Citations de Maurice Maeterlinck (296)
ARKEL : Je n'en dis rien. Il a fait ce qu'il devait probablement faire. Je suis très vieux et cependant je n'ai pas encore vu clair, un instant, en moi-même; comment voulez-vous que je juge ce que d'autres ont fait ? Je ne suis pas loin du tombeau et je ne parviens pas à me juger moi-même... On se trompe toujours lorsqu'on ne ferme pas les yeux pour pardonner ou pour mieux regarder en soi-même.
La vie est un secret, la mort est la clef qui l'ouvre ; mais celui qui tourne la clef disparaît à jamais dans le secret.
"Le passé est passé", disons-nous ; et cela n'est pas vrai ; le passé est toujours présent.
S'il était privé du silence, l'amour n'aurait ni goût ni parfums éternels.
“il faut que l’homme trouve pour lui-même une possibilité particulière de vie supérieure dans l’humble et inévitable réalité quotidienne.”
Je ne m'approche ici que du silence actif, car il y a un silence passif, qui n'est que le reflet du sommeil, de la mort ou de l'inexistence.
En cette ère nouvelle où nous entrons et où les religions ne répondent plus aux grandes questions de l'humanité, un des problèmes sur quoi l'on s'interroge avec le plus d'inquiétude est celui de la vie d'outre-tombe. Tout finit-il avec la mort ? Y a-t-il une survie imaginable ? Où allons-nous, que devenons-nous ? Qu'est-ce qui nous attend de l'autre côté de l'illusion fragile qu'on appelle l'existence ? A la minute où s'arrête notre coeur, est-ce la matière ou l'esprit qui triomphe, la lumière éternelle ou les ténèbres sans fin qui commencent ?
Comme tout ce qui existe, nous sommes impérissables. Nous ne pouvons concevoir que quelque chose se perde dans l'univers. A côté de l'infini, il est impossible d'imaginer un néant où un atome de matière puisse tomber et s'anéantir. Tout ce qui est sera éternellement, tout est, et il n'est rien qui ne soit point. (L'immortalité, p. 395)
Songeons parfois au grand vaisseau invisible qui porte sur l'éternité nos destinées humaines. Il a, comme les vaisseaux de nos océans limités, ses voiles et son lest. Si l'on craint qu'il roule ou qu'il tangue au sortir de la rade, ce n'est pas une raison pour augmenter le poids du lest en descendant à fond de cale les belles voiles blanches. Elles ne furent pas tissées pour moisir dans l'obscurité à côté des pierres du chemin. Le lest, on en trouve partout ; tous les cailloux du port, tout le sable des plages y est propre. Mais les voiles sont rares et précieuses ; leur place n'est point dans les ténèbres des sentines, mais parmi la lumière des hauts mâts où elles recueilleront les souffles de l'espace. (L'intelligence des fleurs, p. 390)
Moi d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-bien-se-porter... Je ne suis pas le plus joli, mais le plus sérieux... Voici le Bonheur-de-l'air-pur qui est à peu près transparent... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui est vêtu de gris et toujours un peu triste parce qu'on ne le regarde jamais... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est naturellement vêtu de bleu et le Bonheur-de-la-forêt qui, non moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras chaque fois que tu te mettras à la fenêtre...
[La reine] vivra quatre ou cinq ans au lieu de six ou sept semaines. Son abdomen sera deux fois plus long, sa couleur plus dorée et plus claire, et son aiguillon recourbé. Ses yeux ne compteront que huit ou neuf mille facettes au lieu de douze ou treize mille. Son cerveau sera plus étroit, mais ses ovaires deviendront énormes et elle possèdera un organe spécial, la spermathèque, qui la rendra pour ainsi dire hermaphrodite. Elle n'aura aucun des outils d'une vie laborieuse : ni pochettes à sécréter la cire, ni brosses, ni corbeilles pour récolter le pollen. Elle n'aura aucune des habitudes, aucune des passions que nous croyons inhérentes à l'abeille. Elle n'éprouvera ni le désir du soleil ni le besoin de l'espace, et mourra sans avoir visité une fleur.
Ce n'est pas la ruche qu'elles reconnaissent, c'est, à trois ou quatre millimètres près, sa position par rapport aux objets d'alentour. Et ce repérage est si merveilleux, si mathématiquement sûr et si profondément inscrit en leur mémoire, qu'après cinq mois d'hivernage dans une cave obscure, si l'on remet la ruche sur son plateau, mais un peu plus à droite ou à gauche qu'elle n'était, toutes les ouvrières, à leur retour des premières fleurs, aborderont d'un vol imperturbable et rectiligne au point précis qu'elle occupait l'année précédente, et ce ne sera qu'en tâtonnant qu'elles retrouveront enfin la porte déplacée.
Il faut donc que la reine en pondant ait la faculté de reconnaître ou de déterminer le sexe de l'oeuf qu'elle dépose, et de l'approprier à l'alvéole sur lequel elle s'accroupit. Il est rare qu'elle se trompe. Comment fait-elle ? Comment, parmi les myriades d'oeufs que contiennent ses deux ovaires, sépare-t-elle les mâles des femelles, et comment descendent-ils à son gré dans l'oviducte unique ?
Il est d'ailleurs remarquable que les ouvrières évitent toujours de tourner le dos à la reine. Sitôt qu'elle s'approche d'un groupe, toutes s'arrangent de façon à lui présenter invariablement les yeux et les antennes et marchent devant elle à reculons.
Réaumur est le premier [myrmécologue] qui explique pourquoi les femelles ont des ailes qu'elles perdent subitement après l'hymen, alors qu'on était convaincu qu'elles ne leur poussaient que dans la vieillesse, en guise de consolation, afin qu'elles pussent mourir avec plus de dignité.
Les abeilles ignorent si elles mangeront le miel qu'elles récoltent. Nous ignorons également qui profitera de la puissance spirituelle que nous introduisons dans l'univers. Comme elles vont de fleurs en fleurs recueillir plus de miel qu'il n'en faut à elles-mêmes et à leurs enfants, allons aussi de réalités en réalités chercher tout ce qui peut fournir un aliment à cette flamme incompréhensible, afin d'être prêts à tout évènement dans la certitude du devoir accompli. Nourrissons-la de nos sentiments, de nos passions, de tout ce qui se voit, se sent, s'entend, se touche, et de sa propre essence qui est l'idée qu'elle tire des découvertes, des expériences, des observations qu'elle rapporte de tout ce qu'elle visite. Il arrive alors un moment où tout se tourne si naturellement à bien pour un esprit qui s'est soumis à la bonne volonté du devoir réellement humain, que le soupçon même que les efforts où il s'évertue sont peut-être sans but, rend encore plus claire, plus pure, plus désintéressée, plus indépendante et plus noble, l'ardeur de sa recherche.
L'ordinaire et le merveilleux se confondent et se valent quand on les met à leur place véritable au sein de la nature.
Voyez donc l'eurythmie de l'existence humain dans ses mouvements utiles. [...] Ils n'ont pas déplacé une pierre, remué une pelletée de terre pour embellir le paysage; ils ne font pas un pas, ne plantent pas un arbre, ne sèment pas une fleur qui ne soient nécessaires. Tout ce tableau n'est que le résultat involontaire de l'effort de l'homme pour subsister un moment dans la nature, et, cependant, ceux d'entre nous qui n'ont d'autre soucis que d'imaginer ou de créer des spectacles de paix, de grâce ou de pensée profonde, n'ont rien trouvé de plus parfait, et viennent simplement peindre ou décrire ceci quand ils veulent présenter de la beauté ou du bonheur.
[...] tout est triste dans la nature quand on la regarde de près. Il en sera ainsi tant que nous ne saurons pas son secret, ou si elle en a un. Et si nous apprenons un jour qu'elle n'en ait point ou que ce secret soit horrible, alors naîtront d'autres devoirs qui peut-être n'ont pas encore de nom. En attendant, que notre cœur répète s'il le désire : "Cela est triste", mais que notre raison se contente de dire : "Cela est ainsi". Notre devoir de l'heure est de chercher s'il n'y a rien derrière ces tristesses, et pour cela il ne faut pas en détourner les yeux, mais les regarder fixement et les étudier avec autant d'intérêt et de courage que si c'étaient des joies. –Il est juste qu'avant de nous plaindre, qu'avant de juger la nature, nous achevions de l'interroger.
[...] si la vérité toute nue apparait sur le moment moins grande, moins noble, moins intéressante que l'ornement imaginaire qu'on pourrait donner, la faute en est à nous qui ne savons pas encore distinguer le rapport toujours étonnant qu'elle doit avoir à notre être encore ignoré et aux lois de l'univers, et, dans ce cas, ce n'est pas la vérité qui a besoin d'être agrandie et ennoblie, mais notre intelligence.
GRAND-MAMAN TYL.
– Nous sommes toujours là, à attendre une petite visite de ceux qui vivent... Ils viennent si rarement !... La dernière fois que vous êtes venus, voyons, c’était quand donc ?... C’était à la Toussaint, quand la cloche de l’église a tinté...
TYLTYL.
– À la Toussaint ?... Nous ne sommes pas sortis
ce jour-là, car nous étions fort enrhumés...
GRAND-MAMAN TYL.
– Non, mais vous avez pensé à nous...
TYLTYL.
– Oui...
GRAND-MAMAN TYL.
– Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons et nous nous revoyons...
TYLTYL. – Comment, il suffit que...