Citations de Maurice Maeterlinck (296)
Intérieur :
LE VIEILLARD. – On ne sait pas... Et qu'est ce que l'on sait ?... Elle était peut-être de celles qui ne veulent rien dire, et chacun porte en soi plus d'une raison de ne plus vivre... On ne voit pas dans l'âme comme on voit dans cette chambre. Elles sont toutes ainsi... Elles ne disent que des choses banales ; et personne ne se doute de rien... On vit pendant des mois à côté de quelqu’un qui n'est plus de ce monde et dont l'âme ne peut plus s'incliner ; on lui répond sans y songer : et vous voyez ce qui arrive... Elles ont l'air de poupées immobiles, et tant d'événements se passent dans leurs âmes... Elles ne savent pas elles-mêmes ce qu’elles sont... Elle aurait vécu comme vivent les autres... Elle aurait dit jusqu'à sa mort : «Monsieur, Madame, il pleuvra ce matin »
Les pleurs, les souffrances, les blessures ne nous sont salutaires qu'autant qu'ils ne découragent pas notre vie. Ne l'oublions jamais : quelle que soit notre mission sur cette terre, quel que soit le but de nos efforts et de nos espérances, le résultat de nos douleurs et de nos joies, nous sommes avant tout les dépositaires aveugles de la vie. Voilà l'unique chose absolument certaine, voilà le seul point fixe de la morale humaine.
La sagesse et la destinée (1898)
Au fond, qu'est-ce qu'une petite vie ? Nous appelons ainsi une vie qui s'ignore, une vie qui s'épuise sur place entre quatre ou cinq personnages, une vie dont les sentiments, les pensées, les passions, les désirs s'attachent à des objets insignifiants. Mais pour celui qui la regarde, par le fait même qu'il la regarde, toute vie devient grande. Une vie n'est ni grande ni petite en elle-même, elle est regardée plus ou moins grandement, voilà tout.
La sagesse et la destinée (1898)
Le sommeil annule le temps qui n'existe que dans notre imagination. En vous réveillant dans l'obscurité, vous ne savez pas si vous avez dormi dix secondes ou dix heures. Six cents minutes de votre vie vous ont abandonné et se sont écoulées sans que vous en ayez joui, sans que vous en ayez souffert et vous êtes heureux comme si vous veniez de les dérober au destin, au malheur ou à la mort.
La grande porte (1939)
Il y a des choses qu'on ne peut dire qu'en embrassant... parce que les choses les plus profondes et les plus pures peut-être ne sortent pas de l'âme tant qu'un baiser ne les appelle.
"Aglavène et Sélysette" - Pièce de Théâtre.
Nous cachons quelque chose à la plupart des hommes et nous ignorons nous-mêmes ce que nous leur cachons.
Une vérité cachée est ce qui nous fait vivre. Nous sommes ses esclaves inconscients et muets, et nous nous trouvons enchaînés tant qu'elle n'a point paru.
Rien n'est plus triste et plus décevant qu'un chef-d'oeuvre, parce que rien ne montre mieux l'impuissance de l'homme à prendre conscience de sa grandeur et de sa dignité.
MÉLISANDE. Je ne sais pas moi-même ce que c'est... Si je pouvais vous le dire, je vous le dirais... C'est quelque chose qui est plus fort que moi...
GOLAUD. Voyons ; sois raisonnable, Mélisande. - Que veux tu que je fasse ? - Tu n'es plus une enfant. Est-ce moi que tu voudrais quitter ?
MÉLISANDE. Oh ! non, non ; ce n'est pas cela... Je voudrais m'en aller avec vous... C'est ici, que je ne peux plus vivre... Je sens que je ne vivrai plus longtemps...
Acte II, scène II
Chacun donc, dans cet héroïque matriarcat, fait obstinément son devoir au profit de tous, comme si tous n'étaient que lui seul. Le centre de gravité de la conscience et du bonheur n'est pas le même que chez nous. Il n'est pas dans l'individu mais partout où se meut une cellule du tout dont l'individu fait partie. Il en résulte un gouvernement qui est supérieur à tous ceux que l'homme pourra réaliser.
Nous aimerions mieux que tout fût stupide, instinctif, automatique, irresponsable. Un jour nous apprendrons, comme tout ce qui vit avec nous sur ce globe l'a déjà fait, à nous contenter de la vie. Ce sera le dernier idéal, élargi par tous ceux qu'il aura résorbés ; et nous éprouverons peut-être, quand nous saurons nous y prendre, qu'il est suffisant et, en tout cas, aussi grand et moins décevant que la plupart des autres.
Car il faut avant tout sortir, ne fût-ce qu'un instant, de la prison sans portes ni fenêtres.
ARIANE. Ah ! ce n'est pas encore la clarté véritable !... Qu'y a-t-il sous mes mains ?... Est-ce du verre, est-ce du marbre ?... On dirait un vitrail qu'on a couvert de nuit... Mes ongles sot brisés... Où sont-elles, vos quenouilles ?... Sélysette, Mélisande, une quenouille, une pierre !... Un seul de ces cailloux qui sont là par milliers sur le sol !...
Acte II
YGRAINE. [...] Elle est là depuis des années dans son énorme tour, à dévorer les nôtres, sans qu'on ait osé la frapper au visage... Elle est là sur notre âme comme la pierre d'un tombeau et pas un d'entre n'ose étendre le bras... Au temps qu'il y avait ici des hommes, ils avaient peur aussi, et tombaient à plat ventre... Aujourd'hui c'est au tour de la femme... nous verrons... Il est temps qu'on se lève à la fin... On ne sait pas sur quoi repose sa puissance et je ne veux plus vivre à l'ombre de sa tour...
Acte II
YGRAINE. [...] Je me suis dit un jour, tout au fond de mon âme ; - et Dieu lui-même pouvait l'entendre à peine ; je me suis dit un jour que j'allais être heureuse... Il n'en a pas fallu davantage ; et quelque temps après , notre vieux père mourait et nos deux frères disparaissaient sans qu'un seul être humain puisse nous dire où ils sont. Me voici toute seule, avec ma pauvre sœur et toi, mon petit Tintagiles ; et je n'ai pas confiance en l'avenir...
Acte I
« Être heureux , c’est avoir dépassé l’inquiétude du bonheur » .
La plupart des êtres ont le sentiment confus qu’un hasard très précaire, une sorte de membrane transparente, sépare la mort de l’amour, et que l’idée profonde de la nature veut que l’on meure dans le moment où on transmet la vie. C’est probablement cette crainte héréditaire qui donne tant d’importance à l’amour.
Visions
Je vois passer tous mes baisers,
Toutes mes larmes dépensées ;
Je vois passer dans mes pensées
Tous mes baisers désabusés.
C'est des fleurs sans couleur aucune,
Des jets d'eau bleus à l'horizon,
De la lune sur le gazon,
Et des lys fanés dans la lune.
Lasses et lourdes de sommeil,
Je vois sous mes paupières closes,
Les corbeaux au milieu des rosés,
Et les malades au soleil,
Et lent sur mon âme indolente,
L'ennui de ces vagues amours
Luire immobile et pour toujours,
Comme une étoile pâle et lente.
Et puis, arrivé à un certain point de la vie, on ressent plus de joie à dire des choses vraies que des choses frappantes.
Pour résumer le rôle et la situation de la reine, on peut dire qu’elle est le cœur-esclave de la cité dont l’intelligence l’environne. Elle est la souveraine unique, mais aussi la servante royale, la dépositaire captive et la déléguée responsable. Son peuple la sert et la vénère, tout en n’oubliant point que ce n’est pas à sa personne qu’il se soumet, mais à la mission qu’elle remplit et aux destinées qu’elle représente. On aurait bien du mal à trouver une république humaine dont le plan embrasse une portion aussi considérable des désirs de notre planète ; une démocratie où l’indépendance soit en même temps plus parfaite et plus raisonnable, et l’assujettissement plus total et mieux raisonné.