Citations de Mechtild Borrmann (130)
Et il resurgit soudain, ce petit moment de joie, ce bref embrasement d’allégresse dans sa poitrine. La vie lui voulait du bien. Dans les semaines et les mois qui suivirent, même son rire audacieux réapparut.
Il y a un mot qui revient, toujours le même : bonheur !
Ce mot, qui lui trotte dans la tête depuis des jours, qu'elle décompose, tourne et retourne dans tous les sens, s'est toujours transformé en son contraire, dans sa vie.
Si tu crois que je vais devenir communiste parce que je mange avec eux, je peux te rassurer. Je ne suis toujours pas nazi, et pourtant, ça fait des années que j'ai affaire à vous.
Elle ouvrit. Un type entra, la bousculant au passage, suivi de deux autres. La porte se referma. Elle reconnut les deux qui l'avaient conduite chez Kourach.
- Fais tes bagages ! ordonna le plus petit. Juste ce que tu peux porter.
Elle ne bougea pas. C'était idiot, mais elle était tétanisée par ce "tu".
- Mes enfants, il n'y aura personne avec mes enfants.
- Tu emmènes tes gosses.
Ils lui agitèrent un papier sous le nez. Les lettres se brouillaient devant ses yeux.
... retrait des droits civiques... les biens d'Ilia Vassilievitch Grenko... restitués au peuple... La femme et les enfants à être déportés. Elle lut "Karaganda". Elle n'avait jamais entendu ce nom. (p.69)
Combien de temps restèrent-ils là où la rue passait jadis, sans comprendre ce qu’ils voyaient, il n’aurait pas su le dire. Mais la mère Kröger qui divaguait au milieu des ruines en hurlant le Notre Père, le vieux Kröger qui gémissait inlassablement en invoquant le châtiment de Dieu et Mme Weiser qui restait assise à l’entrée du bunker en berçant dans ses bras le corps sans vie de sa fillette de deux ans, balançant le torse d’avant en arrière en psalmodiant : « Elle dort…elle va bien… elle dort… », cela, il ne l’avait pas oublié. Il se souvenait aussi qu’à l’intérieur de lui, il n’y avait rien. Ni sentiment, ni pensée. Juste cette incompréhension mêlée de stupeur qui le paralysait. (Hanno)
Il n'y a pas que mes doigts, songeait-il. C'est pareil pour mes dents qui mâchent sans nourriture, pour mon estomac vide qui continue de travailler. Il ne reste rien de moi. Ilia Vassilievitch Grenko est devenu un fantôme.
Les ressources humaines dépassent notre imagination. Nous sommes capables d'endurer des choses inimaginables quand nous ne pouvons pas faire autrement. Ce n'est qu'ensuite, quand nous en parlons, quand nous essayons de le traduire en mots, que nous pleurons. Parce que c'est alors seulement que ça devient vrai.
Nous n'avions pas le temps d'avoir du chagrin et je pense parfois que c'est là une des tragédies de cette guerre, et peut-être de toutes les guerre. Quand nous n'avons pas le temps d'être en deuil, nous perdons une dimension de notre humanité.
- Votre père n'aurait jamais dû se lancer dans ces "Si seulement". On ne fait que tourner en rond. Si ceci ou cela s'était passé autrement, ou pas passé du tout... On ne s'en sort plus. Ce qui est arrivé est arrivé, on ne peut plus rien arranger après coup. (...) Quant à ces deux 'vérités' dont vous parlez, ce ne sont pas des vérités. Avec le recul, tout le monde agence les choses comme ça l'arrange pour pouvoir vivre avec. On fait tous ça.
Ce que nous appelons toujours "le destin", n’est pas quelque chose qui arrive comme ça d’en haut, comme on le croirait, mais ce sont bien les mille petites décisions que nous prenons tous les jours et avec lesquelles nous allons dans une direction bien déterminée
Tu n'as pas besoin de cent roubles, mais de cent amis. C'est ce qu'on dit chez nous.
C'était cela la vieillesse. L'âge faisait basculer le temps. On cherchait craintivement à retenir le moment présent tout en espérant qu'il ne serait pas le dernier. Une certaine démesure, une rage de vivre qui n'était plus un désir de vivre davantage, mais se réduisait à la peur de la mort.
Beau moment de lecture faite d'aller retours bien imbriqués entre la narration contemporaine (où l'on pose l'enquête d'ordre journalistique puis d'ordre policière), et les souvenirs de l'époque (où tout s'est noué).
En fait, l'intérêt du livre n'est pas dans l'intrigue policière comme tout polar qui se respecte... même si la fin réserve un vrai rebondissement dans la résolution de l'enquête.
Ce livre restera surtout pour moi une chronique douce-amère d'un groupe de jeunes gens à l'approche du conflit mondial le plus terrible de l'histoire contemporaine, qui va évoluer vers un climat délétère, hostile voire haineux dans lequel l'amitié ou l'amour seront des barrières bien dérisoires.
- Tu as des origines russes, mais tu n'es pas russe. Tu parles et tu penses comme un européen, dit-elle en fronçant les sourcils. Droujba. Tu comprends ?
- L'amitié ?
- Oui l'amitié. L'amitié, c'est important.
Le véritable amour est comme un anneau. Il n’a pas de fin.
Les ressources humaines dépassent notre imagination. Nous sommes capables d’endurer des choses inimaginables quand nous ne pouvons pas faire autrement. Ce n’est qu’ensuite, quand nous en parlons, quand nous essayons de le traduire en mots, que nous pleurons. Parce que c’est alors seulement que ça devient vrai.
Elle fixa pendant de longues secondes et se mordit la lèvre. Comme il avait dit ça crûment! Et il n'avait que quinze ans! Qu'allait-il devenir si la mort était déjà une telle évidence pour lui? Pour tenter de le réconforter, elle posa la main sur sa nuque et l'attira doucement contre sa poitrine. La tête de son fils se nicha au creux de son épaule. Serrés l'un contre l'autre, ils restèrent un long moment sans parler.
On ne peut pas rebrousser chemin après le point de non retour, après ce qu'on voudrait annuler. On peut seulement continuer à avancer.
Il tire une bouffée de sa cigarette sans regarder Anna.
Des doutes l’assaillent. Comment la mémoire fonctionne-t-elle ? A-t-elle fait le tri dans son passé, au fil des années, pour qu’il témoigne de son innocence ? Ces pauses qui la distraient, les ménage-t-elle dans le but d’arrondir les angles et les coins des vieilles images, pour leur donner une allure satisfaisante sur le papier ?