Citations de Larry Tremblay (217)
Dans la rue, des femmes se retournent sur lui. Il s’en étonne. Il lui faut des semaines avant de comprendre que son corps attire leurs regards.
Il a beau se plaindre, rien ne peut fléchir le désir de son père de l’engraisser comme une volaille. Il entre à l’improviste dans la salle de bain pour vérifier qu’il ne se fait pas vomir, un doigt enfoncé dans la gorge. Malgré ses haut-le-cœur, Samuel finit par prendre du poids. Son père, aux anges, ne se gêne pas pour tâter ses cuisses qui s’arrondissent. Il l’incite à prendre soin de ses cheveux, de ses ongles, de ses dents. Il se montre généreux pour l’achat de nouveaux vêtements, n’oubliant pas de l’informer de leur prix. Il lui fait des surprises : eau de toilette, savon de luxe, talc pour la transpiration, huile pour le corps. L’éclat de son sourire tranche avec le noir absolu de sa barbe.
Maîtriser sa voix. Un art difficile, surtout quand la nature vous l’a offerte avec cette petite dose de brutalité, déferlement de cailloux dans la gorge. À douze ans, quand Samuel commence à muer, son père est soulagé. Son fils possède une voix pleine de promesses pour enchanter sa future épouse. C’est sa façon de parler. Pour lui, le plaisir que l’homme donne à une femme se devine dans la caresse ferme de sa voix. Mais il prend soin de le mettre en garde : « Apprends vite à la maîtriser, mon fils. Apprends à ne pas élever la voix, à la retenir, à l’arrondir, à la polir, à verser du miel dans tes phrases. »
Ah, pourquoi faut-il que les enfants grandissent ? Pourquoi faut-il que les mères abandonnent leurs fils ? C’est si injuste, tu ne trouves pas ? Mais on n’y peut rien, c’est comme ça. Ni toi ni moi n’allons changer le monde dans lequel nous vivons. Je t’en prie, ne me déteste pas.
Il devrait déborder de joie. On lui a tant répété que le jour de son mariage serait le plus beau de sa vie. Au contraire, il est nerveux et de mauvaise humeur. Il maugrée, se plaint pour un rien, joue au difficile, ne répond pas aux questions de sa mère qui s’inquiète de son attitude. Il souhaite qu’on lui parle de sa future épouse. Il talonne sa sœur : est-ce qu’elle est belle ? Met-elle des fleurs dans ses cheveux ? Pour lui, il n’y a rien de plus adorable que cette habitude qu’ont certaines jeunes filles de parer leur coiffure de jasmin blanc.
L’exagération exprime avant tout la faiblesse d’un raisonnement.
Si Amed pleurait, Aziz pleurait aussi. Si Aziz riait, Amed riait aussi. Les gens disaient pour se moquer d’eux : « Plus tard ils vont se marier. »
Leur grand-mère s’appelait Shahina. Avec ses mauvais yeux, elle les confondait tout le temps. Elle les appelait ses deux gouttes d’eau dans le désert. Elle disait : « Cessez de vous tenir par la main, j’ai l’impression de voir double. » Elle disait aussi : « Un jour, il n’y aura plus de gouttes, il y aura de l’eau, c’est tout. » Elle aurait pu dire : « Un jour, il y aura du sang, c’est tout. »
Amed et Aziz ont trouvé leurs grands-parents dans les décombres de leur maison. Leur grand-mère avait le crâne défoncé par une poutre. Leur grand-père gisait dans son lit, déchiqueté par la bombe venue du versant de la montagne où le soleil, chaque soir, disparaissait. » p 13 (Incipit)
La nuit des temps, maman m’a raconté, c’est la première nuit du monde. Il faisait si noir que le premier rayon de soleil qui a percé la nuit a hurlé de douleur.
- C’est plutôt la nuit qui a dû hurler, c’est elle qui a été transpercée. » p 17 a 13
Des hommes sont arrivés en jeep. Amed et Aziz ont aperçu un nuage de poussière sur la route qui passait près de la maison. Ils se trouvaient dans l’orangeraie. C’est là que Zahed avait voulu enterrer ses parents Il venait de lancer la dernière pelletée de terre. Tamara pleurait et se mordait l’intérieur de la joue. » p 21 a 1
Sous le ciel étoilé, Tamara ne craignait pas de parler à Dieu. Elle avait le sentiment de mieux Le connaître que son mari. Ses mots chuchotés se perdaient dans le bruit d’eau du ruisseau. Pourtant, elle gardait l’espoir qu’ils montent jusqu’à Lui. » p 28 a 3
A mes yeux, tu ne vaux pas mieux que nos ennemis. Ta mollesse nous affaiblit et nous fait honte. Où est ta colère ? Je ne l’entends pas. Ecoute-moi, Halim : nos ennemis sont des chiens. Ils nous ressemblent, crois-tu, parce qu’ils ont des visages d’hommes. C’est une illusion. Regarde-les avec les yeux de tes ancêtres et tu verras de quoi sont réellement faits ces visages. Ils sont faits de notre mort. Dans un seul visage ennemi, tu peux voir mille fois notre anéantissement, N’oublie jamais ceci : chaque goutte de ton sang est mille fois plus précieuse qu’un millier de leurs visages. » p 35 a 6
Le parfum qui montait de la terre le rassurait, lui permettait de croire que l’avenir avait encore un sens. Il se sentait en sécurité parmi ses arbres, comme si aucune bombe ne pouvait percer le bouclier de leur feuillage. Son cœur le savait : ses champs d’orangers étaient ses seuls amis. » p 64 a 9
[…] j’aurais donné une orange à ton frère, puis une autre à toi. Celui qui aurait trouvé le plus de pépins dans son orange, eh bien, c’est lui qui serait parti. » p 68 a - 4
[…], mais j’entends des voix. Comme si elles dormaient dans le ciel et que mon regard les sortait du sommeil. Elles chuchotent, murmurent, m’emplissent la tête de leurs tourments. Elles sont aussi nombreuses que les étoiles qui font des trous dans la nuit. » p 137 a 11
Qui suis-je moi pour réfléchir à ta place ? Moi aussi, mes vêtements sont sales et déchirés. Et mon cœur est cassé comme un caillou. Et je pleure des larmes qui me déchirent le visage. Mais, comme tu le constates, j’ai une voix calme. Mieux encore, j’ai une voix paisible. Je te parle avec de la paix dans ma bouche. Je te parle avec de la paix dans mes mots, dans mes phrases. Je te parle avec une voix qui a sept ans, neuf ans, vingt ans, mile ans. L'entends-tu ? » p 152 a - 8
Il était trop facile d'accuser ceux qui commettaient des crimes de guerre d'être des assassins ou des bêtes féroces.
Il faisait si noir que le premier rayon de soleil qui a percé la nuit a hurlé de douleur.
J'obéis à un pays
en forme de cri
Je suis un soldat
en forme de haine
Je veux parler
un livre de symboles s'ouvre
entre mes lèvres
Je crache ses pages
mes phrases ensalivées
racontent les guerres noires
les génocides rouges
Le Diable me visse
son index
dans le cerveau
orage orgasme orange
prennent le même sens