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Citations de Léonor de Recondo (1071)


(Les premières pages du livre)
C’est au petit matin du 31 mai 1699 qu’Ilaria naît. La sixième de la fratrie à pointer son minuscule corps, parfaitement formé, doigts, orteils, jambes et bras, ventre et organes, tout y est, chevelure et crâne bombé.
Francesca est assise sur un grand fauteuil, bassine et linges attendent leur heure. Elle connaît la douleur, la patience éprouvée, l’étau qui se serre et se desserre, la soif et le vertige.
Il fait chaud déjà, humide à Venise, après une semaine d’averses inexpliquées. Cette pluie augure d’une naissance heureuse, lui a-t-on dit. Un signe d’eau comme la ville, un signe de flottement. Un doux flottement, elle saura naviguer. Elle attend une fille, le pressent.

Giacomo est allé chercher Bianca. Entre les barreaux de fer, il a frappé au carreau de la grande bâtisse en pierre de la Pietà. Au rez-de-chaussée, Bianca est là, gardienne, portière, vigile des lourds battants de bois et de leur imposant verrou. Elle ne décide pas de qui a le droit de séjourner dans l’institution, mais chaque enfant passe par elle. De ses mains tendres, elle les a toutes touchées, en langes ou robe, c’est elle qui les rassure et les conduit jusqu’à la Prieure.
Giacomo est serein. Il lui dit, viens, c’est pour ce matin. C’est la sixième fois que je serai père. Il pense aux risques d’hémorragie, à tout ce qui pourrait advenir, sans que ça n’entame sa joie.
Depuis une quinzaine de jours, il prie matin et soir. Oui, pour matines et vêpres à San Giovanni in Bragora. Avant chaque naissance, il devient assidu, plein de sa foi, implorant à genoux que le corps ne soit pas malformé ou le cordon enroulé.

La petite porte de la Pietà, découpée dans l’un des immenses battants, s’ouvre. Il entend les gonds grincer, puis le claquement sourd lorsqu’elle se referme. Bianca est devant lui, son fichu en coton blanc de travers. Elle le regarde en souriant.
Mais tu ne t’es pas peignée pour accoucher ta cousine ?
Elle éclate de rire.
Elle pourra s’accrocher à mes cheveux sans avoir peur de me décoiffer ! Et puis, l’enfant à naître, on espère bien qu’il sera coiffé, lui…

La barque attend sur le minuscule canal.
Giacomo l’aide à monter, elle est chargée de son panier. Il rame d’un côté, de l’autre, il est pressé. Sa femme, ses filles, les siens, sa famille, et bientôt, cette autre enfant…
Un court instant, il prend le temps de regarder le ciel. Un beau début de bleu, étroit entre les édifices, un bleu après la pluie qui présage du meilleur. Un début de bleu qui s’échoue dans l’eau, qui se trempe de lagune, se rince de la nuit, se faufile entre briques et marbres, une aube nouvelle, une naissance, dans l’insouciance, dans l’ignorance qu’Ilaria va bientôt pointer le bout de sa chair.
Sans accroc, pleine de son cri à venir, vie immergée depuis neuf mois, au chaud du placenta, cellules patiemment assemblées, se démultipliant, se frottant, s’exerçant à fonder une matière neuve, des bras, un œil, deux yeux, poumons et cœur ; un cœur qui bat, dans cette Venise endormie, indifférente au miracle, un cœur à venir, un cœur pour mourir.
Épidémies, joies, inquisition, secrets, éblouissements d’eau et de feu, le petit cœur vivra son temps, traversé d’appréhensions et gonflé de bonheurs, oublieux, lâche et parfois courageux, mais toujours régulier à battre la mesure de la vie d’Ilaria, dont Giacomo ne sait pas encore le prénom, ne connaît pas encore le fin duvet qui recouvre ses bras, ses yeux écarquillés, ni le long cri qui éveille une vie entière, une ville et sa lagune, nuées de corbeaux et de cormorans, au petit matin.
Giacomo a accosté. Dans l’escalier qui monte de la boutique à la chambre, Bianca sur ses talons, il se presse, on arrive, on est là, tesoro, tiens bon !
Il s’adresse à Francesca qui les attend, son trésor, son joyau, il lui répète, mon joyau, au milieu des montagnes de soie, mon joyau. Et quand, en entrant dans la pièce, il pose le pied sur les tomettes de terre cuite irrégulières, quand Bianca manque de trébucher sur l’une d’elles, entre deux grimaces de souffrance, Francesca leur dit, c’est pour bientôt.
Bianca sort de son panier, cachée au milieu du linge, une petite statuette en bois de la Madone, son porte-bonheur avant chaque naissance. Elle fiche Giacomo dehors, demande à Francesca de s’allonger sur le lit, puis installe les brocs d’eau, une fiole de vinaigre et une de grappa à proximité, laisse la longue pince en fer hors de vue au fond du panier.
Francesca souffle, se raidit, se cambre. Et Bianca, comme elle l’a toujours fait, comme le lui a appris sa propre mère, s’assoit derrière sa cousine sur le lit, jambes repliées contre ses flancs, lui caresse le ventre qui se tend et se détend. Elle chuchote à l’oreille de Francesca en sueur, l’encourage, la guide tout en poussant l’enfant, l’extirpant de la béatitude maternelle, à travers le canal étroit, vers la lumière. Bianca voit ce canal à l’image de la ville d’eau. Elle dit, c’est maintenant, on y est, c’est maintenant.
Et Francesca, dans ses mains incrédules, accueille pour la sixième fois un enfant.
Parfaite, elle est parfaite, avec une magnifique tache de vin sur la cuisse, lui murmure Bianca. Comme la tienne.

Quelques mois plus tôt, Francesca et Giacomo étaient allés écouter une messe chantée à la Pietà. Un office de Pâques. Respirant le parfum mélangé d’encens et de suie des cierges, tandis que s’élevait le chœur des jeunes filles cachées derrière les grilles de fer de la tribune en marbre, Francesca touchait son ventre rebondi. Elle caressait le petit être à venir, tout en lui murmurant : si tu es une fille, tu chanteras avec elles.
Dans une soudaine exaltation, liant concert et liturgie, confondant ces voix célestes avec ses propres désirs, elle avait pris la main de Giacomo. Plus tard, elle lui dirait que leur enfant, leur sixième à venir, chanterait parmi ces anges.
Pénétrée par la musique, elle se revoyait adolescente. Quand sa mère l’avait emmenée à Venise, depuis Padoue. Elles devaient acheter du tissu pour la robe de fiançailles d’une de ses sœurs. On leur avait indiqué la boutique des Tagianotte, près de la Pietà.

En une seule phrase, le destin de Francesca s’était joué.

Sous les longs rayonnages de bois sombre, Giacomo avait déplié et déployé les fastueux métrages, sans jamais cesser de regarder cette jeune fille silencieuse.
Dans l’étroite boutique où les étagères débordaient de couleurs, Giacomo et la mère avaient longuement débattu de la qualité des tissus, hésité entre plusieurs pièces, avant de sortir pour en examiner une à la lumière du jour. Rien de mieux pour juger de la couleur, avait-il dit.
La jeune fille les avait suivis et Giacomo s’était émerveillé du reflet bleu de l’étoffe sur le cou de Francesca. Dans un élan soudain, il lui avait donné une longueur supplémentaire de soie.
C’est pour vous, avait-il dit en la lui tendant. C’est pour vous afin que ce bleu ne vous quitte plus.
Et Francesca, dans son insouciance adolescente, avait commencé de murmurer : la joie la soie, la joie la soie.
Elles étaient revenues le lendemain et quelques semaines plus tard, Giacomo avait fait sa demande, aussitôt acceptée.
Dans l’attente des noces, entre Padoue et Venise, Francesca avait cousu toute la doublure de sa robe de mariée de ce bleu originel. Un bleu plus profond que celui de la lagune sous le soleil, un bleu qui s’imbibe d’orage une nuit de Saint-Jean ; un geste superstitieux qui n’avait rien de frivole, au plus près de son âme, de son corps chaste, la promesse de leur amour, elle en était convaincue.
Depuis, ce bleu l’accompagnait dans chaque moment important de sa vie, à la vue ou à l’insu des autres. À chaque baptême, un peu de cette soie, dans les trois minuscules cercueils de ses enfants mort-nés, un linceul bleu.
Giacomo se moquait de cette manie. Tu ne comprends pas, lui répondait-elle toujours, tu ne vois pas qu’à l’intérieur, je suis de cette couleur.

Peu avant le terme, Francesca était allée voir Bianca pour lui dire, je voudrais que la petite entre à la Pietà.
Bianca l’avait aussitôt interrompue, attends de voir si elle vit, celle-là ! On ne sait jamais… Le destin des enfants est si fragile.
Et le nôtre, Bianca ? Et le nôtre ? avait répondu Francesca soudain furieuse. C’est exactement pour ça qu’elle doit être élevée ici !
Chacun à Venise avait des proches contaminés par la peste. Comment oublier la danse incessante des corps déformés et des cercueils ?
Sur la lagune, les morts et les naissances rivalisaient en nombre. Sur la lagune, on s’aimait avant de mourir, on priait avant de se désoler ; on luttait comme on pouvait contre l’inéluctable.

Francesca était persuadée que sa sixième vivrait et qu’elle chanterait. Je viendrai l’écouter ici, elle sera cachée derrière les grilles de fer, je ne pourrai pas la voir mais elle grandira en apprenant la musique, sans être obligée de couper et découper les métrages d’étoffes, de compter et recompter les sequins. Hors de question. Ilaria vivrait en s’élevant.
Alors, je pourrai bien entrer dans la danse des morts, insista Francesca auprès de sa cousine. Je pourrai mourir pour de bon, puisque la voix de ma fille sera déjà au paradis.
Bianca ne promit rien. Seules les orphelines trouvaient place au sein de la Pietà, ou bien des filles de parents assez riches pour payer les cours de musique.
J’en parlerai à la Prieure, avait-elle seulement répondu.
Et sans attendre l’avis de Giacomo, Francesca jura que la famille s’engagerait à fournir à l’institution les tissus nécessaires aux habits des plus pauvres. Bianca la regarda, interloquée, puis se mit à rire, mais elles sont 867 aujourd’hui !
Dis-lui qu’on donnera ce qu’il faut pour que la petite chante.
L’imparable argument de Francesca avait rapidement convaincu la Prieure.
Si la petite vit, nous l’accueillerons dès son troisième mois.

Et ainsi, soies et lins blancs permirent à Ilaria d’entrer en musique comme elle aurait pu entrer au couvent. À l’Assomption 1699, le nourrisson, un m
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 Ilaria prend le violon par le manche, s’étonne en effet du poids plume. Si léger. L’image de Maria traverse son esprit, elle n’a pas besoin d’instrument, elle, juste d’une voix.
Giulietta semble lire ses pensées. Oui, il va devenir ta voix. 
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La vie ici est à son essence. La musique est un art qui se façonne dans une addition d'âme.
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C'est juste du bois, un joli bois bien agencé, de belles courbes, un vernis de miel, des ouïes élégantes, et ce dos qui ondule. Elle le caresse de son index, de bas en haut, elle sent sous sa pulpe l'infime différence de densité qui rend visibles les ondulations. Son index, sur les nervures, avance lentement.
Elle retourne le violon, regarde la table d'harmonie, approche son visage des cordes et souffle doucement à l'intérieur des ouïes. Son souffle résonne. Elle entend l'air qui s'infiltre comme dans un gros coquillage, comme le bruit du vent s'engouffre dans un escalier et vibre à l'appel de fenêtres ouvertes. Sa respiration parcourt les fibres. La respiration et les notes ne sont que du vent.

p. 87
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Elle invente, contourne, orne, diminue avec grâce, sa manière n'est jamais ostentatoire, démonstrative. Quand elle joue, la musique qu'il compose est un miroir qui éveille une couleur inattendue, un recoin de paysage inaperçu jusque-là.
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Toute la sensibilité du monde est dans la voix. La peur, les outrages, les doutes, l'amour. Tout.
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Rien n'est plus fort que le pouvoir qu'elle a ici. Pouvoir de se sentir utile auprès des générations de filles qui trouvent refuge et instruction à la Pietà.
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C'est dans le son qu'elle déclare son amour, qu'elle le déclame ; une exaltation du corps qu'elle ne trouve nulle part ailleurs que dans l'archet sur la corde. La vibration ondulante. Point de poèmes, point de mots assez beaux pour exprimer cette intensité-là. Parfois, en répétitions, quand son corps parfaitement aligné avec son âme, sans aucune tension, dans une joie profonde, parvient à jouer, quand l'onde circule lentement, elle se dit, j'y suis. Je deviens la respiration du monde.
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Doménikos a toujours dessiné, et il continue dès que la peinture lui en laisse le loisir, dès que les commandes s'espacent. Il s'assoit sur sa chaise près de la fenêtre, ce recoin qu'il considère comme son terrier, et il retourne au plus modeste des outils, la craie ou le fusain.
Les fondements de son art naissent là, à la pointe de son trait affûté et monochrome, l'endroit où il ne peut pas mentir, où il ne peut peut être que lui-même. Là où les artifices de couleurs, leurs mélanges faits d'huiles et de pigments, leurs épaisseurs concrètes sur la toile, leur éloquence perdent leurs droits.
Lorsqu'il dessine, Doménikos est un homme désarmé.

( p.116)
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Quand on a vécu dans sa chair ce qu’il y a de plus obscur, on comprend combien il faut choyer la lumière, aussi éphémère soit-elle.
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Et Céleste, dans un élan passionné, embrasse Victoire à pleine bouche. Un baiser long, profond, hors du temps, qui les mènent à l'orée d'elles-mêmes, là où l'éternité attend leur plus beau souvenir.
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J'en ai vu des mariages, des divorces, des naissances, des morts, des faire-part, plein. J'en ai vu des au fond du trou, des qui étaient prêts à jeter l'éponge, plein. J'en ai vu des qui n'arrivaient plus à se lever, à sortir du lit, à ouvrir les yeux, à peine à ouvrir la porte. Et puis ça revient, lentement, mais ça revient, l'espoir. Quelque chose comme ça, comme une lumière qui réapparait dans la vie. Je les voyais, les visages qui retrouvaient leurs couleurs, la confiance qui sortait du trou noir. Y en a même qui oubliaient complètement la peine dans laquelle ils avaient été. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'il y a des choses qui s'expliquent pas dans la vie, ma petite. Faut juste les accepter comme elles sont, même si ça te fend le cœur.
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Je ne sais plus comment je suis arrivé à la voiture ni à la maison. Elle était vide et silencieuse, avec les photos, la vie de chacun de nous, les chaises, les vêtements qui traînent, les manteaux suspendus, les chaussures, et moi, assis dans la cuisine, le cœur battant encore. Un verre à la main, l’alcool qui glisse le long de l’œsophage pour calmer, calmer.
Et plus tard sourire et manger, et rire avec les autres.
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Les pièces, les rôles sont comme des petits trous en moi, des espaces où je peux respirer, des bulles d'air, qui s'élèvent dans un endroit verrouillé par ton départ, avec lequel il fallait que je vive, vivre tout en l'évitant, l'éviter en sachant qu'il existe.
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haque personnage est un manque de plus, un effacement du trait, un détour sur le chemin, un sentier sauvage à défricher, une bifurcation, une excuse, une halte, encore une, pour ne pas s’approcher du cœur, du poumon, et rester en lisière de soi, de son propre désir, se remplir du regard des autres, pour le prendre en embuscade, le séduire, s’en emparer, afin d’éviter toujours d’être soi-même ?
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Tout le corps de Magdalena s'effondre le long de la porte. Elle pleure les années passées à attendre, ces années perdues à errer à la quête d'un amour qui viendrait combler le vide béant. Toutes ces années à croire qu'un regard peut remplacer celui qui s'est détourné.
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La dernière image que j'ai de toi,c'est sur un lit,perdue au milieu des draps vert pâle ;J'ai l'impression que tu flottes;Je m'assois au bord du matelas ,sans enlever mon blouson ,je reviens du collège et je m'assois ;
Je veux tes yeux;
Chaque jour,je me persuade, en montant l'escalier,que tu vas me regarder,m'écouter ;
aujourd'hui, c'est bon;
et je suis joyeuse sur le chemin du retour;
aujourd'hui c'est bon ,je me dis;
anecdotes,notes,je recommence chaque après-midi;
J'y crois;
mais quand je referme la porte de ta chambre derrière moi tout doucement,parce que le bruit pourrait te casser,je me dis que ce sera demain;
si ce n'est pas aujourd'hui,ce sera demain et je suis prête à recommencer sans fin;
mais tu es partie sans prévenir,tu es partie;
chaque jour,ensuite,je me suis passée de toi, tu m'y as forcée ;
J'ai respiré sans toi,tu m'y as obligé ;
du jour au lendemain ;
j'existais,Je n'existe plus;
j'étais la prunelle de tes yeux,tu deviens aveugle;
j'étais ton coeur,il bat ailleurs ;
c'est aussi simple que ça?
chaque jour,j'ai pensé que tu étais morte,que ce n'était pas possible autrement;on ne le savait pas encore ,mais tu étais morte loin,tu avais disparu dans une grande cascade ou tu t'étais perdue dans la forêt, j'avais plein de théories sur ta mort;
Je te les énumérerai bientôt; tu les écouteras bien sagement quand je te verrai,quand ce sera ton tour de t'asseoir au bord du matelas;(Page 78).
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Seule sur le pont, elle se dit qu'elle n'a jamais autant en prise avec le présent. Ce séjour stoppe net la fuite en avant, en la mettant face à sa mère, à cette plaie en passe de devenir cicatrice, qu'elle avait sans cesse évitée à force d'embuscades, détours, voyages, amours et tirades.
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Et si je vous disais, au contraire, que chaque personnage est un manque de plus, un effacement du trait, un détour sur le chemin, un sentier sauvage à défricher, une bifurcation, une excuse, une halte, encore une, pour ne pas s'approcher du cœur, du poumon, et rester en lisière de soi, de son propre désir, se remplir du regard des autres, pour le prendre en embuscade, le séduire, s'en emparer, afin d'éviter toujours d'être soi-même?
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C'est Antigone qui l'a sauvée, pas celle de Sophocle, non, celle d'Anouilh. Le premier personnage à l'avoir percutée de plein fouet. Antigone est devenue son amie, son autre. Celle espérée qui comprend tout, prend tout, ne se sépare jamais, n'abandonne pas, n'y pense même pas. Celle qui l'avait traversée tout entière d'un bout à l’autre, à bras-le-corps s'était emparée de son esprit, de sa mémoire, de sa bouche, des phrases qui en sortaient, celle qui façonnait ses gestes. Elles étaient ensemble. Magdalena n'était plus seule.
Magdalena entrait en vie comme d’autres en guerre, son armée intérieure déployée en ordre de bataille. Sur scène de même, étendard au vent, mots engloutis, rabâchés, malaxés, pris et appris, joués et déjoués.
Chaque réplique d’Antigone, quand elle avait débuté l'atelier théâtre en classe de troisième, était taillée pour elles deux. Mêmes corps, mêmes langues.
Le professeur lui avait pourtant dit, elle est trop maigre pour toi, Antigone. Le prologue le spécifie, la petite maigre qui est assise là-bas. Tu es trop belle, Magdalena, pour être Antigone. Tu dois être Ismène.
Elle s'était dressée devant monsieur Berthelot. Vous en savez quoi de la beauté, monsieur? La petite maigre, elle est ici, lui avait-elle dit en pointant son propre cœur. Elle est ici, et c'est moi. Je le sais.
Avant de tourner les talons. p. 32-33
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