AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Louise Browaeys (92)


Si on avait pu rester dans le monde des enfants, me souffla une voix qui était presque une réminiscence, on confondrait les avions et les étoiles, on ferait un détour de trois cents mètres pour s'extasier devant une touffe de myosotis qui a poussé dans un interstice du trottoir, on pleurerait la mort d'un escargot et on respirerait les fleurs peintes au creux des assiettes de porcelaine.
Commenter  J’apprécie          20
Je ne supportais plus les pleurs des enfants. Leurs plaintes me donnaient des crises d'urticaire et des impatiences dans le corps. Il y a comme ça des bruits que je ne peux plus entendre, c'est ce que les médecins appellent pompeusement des "traumatismes mémoriels".
Commenter  J’apprécie          20
Elle n'est pas inerte, la nature, elle est vivante et déchaînée ! Notre monde a déclaré la guerre à la nature. Tu comprends ? J'ai un sentiment d'impuissance face à l'ampleur de la menace. J'ai peur de ce qui vient et de ce qu'Aurélien devra vivre, je me sens découragé devant les souffrances, le pillage, l'atteinte aux générations futures, l'engourdissement psychique et la surdité face à l'état de notre monde...
Commenter  J’apprécie          20
J'ai quitté un nombre incalculable de fois la femme que j'étais, en levant des peaux les unes après les autres, tel un oignon récalcitrant, parfois après de longues périodes d'aveuglement, pour devenir ce que je ne savais pas encore être. J’ai pensé souvent à ce chêne planté par mon père le jour de la naissance de mon frère et qui, à l'automne, laisse tomber ses feuilles ocre et pointues qui crissent sous les pieds. J'ai continué ainsi et quitter et être quittée, jusqu'à sentir vraiment la douleur de ce que l'on quitte : nous, des parts de nous, des peaux, du sang, des feuilles, des écorces, les autres, les autres en nous, ce que nous imaginons être les autres, nous désespérément accrochés comme du gui dans le corps des autres.
Commenter  J’apprécie          10
Une permacultrice qui conçoit un jardin, comme une écrivaine qui compose une phrase, cherche avec entrain à positionner au mieux les verts et les verbes de manière que chacun puisse interagir avec les autres, voir leur sourire et les illuminer.
Commenter  J’apprécie          10
Je veux que chaque paragraphe soit un petit buisson qui parle et fructifie. Je veux que rien n’y soit enfermé. Je veux y trouver refuge comme dans une cabane avec mes enfants et tenter d’y transformer les mots en ailes de libellules. 
Commenter  J’apprécie          10
Une écrivaine, comme une permacultrice, tente de faire beaucoup avec ce qu'elle a sous la main, c'est-à-dire peu : un mot, une virgule, une goutte de pétrole, un élytre, une graine de séquoia, deux années de prépa bio, un vide, une variation de lumière.

Une permacultrice qui conçoit un jardin, comme une écrivaine qui compose une phrase, cherche avec entrain à positionner au mieux les verts et les verbes de manière que chacun puisse interagir avec les autres, voir leur sourire et les illuminer.
Commenter  J’apprécie          10
Oui l'attente aurait pu être toute ma vie de femme. Et la difficulté de ce petit voyage réside dans cet équilibre à trouver entre une patience qui ne serait pas lâcheté, une détermination qui ne serait pas de l'entêtement et une sincérité qui ne serait pas de l'égoïsme.
Commenter  J’apprécie          10
Alors j'écris cette Reverdie pour celles et ceux dont le ventre gargouille et qui n'ont pas de jardin où planter des pommes de terre, qui rêvent d'un saule pleureur penché au-dessus d'un ruisseau - ou simplement d'une feuille de laitue qui croque sous la dent. Pour celles et ceux dont le seul jardin est la littérature, dont le champ n'est que lexical et qui ne connaissent des feuilles que la blancheur d'un format A4. Pour celles et ceux qui ont toujours tenu dans leurs mains des crayons et jamais des brouettes ou des râteaux. Pour celles et ceux qui aiment s'égarer dans un roman comme dans un labyrinthe de charmille, découvrant immanquablement en elles, en eux, tant de petites lumières qui ne demandent qu'à scintiller. Et surtout pour celles et ceux tombés amoureuses, amoureux, bien après que les autres autour d'elles, autour d'eux, ont été mariés, installés, entourés d'enfants et de tabliers.
Commenter  J’apprécie          10
Je pense de plus en plus, à force de regarder les gens aller et venir dans cette ville côtière, à force de me concentrer sur leur laideur et sur leur épisodique beauté (…), je pense de plus en plus que ce ne sont pas les êtres eux-mêmes qui comptent, mais les liens entre eux, les liens qu’ils tissent et détissent, les liens qu’ils imaginent ou qu’ils essaient d’oublier. 
Commenter  J’apprécie          10
INCIPIT
Paris – Montreuil, automne-hiver 2016-2017
Finis les électrochocs et les traitements. J’étais sortie de l’hôpital. Je n’avais aucun souvenir des trois mois ni même des trois ans qui avaient précédé ce mois d’avril. J’essayais de me concentrer sur une saison qui devait ressembler à l’hiver. Mais rien ne venait. Un vide. Une douleur irradiante au centre du cerveau. Une racine qui n’arrive plus à pousser. Une amputation qui démange.
En rentrant chez moi, il paraît que j’avais déambulé dans les pièces et que j’avais passé un mois sans ouvrir la bouche. Je voulais rester allongée coûte que coûte. Je ne voulais voir personne. Il y a des gens à qui cela semblera arrogant. Mais je ne pouvais plus me lever. Vrai. Il y avait comme un poids qui pesait sur moi et me clouait au lit. Cette chose sur laquelle je prenais naguère appui pour soulever le monde m’écrasait. Je ne sais pas si vous pouvez comprendre. C’était un poids qui n’avait rien à voir avec, par exemple, le poids délicieux d’un homme dur et cambré sur mon ventre. Une chose invisible et obsédante. Douloureusement laide. C’était très difficile à décrire aux médecins, voilà pourquoi j’ai vite laissé tomber.
J’ai commencé à sortir de ma torpeur lors des premières visites de K. Il venait presque tous les jours à ce moment-là. J’ouvrais les yeux et, une fois sur deux, je le voyais s’affairer dans ma chambre. Il me donnait à manger. Je ne sais pas comment il trouvait le temps de cuisiner entre son travail et son fils, mais à l’époque ce genre de question n’effleurait pas mon cerveau. Pas grand-chose n’effleurait mon cerveau, me direz-vous. La spécialité de K, c’est les raviolis : il les achète crus je ne sais où, et il les fait cuire dans une casserole d’eau bouillante dans laquelle il s’obstine à ne pas mettre de sel. Ensuite il les enduit d’huile d’olive et de parmesan râpé. Ça finit d’ailleurs par m’écœurer.
Ce printemps-là, je me suis aussi aperçue à quel point ce garçon était obnubilé par les moustiques, et il y en avait de plus en plus à Paris. En France, me disait-il, le visage tourné vers le plafond, inquiet, plus de soixante espèces de moustiques sont recensées. Regarde celui-là ! Alors il attrapait un livre (il prenait toujours le même, qu’il laissait dans un coin sous mon chevet : était-ce un auteur qu’il adorait ou qu’il détestait ? Je ne sais pas, car K, depuis des mois que je l’observe, a toujours été assez difficile à suivre et à cerner), sautait à pieds joints sur le lit et écrasait l’insecte du mieux qu’il pouvait sur les murs et le plafond de la chambre. C’est drôle car j’aime beaucoup les moustiques ; surtout quand ils s’envolent et se cachent au coin de nos yeux, finissant par coller nos paupières.
K me parlait volontiers de ses dessins. Je ne disais rien quand il me les montrait. Je hochais la tête, parfois je m’endormais. Je savais que j’avais gardé la capacité de parler, qu’elle était tapie quelque part, mais je ne pouvais pas encore totalement le prouver. K semblait trouver cela normal et il en savait sans doute bien plus que moi sur ma propre maladie. Il avait de la patience. C’est une qualité indéniable. Il lui arrivait d’arranger quelques fleurs sur la table. Souvent des tulipes ; des fleurs qui font un bel effet, mais qui n’ont pas coûté cher et fanent vite si on met trop d’eau dans le vase. Il faisait la vaisselle, il essuyait tout avec un torchon propre et ne laissait rien traîner sur l’égouttoir. Il me demandait, sans vraiment vérifier, si j’avais pris mes médicaments. Il souriait, il ouvrait les rideaux, il les refermait, il enlevait un peu de poussière sur un meuble, il repartait. Je voyais bien qu’il pleurait.
J’ai repris lentement goût à ce qu’on appelle la vie. Par un processus assez inexplicable. Comme une chenille qui se transformerait en papillon ou, pour être précise, l’inverse : j’avais la sensation, à mesure que les jours passaient, que mes propres ailes se décomposaient. Enfin, c’est ce que K m’a raconté après coup. K n’est pas médecin, c’est simplement un ami. Un ami d’enfance, d’après ce que j’ai compris. Il était le seul à écouter mes silences. Au fond, il savait ce qu’un tel mutisme pouvait signifier. Les hommes ont parfois des intuitions extraordinaires. C’est ce que je me suis dit. Rétrospectivement, elles pourraient vous arracher des larmes. Mais je m’égare dès qu’il s’agit de parler de K. Je me mets à dire n’importe quoi, j’exagère ses gestes, ses intentions et ses paroles. C’est comme si je ne pouvais pas encore en parler avec suffisamment de clarté et de distance. Pas encore. Pas de cette manière-là. Je veux toujours aller trop vite. Impatiente !
D’ailleurs, j’écris K par facilité. Son vrai prénom est Camille. Son nom de famille sonne bien et je n’ai jamais connu personne d’autre qui le portait. Mais je ne préfère pas l’écrire pour l’instant. Figurez-vous que c’est aussi le nom que j’ai choisi de porter pour me cacher. Je ne voudrais pas impliquer ses proches. Je ne voudrais pas non plus que certaines personnes se reconnaissent. En fait, si j’y pense un peu sérieusement, je ne voudrais impliquer personne.
Maintenant seulement, je commence à comprendre ce que je vais devoir accomplir. Je le comprends bien plus précisément qu’au début. Quelque chose a décanté. Il a fallu du temps. N’oublie pas de boire de l’eau, dit toujours K. Il faut nourrir le cycle de l’eau. Toute cette eau que j’ai bue a dû sédimenter dans mes estuaires et aider à dénouer des choses. À liquéfier les caillots de sang, à accompagner les poussées de sève. J’ai des phrases entières qui me reviennent, comme des guirlandes surgies d’un passé où j’étais continuellement allongée. À moins que ce passé n’existe pas, lui non plus ? Je finis par douter de tout. Comme si l’eau que j’avais bue était allée chercher ces phrases d’une façon ou d’une autre au fond d’une nappe phréatique. Essayez d’être sous mes mains, mademoiselle, s’il vous plaît, concentrez-vous sur cette partie de votre corps que je touche. Si vous voulez que je vous soutienne, il faut que vous lâchiez du lest. Ce sont des phrases que me répétait un médecin à l’hôpital. Peut-être un kiné ? Un médecin pas tout à fait comme les autres. Ou bien K lui-même. Je ne sais plus. K est tout à fait capable de dire des choses pareilles. Ce garçon est surprenant.
Je dois commencer par rassembler mes forces et ranger mes affaires. Oui. C’est ce que je me répète tous les jours, alors que je reste allongée la plupart du temps à regarder alternativement par la fenêtre le ciel rompu de cendre et le contenu nauséeux des étagères de la bibliothèque. Je dois rassembler mes forces et ranger mes affaires avant de pouvoir retrouver un à un mes souvenirs. Les pêcher, les compter et les classer par ordre chronologique. Dans mon cas, il faut être le plus pragmatique possible. Forcez-vous la main, bon sang, n’écoutez personne, levez-vous et faites ce que vous avez à faire, dites-vous que vous vous fichez bien d’échouer ou d’être encore prise pour une folle. C’est effrayant. Tellement décourageant de constater que, même quand je fais tout mon possible, j’échoue lamentablement.
Combien de temps suis-je demeurée étendue ici, chez moi, à attendre ? Plusieurs mois, d’après K. Une saison entière ? J’ai perdu des lambeaux entiers de mes souvenirs. Pour être précise, car c’est ce que demandent avec acharnement les médecins, je ne sais plus qui je suis ni d’où je viens (j’ai vaguement l’image d’un désert entouré de vitres), ni ce qu’il m’est arrivé les trente-trois dernières années : c’est mon âge, si j’en crois K à qui je l’ai demandé, mais je ne veux pas savoir mon prénom, ai-je ajouté tout de suite, en levant les mains, je veux le retrouver toute seule. C’est comme si de la robe que je portais jadis, il ne restait plus que les coutures. Tous les pans ont été arrachés un à un par des bêtes sanguinaires qui ressemblent étrangement à des hommes, et les fils pendent bêtement, attendant qu’on les noue ensemble. En dessous, ma peau est pleine d’eczéma. On dirait qu’elle est érodée, me dit K, ce qui m’a permis d’apprendre un mot. Tout un peuple de fantômes m’accompagnent jour et nuit mais dès que j’essaie de m’approcher d’un visage, il s’évapore. J’ai perdu aussi une partie de la notion du temps et de l’espace. En revanche, j’ai la mémoire des gestes. Je peux facilement mettre la bouilloire en marche, tirer les rideaux, me brosser les dents, tourner les pages d’un livre, fumer une cigarette, me masturber en pensant à mon kiné.
Je n’ai pas perdu non plus l’usage de la parole, ça non, je sens à certains moments les mots venir me chatouiller le bout de la langue et j’arrive à prononcer de plus en plus de phrases. Ils s’agglutinent et ils tombent de ma bouche d’un jour sur l’autre, par gravité. Pour réapprendre correctement à parler, je cherche leur sens dans le dictionnaire en ligne. Je suis ridicule dans ces moments, si j’en crois le regard de K. Mais je progresse. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, je parlais avec à peine deux ou trois cents mots. Des mots qui avaient une espèce d’arrière-goût d’hôpital et qui me donnaient la nausée. Des mots que l’on écrit à la va-vite sur les ordonnances, si vous voyez ce que je veux dire. Des mots que les visiteurs ou les médecins en chef prononcent en arrivant dans votre chambre et en levant les yeux au ciel. Des mots usés, oppressés, fatigués d’être dans des milliards de bouches à la fois. Maintenant j’en connais presque sept cents. À mesure que je les découvre comme si c’était la première fois, je les note dans un carnet pour ne pas les perdre et je les compte une fois par semaine. Je les classe par thèmes, dans un ordre qui me semble logique, et j’essaie de les faire vivre à ma manière. K me dit qu’il n’y comprend rien. J’ai l’impression que ça m’aidera à me souvenir. Un peu de rigueur ne fait pas de mal. Dans ce domaine, je me trompe peut-être mais je me fais confiance. L’autre jour, tiens, j’ai sorti mon carnet au rayon peinture d’un magasin de bricolage (c’était u
Commenter  J’apprécie          10
Lui a tout oublié. Il ne peut pas savoir que tu es sa mère. Il croit qu'elle est partie. Les médecins disent que les enfants cicatrisent vite. Bien plus vite que nous. Il était petit quand tu as été internée.
page 153
Commenter  J’apprécie          10
Dans ces souvenirs-là... une partie de ta mémoire est détraquée. La mémoire est comme un muscle ... qui peut se détraquer. Tu comprends ? La mémoire s'informe, se condense et s'émeut à notre insu. Elle peut se retourner sur elle-même comme ... une chaussette.
page 120
Commenter  J’apprécie          10
Dans le fond, j'ai repéré tout de suite comme tu es en avance sur nous. Tu es dans un vide conscient, apprivoisé, presque sympathique. Tu es en train de vivre avant nous la fin du monde. Tu comprends ? Les deux problèmes majeurs de notre civilisation sont selon moi l'amnésie et l'anesthésie. Et tu les incarnes à la perfection.
page 98
Commenter  J’apprécie          10
J'avais peur de tout. J'avais peur du dedans et du dehors, des autres, de moi-même, du ciel, des cris d'oiseaux, du vent, des trottoirs, des serrures, de la montée des eaux de la Seine, des frelons asiatiques. Ma peur était cosmique, elle s'étendait, elle remuait, elle avalait ce qui pouvait la dompter. J'avais peur de la peur.
page 94
Commenter  J’apprécie          10
Je t'ai parlé cent fois du Brésil. Les femmes arborent des strings qu'elles font sortir de leurs pantalons, et ce n'est pas considéré comme vulgaire. Mais elles sont aussi soumises que les musulmanes. String et niqab : même combat. Soit dit en passant, je pense même que sous leurs niqabs ces pauvres filles cachent des strings....
C'est une forme de déforestation comme une autre, la soumission de la femme, non ?
page 77
Commenter  J’apprécie          10
la société où nous vivons est en décomposition. Elle va achever de nous réduire en miettes. Je me sens certains soirs comme un reste d'étron qui colle sur le trottoir.
page 40
Commenter  J’apprécie          10
En plus, je prends mon temps, je considère que le temps est un luxe, le dernier luxe que je peux me payer. Je vis ç rebours de ce monde...
page 38
Commenter  J’apprécie          10
Les médecins étaient optimistes sur mon état. Mais les médecins sont comme les abeilles, ils vont disparaître et, pour le coup, ça ne sera pas une grande perte.
page 28
Commenter  J’apprécie          10
L’amour n’est plus qu’une étoffe légère qui se retourne sur elle-même. Qui résiste, qui se déploie sans notre assentiment et qui nous déploie dans ce déploiement même (...). L’amour n’est pas qu’un idéal, il touche le réel du bout des cils, à intervalles très espacés. On peut ainsi réussir à survivre, à ne pas mourir de ne pas aimer. On peut nager dans une vérité liquide comme une crotte de chien ; l’amour résout tout même s’il ne dure qu’une demi-journée.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Louise Browaeys (193)Voir plus

Quiz Voir plus

Artemis Fowl

Comment s'appelle le héros de ce livre?

Nguyen
Butler
Artemis
Mulch

9 questions
60 lecteurs ont répondu
Thème : Artemis Fowl, tome 1 de Eoin ColferCréer un quiz sur cet auteur

{* *}