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Critiques de Lucien Rebatet (34)
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Les Mémoires d'un fasciste (tome 2)

Pour m'exprimer comme René Étiemble je dirai : Rebatet est un salaud mais quel style, quel écrivain !

Pour le reste...

Il est préférable, pour le moins, d'avoir des idées Mussoliniennes pour adhérer à la doctrine diffusée dans cet ouvrage.

Sinon, en restant la tête froide, il faut reconnaître que c'est un très bon livre d'un écrivain qui se hausse au-dessus du troupeau des plumitifs.

Une agréable découverte.
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Les deux étendards

En flânant par-ci par-là sur les blogs et forums littéraires, je suis fréquemment tombé sur Les deux étendards de Rebatet, véritable chef-d'œuvre aux dires de ses admirateurs, qui ne doit le silence qui l'entoure qu'à la réputation sulfureuse de l'écrivain. Auteur d'un pamphlet pro-nazi devenu best-seller en France en 1942, condamné à mort à la Libération, puis gracié de justesse, on peut en effet comprendre qu'il n'ait pas été reçu à bras ouverts par la suite. Comme je sépare facilement une œuvre de la personne qui l'a créée, je me suis lancé, après deux bonnes respirations, dans ce pavé de 1300 pages.



Michel est un jeune homme de vingt ans, fraîchement sorti d'une école religieuse. Son scepticisme s'est développé durant les dernières années de cours, et il laisse tomber toute la religion pour se consacrer à l'art. Il rencontre cependant sur son chemin Régis, amoureux d'Anne-Marie. Les deux tourtereaux choisissent de célébrer leur amour en le sacrifiant, Régis entrant chez les Jésuites, Anne-Marie prenant la direction du couvent. Si Michel raille au début cette curieuse décision, elle lui fait toutefois forte impression. Lui qui n'a connu que des aventures d'un soir jalouse cet amour élevé. À force de fréquenter ses deux amis, il tombe lui aussi amoureux d'Anne-Marie, décide de renier son incroyance et de battre Régis sur le plan de la foi, seule manière d'atteindre le cœur de son aimée.



Soyons franc, le fameux chef-d'œuvre ne m'a pas fait forte impression. J'ai été rebuté d'emblée par le style, que j'ai trouvé horriblement vieillot. L'utilisation de l'argot renforce cette impression : autant il peut être percutant quand il touche le lecteur, autant un argot démodé devient vite embarrassant à lire. De même, l'auteur est probablement très érudit, mais emploie mal ce savoir dans son roman : il nous gratifie de temps en temps de copieux pavés sur la musique, la peinture, la philosophie, la théologie, ... qui brisent totalement le rythme du récit et qui semblent être là uniquement pour épater la galerie.



Je rangerai ce roman au côté de ceux de Bernanos, dans la catégorie « J'ai rien compris ». La foi, le mysticisme, la religion catholique en général ont une grande place dans ce livre. Rebatet n'en fait pas l'apologie et certains passages sont même violemment anticléricaux, mais sans une connaissance solide de ces sujets, on ne saisit pas vraiment ce qu'il se passe. Je me suis retrouvé plusieurs fois la tête entre les mains, à tenter de comprendre pourquoi un personnage passait de la plus grande joie aux pires tourments alors que rien d'important ne s'était passé pour moi. Sans parler de la décision initiale de Régis et d'Anne-Marie, qui m'a laissé dubitatif dès le départ, malgré tous les superlatifs employés pour célébrer la grandeur de leur amour.



Pour résumer, je ne conseillerai Les deux étendards qu'aux lecteurs fortement imprégnés de culture catholique, qui me semblent les seuls à pouvoir apprécier ce roman à sa juste valeur. Les autres risquent de se faire du mal pour rien.
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Les deux étendards

Les deux étendards Lucien Rebatet

L’anté Idiot

Lire Rebatet à 60 ans en 2020 n’est pas comme lire Céline dans les années 70 à 20 ans.

Donc impossible de lire « Les Deux Etendards » sans penser à la position de Rebatet pendant l’occupation. Et la question est : Qu’en transparaît-il dans son roman ?

C’est dans un premier abord, comme pour Celine, le style qui intrigue s’il ne séduit pas. Ils sont à l’opposé, certes, il n’y a pas chez Rebatet le désire de transfigurer l’écrit littéraire, il y a au contraire une jubilation pour un certain classicisme (Proust). Les univers stylistiques des deux auteurs sont très éloignés l’un de l’autre. Mais Rebatet a aussi sa « petite musique ».



On commence et on pense au Grand Maulnes et puis à la mesure de ce long texte, il devient de plus en plus difficile de savoir où on se situe. On lit ce roman et on pense à Stendhal ou à Dostoievski. Un «anté-Idiot» ou une Chartreuse de Lyon.

Des fulgurances traversent ce roman, le lecteur est bousculé d’un extrême à l’autre comme dans un grand huit. (Helter-Skelter) - Le personnage principal nous surprend, nous déçoit, nous ennuie.

Est-ce le fait que ce livre a été publié après la guerre que l’auteur n’a pas voulu faire apparaître son antisémitisme premier ? Où tout simplement, est-il passé à autre chose. La question du christianisme, de l’innocence, de la morale se retrouve ici fortement posée. Il va s’agir de chrétienté, beaucoup de chrétienté. De longs dialogues sont le moyen d’exposer une connaissance profonde de la religion catholique. Le but étant de mettre en exergue toutes ses contradictions, ses roueries, manipulations. On pourrait s’attendre à ce que les juifs soient mis au pilori mais ce n’est pas le cas,.

Par un anti-cléricalisme féroce, la religion est la cible, pas la foi. De longs passages composent une analyse clinique, voire chirurgicale de la religion, de ses fondamentaux, de sa liturgie et de sa pratique. Tout y passe, les évangiles et les exégètes, l’Eglise, les prêtres et les croyants. On est perplexe devant ces ratiocinations et logorrhées, puis on se dit que les personnages ont à peine vingt ans, l’âge des questions et des débats sans fin où le doute fait bon ménage avec les certitudes.

La foi est disséquée (Dostoievski) comme l’amour (Stendhal), assez crument d’ailleurs, l’une comme l’autre ; leurs composants grotesques et absurdes ne sont pas éludés.

L’amour… Au milieux de ce fatras brinquebalant, on y trouve les plus belles pages de littérature, chargée de délicatesse, de sensibilité sans sensiblerie, le je ne sais quoi et le presque rien, l’art de l’évitement, de l’hésitation, de l’angoisse de l’échec, du fiasco (Stendhal encore). Le corps et ses apprets, le corps et ses formes, le corps et ses substances sont décrits avec bienveillance même dans ses aspects les plus triviaux. Le sublime étant évidemment celui de l’être aimé avec l’érotisme le plus trivial, animal mais finalement le plus romantique. Car il s’agit bien aussi de romantisme dans ce roman.

L’amour mais l’amitié quand il est difficile de savoir ce que sont l’un et l’autre, où est la différence. Avec peut-être cette idée que l’amitié serait l’amour sans le corps, sans l’érotisme.

La parole alors se substituerait à la caresse.

Au final, étrange livre dont on ressort quelque peu bousculé et perplexe., parfois ennuyeux, longuement discursif puis traversé de fulgurances éblouissantes. De fait, on continue la lecture en attendant, en espérant la prochaine fulgurance, au détour d’une page, de même que l’on patiente lors de l’ascension lente du chariot du grand huit avec en soi le désir jubilatoire teinté d’angoisse de la sensation promise de la descente à venir.

Ce roman peut générer un rejet absolu comme un sentiment ambigu et on se retrouve comme à la première lecture de Céline. Est-ce dû à une morale actuelle où il est imposé de juger une œuvre à l’aune de la vie de l’auteur . Mais on comprend aussi pourquoi un Camus a pu demander une indulgence pour Rebatet à la libération (qui a été condamné à la peine de mort, puis gracié)

Livre qui laisse des traces, qu’on n’oubliera pas et qui ne se rangera pas dans la bibliothèque de l’oubli. Roman exigeant beaucoup de son lecteur, peut-être hors du temps, désuet ou intemporel, impossible à concevoir en ces temps, mais plombé par le jugement porté sur l’auteur. Au fond le débat est biaisé car on ne devient pas pédophile parce qu’on aura lu Dostoievski et Gide, pas plus qu’on devient antisémite parce qu’on aura lu Céline et Rebatet… Et si finalement, c’était le contraire. l’oeuvre construit l’être. Il est impossible de voir en ce roman une œuvre destructrice, nihiliste ; elle construit une vie, met en exergue une condition humaine, cela n’a rien d’inacceptable, d’insupportable. Elle fouille dans nos propres tourments et nous oblige à réfléchir comme nous même dans un miroir peu flatteur mais au cadre d’or.
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Les deux étendards

Certainement le plus beau livre que j'ai jamais lu !

L'auteur étant en prison pour avoir écrit Les Décombres , il avait en effet du temps devant lui !



Explication du titre c'est un notion des pères Jésuite, les deux étendards de la foi



Ce long livre se déroule à Lyon dans les années 1925



Il est fort, sensuel plein de passion



c'est l'histoire de 3 jeunes gens dont la si belle Anne -Marie



un chef d'oeuvre
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Quatre ans de cinéma (1940-1944)

Lucien Rebatet ? Inconnu au bataillon pour beaucoup, sans doute, voici ce que wikipédia en dit : "Lucien Rebatet, né le 15 novembre 1903 à Moras-en-Valloire, où il est mort le 24 août 1972, est un écrivain, journaliste et critique musical et cinématographique français.

Ayant débuté à l'Action française, il rejoint en 1932 l'hebdomadaire Je suis partout qui se réclame du fascisme et qui devient à partir de 1941 le principal journal collaborationniste et antisémite français sous l'Occupation. En 1942, il publie Les Décombres, féroce pamphlet antisémite. Condamné à mort à la Libération, puis gracié, il reste en prison jusqu'en 1952. Il abandonne alors la polémique, se consacrant à la critique cinématographique et à sa carrière d'écrivain en publiant son œuvre majeure, Les Deux Étendards, en 1951. "

Quatre ans de cinéma regroupe la plupart de ses critiques cinéma entre 1941 et 1944, parus dans je suis partout, qu'il est inutile de présenter. Si Rebatet se caractérise par son antisémitisme viscéral et son indéfectible fidélité au fascisme, il est impossible de ne pas le considérer comme le critique majeur des films de l'Occupation et, assez clairement, par ses prises de position en faveur des "auteurs" de cinéma, de précurseur des Cahiers du Cinéma. Truffaut, lui-même, lui accordait son amitié dans les années 50, en dépit de son passé sulfureux. Le livre, paru en 2009, annoté et présenté par Philippe d'Hugues, est très précieux pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire du cinéma français, en particulier dans cette période sombre de l'Occupation. Le critique François Vinneuil (pseudo de Rebatet) y décortique la majeure partie des films français de l'époque et montre un goût assez sûr pour distinguer le bon grain de l'ivraie. Il soutient notamment Grémillon, Daquin, Autant-Lara et les nouveaux venus comme Clouzot, Becker et Bresson. Mais sa verve se remarque surtout quand il éreinte les navets cultivés durant cette période, et ils sont légion. Sa mauvaise foi est patente quand il s'attaque à Cocteau, par exemple, mais l'une de ses cibles favorites semble bien être le cinéma confectionné pour plaire aux autorités vichystes avec ses thématiques du retour à la terre ou de la famille. Autres dégoûts du critique : les fernandelleries (sic) et les mélodrames larmoyants du genre Le voile bleu. Malgré tout, le lecteur cinéphile ne peut qu'être mal à l'aise quand Vinneuil s'en prend, presque dans chaque article, au cinéma français "enjuivé" des années 30. Et encore, Philippe d'Hugues a censuré ses lignes les plus ignobles voire omis de nous soumettre certains textes consacrés au cinéma nazi comme le tristement célèbre Juif Süss. On évite la nausée, certes, mais le panorama n'est pas complet. Après la lecture du Cinéma français sous l'Occupation de René Chateau, celle de Quatre ans de cinéma permet en tous cas de voir une autre facette du cinéma fabriqué ces années-là. C'est tout de même un grand paradoxe de voir confirmé qu'au moment le plus noir de notre histoire surgirent, au milieu d'oeuvrettes sans intérêt et oubliées pour la plupart, un bon nombre de films de très grande qualité, considérés aujourd'hui parmi les meilleurs du patrimoine français : Les inconnus dans la maison, Les visiteurs du soir, Le voyageur de la Toussaint, Goupi mains-rouges, La main du diable, Le baron fantôme, Les anges du péché, Le corbeau, l'éternel retour, Douce, Pierre et Jean, Le ciel est à vous, La vie de plaisir, etc.
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Le dossier Rebatet

N'en déplaise à la doxa Rebatet tout fasciste qu'il fut était avant tout un immense écrivain.

Fasciste, Rebatet en était un de la pire espèce et il fût sauvé uniquement par lâcheté pour avoir fuit tandis que l'honnête Brasillach était fusillé.

Les Décombres est un témoignage unique sur une page bien sombre de notre histoire et comme il n'y a vraiment pas de quoi en être fier on a préféré regarder ailleurs (ce qui est soit dit en passant le meilleur moyen pour que ca se reproduise) et le livre est mis au ban pendant 50 ans...

La description de Rebatet dans un style très alerte de cette armée d'alcooliques commandée par des canards sans têtes face à l'arrivée des colonnes d'aciers rutilantes est saisissante. Il épingle aussi Maurras avec une description absolument hilarante de la rédaction d'Action Française.

La France de l'époque n'était pas bien belle (contrairement à ce qu'on veut nous faire croire il y avait 100 fois plus d'antisémites que de résistants)... Avec un style bien différent Calaferte fait exactement la même description dans "C'est la guerre".

Il faut saluer l'excellent travail éditorial, les Décombres étant complétés par des textes qui nous valent en particulier la description de l'arrivée Céline à Sigmaringen.

Bien sur ceux qui pensent que d'un côté il y a le bien qui ne produit que des belles choses et le mal qui n'en produit que d'affreuses feront la moue devant ce réquisitoire fasciste.

Ceux qui cherchent avant tout à comprendre (et ceux qui ont le droit de juger car ils ont connu cette époque ont majoritairement défendu Rebatet) plutôt qu'à juger trouveront le magnifique témoignage d'un grand écrivain.
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Les décombres

Journaliste et critique d’art, Lucien Rebatet se trouve en Allemagne au moment de la reprise de la rive droite du Rhin par les armées hitlériennes. Quelques années plus tôt, il avait fait partie des troupes françaises qui occupaient misérablement cette même Rhénanie. Il avait tenu la rubrique musicale puis littérature et cinéma à « L’Action Française », revue royaliste dont la vedette était Charles Maurras. À l’époque, personne ne croit qu’Hitler va réussir à se maintenir au pouvoir bien longtemps. Seul Maurras pressent le danger. Bien informé, Rebatet sait que la France n’est pas militairement en état de combattre efficacement l’Allemagne. Aussi est-il farouchement opposé à une guerre qu’il sait perdue d’avance. L’ennui, c’est qu’il se sent bien seul à prêcher le pacifisme. Même Maurras finit par se ranger du côté des bellicistes. Mobilisé, Rebatet commence la drôle de guerre du côté de Grenoble dans une unité de chasseurs alpins, puis est nommé à Paris dans les services secrets de l’armée avant de rejoindre une unité combattante vite mise en déroute faute de matériel et finalement de voir la fin des hostilités en Dordogne…

Présenté un peu partout comme « pamphlet violemment antisémite », « Les Décombres » n’est pas que cela. En effet, les trois quarts du livre présentent un témoignage assez intéressant sur le monde du journalisme d’avant-guerre. Toute une partie est consacrée à Charles Maurras qui semble avoir énormément déçu Rebatet. Une autre l’est à la drôle de guerre (la condition misérable du bidasse de base est fort bien décrite). Celle consacrée aux services de l’état-major se livrant à des occupations aussi ridicules que byzantines ne l’est pas moins. Quant au tableau du gouvernement de l’Etat Français à Vichy, il n’y a pas plus lamentable de médiocrité d’après l’auteur qui y retrouve nombre de profiteurs, magouilleurs et autres responsables de la débâcle. Pour fuir tous ces personnages qu’il exècre, Rebatet fuit Vichy et regagne Paris rejoindre ses rares amis et les colonnes de « Je suis partout ». Les deux parties violemment anti-sémites en début et fin d’ouvrage sont évidemment les moins intéressantes et même carrément indigestes à la lecture. On peut et on doit faire un détour ! Quant au personnage, même si on peut écouter son témoignage, il reste au bout du compte plutôt antipathique. Personne ne trouve grâce à ses yeux pas plus l’ouvrier du faubourg que la marquise emperlousée, pas plus le Juif que l’Anglais, pas plus le franc-maçon que le curé de campagne, pas plus l’homme politique que le journaliste de la presse capitaliste, pas plus le général que le ministre. Toute cette haine lui revint d’ailleurs en boomerang en 1945 lors de l’Epuration avec une condamnation à mort commuée en travaux forcés à perpétuité. Il suffit de lire cet ouvrage pour comprendre pourquoi.
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Dialogue de « vaincus »

Rebatet et Cousteau, condamnés à mort en 1945 pour collaboration avec l’ennemi en raison de leurs articles parus dans « Je suis partout » ont vu leur peine commuée, par grâce du président Vincent Auriol, en détention à perpétuité. D’abord détenus à Fresnes, fers aux pieds et dans des conditions dignes des bagnes de l’autre siècle, ils se retrouvent ensuite transférés à Clairvaux où leur statut s’améliore nettement en 1950, car les voilà responsables de la comptabilité et chargés de la gestion de la lingerie et de la bibliothèque de la prison, ce qui leur permet d’entamer ces dialogues remarquables par leur liberté de ton, mais aussi par leur cynisme et leur désespérance. Face à face, se retrouvent un Rebatet, pur homme de droite, formé par les Jésuites et détestant au plus haut point l’Église catholique et un Cousteau, frère du célèbre commandant écologiste de « la Calypso », homme de gauche, athée, fasciste assumé et ne se considérant vaincu que par la force des armes. À la fin de la guerre, le premier suivit Pétain, son gouvernement et Céline à Sigmaringen. Le second s’enfuit avec Doriot et ses sbires à Neustadt. Deux lieux où ils furent capturés et ramenés en France.

« Dialogue de vaincus » est un ouvrage assez original traitant de toutes sortes de sujets autant philosophiques, politiques, historiques, théologiques ou autres… Les dialogues sont au nombre de vingt, chacun sur un thème particulier. Au premier abord, le lecteur trouvera une fort longue introduction de 43 pages signée d’un certain Robert Belot, dans laquelle tout est fouillé, analysé, disséqué, décortiqué, explicité à un point tel qu’il risque de ne plus avoir envie de lire la suite. Et il aurait tort, car il raterait un véritable festival d’ironie grinçante et de mauvaise foi mêlée de lucidité désabusée. Ainsi la presse n’est que conformisme et prosternation devant la pensée dominante, même « l’Observateur », dépendant des cocos et des prolos, même « Rivarol », inféodé aux cathos. Seul « Le Crapouillot » trouve un peu grâce à leurs yeux. L’esprit de résistance avant 44 ? Une vaste blague. « Les décombres » de Rebatet s’est vendu à 65 000 exemplaires, « Je suis partout » tirait chaque semaine à 300 000 exemplaires, « la poignée de traitres était quand même assez dense », notent-ils. Cousteau intégra ce journal grâce à l’historien Pierre Gaxotte. Le premier article qu’il proposa fut pour défendre des Noirs injustement accusés du viol de femmes blanches aux USA. Quant à Rebatet, il y entra peu après grâce au coup de piston d’un Juif nommé Levinson. En réalité, on a affaire à deux anars, un de droite et un de gauche, tous deux farouchement anti-cléricaux, anti-nationalistes et européistes convaincus, pensant arriver à l’internationalisme en se plaçant sous la bannière du pire fascisme, du pire nazisme. « La démocratie est un fléau répugnant », dit Cousteau. Au fil des dialogues, un nombre impressionnant de personnages célèbres sont rhabillés pour l’hiver à commencer par « Dudule » (Hitler) qui a perdu, car il n’a même pas été fidèle à ses propres principes, en passant par Churchill, qui avoua lui-même avoir « tué le mauvais cochon » en faisant allusion à l’alliance avec Staline, sans oublier Roosevelt traité comme un boutiquier sans envergure qui abandonna la moitié de l’Europe en laissant un rideau de fer s’abattre sur elle. Seul Staline trouve grâce à leurs yeux car lui ne commit aucune erreur, ne prit jamais de demi-mesures et alla jusqu’au bout dans la liquidation de ses ennemis politiques. Un livre qui garde un certain intérêt surtout à titre de document historique et également pour quelques comparaisons affligeantes avec notre situation actuelle.
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Les Épis mûrs

Si Les Épis mûrs n’est pas le chef-d’œuvre de Lucien Rebatet, qui le présenta lui-même comme un livre de circonstance fruit d’un travail fade, il n’en reste pas moins un riche et passionnant document sur la vie musicale française au début du siècle, et surtout une étrange métaphore biographique. Comme Rebatet, Tarare est né, a vécu et est mort dans l’incompréhension d’autrui. Les deux hommes sont issus de milieux bourgeois et bornés allergiques aux beaux-arts ; ils passent leur jeunesse enfermés dans des internats malsains et traumatisants ; ils découvrent un Paris fascinant et bouillonnant mais sont fauchés par l’Histoire au moment où leur talent allait prendre son envol. Tarare meurt au front et Rebatet se perd dans une politique qui le conduira presque à l’échafaud. Ils n’ont pas la postérité tant espérée dans l’histoire de leur art : le premier meurt dans l’anonymat des tranchées, le second finit dans l’opprobre voué aux proscrits de l’épuration. Paradoxalement, c’est dans leurs disciplines réciproques qu’ils trouvent une certaine postérité. Pierre Tarare, personnage fictif, n’existe que par le roman que Rebatet a écrit à son sujet, il est donc une création authentiquement littéraire. À l’inverse, Rebatet reste un méconnu de la littérature, mais il est considéré comme une autorité atypique dans le monde de la musique. Malgré toutes les irritations qu’elle provoque par sa partialité et ses engagements tranchés, son Histoire de la musique est l’un des ouvrages de ce type les plus répandus avec celle d’Émile Vuillermoz. On peut donc lire Les Épis mûrs comme une justification métaphorique, où le romancier tente d’excuser son passé tumultueux en dessinant le portrait d’un artiste « désaxé » qui s’est perdu dans l’Histoire, et a détruit son talent au lieu de respecter sa mission artistique, qui était celle de la tolérance et de la pure création.
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Le dossier Rebatet

Lucien REBATET, journaliste et écrivain de la 1ère moitié du 20ème siècle, a publié en 1942 LES DECOMBRES, pamphlet fasciste et antisémite. A suivi l’Inédit de Clairvaux, écrit lors de son séjour en prison. Ce livre contient donc ces deux ouvrages, celui d’un vainqueur et celui d’un vaincu ainsi qu’un extrait de l’émission radiophonique Radioscopie, des extraits du procès et de l’instruction de celui-ci.



L’écrivain raconte l’avant seconde guerre mondiale via le spectre du journal fasciste antisémite, anti français, et collaborationniste dont il était rédacteur : JE SUIS PARTOUT « JSP ».

Anti français est un terme qu’il va nuancer. Il est surtout très vindicatif à l’égard de ceux qui ont contraint, les Juifs et les Anglais pour ne pas les nommer, la France à entrer en guerre, mais aussi du gouvernement qu’il estime être à la solde des Anglais. Ces Britanniques qui ont offert les Français aux Allemands en les sacrifiant pour assurer leur propre victoire.

C’est notamment pour cela qu’il pense que l’Allemagne doit gagner puisqu’elle rendra son prestige à la France et finira de la débarrasser du peuple Juif.



Suite à sa mobilisation qui ne va guère durer, Rebatet relate le quotidien des soldats français, la débandade de l’armée avec des recrues inadaptées et inadaptables, des contre-ordres de pseudo chefs incompétents, certains étant parfois eux-mêmes contre la guerre, des missions sans queue ni tête. Egalement des chauffeurs de poids lourds qui n’ont même pas le permis de conduire, désignés parce qu’au moment de partir en mission, on se rend compte qu’il manque un chauffeur et qu’on n’a pas le temps d’en chercher un. Il décrit notamment la compagnie à laquelle il est affecté, la 107ième, cette description fait d’ailleurs penser au film la 7ème compagnie.



Ce documentaire est très intéressant car l’auteur, étant journaliste et très cultivé, s’intéresse au cinéma, à l’art, la peinture notamment, fréquente les politiciens parisiens et nous livre le fonctionnement de tous ces milieux. C’est un témoignage important sur la guerre, la société, la vie de ses citoyens, même s’il faut prendre du recul bien évidemment sur certains propos.

Par exemple, quand l’auteur parle du quotidien sous la domination allemande, elle semblerait presque « douce ». Il semble oublier le couvre-feu, les arrestations, les perquisitions et la délation, entre autres.

Il sera pourtant concerné par les arrestations de certains de ses amis journalistes de JE SUIS PARTOUT, et donc les perquisitions dans son entourage qui l’ont choqué.



Bien évidemment, il déteste les Juifs, les femmes, on notera que le livre est remarquablement bien écrit, beaucoup de vocabulaire, parfois désuet aujourd’hui, n’oublions pas que nous sommes en 1940. Mais dès qu’il parle des Juifs (je n’utiliserai pas l’autre mot dont ils sont affublés) et des femmes, son langage devient vulgaire, parfois sale, je retrouve du Céline. Il fait d’ailleurs de nombreuses références à cet auteur.



Le second ouvrage, L’inédit de Clairvaux, va nous raconter la presque fin de JSP, de nombreuses notes d’un docteur en histoire, Mme VERGEZ-CHAIGNON donnent des précisions sur les écrits, mais apportent également des corrections aux dires de l’auteur qui déforme parfois (souvent !) la réalité. Certaines redondances à noter puisque Clairvaux reprend des faits évoqués dans Les décombres, redondances de l’auteur et explications du docteur en histoire, inutiles si on a lu Les décombres. Je dis bien « si », puisque les deux livres sont indépendants l’un de l’autre.



Livre parfois difficile à lire car l’auteur s’étale sur certains sujets à n’en plus finir.

Je pense qu’un spécialiste de cette partie de l’histoire qui lit ce recueil doit appréhender sous un autre regard les arguments énoncés par l’auteur sur les causes, les conséquences de la guerre et la vie au quotidien.

Je referme ces 1100 pages en ayant appris beaucoup de choses mais je suis contente d’aller retrouver un roman plus léger.

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Le dossier Rebatet

Réédition d'un best seller publié pendant la dernière guerre. Dévastateur, et en même temps fascinant, en tant que document. Chacun jugera du fond... Excellent travail de l'éditeur, "encadrant" le texte d'indispensables informations. Les documents en annexe sont du plus haut intérêt, avec, en prime, le texte de la "Radioscopie" que Jacques Chancel avait consacrée à l'auteur.
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Les deux étendards

Nietzsche, où est ta victoire ?



On prête à François Mitterrand cette formule lapidaire : « Il y a deux sortes d’hommes: ceux qui ont lu Les Deux Etendards, et les autres ». Rares sont ceux aujourd’hui qui ont lu ce chef d’oeuvre réservé aux initiés. La méconnaissance dont il est victime tient essentiellement à la réputation de son auteur, Lucien Rebatet, qui s’est compromis avec le nazisme pendant l’occupation. Une période qui fut celle de la rédaction des Deux Etendards : entamé dans le Paris allemand, poursuivi dans le réduit fasciste de Sigmaringen, le livre fut achevé en prison, où Lucien Rebatet attendait sa condamnation à mort. En dépit de cette aura, ce roman injustement passé sous silence doit être lu d’urgence, et en particulier par les chrétiens. Le titre, Les Deux Etendards, tiré des Exercices spirituels de saint Ignace, annonce une lutte à mort entre deux camps : celui du Christ et celui de Lucifer. Ou plutôt, celui du christianisme, et celui du monde, et de ses plaisirs éphémères.



La rivalité de deux mondes



Le héros du roman, Michel, est un jeune philosophe monté à Paris pour achever ses études. Il est brillant, passionné, nietzschéen. Malgré l’aversion qu’il voue au christianisme de son éducation des Pères, il est resté ami avec Régis, étudiant à Lyon, qui se destine à la prêtrise chez les jésuites. Régis vit un amour merveilleux avec la « frémissante et fière » Anne-Marie. Quant Michel la rencontre, il en tombe follement amoureux. Régis et Anne-Marie, dévots, ont décidé d’entrer en religion, pour sublimer leur amour, sous le regard sceptique mais troublé de Michel. Par admiration et par amitié, il décide de se rapprocher de Dieu.



Cet étonnant trio a une lourde part autobiographique. Michel n’est autre que Lucien Rebatet lui-même. Régis est François Varillon, célèbre intellectuel jésuite (est-ce un pléonasme?), ami de Paul Claudel et père spirituel de René Rémond. Anne-Marie est la poétesse Simone Chevallier. Elle vécu en septembre 1923 une nuit mystique avec François Varillon, et tous deux se promirent d’entrer dans les ordres, en gage de mutuelle fidélité. Cette expérience a eu lieu sur la colline de Brouilly, dans le Beaujolais, où il faut avoir été scout pour comprendre la douceur des clairs des lunes décrite dans le roman. Finalement, les deux amoureux se séparèrent. Simone Chevallier tomba dans un engrenage de débauche, mais nia avoir été la compagne de Lucien Rebatet, comme il le raconte dans Les Deux Etendards. Ordonné prêtre en 1937, Varillon lutta dans la résistance, et contribua à lancer Témoignage chrétien, tandis que Rebatet écrivait son pamphlet fasciste Les Décombres. En 1951, le jésuite demanda la grâce de son ancien ami au président de la République.



Les Deux Etendards est un roman dense, tortueux et enflammé, où le baroque célinien se dispute au classicisme ou au lyrisme. Le rythme est celui des opéras de Wagner, de la poésie de Baudelaire et Rimbaud. On plonge dans une description envoûtante de Lyon, la ville aux deux fleuves, ainsi que dans un éloge de Paris, qui ravira les amoureux de la capitale : « Tu as découvert la notion de province. Il reste à savoir si tu la rumineras sur place, ce qui finira par t’abîmer l’estomac, ou si tu viendras la traiter à Paris. »



Le roman est un chemin de conversion, mû par l’amour et l’amitié. Michel est d’abord désireux d’imiter Régis et Anne-Marie dans leur christianisme : « je me suis senti porté soudain vers un idéal de perfection dont je ne pouvais plus me détourner sans avoir le sentiment de déchoir ». Les trois amis croissent en amitié et en connaissance mutuelle. Mais, au moment de faire le pas dans l’inconnu, Michel refuse de s’abandonner. Il se dérobe à la Grâce. Il préfère sa fierté à l’humilité d’entrer dans la communauté chrétienne, dont il connaît les faiblesses et la pauvreté : « je ne m’abaisserai pas jusqu’à ressembler à ces porcs qu’on veut me donner pour frères ». Il se prend à rêver d’une grande révolution antichrétienne, digne de celle planifiée dans L’Antéchrist de Nietzsche, pour « couper l’humanité entière de ce dieu fini et putride ». Ne pouvant détourner Régis de sa religion, Michel va entreprendre d’amener Anne-Marie à l’apostasie. Il est aidé par la rigidité et la dureté de cœur de son ami, qui rompt avec elle, la laissant dans le désarroi. S’ensuivent de longues et patientes offensives de rhétorique, d’une perversité raffinée : « je suis devenu un maître de mécréance », écrit Michel à un complice. Avec la même méthode que celle de Régis, qui se persuade de la supériorité du christianisme, Michel s’emploie rigoureusement à démonter pierre après pierre la cathédrale bâtie dans l’âme d’Anne-Marie. On retrouve dans ces pointilleuses tirades la critique libérale de la Bible du début du XXe siècle, qui tenta de démontrer l’irrationalité ou la contradiction des Ecritures. L’abandon du christianisme par Anne-Marie coïncide avec son amour pour Michel, qui devient une passion brûlante et sensuelle.



Chef d’oeuvre sur l’amour et la foi, Les Deux Etendards est également un roman sur l’orgueil. Orgueil de Régis, chrétien cérébral, désireux de prouver le bien-fondé, non de sa foi, mais du dogme. Orgueil de Michel, voulant se hisser à la hauteur du christianisme, puis résolu à le détruire. Orgueil d’Anne-Marie, se sentant prête à tout comprendre et à tout supporter. Régis offre un terrible contre-témoignage de sa foi. Il irradie et subjugue par son intelligence et son génie, mais pèche par un manque d’intelligence du cœur, d’humilité et de compassion. Son refus de voir la réalité se poursuit jusqu’à la dernière ligne du roman, et fait de lui un pharisien, jouissant du confort des idées toutes faites.



Lucien Rebatet décrit dans Les Deux Etendards un christianisme caricatural, à l’image de Régis : doctrinal, austère et dogmatique. Pour être compris et assimilé, il nécessite la force du poignet personnelle, qui ne laisse pas de place à la Grâce extérieure. Dieu est dépeint comme un Juge sévère, auquel il faut se soumettre. Tout au long du roman, la quête spirituelle est confinée dans les discussions, les lectures et les débats d’idées. Les personnages prient relativement peu. Les rares messes décrites sont d’hypocrites rendez-vous mondains, qui soulèvent le cœur de Michel. Toute la verve polémique de Rebatet s’y déploie pour fustiger la bourgeoisie, catholique par identité ou convention sociale. Le « qu’en dira-t-on », les médiocrités, la superstition, le calcul d’intérêt de ce milieu ne font l’objet d’aucune concession. Dans ces eaux saumâtres, le chrétien cherche en vain ce qui fait l’essence de sa foi : la rencontre personnelle, non avec le christianisme, mais avec le Christ. La promesse d’amour inconditionnel et unique à tous ceux qui l’acceptent dans leur vie. A un seul moment, Régis l’admet du bout des lèvres : « notre religion, ce n’est pas une doctrine préférable à toutes les autres doctrines : c’est Quelqu’un, c’est le Christ ». Mais cet aveu salutaire est une étincelle, noyée par un flot de religiosité cérébrale. Où la miséricorde ? Où est l’intimité ? Où est le salut ? Pas étonnant que Michel ne s’en détourne.



Finalement, plus que la sensualité de Michel, c’est la froideur affective, désincarnée, légitimée par l’intelligence, de Régis qui va précipiter le refus. « Sagesse de la chair. Perversité de l’esprit. C’est par l’intelligence et l’imagination bien plus que par les sens que le doute pénètre le cœur. », pouvait-on lire dans un article de génie sur la Tactique du diable de C.S. Lewis.L’intransigeance de Régis est un terreau favorable pour le scepticisme, qui n’a aucun mal à prouver que le christianisme nie, bride la vie, empêche l’amour d’éclore.



Les chrétiens sommés de répondre.



On pourrait lire Les deux Etendards comme un triomphe de la critique nietzschéenne du christianisme. Mais ce roman profondément religieux ne lui offre qu’une victoire apparente, car il délivre une vibrante interpellation aux chrétiens : quelle est ta foi ? Pourquoi es-tu chrétien ? Pour un idéal ? Une esthétique ? Une logique philosophique imparable ? La question est d’autant plus brûlante que fleurissent aujourd’hui les cercles et groupes habillant leur cause de christianisme, notamment au nom de la défense des « valeurs chrétiennes ». Ils devraient pourtant savoir que la chrétienté a été faite de gens qui croyaient en Dieu, et non dans les « valeurs chrétiennes ». Le christianisme, ce ne sont pas des idées. C’est une rencontre, et une participation à une relation. Une participation qui doit être cultivée et nourrie.



Les Deux Etendards est un roman transfiguré par l’amour. Il pose cette question centrale : comment aime un chrétien ? Régis refuse de considérer que l’oeuvre de Dieu peut s’accomplir dans dans un amour réel, incarné, et lui préfère sa chimère mystique. Face à cet aveuglement, comment un chrétien ne peut pas se sentir proche de l’amour brûlant de Michel ? Le christianisme ne bride pas le désir, il le purifie, il décentre de soi, il élargit ses horizons. Loin de s’opposer à la vie, il la veut féconde et réellement libre du péché : « Je suis venu pour que vous ayez la vie, et la vie en abondance » (Jn 10, 10).

Les magnifiques pages sensuelles qu’offre le roman de la passion unissant Anne-Marie et Michel ne saurait choquer un chrétien libre d’aimer l’amour et d’aller à la messe, pour répondre à l’opposition faite par Michel Sardou dans sa chanson Les Deux Ecoles. Mais il y a une limite à la passion des deux êtres : c’est un amour sans Dieu, fondé sur la haine de la transcendance. On l’a remplacé par la frénésie, qui transforme un amour sensuel en un amour bestial. Le désir de possession de l’autre mène à la débauche, et à la jalousie, qui provoque la déroute de soi-même : « c’est le jésuite ? », s’inquiète jusqu’au bout Michel, qui n’a jamais pu faire confiance à son amante. On se demande si, en conquérant Anne-Marie, il n’a pas voulu ravir une bannière, une idole, sans chercher savoir qui elle était réellement, sans l’accepter telle qu’elle était. « Tu as cru que j’étais une sorte de princesse », lui écrit-elle amèrement pour signifier son départ. En voulant déraciner Anne-Marie du terreau du christianisme, Michel l’a violenté. Anne-Marie a été sacrifiée dans la rivalité entre deux fanatiques orgueilleux et égoïstes. Lucien Rebatet, pour couronner sa charge nietzschéenne, attribue le désarroi de la jeune fille à la « drogue chrétienne », qui l’empêcherait de vivre : « j’en ai pris une trop forte dose, je ne m’en remettrai jamais ». Pour un chrétien, cette considération n’a aucun sens. L’addiction est une prison de l’esprit, une entrave à la volonté. Le christianisme est une relation librement consentie avec le Christ.



Il est un point commun de Rebatet avec Dostoïevski : parler de Dieu dans son chef d’oeuvre, en dépeignant une conscience hantée par Dieu. Toutefois, les ambassadeurs du christianisme qu’ils mettent en scène s’opposent radicalement. Régis est l’anti-Aliocha, par son arrogance, son orgueil et son manque de douceur et de bonté. « Il ne parle que d’humilité, et c’est lui qui m’écrase de sa vertu », se plaint Anne-Marie. Sa religiosité cérébrale l’empêche de se laisser toucher et rejoindre par les autres. De son côté, Aliocha est humble, il essaie de voir les hommes pour ce qu’ils sont. Face à son frère Ivan, rationaliste acharné, il n’entre pas dans la même logique, en essayant de démontrer pied à pied en quoi le christianisme est meilleur que sa vision du monde. Il dit ce qu’il a dire, et offre sa présence et sa compassion. Pétri par la piété orthodoxe et la « prière du cœur », Aliocha s’abandonne à la douce bonté de Dieu.



Si on ne peut être authentiquement chrétien sans avoir lu Nietzsche, alors il faut que chaque chrétien lise Les Deux Etendards. Ce roman semble vénéneux pour la foi, mais, même au cœur de « l’empire de Pan » de Lucien Rebatet, il est possible de « voir Dieu en toutes choses », ainsi que l’enseigne saint Ignace. En voyage dans les Alpes, Anne-Marie et Michel sont ainsi confondus par la Création, qui parle pour son Créateur : « Peut-on, ici, ne pas se sentir chrétien ? (…) Il regardait avec une hostilité soudaine cette vallée musicale, ce majestueux horizon de glaciers, qui prêchaient encore pour le Nazaréen. L’Elévation sur la montagne, le surnaturel des glaciers : ces ponts-neufs agissaient donc toujours ».



« S’ils se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40) dit Jésus.



Pierre Jova
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Dialogue de « vaincus »

Document historique de premier ordre, ces dialogues heurtent par l'intacte violence des propos de ces deux anciens collaborationnistes. Virulents, vitupérant sans cesse, ne goûtant ni les regrets ni les remords, ces deux anciennes plumes de "Je suis partout" étalent leur fiel autant que leur analyse et leur savoir.

Ainsi faut-il passer au-delà de l'idéologie qui y est contenue pour comprendre ce que ces prisonniers ont à nous dire. Et, au milieu de la fange, jaillissent des fulgurances, où leur pensée, néanmoins précise et claire, met d'accord, même le temps d'une virgule, le plus forcené de leurs opposants.

Un document historique, donc, puisque la parole est laissée à ceux qu'on avait muselés après qu'ils ont vociféré pendant quatre ans.

On ressort de cette lecture en demi-teinte : les échanges sont parfois de savants verbiages pas toujours si éclairants ni limpides, cependant que les captifs développent des points de vue et conceptions originaux.
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Les deux étendards

NO SPOIL

1 300 pages étaient nécessaires pour un livre abordant en profondeur la théologie, la philosophie, la littérature et l’art en général, tout en racontant une belle histoire d’amour.



On suit la réflexion très poussée des jeunes personnages sur tous ces thèmes au fil de leurs dialogues. Ils confrontent leurs avis sur tel auteur, telle œuvre, telle symphonie, sur la religion, le bonheur et la foi ou sur tel mouvement théologique. Les références philosophiques, littéraires et musicales fusent pour faire voyager le lecteur dans les réflexions de personnages mélomanes et philosophes. Leurs avis évoluent, se confrontent et se complètent mutuellement.



La religion et l’amour sont les thèmes principaux de cette œuvre. Régis, le pascalien, et Michel, le nietzschéen, débattent longuement de la religion et de la foi. La religion et ses travers sont attaqués par un Michel perspicace et incisif. La foi et le dogme sont illustrés par la grandeur de Régis. Ce dernier témoigne de l’importance du sacré et de la foi dans la vie d’un homme, tandis que Michel condamne les hypocrisies de la religion.

Le nombre d’auteurs et d’œuvres cités par les personnages pour argumenter leurs points de vue offre au lecteur un cheminement intellectuel intense. Le lecteur partage les doutes et les questionnements de Michel sur la foi et sur l’existence de Dieu, sur l’amour et la condition humaine.



Entre Michel et Régis se trouve la belle Anne-Marie. L’amour entre cette dernière et Régis n’est pas vulgaire ou routinier mais il est beau voire surnaturel. Ces deux jeunes amants prévoient en effet d’entrer plus tard au séminaire et de vivre d’ici-là un amour pur. Néanmoins, Michel tombe également sous le charme irrésistible d’Anne-Marie, mais ne souhaite pas vivre un amour aussi irréprochable avec elle...

Régis montre à Anne-Marie la beauté et la grandeur de la religion mais Michel lui en expose les absurdités. Anne-Marie entrera-t-elle au couvent comme Régis l’en a convaincu? Ou bien suivra-t-elle Michel ?



Il s’agit donc d’un livre magnifique et d’une profondeur intellectuelle et philosophique épatante. Tout lecteur qui se questionne sur l’amour, Dieu et l’art devrait savourer ce livre, s’il pardonne à l’auteur ses quelques répétitions et son vocabulaire parfois difficile.
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Les deux étendards

Peut-on encore lire Lucien Rebatet ? Répondre par la négative serait oublier que le pamphlétaire violemment antisémite des Décombres est aussi l’auteur d’un immense roman, Les Deux Etendards, qui s’inscrit dans la lignée de Balzac, de Stendhal et de Proust. Un chef d’œuvre à redécouvrir.



François Mitterrand eut, dit-on, cette formule : «Il y a deux sortes d'hommes : ceux qui ont lu Les Deux Etendards, et les autres.» On comprend que ce roman ait pu séduire celui qui aimait les livres, les femmes et la France. Tout y est : les interrogations métaphysiques, l'amour fou, la province française aux accents balzaciens, l'entre-deux guerres, la peinture, la musique et la littérature. Et même si l'on peut parfois être irrité par les longs débats théologiques des deux protagonistes, le style alerte entraîne, le lyrisme emporte, l'ironie mordante réjouit.



Chef d'œuvre maudit, ébauché en 1937, commencé en 1941 parallèlement à la rédaction des Décombres et aux articles dans Je suis partout, continué en 1944 lors de la fuite au château de Sigmaringen (où Rebatet côtoie Céline), il est achevé en prison à Fresnes dans le quartier des condamnés à mort, puis à Clairvaux où l'auteur en corrige les épreuves transmises clandestinement par sa femme; c'est l'œuvre d'une vie dans laquelle le romancier transpose des événements vécus. Salué lors de sa parution en 1952 par de nombreux auteurs dont Camus, il resta cependant sans succès, livre tabou occulté par le passé collaborateur de son auteur mais réédité régulièrement par Gallimard.



Michel Croz, jeune provincial ambitieux, fait ses études à Paris et rêve de gloire littéraire. Puis rupture, tournant inattendu : devenu fou amoureux d'Anne-Marie, jeune lyonnaise que lui présente son ami Régis, Michel part vivre dans cette ville pour se rapprocher d'elle. Mais Anne-Marie aime Régis et est aimée de lui. Tout cela serait assez banal si ce n'est qu'il s'agit d'un amour mystique qui lie ces deux amants en Dieu depuis leur nuit d'extase : Régis se destine à la prêtrise et Anne-Marie à la vie religieuse. Michel sublime son amour et le tient secret.



Ce qui fait le charme, la richesse et l'intérêt des Deux Etendards, c'est qu'il contient plusieurs romans, surprenant ainsi le lecteur. Au roman parisien succède le roman de Lyon, au roman d'apprentissage le roman d'amour. Nous parcourons les rues et les quais de la ville avec nos trois héros et devenons familiers de leurs lieux de rendez-vous – rue Créqui, place Antique, café des Alpes...– Nous partageons les émois et les sentiments de Michel, analysés et disséqués dans son monologue intérieur et dans les pages de son journal. Car Les Deux Etendards est bien le roman de l'amour fou, de l'amour sous toutes ses formes. Comme dans Le Rouge et le Noir, l'ambition cède devant la passion. Pour l'amour d'Anne-Marie, Michel renonce à tout : il quitte la ville lumière pour la triste et brumeuse cité provinciale, passe des après-midi à boire de la limonade tiède dans un café minable qu'illumine la présence de la jeune fille, arpente en veston les quais humides et ventés, vit d'expédients, refuse une situation avantageuse dans un journal parisien, frôle la délinquance ; il ne sent pas la faim, il ne sent pas le froid, il vit dans le sublime. Il tente même, lui le mécréant, l'anticlérical, de se convertir, mène une existence ascétique, se plonge dans les textes religieux afin de se rapprocher des deux amants mystiques. Sublimé, idéalisé, l'amour est aussi érotique et sensuel. Le désir est prégnant, l'amour physique décrit sans mièvrerie ni complaisance, avec liberté, comme les personnages le vivent, dans un mélange de fougue, de délicatesse et une pointe de mélancolie.



Par certains aspects héritier des romans du XIXème siècle, Les Deux Etendards appartient cependant bien au XXème. C'est le roman de l'après-guerre, de ce temps où les jeunes hommes pleins d'illusions croient qu'ils vont bâtir un monde nouveau sur les ruines de l'ancien : «On ne penserait, on ne peindrait, on n'écrirait, on n'aimerait plus jamais comme avant. (…) Il était entendu que les valses, les robes à traîne, la musique tonale avaient disparu pour toujours. Chaque saison voyait naître mille peintres, cinq cents compositeurs, cent philosophes inédits, qui balayaient le passé d'un revers de main.» A Paris, dans ces premiers chapitres éblouissants qui évoquent la France des années vingt, nos héros découvrent Wagner et Cézanne, côtoient les surréalistes, s'enthousiasment pour Gide, Proust et Lucien Leuwen. A Lyon, ils passent leurs nuits à débattre théologie, musique et littérature en déambulant place Bellecour.



Mais surtout, échappant au seul contexte, ce roman est un adieu à la jeunesse et aux illusions qui dit l'impossibilité pour les deux jeunes gens d'accéder au monde adulte, d'assumer le passage du rêve à la réalité ; seule solution, le fuir, dans la «jésuitière» ou dans l'érotisme, dans le rêve de l'amour idéal, celui de Dieu ou d'une femme. Le titre, emprunté aux Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola (fondateur de l'ordre des jésuites), fait d'ailleurs référence à cette dualité : méditation sur les deux étendards, celui du Christ ou de Satan.



Le Rebatet polémiste resurgit dans ses violentes diatribes contre les bourgeois lyonnais et les «catholicards», dans son invention verbale et ses formules percutantes . Le Rebatet fasciste affleure parfois dans sa haine de la démocratie et du catholicisme social, dans son mépris du peuple attaché aux «libertés humaines : les 40 heures et le Pernod », même s'il n'épargne pas non plus le bourgeois. Adeptes de l'égotisme stendhalien, ses héros revendiquent l'appartenance à une élite, celle de l'esprit, et ambitionnent de vivre un amour hors du commun qui les distingue du «troupeau».



Si, en plus de mille pages, Rebatet ne nous lasse pas, c'est qu'il imprime du rythme à la narration. Pas de description exhaustive, juste quelques traits insérés au fil de l'action; des ellipses et des ruptures . C’est aussi parce qu'il joue de la variété des formes et des tons et que chaque personnage, même secondaire – confesseur jésuite ou truand corse – fait entendre sa voix particulière. C'est surtout parce que sa maîtrise du style lui permet un registre étendu : concise et efficace, la phrase devient incisive quand s'exerce l'ironie, lyrique quand elle épouse l'enthousiasme juvénile des héros. On passe de la langue classique la plus pure à l'argot des étudiants et aux tournures populaires dans des dialogues particulièrement réussis. Mais toujours, en mélomane averti, il traque la fausse note : « Il fallait que tout fût pesé, que le mot juste vînt chasser la banalité .»



Alors oui, Rebatet est un fasciste assumé, un antisémite obsessionnel jusqu'au délire, mais aussi un très grand romancier. Reste que lire les mille trois cents pages des Deux Etendards demeure un privilège de vacancier, d'insomniaque ou de rentier.





Les Deux Étendards, roman, première parution en 1951, nouvelle édition en un volume en 1991, Collection Blanche Gallimard, 1328 pages.


Lien : http://www.lesheuresperdues...
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Les Épis mûrs

A côté des nauséeuses "Décombres" du même auteur, il y avait cette petite perle qui témoigne d'un styliste de belle facture. Belle idée que cette réédition, relativement récente. A découvrir !
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Les deux étendards

Eblouissant, majestueux, l'expérience littéraire ultime



http://www.denecessitevertu.fr/
Lien : http://www.denecessitevertu...
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Une histoire de la musique : Des origines à n..

La musique et le son c'est la même chose ? Comment les êtres humains ont-ils appris à faire de la musique ? Comment écrit-on la musique ? A l'heure de l'autotune, les ordinateurs remplaceront-ils un jour les instruments .

C'est à toutes ces questions entre autres, que le document Une histoire de la musique pour les enfants, répond en abordant ce vaste sujet de manière thématique. Musique à travers l'histoire, rapport de la musique et de la religion, lien entre la musique et le pouvoir, focus sur les instruments, émotions que provoque la musique, transmission et mise en scène, il y a tant de façons d'aborder ce sujet !

On aime particulièrement :

-la chronologie des inventions à la fin de l'album

- les dessins joyeux de Rosy Blake

-la playlist accessible par QR code pour écouter les morceaux évoqués dans cet album

Une histoire de la musique; Seuil jeunesse
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Les Mémoires d'un fasciste (tome 2)

Malgré son passé pour le moins nauséabond il faut reconnaitre à Rebatet un talent certain d'écriture qui aurait mérité une bien meilleure côte mais les idées et les propos sont tellement outranciers que je préfère m'abstenir. Dans ce livre qui peut être considéré réellement comme ses mémoires plus que "Les décombres" qu'il écrit entre 1940 et 1942 et qui sont un témoignage de son engagement politique de l'époque on découvre ici l'occupation et la défaite nazie côté collaboration. Sans jamais oublier qui était Rebatet et les idées auxquelles il adhérait il faut bien avouer que la lecture est plaisante et quel plaisir devant tant de mauvaise foi affichée par Rebatet qui lorsqu'il écrit ses mémoires en 1970 est parfaitement au courant de la vérité historique.

N'oublions pas non plus qu'il est l'arbre qui cache la forêt et que "Les décombres" se sont vendues à plus de 100 000 exemplaires en 42 et qu' une grande partie des vaincus aux élections du Front populaire en 36 se sont reconnus dans l'itinéraire et les convictions de Rebatet.

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Les Mémoires d'un fasciste/I Les Décombres 1938..

Si j'avais mis des étoiles incontestablement il en aurait mérité 5 pour le style , la langue , le rythme bref pour l'écriture pure mais parce que les idées exposées sont nauséabondes , les propos tenus souvent infâmes il ne mérite qu'un zéro pointé .

Ceci dit il faut reconnaitre que Rebatet avait un énorme talent et que tout du long de ce pavé de 600 pages le lecteur ne s'ennuie jamais . J'ai même souri à plusieurs reprises lorsqu'il évoque sa campagne de France en 39/40 ou ses descriptions du Français moyen face à l'adversité mais sans jamais oublié qui était Rebatet et quelles idées il défendait .

Lecture instructive également sur les moeurs politiques de l'époque même si les traits sont souvent forcés .

Une lecture nécessaire pour mieux appréhender l'esprit de l'époque et essayer de comprendre les motivations de ces gens qui ont vu dans le fascisme un avenir pour leur pays .

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"Les deux étendards" de Lucien Rebatet

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