’interprétations erronées. Au côté de Mme Mir, de Violetta, de M. Alonso et des autres habitants de Torrentes de las Flores, Ringo apprendra aussi que dans la vie tout peut être sujet à imposture.



Roman d’apprentissage et d’initiation, « Calligraphie des rêves » est une magnifique réflexion sur le pouvoir de l’imaginaire à travers la représentation haute en couleur d’un quartier populaire de Barcelone. Le jeune Ringo, alter égo de l’auteur, aimant à ce point « franchir le seuil de l’improbable et de l’imperceptible », y fait l’expérience de la vie mais aussi de l’art de mettre en scène la réalité grâce à l’écriture et à la fiction.

Au-delà d’un superbe texte admirablement maîtrisé, le plaisir de raconter, la satisfaction de fabuler, le bonheur d’écrire, que l’on ressent avec une intensité viscérale chez le romancier, ajoutent à la force d’un récit largement autobiographique, déjà éminemment touchant dans tous les aspects de sa narration par la luxuriance des petits riens et des détails, par la description colorée de personnages plus attachants les uns que les autres et par la peinture animée de Barcelone, des Ramblas au parc Guëll… Comme une peau qui respire, la vie jaillit et sourd avec ravissement de tous les pores de la prose de Juan Marsé, le long d’un graphisme délié et au gré de phrases longues et fuselées qui s’écoulent avec la fluidité et la limpidité d’une eau vive.



Lire « Calligraphie des rêves », c’est avoir l’impression de se retrouver projeté dans ces vieux films italiens néoréalistes d’après-guerre - de Roberto Rosselini, de Dino Risi - qui décrivent la dure réalité quotidienne, économique et morale, des faubourgs populaires. L’on y voit le linge pendre aux fenêtres et une nuée de gamins en culottes courtes s’égailler comme un vol de moineaux dans les vieux quartiers de la ville, sous le regard impassible de vieillards assis devant les portes des bistrots…

Le réalisme pointilleux et expressif y est terriblement attendrissant ; la poésie et la cruauté de la vie y sont harmonieusement entrelacées et, à mi-chemin entre le rire et les larmes, la comédie côtoie le drame et le burlesque le pathétique.

Vif, entraînant, chamarré, émouvant, déchirant, raffiné, le roman de Juan Marsé est un bonheur de lecture dont nous remercions les éditions Christian Bourgeois de nous avoir permis la découverte par le biais de l’opération Masse critique.

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Calligraphie des rêves

«Tout cela est arrivé il y a bien longtemps, quand la ville était moins vraisemblable qu’aujourd’hui, mais plus réelle.» p 9

Le basculement entre réalité et fiction, entre vérité et mensonge, parfois opposés mais cohabitant le plus souvent au coeur d’un même événement donne le ton de ce récit dont la trame sous-jacente laisse entrevoir un monde gris, de vaincus, le monde des années de l’après-guerre civile sous le régime de Franco où règne la pauvreté, les cartes de rationnement, les silences, la peur et les soupçons.

C’est aussi, et surtout, à travers la vie de tout le petit peuple coloré d’un quartier populaire de Barcelone une réflexion sur l’écriture, le pouvoir de l’imagination qui permet de créer un monde vivant, espace de liberté né de l’attention qu’on lui porte, et de le sauver de l’oubli.

Le regard qui participe et se fait témoin de la vie bigarrée et tragi-comique des habitants de la rue Torrente de las Flores dans le quartier de Gracia est celui d’un adolescent Domingo.

Passionné de musique, dévoreur de livres et fasciné par les films américains, il a choisi de se faire appeler Ringo comme John Wayne dans «La chevauchée fantastique». Avec ses copains du quartier Gracia il invente, dans le jardin de Las Animas ou sur les pentes de la Montagne Pelée, des histoires de Far-west dans lesquelles chacun d’eux veut jouer un rôle, où se mêlent des personnages de fiction issus de films ou de lectures et des voisins comme Violeta, la fille de Mme Mir «soignante et kiné professionnelle à en croire ses cartes de visite», qui les fait fantasmer.

Apprenti joaillier (comme l’a été Juan Marsé) Ringo va perdre son index droit avalé par le laminoir ce qui interrompra son apprentissage et lui fera perdre progressivement, ajouté à la pauvreté, tout espoir de devenir pianiste, sa vraie vocation.

Mais «en le libérant du travail, sa convalescence, plus longue que prévu, favorise les lectures les plus capricieuses, diverses et inégales». Il va alors passer de nombreuses heures à lire et observer sans en avoir l’air, «camouflé dans la lumière verdâtre qui filtre par la persienne», au coin d’une fenêtre du bar-marchand de vin Rodales, point central où se focalise toute la vie des habitants, les allées et venues des clients du bar et les mouvements de la rue. Il devine, ressent intuitivement que ce qu’ils inventent, et lui à leur suite, est plus important que ce qu’un simple regard saisit.

Le chapitre charnière intitulé «Calligraphie des rêves» donne son titre au roman car c’est le moment où se confirme le destin d’écrivain de Ringo, qui comprend qu’il y a autant de vérité dans la fiction littéraire que dans la réalité quotidienne, qu’elle se nourrisse l’une l’autre. Il commence alors à noter dans des carnets ses réflexions et à construire les premières phrases d’un récit.

Juan Marsé, que je découvre avec "Calligraphie des rêves", est un enchanteur. Il crée des scènes saisissantes et nous embarque, dès les premières pages, en compagnie des personnages de son roman, qui ont tous plus ou moins quelque chose à cacher, dans une histoire où abondent des moments inoubliables, bouleversants et emprunts d’humour, où domine le personnage de madame Mir, attachante par son outrance, tragique et ridicule à la fois.

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Boulevard du Guinardó

Juan Marsé nous livre un court moment qui se situe le 8 mai 45 à Barcelone. Un inspecteur de police va chercher dans l'orphelinat où elle réside Rosita, jeune fille ayant été victime d'un viol il y a quelques années, afin qu'elle reconnaisse l'homme qui est aujourd'hui à la morgue de l'hôpital.

On accompagne la longue errance de ces deux personnages dans les rues du quartier du Guinardo.

Les déambulations de ces deux êtres, "un chat de gouttière" comme Rosita se définit et un inspecteur de police vieillissant et peu en forme, sont surprenantes.

Rosita se joue de l'inspecteur qui est agacé mais aussi parfois amusé, attendri par cette gamine insaisissable.

On se laisse guider par cette petite Rosita qui nous mène par le bout du nez et que l'on a parfois du mal à suivre et à comprendre, tant son comportement peut paraitre en décalage avec ce qu'elle a vécu.

Roman sombre dans une Barcelone qui l'est ici tout autant.
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L'amant bilingue

Je regrette de ne pas avoir été sensible au talent de Juan Marsé, je dois même dire que je suis restée hermétique à son style. L'histoire est sans doute trop loufoque pour moi, je n'ai pas adhéré. L'idée est plutôt séduisante. Joan Marés est complètement perdu, désœuvré depuis que Norma sa femme l'a quitté. Il décide alors de devenir autre pour la séduire à nouveau. Il prend l'identité d'un autre jusqu'au point de se perdre lui-même. Le thème me plaisait mais la façon dont il est traité n'a pas fait écho, à tel point que je ne suis pas allée jusqu'au bout. Abandonné un livre m'est toujours difficile et dans le cas présent j'ai en plus l'impression d'abandonner une fois de plus Joan Marés... :-(
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Calligraphie des rêves

Sans être un roman auto-biographique, nul doute que Ringo soit "l'avatar" de Juan Marse...enfant adopté comme lui, vivant dans le même quartier populaire de Barcelone de l'après guerre civile. Ce roman tient davantage d'une athmosphère que d'une histoire. A travers le regard encore imprégné de l'enfance, c'est toute une série de portraits qui nous est présentée. Toutes les figüres du quartier sont là, dont les plus pittoresques sont madame Mir et sa fille, Paquita la tenancière du café duquel Ringo observe, écoute et rêve, et bien sûr ses parents. Il y a quelque chose de cinématographique dans cette lecture, ambiance à la "cinéma paradiso" mais dont la gaïẗé est remplacée par une lassitude, une résignation. Le père de Ringo et quelques autres chassent pourtant "les rats bleus" et on comprend rapidement que derrière ce bonhomme bourru et provocateur se cache un résistant., "...comme la peau de la chataigne, crâneur au dehors et au dedans doux comme le velours". Ringo, vit surtout dand l'imaginaire "Ringo sent dans ses veines l'irrésistible fascination du futur, quelque chose d'indéfinissable mais de plus tangible, plus intense et plus vif que la vie réelle..." Madame Mir, attire tous les regards et commérage et notre jeune Ringo se défend d'une tendresse à son égard.Sous ses critiques le personnage pourrait n'être que ridicule et pathétique alors qu'il est émouvant et tout en amour...La fin vient illustrer magistralement combien la vie fantasmée peut prendre le dessus sur la réalité...Je ne connaissais pas Juan Marse , je découvre une très belle écriture.
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L'amant bilingue

«Par un après-midi pluvieux du mois de novembre 1975, en rentrant chez moi à l'improviste, je trouvai ma femme au lit avec un autre homme.» Ainsi débute «L'amant bilingue». Quand Joan Marés pénètre dans la chambre ce qu'il note alors qu'il pousse la porte, c'est la vision de son reflet dans la glace de l'armoire. Ce jeu de miroir va réapparaître tout au long du roman.

Trompé et abandonné par Norma qui appartient à la haute bourgeoisie nationaliste catalane mais aime beaucoup se frotter aux «charnegos», qui l'excitent, il en demeure passionnément amoureux. («charnegos» = nom méprisant que les Catalans donnent aux émigrants surtout andalous et à leurs descendants qui ne parlent pas catalans)



Bien que désespéré et devenu un marginal méconnaissable, un musicien des rues, il va continuer à essayer de l'apercevoir, de lui parler en changeant sa voix au téléphone. Ses deux compagnons d'infortune, le peintre Cuxot et le bossu Serafin, essaient de le convaincre d'abandonner, de ne plus songer à Norma.

Mais obsédé par des rêves récurrents, il va progressivement tenter en se grimant, de reconquérir sa femme. Déguisé en cireur de chaussure, un soir de carnaval, il va pouvoir tester l'efficacité de ce travestissement sur Norma, dans un bar où il pénètre par hasard et où elle se trouve également.



«Norma ne prêta pas attention au cireur d'allure gitane qui réclamait sa barreja d'une voix rauque. (...) Marés réussit à se faire une place au bout du comptoir, à côté de Ribas et de Norma, et il se regarda dans le miroir moderniste qui le répétait à l'infini dans un autre miroir frontal : un type méprisable, tapi près de Norma, qui respirait le mensonge avec son air farouche de Charnego à longs cils, un peu canaille.» p 107



Progressivement l'imposture va alors prendre de l'ampleur et en usurpant la personnalité d'un de ses amis d'enfance Faneca, «charnego» lui-aussi, il va réussir à renouer passagèrement avec Norma.

Le dédoublement de personnalité que vit Marés n'est pas seulement physique. Il ne sait en définitif plus qui il est et va aboutir à la perte totale de son identité.



Ce roman plein d'un humour caustique mais non dénué de tendresse est une fable baroque un peu folle, dans laquelle Juan Marsé se joue de son personnage qui lui permet au passage de dénoncer le nationalisme borné de certains catalans mais aussi le côté un peu lâche des «charnegos».



A noter que le personnage de Marés-Faneca emprunte les deux noms de Juan Marsé qui est né sous le nom de Juan Faneca Roca. Adopté suite à la mort de sa mère, il a pris le nom de Juan Marsé Carbo et Marès est l'anagramme de Marsé.

De plus, Juan Marsé, qui se sent catalan et parle cette langue, écrit en castillan. Il dit au cours de son discours de réception du prix Cervantès en 2008, qu'il n'y voit rien d'anormal et qu'il croit que, bien que l'immense majorité partage son opinion, certains pensent que c'est une anomalie, un désaccord entre ce qu'il est et ce qu'il représente. Il conclut cette remarque en ajoutant qu'il n'a jamais souhaité représenter que lui-même.

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Boulevard du Guinardó

«Boulevard du Guinardo» se déroule sur une après-midi, le 8 mai 1945. 
Il conte l’errance dans le Guinardo, quartier populaire de Barcelone, d’un inspecteur de police que le poids des ans et la chaleur a rendu somnolent et désabusé. Préoccupé par l’un de ses testicules baladeur, il va s’essoufler derrière une «Lolita» orpheline, «une morveuse en socquettes» qu’il doit convaincre de le suivre à la morgue pour identifier un vagabond, sans doute son violeur, ce qui lui permettra de classer l’affaire.



«Trois ans avaient passé depuis sa mutation, et d’autres fonctions l’avaient éloigné du quartier, mais il n’était jamais parvenu à déconnecter son imagination sensorielle et son flair belliqueux de ces rues enchevêtrées et de leurs habitants maniérés et experts en l’art de la dissimulation et de la fourberie. Dans les routinières inspections de son souvenir persistait une chaude odeur de linge repassé et amidonné, de festivité clandestine et vernaculaire.»



Rosita va le mener en bateau, au fil de rues poussiéreuses et de venelles insalubres, reculant la visite à la morgue qui lui fait peur.
Elle s’adresse à l’inspecteur à la fois comme une enfant et comme une femme et lui, policier amoureux de l’ordre en est exaspéré, ému et séduit. Au fil de ses déambulations derrière Rosita, il retrouve et redécouvre ce quartier qu’il a quitté durant trois ans, les combines, les prostituées, les gamins qui jouent dans des no man’s land où traînent des carcasses datant de la guerre


«Incliné sur le remblai, le squelette oxydé d’un camion militaire enfouissait son museau dans une mare à sec. Sur le flanc de sa caisse défoncée trouvaient refuge une demi-douzaine de garnements, nu-pieds et le crâne rasé, qui se battaient avec de grosses épées de bois.»



Mélange d’humour et de désespoir, de beauté et de sordide ce roman laisse des souvenirs inoubliables. Le lecteur comme le policier se laisse mener. 



«Les réverbères de la petite place centrale s’allumaient, et il y avait encore des petits vieux qui bavardaient sur les marches de l’escalier et sur les bancs de pierre. Les moineaux menaient leur tapage dans les branches des platanes, cherchant à s’installer confortablement. Rosita but à la fontaine et lança des serpents d’eau avec la paume de la main, dont les gouttes aspergèrent les chaussures de l’inspecteur. Du côté est du Carmel parvenait l’écho des cris de la marmaille, un vacarme de pétards, de coups de clairon, de claquements de ceinturons. Au-dessus de la montagne Pelée se balançaient dans le ciel quatre cerfs-volants de fabrication artisanale, noirs et lourds, alignés comme des étendards guerriers contre la splendeur du couchant. Rosita indiqua à l’inspecteur le banc de bois... p 96

«Rosita appuya le front contre la vitre et regarda au- dehors. Au centre de tout ce vertige noir pendaient des grappes de lilas sous une pergola ensoleillée et elle, en gentille petite fille qu’elle avait été jadis, était assise sur une balançoire avec son gilet d’angora bleu tout hérissé de lumière. Elle se tira la langue en se disant à travers la vitre : «Bourrique» p 118



Je reste étonnée d’être à chaque fois prise par l’écriture de Juan Marsé et son art de séduire et perdre le lecteur qui désire arriver au bout de cette histoire, savoir ce que va être le final que la femme-enfant repousse. 
C’est le troisième roman de lui que je lis et la magie est toujours intacte. A chaque lecture je me laisse embarquée avec la même curiosité et je vais poursuivre ma découverte.

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Calligraphie des rêves

Barcelone au temps de la dictature franquiste. Après la seconde guerre mondiale. Un jeune adolescent cherche son chemin dans la vie, un accident le privera d'un index et de ses rêves de carrière musicale. Mais ce sont surtout ses rêveries que nous conte Marsé et à travers elles, la vie désabusée mais joyeuse d'une population, qui malgré les vicissitudes, reste solidaire et debout.



Marsé ne nous parle pas dans un style direct mais nous emmène par les tribulations de son jeune protagoniste à découvrir par nous-mêmes le non-dit et le caché de ces existences.



C'est doux et amer, mais avec un soleil qui darde les coeurs malgré tout. Avec beaucoup de désillusions également. Une belle lecture, mais pas au point de devenir un coup de coeur pour cet auteur espagnol que je ne connaissais pas.
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Cette putain si distinguée

Un écrivain est sollicité pour écrire, sur commande le scénario d’ »un film inspiré d’un fait réel qui s’était produit des années plus tôt à Barcelone, un crime horrible qui avait en son temps suscité des conjonctures nombreuses et très diverses, et dont le mobile, apparemment passionnel, n’avait jamais été entièrement éclairci. »

Nous sommes en 1982. Le narrateur, en panne d’inspiration, accepte bon gré mal gré de revenir sur cette histoire, même s’il mesure bien la différence entre écriture de scénario et littérature. Ce crime s’est déroulé en 1949, en pleine période franquiste, et le meurtrier, un certain Fermin Sicart, travaillait alors comme projectionniste dans un cinéma de quartier, le cinéma Delicias. Régulièrement une prostituée venait lui rendre visite dans sa cabine de projection, et le projectionniste semblait apprécier sa compagnie, pourtant on l’a retrouvé un jour morte, étranglée avec de la pellicule de cinéma, et Sicart a avoué aussitôt être le meurtrier.

Pour écrire ce pré-scénario, et après un premier travail de préparation, sous la houlette du producteur qui lui a passé commande, le narrateur va tout simplement inviter Firmin Sicart à lui donner sa propre version des faits. Ayant entre temps purgé sa peine, celui-ci accepte facilement pour peu qu’on le dédommage pour sa confession qu’il livrera, après-midi après après-midi, sur la terrasse de l’écrivain. Celui-ci est pour quelques semaines célibataire, sa femme et ses enfants en vacances, et il est épaulé par la fidèle servante Felicias, un personnage haut en couleurs, dotée d’une mémoire d’éléphant en ce qui concerne les films de la grande époque projetés dans les cinémas de quartier.

Et de mémoire, il en est bien question.

Parce que Fermin Sicart est passé par les mains d’un célèbre médecin franquiste, qui avait pour obsession d’enlever le « gène rouge » aux patients (ou victimes ?) qui passaient dans ses mains : les « lavant » de leurs souvenirs et les remplaçant par des pensées beaucoup plus correctes. Ce qui fait que trente ans plus tard, le malheureux projectionniste ne se souvient plus du tout des raisons de son meurtre. De quoi piquer la curiosité de l’écrivain, qui espère refaire surgir le souvenir de l’ombre en fouillant dans la mémoire du meurtrier.

Sur fond de cinéma noir et blanc, Juan Marsé revient sur ses thèmes favoris : le passé qui ne passe pas, la vie misérable des petites gens sous Franco. Il nous faut revivre le Barcelone des années 40, par le truchement du récit du projectionniste repenti, une vie où les pauvres se débrouillent comme ils peuvent pour survivre à la misère, y compris en adhérant à l’idéologie dominante. Lucide, l’écrivain l’est aussi pour la société qui a succédé au franquisme : nous sommes en 1982, période charnière où l’on essaye de se débarrasser des fantômes, un monde où les vrais coupables ne seront jamais punis ...

Mais peut-on se débarrasser vraiment de son passé ? Les mots peuvent-ils retrouver du jour au lendemain leur sens véritable, après avoir été pervertis pendant toute une période ?

La société post franquiste est-elle aussi libre qu’on le dit ? Un monde où des midinettes rêvent de crever l’écran et sont prêtes à tout pour décrocher un rôle et où les auteurs de littérature n’ont droit qu’à un strapontin en terme d’audience et de notoriété.

C’est encore le personnage féminin, la rouée Felicias, qui a le meilleur rôle : elle qui pose des devinettes concernant les répliques fameuses des films de la belle époque – devinette qu’elle gagne à coup sur. On approchera la scène finale qu’à la toute fin du livre, comme un long travelling, une scène imaginée plusieurs fois par le narrateur qui se prend au jeu du scénariste, quitte à en faire beaucoup trop, jusqu’au récit final du projectionniste retrouvant partiellement la mémoire.

Un roman qui donne envie de s’installer devant un DVD pour voir l’un de ces films en noir et blanc de la belle époque, avec un scénario qui n’aura rien de ces telenovelas qu’on nous sert à longueur de soirée sur nos chaines télé publiques …

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Cette putain si distinguée

Je ne suis pas davantage convaincue par ce deuxième livre lu de cet auteur que par le premier, pourtant un de ses plus connus : "La Calligraphie des rêves".



Ici, un auteur barcelonnais se voit commander le premier jet d'un scénario reprenant un fait divers de l'après guerre civile : un projectionniste de salle de cinéma a été condamné pour avoir étranglé jusque mort s'ensuive une prostituée avec laquelle il entretenait une relation. Le producteur lui propose de contacter l'auteur des faits, depuis longtemps libéré de prison, pour obtenir de première main le récit des événements.



Le livre ne décolle jamais. J'ai eu beaucoup de mal à dépasser les premiers chapitres, mais m'y suis efforcée sans trouver aucun entrain de lecture. Non pas que l'histoire soit rebutante, mais il n'y a pas grand chose en plus que le pitch ci-dessus. L'écriture de l'auteur ne sauve rien. On est bien loin de Javier Marias ou de Villa-Matas ou même d'auteurs espagnoles qui savent rendent leurs histoires savoureuses comme Rosa Monteiro ou Almuneda Grandes.



En conclusion, se lit. J'ai eu du mal car je recherche autre chose dans mes lectures.



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Le Fantôme du cinéma Roxy

Né en 1933, Juan Marsé a vécu durant son enfance et son adolescence, la guerre civile espagnole puis la période d'épuration qui a suivi et a duré jusque dans les années 1960.

Le fantôme du cinéma Roxy est un recueil de trois nouvelles inspirées des souvenirs d'enfance de Juan Marsé.

Ces récits décrivent une Espagne repliée sur elle-même, inquiète de ses propres fantasmes, où la Dictature confine à l'aveuglement et à la stupidité en refusant de suivre l'évolution qu'ont connue les pays d'Europe de l'Ouest à la fin de la deuxième guerre mondiale.

Ces récits peuvent être vus comme des paraboles décrivant la réalité sans utiliser les mots qui conduiraient le régime franquiste à les censurer.

Le premier récit « histoires de détectives » montre un groupe d'enfants qui, pour échapper au monde des adultes, se réfugient dans la carcasse d'une vielle Lincoln Continentale 1941 abandonnée sur un terrain vague et jouent les détectives. Leur chef est Marès un garçon ventriloque et transformiste – « il a plissé ses yeux de chat et s'est composé le visage du vieux futé Barry Fitzgerald ordonnant à son fin limier de suivre la fille dans « La Cité sans voiles », avant d'ajouter de sa voix enrouée : vas-y, elle est toute à toi » - qui attribue des missions à ses acolytes au rang des quels figurent David Jaime et Roca le narrateur.

Madame Yordi est l'objet de leur attention : « Sous les basques de la gabardine, très serrée à la taille, la plénitude des courbes laissait deviner des cuisses qui devaient s'effleurer en marchant. Pourtant, c'était une femme mince, aux petits seins et aux hanches fines. »

Impuissants, les enfants sont les témoins des « jeux » des adultes. Madame Yordi est veuve, mère d'un enfant, harcelée par le boulanger surnommé Charlot le Vicelard, et contrainte de se plier aux volontés d'un phalangiste :

« Et vous n'avez pas vu l'araignée noire au revers de sa veste ? Mais si, mais c'est bien sûr, c'est un phalangiste ! (…) un de ces petits pistonnés de la Phalange qui ont le cul dans le beurre et pas la moindre intention de l'essuyer. »

Et Roca de conclure :

« Cette sale époque, dangereuse et fantastique, est maintenant loin derrière nous, et plus personne ne se souvient de son odeur de poussière et de charogne, encore moins de notre vocation de détectives intrépides. »

« Les aventures d'un lieutenant têtu », qui en Espagne a donné le titre au recueil – Teniente Bravo – s'inspire directement du service militaire de Juan Marsé à Ceuta en 1955.

Le lieutenant Bravo se met dans la tête d'exercer son bataillon au cheval d'arçon. Il récupère un vieil agrès dont la bourre est occupée par un rat et dont un des pieds a été remplacé par une branche de cerisier taillée sur mesure et portant l'inscription « Nous ne sommes pas amoureux de la mort. Abd-El-Kkrim n'a qu'à se faire enculer. Luisito et Fermin. »

Sûr de lui, le lieutenant fait étalage de sa science du cheval d'arçon et veut montrer lui-même à ses recrues comment franchir l'obstacle avec élégance et retomber avec non moins d'élégance sur ses pieds.

Las. La démonstration tourne au désastre.

L'autorité du Lieutenant se délite mais lui considère qu'il en est toujours dépositaire. Les soldats ne bronchent pas. Incrédules face à l'obstination du Lieutenant Bravo, mais surtout craintifs.

Dominants et dominés restent chacun dans leur rôle jusqu'à l'absurde. Illustration encore une fois de ce que fut le Franquisme alors qu'il se mourrait.

La nouvelle le fantôme du Cinéma Roxy montre un réalisateur et un scénariste aux prises avec la création et sa symbolique aux interprétations multiples.

Dans la librairie papeterie de Susanna, les personnages, Vargas, Les Phalangistes –N°1 ; N°2 ; N°3 - (omniprésents), l'écrivain, Purita, Fermin, Susanna, Raiker, Shane, Dracula, s'escriment dans un scenario où la réalité dépasse l'entendement.

Des nouvelles préfaçant l'univers des romans de Juan Marsé avant qu'il ne soit Juan Marsé.

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L'amant bilingue

Publié en espagnol en 1990 et en français en 1996, L’amant bilingue se situe environ à la moitié de l’oeuvre de Juan Marsé. Nous sommes à Barcelone. Le personnage principal du livre, Joan Marès, traîne une vie misérable, gagnant sa vie en jouant de l’accordéon dans les rues. Il vivote ainsi depuis que sa femme l’a quitté, après qu’il l’ait surpris avec l’un de ses amants, un cireur de chaussures. Riche héritière, le mariage avec Marès était une sorte d’aberration et d’erreur pour Norma : pauvre, sans culture ni relations, il ne faisait pas partie de son monde. Elle refuse de revoir son mari, qui multiplie les stratagèmes pour l’approcher, sans qu’elle le reconnaisse. Un déguisement de carnaval lui donne une idée plus audacieuse : et s’il l’approchait de plus près, et pourquoi pas, refaisait sa conquête sous une apparence différente, celle des amants qu’elle recherche ? Il entreprend de se transformer, prend le nom d’un camarade d’enfance parti en Allemagne, Faneca. Mais la transformation va aller bien plus loin que ce que Marès imaginait…



J’ai eu du mal à entrer dans ce roman, sans doute un peu trop outrageusement baroque pour moi, et écrit dans un style d’apparence très simple, peut-être un peu trop pour m’accrocher d’emblée. J’ai eu du mal à suivre Marès dans son obsession dévorante pour sa femme, qui ne semblait vraiment pas la mériter. Mais petit à petit, j’ai trouvé le livre plus intéressant, sans doute au moment où Marès s’effaçait pour laisser la place à Faneca, et où Norma et son petit monde se trouvait un peu remis à sa place. Le grotesque laissait davantage de place à une forme de poésie et nostalgie, et cela me convenait mieux. La manière dont Marès abandonne sa personnalité et ses ressassements malsains, en endossant une autre identité, est à mon sens très réussie. Devenant un autre, il porte un autre regard sur Norma, et peut passer à autre chose, même si étrangement, le changement d’identité s’accompagne d’une remontée de souvenirs de l’enfance, qui précèdent la rencontre avec Norma, et la relativise en quelque sorte. Les jeux de miroir, d’identité, d’identification, deviennent une sorte de labyrinthe où le passé ressurgit dans le présent et rend possible un autre avenir. Tous ces jeux sont sans aucun doute bien plus sérieux que ce qu’ils ont l’air d’être : Marès est un anagramme de Marsé, dont le nom de naissance est Faneca…. Je ne connais pas assez bien la vie et l’oeuvre de Juan Marsé, mais il y a sans doute des analyses à faire sur la part de lui-même qu’il a mis dans son personnage.



Sans être un immense coup de coeur, un livre qui m’a au final plutôt convaincue, et laisse la porte ouverte à d’autres lectures de l’auteur.
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Histoires de Barcelone/Historias de Barcelona

Voici un recueil de trois nouvelles qui m'a fait voyager et découvrir trois nouveaux auteurs que je vais suivre de près. C'est trois nouvelles, vous l'aurez compris, tourne autour d'un seul et même thème : Barcelone et pourtant je peux vous dire qu'elles sont toutes trois complètement différentes.



Le recueil s'ouvre avec Histoire de détectives de Juan Marsé, une nouvelle pleine de suspense. Il s'agit de 3 apprentis détectives a qui leur chef confie une mission, suivre un homme et une femme puis de reconstruire leur histoire. Bien sur, en tant que lecteur, on se prend vite au jeu de supposition. C'est une nouvelle en tout cas, très sombre, ou le lecteur est spectateur. J'ai eu l'impression d'être devant un vieux film en noir et blanc. C'est une nouvelle qui est très réussie qui offre en plus de très belles descriptions : "Quand les jours sont lumineux, depuis les hauteurs de la ville, de cette rue qui se cabre comme pour se mirer dans la Méditerranée, le regard plonge loin dans la mer et le cœur se berce d'illusions : le quartier endormi est un promontoire surplombant un rêve qui n'en finit jamais. Et pourtant, au-delà du port et de ses brisants, par-delà cette blanche écume de petits voiliers qui festonne le littoral, a la poupe des cargos qui semblent ancres dans l’horizon, et sur la château de proue, rongé de rouille, des grands pétroliers qui font route vers le sud, nous avons parfois vu briller les anneaux d'argent a l'oreille des marins accoudés au bastingage, des sirènes tatouées sur leurs bras de bronze et des cœurs perces d'une flèche sous un prénom de femme - si tu concentres ton attention, bien sur, si tu veux vraiment voir ce que tu regardes sans te laisser éblouir par le soleil.

Mais quand les jours sont gris, le regard s’empêtre dans les ronces du brouillard et des fumées en rase-mottes qui empestent le labyrinthe du coté de Horta et de La Salud, et la vue s'en tient la. La ville s'aplatit, obscure et lointaine, comme une mare boueuse, une eau morte."



Vient ensuite L'enthousiaste de Pedro Zarraluki que j'ai adoré. C'est l'histoire d'un homme fou amoureux de sa ville. Je ne trouve même pas de mot pour le décrire : c'est une sorte de patriotisme extrême pour sa ville. Une chose est sur c'est qu'il est pris par des bouffées d'enthousiasme qui le conduise a faire des choses complètement folles et qui l'amènent très souvent au poste de police. C'est une nouvelle vraiment très drôle. "Ceci est la chronique de mon injustice. Je l'écris depuis le village de Mequinenza, en Aragon, ou je vis abandonné de tous après avoir souffert les pires vexations. Ici, je suis en sécurité : personne ne me connaît, personne ne me déteste. Je laisse passer les jours telle une puce sur le dos d'un chien, dans un monde qui n'est pas le mien et qui m'ignore. Mais, a la différence des puces - transhumantes et sans racines - je viens d'une ville que j'aime par-dessus tout et qui pourtant, dans un ultime geste de mépris, m'a refusé l'érection d'un monument a moi-même. Barcelone est devenue exigeante et vaniteuse comme une femme trop choyée."



Enfin pour clore ce recueil, Paseo de Gracia-Provenza de Ramon de Espana. La encore, on est dans un style, registre complètement diffèrent. C'est l'histoire d'un homme qui sauve une jeune femme du suicide. Cette dernière vie une rupture difficile. L'homme est marié et s'ennuie profondément avec sa femme. Il entame une liaison avec la jeune femme puis s'installe avec elle. Mais la jeune fille n'est pas tout a fait comme il l'avait imaginé. Encore une fois avec cette nouvelle, on rit énormément. Ramon de Espana a une écriture très belle "Je l'assurai que, dans deux ou trous ans au maximum, elle découvrirait que cela ne valait pas la peine de mourir pour qui que ce soit, qu'avant trente ans mourir d'amour est le propre des êtres romantiques, mais qu'a partir de cet âge seuls les idiots se suicident pour cette raison."



Bref, c'est un recueil que j'ai adoré et que je ne peux que vous recommander.
Lien : http://missmolko1.blogspot.i..
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Calligraphie des rêves

Derrière ce titre somptueux se cache la vie secrète d'un adolescent taciturne, Ringo, dans l'Espagne franquiste des années 1940. Fasciné par son père, partagé entre ses rêves d'enfants, l'éveil à la sexualité, sa passion pour la musique, et la politique (la résistance au franquisme), Ringo navigue dans les eaux troubles de l'adolescence.



"Refuser son véritable nom avait toujours été un peu plus qu'un jeu ou une idée amusante. Si elle n'était pas si bizarre, et si elle n'avait pas presque deux ans de plus que lui, il le lui expliquerait avec plaisir. Mon nom est Domingo, poupée, mais quand j'étais petit on m'a enlevé le do, la première note de la gamme, et ça a donné Mingo, qui ne me plaît pas du tout. Un prénom mutilé, comme mon doigt. On m'a enlevé la note de musique, mais moi j'ai changé une lettre, une seule, et depuis ce jour-là il faut me chercher dans la prairie de l'Arizona, loin de ce sale quartier ..."



L'ambiance onirique (quel titre !) transporte au cœur des secrets et des chimères qui soutiennent ces personnages attendrissants de misère humaine ; dans le rythme confortable de phrases on ne peut plus amples, tous les éléments se répondent pour faire signe - la lettre rose, la bague d'os, le cahier d'exercices de musique, la valise, le doigt manquant, les colis secrets, l'arôme du café torréfié.



Calligraphie des rêves envoûte et emprisonne presque son lecteur dans la toile de son style très travaillé, superbement ciselé, malgré un certain immobilisme narratif. Des personnages imaginaires sont rarement aussi criants de vérité, campés dans leurs doutes, leurs rêves, leurs souffrances : on fit ici face à des êtres de papier qui s'incarnent véritablement dans une saisissante étude psychologique, évoquant - entre autres !- l'adolescence, la trahison, le secret, le mensonge, la tendresse, l'amour, le désespoir. Marsé a un talent fou pour capter les mouvements éphémères, paradoxaux et contradictoires de l'âme, avec une richesse infinie, qui invite à découvrir ses autres romans !



"Il croit que ce n'est que dans ce territoire ignoré et abrupt de l'écriture et de ses résonances qu'il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l'environnement hostile et se réinventer soi-même."
Lien : http://le-mange-livres.blogs..
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Heureuses nouvelles sur avions en papier

Les auteurs qui bradent la mémoire de la Shoah pour attirer l’attention commencent à m’exaspérer. Les récits portant sur les malheurs du peuple juif sont pléthores, et pas toujours du meilleur goût. Le barbier, le pianiste, l’accoucheuse, le cuisinier, le tatoueur d’Auschwitz… La Shoah devient cet ingrédient magique, ce facteur X surpuissant, provocateur instantané d’émotions, dont on abuse sans retenue ni dignité. Je ne doute pas de la sincérité et de la légitimité de la majorité des auteurs (je ne vais pas faire du Camille Laurens) mais quelquefois, mieux vaut s’abstenir.

Comme ici, avec le dernier livre de feu Juan Marsé. Je vous le résume, ça va être vite expédié. Une mamie zinzin se divertit à balancer des avions en papier de son balcon et demande au fils de sa voisine de les ramasser. Il est clair qu’un truc la chiffonne, qu’avec l’âge avancé, des souvenirs douloureux lui font perdre la boule. Alors l’auteur pose ses gros indices au fil du récit : un père qui s’en va, la manie de tout garder, quelques troubles obsessionnels, le fantôme jaune d’un oiseau, des rendez-vous manqués jusqu’à l’évocation de ces enfants errants qui lui rappellent les petites victimes du ghetto.

Cet entre-deux m’a gênée. Ni misérabiliste (pas de pages larmoyantes sur les souffrances endurées) ni tragi-comique (de toute façon, dans ce registre, seul Roberto Benigni s’en est sorti), l’auteur espagnol nous livre une nouvelle bâclée et sans âme. On passe.

Bilan : 🔪

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Adieu la vie, adieu l'amour

Paru dans les dernières années du franquisme, ce roman de Juan Marsé se concentre sur son quartier autour de 1940 mais sans être un récit autobiographique. Usant de la mémoire pour bâtir une fiction, ce roman riche et complexe pose des frontières floues entre réalité vécue et oeuvre fictionnelle, ou l'âpreté de la vie s'ajoutent aux conditions sordides d'une enfance recréée.



Deux narrations se juxtaposent, s'entrecoupent et se contredisent, celle de guérilleros urbains anti franquistes glissant peu à peu dans un monde imaginaire et celle de la vie quotidienne d'une bande d'enfants s'inventant des histoires.

Ce superbe roman se lit comme une image diffractée d'un monde perdu que seule l'écriture peut faire renaître et recomposer.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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Calligraphie des rêves

Avec Marsé, il faut accepter de ne pas tout comprendre tout de suite (j’avoue avoir abandonné plusieurs fois avant de savourer…). Non pas que son écriture soit trop complexe, mais tout simplement parce qu'elle ne suit pas toujours une chronologie linéaire et que, dans la vie "réelle", les faits se présentent rarement à nous avec leur explication. Ainsi, cette femme un peu boulotte, Victoria Mir, mélange de ridicule, de pathétique et de charnel, qui, après avoir poussé un long cri rauque, s'allonge en pleine rue sur les rails du tramway? Heureusement, ce sont de vieux tronçons inutilisés, le suicide est impossible, mais la mise en scène mobilise quelques instants le quartier. Pourquoi cette mise en scène, justement ? Patience, nous le saurons un peu plus tard. Tout comme nous apprendrons que le héros du livre est un spectateur de la scène. Première puce à l'oreille, cette réflexion du scripteur à propos de ce garçon : "c'est peut-être la première fois que ce garçon pressent, de façon imprécise et fugace, que ce qui est inventé peut avoir plus de poids et de crédit que la réalité, plus de vie propre et plus de sens, et par conséquent plus de possibilités de survie face à l'oubli." On devine que cet enfant a certains dons littéraires, ou du moins une appétence à l'imaginaire. On apprend plus tard qu'il voudrait être pianiste virtuose, mais un accident de travail (il est apprenti) lui fait perdre un doigt. Il se rêvera en pianiste "aux neuf doigts" . En attendant, à divers moments, il invente des histoires pour ses copains, tenant compte ou non des contraintes que ceux-ci lui imposent, notamment quant au choix du beau rôle dans le western qu'il improvise.



Alors, écrivain ? Nous verrons bien. C'est un enfant à part, décalé par sa naissance et sa mystérieuse adoption (non officielle), dont le nom n'est pas le vrai nom. Cette prise de conscience ne peut que développer une appétence au mystère. Bien qu'il soit dit à son propos que "La vie des autres, si les autres ne sont pas dans les romans ou dans les films, ne mérite à ses yeux qu'un regard par-dessus l'épaule et une considération ennuyée" , on découvre au contraire un enfant très attentif aux signes et aux gens qui l'entourent, au métier de son père, à l'érotisme des affiches de cinéma ou de théâtre, aux personnages qui peuplent son quartier et son QG, le café Rosales, les ragots qui y circulent, notamment à propos de Victoria Mir, kiné à domicile, de ses " mains audacieuses, qui dispensaient frictions corporelles et calmaient diverses ardeurs" , et son histoire avec cet ancien footballeur, boiteux, M. Alonso. Notre héros, Ringo, sera impliqué dans cette histoire. C'est avec M. Alonso qu'il passera sa première soirée au Barrio Chino, sa première cuite...



Ce beau roman est une immersion dans les quartiers populaires de Barcelone sous la dictature, entre les sous-entendus politiques et l'espoir de n'être pas abandonné par le reste du monde. C’est aussi une réflexion sur le pouvoir merveilleux de la fiction grâce à laquelle il est possible de s’évader de la grisaille quotidienne pour rejoindre un monde meilleur. Un roman sensible, une belle invitation au rêve.

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Boulevard du Guinardó

Le texte est court mais a la longueur idoine pour cette confrontation entre deux personnes, deux âges, deux classes sociales. Une jeune fille espiègle voire plus et un homme au bord de la mort. Avec un jeu de style étonnant - phrases courtes ou longues, dialogues, non-dit, accélérations et ralentissements, l'auteur, à l'aide d'un vocabulaire particulièrement riche, nous emmène dans l'Espagne des années 40, où les pauvres et miséreux de l'époque ne sont plus ceux que l'on y rencontre aujourd'hui.
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