La parole se libère et avec la rentrée littéraire dernière, c'est l'écriture qui s'est libérée en proposant de nombreux ouvrages sur cette déliance : Loulou Robert, Isabelle Carré...
Avec Chavirer, Lola Lafon s'inscrit dans ce mouvement en mettant des mots sur les maux des femmes, des jeunes filles dans le milieu de la danse et dont l'adolescence a été estropiée ; elles ont dit oui parce qu'elles ne savaient pas encore dire non. Trompées par l'amour qu'elles portaient à l'entremetteuse, et indirectement également par ceux qui voyaient, comprenaient mais qui ont fermé les yeux.
C'est en écoutant Lola Lafon parler de son roman que je me suis convaincue de lire ce livre.
Son analyse « On est éduquées pour plaire et ça, il faut s’en débarrasser » m'a interpellée et le mécanisme de la honte, de la double honte dont elle a parlé dans La grande librairie m'a convaincue.
Une mauvaise victime qui ne se revendique pas victime "Je ne suis victime de rien" dit-elle. Elle ne s'est pas détendue au moment de se laisser faire, et une victime coupable aussi, d'avoir donner en pâture d'autres jeunes filles. « Favorite. Courroie de transmission, victime et coupable, une martyre-bourreau. »
« Cette souffrance en veille resurgissait à tout propos, celle d'une ancienne gamine à qui des adultes avaient enseigné la solitude des trahisons. »
Ce n'est pas un récit linéaire que nous propose Lola Lafon mais un récit morcelé de rencontres, de flashbacks. Des rencontres qui donnent un éclairage approfondi, densifié, sur ce qu'a été la vie de Cléo, principale protagoniste de ce roman, de 13 à 47 ans.
« alors que tout semblait indiquer que Cléo aurait treize ans pour l'éternité, elle se cognait à chacun des angles morts de cette éternité. »
Comment se construit-on quand on a été confrontée à cette douloureuse, infecte réalité ? Comment vit-on le fait de devenir mère ? D'une fille. Comment arpenter le chemin rocailleux jusqu'au pardon ? On n'oublie pas, on vit avec cette écharde, « une écharde sur laquelle sa chair s'est recomposée, à force d'années. Un petit coussin de vie rosé, solide et élastique. Ce corps étranger n'en est plus un, il lui appartient, solidement maintenu dans un faisceau de fibres musculaires, à peine effrité par le temps ».
J'ai aimé le cheminement de l'autrice, dénué de manichéisme, empreint de bienveillance. Elle nous donne un intelligent aperçu du dessous des cartes et fait écho aux scandales qui ont éclaté dans le milieu du sport.
Licencieux filon que celui de faire miroiter de jeunes enfants, leur mettre des étoiles dans les yeux et leur promettre le Graal, se jouer de leur jeunesse, de leur inexpérience, de leur fragilité et naïveté, abuser de leur confiance, abuser ...
La honte, ensuite des jeunes victimes, les immunise contre une éventuelle dénonciation.
La honte, la culpabilité.
Des vies rongées.
Des vies où l'on tourne le dos, mais où on affronte de face.
Et le silence comme « le repli tamisé d'un refuge ».
Quand on aime les petites filles.
Quand on a quatre fois plus que l'âge de ces jolies et sensibles fleurs en devenir, on se soigne, non ? On se fait aider ? On se maîtrise ?
--- Tu te maîtrises ,s'il-te-plaît.
Un livre sur ces vies hantées par la culpabilité et la quête du pardon, racontées par petits morceaux savamment orchestrés, à mon humble avis,
avec délicatesse et pudeur, ponctuées de passages littérairement remarquables.
Une phrase de ce livre me hante depuis la dernière page tournée :
« Si ça ne fait pas mal, c'est qu'on n'a rien dérangé. ».
Deux négations criantes. Percutantes.
Racontons ce qui hante.
Se faire de la place pour deux uniquement si la réciproque est vraie. Cela ne vaut pas la peine, sinon.
Merci Lola Lafon pour ces mots, ces histoires, l'histoire de Cléo, celle de tant de petites filles malmenées, fourvoyées, qui ont dû ...doivent s’accommoder de tant d'égratignures. Qui font face. Parce qu'elles sont imprégnées de leurs rêves d'enfant. Parce qu'à défaut d'oublier, il ne faut pas soi-même se diluer, se noyer. Contre le vent. Il ne faut pas. PAS. Des adultes en souffrance. Des vies innocentes bafouées.
Ça dérange.
Autorisons-nous à l'entendre. Trempons dans la douceur et l'empathie.
Sortons de ce malaise qui détruit.
Alors MERCI.
« [...] les mots avaient des horizons de paysage, les nuances d'un poème : à défaut du pardon, laisse venir l'oubli. »
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