Après avoir lu Les Mangeurs de nuit de Marie Charrel, publié début 2023 aux Editions de l’Observatoire, j’étais curieuse d’en lire un peu plus sur les « picture brides« , ces jeunes japonaises mariées par correspondance à des inconnus et envoyées aux Etats-Unis pour retrouver leurs nouveaux maris – et bien souvent un sort peu enviable. Trompées par les belles lettres envoyées d’Amérique, elles pensaient, tout comme leur famille, améliorer leur quotidien en émigrant dans ce pays de l’autre côté de l’océan Pacifique. Pour beaucoup, ce ne fut qu’une longue descente aux enfers, de leur désenchantement à la descente du bateau devant la laideur et la pauvreté de leurs maris, à leur disparition dans les camps pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Julie Otsuka choisit ici un exercice difficile : elle tente, en 168 pages, de parler au nom de toutes les femmes arrivées sur un même bateau, qu’elles aient été ouvrières dans les champs, blanchisseuses en ville ou domestiques, qu’elles aient été heureuses en ménage ou battues, qu’elles aient eu des enfants ou au contraire aient été répudiées faute de pouvoir procréer. En découle un roman très atypique, où tout le récit est raconté à la première personne du pluriel, ce « nous » inclusif et universel – et pour autant, un « nous » qui a créé une distance entre mon coeur de lectrice et cette multitude de femmes en souffrance.
On sent que le roman est très bien documenté, il semble d’ailleurs plus s’apparenter à un reportage, avec de petites phrases issues de témoignages en italique – Je crois que mon âme est morte. C’est un bon moyen de voir la diversité des destins et leur convergence vers une fin dont on sait finalement bien peu de choses, les japonais ayant subitement disparu des villes et des villages, sans laisser aucune trace. On ne peut s’empêcher de voir son coeur se serrer dans les dernières pages, face à l’évocation de ce vide nouveau, de cet oubli inéluctable qui s’installe. Finalement, nous sommes, nous lecteurs, comme les Blancs du récit, incapables de différencier un japonais d’un autre, nous remarquons qu’ils ont disparu, mais c’est bien tout ce qu’il nous reste de leurs vies après 168 pages sous nos doigts.
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