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Critiques de Michel del Castillo (136)
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La religieuse de Madrigal

Au XVIème siècle, l’histoire d’Ana d’Autriche, fille bâtarde de Don Juan, le demi-frère du roi d’Espagne Philippe II.

La petite Anna est enfermée dès sa sixième année au couvent de Madrigal où elle grandit cachée de tous.

Adolescente, elle s’enivre des faits héroïques de Don Sébastien, le téméraire roi du Portugal, disparu sans laisser de traces.

A la veille de prendre définitivement le voile, Ana se cabre, refuse le destin qu’on lui impose malgré elle, proteste, plaide pour sa liberté bafouée, rédigeant même une lettre au Saint-Père dans laquelle elle invoque les droits de sa personne.

Mais aucune voix ne s’élèvera pour la défendre. Enfant illégitime, elle doit être cachée et n’a pas d’autre choix que de se soumettre à l’ordre social.

Une brève éclaircie vient pourtant éclairer sa jeune vie. Un homme mystérieux se présente un jour à la porte du monastère ; il dit s’appeler Gabriel de Espinosa. Nul ne sait d’où il vient mais son allure, son maintien, son élocution trahissent une haute naissance. On prétend même qu’il serait en réalité Don Sébastien, le roi disparu du Portugal, celui-là même dont Ana rêvait lorsqu’elle était enfant.

Entre eux naît une passion aussi soudaine que dévorante.

Mais en ce siècle de convenances, un couple osant s’aimer dans l’enceinte d’un couvent, brave aussi le courroux de l’opinion publique…



C’est une bien jolie histoire que nous conte ici Michel Del Castillo.

L’originalité de cette œuvre intense, portée par une écriture volontairement dépouillée et subtilement poétique, vient de la façon qu’a l’auteur de se démarquer du roman historique traditionnel pour introduire sa propre histoire dans le récit et tenter de saisir la jeune Ana d’Autriche à travers le prisme de ses propres expériences, car lui aussi a connu le sentiment d’abandon et la solitude.

Une fraternité se crée alors avec la jeune fille mise à l’écart, non désirée; fraternité d’orphelin qui partage sa détresse mais aussi sa réclusion forcée. Il parvient ainsi à nous faire approcher leur enfance à tous deux.

De la sorte, c’est sur une partie de sa propre vie qu’il projette la lumière.

Cette dimension autobiographique donne une force particulière au roman qui possède de surcroît un caractère symbolique puisqu’il révèle, dans une société fondée sur les castes, la situation des oubliés de l’Histoire et notamment les femmes.

L’interrogation sur l’identité, thème qui traverse toutes les œuvres de l’auteur, est ici aussi effective, ainsi que les blessures d’enfance et la soif de liberté.



Michel Del Castillo, grand écrivain à la production littéraire immense et souvent primée (Prix Méditerranée 2006 pour « Le Dictionnaire amoureux de l’Espagne ») est, comme il se plait à le souligner, « un enfant des mots » ; un homme dont l’histoire est aussi intense que les fictions qu’il nous donne à lire, un être abandonné qui aurait pu mal tourner s’il n’avait rencontré la littérature et le pouvoir des livres et des mots. Sa vie a été dure et il revient de loin. Son enfance, difficile, est digne d’un roman à rebondissements : chaos de la guerre, franquisme, abandon de la mère, misère des camps d’internement et maison de redressement…Et c’est dans cet enfer qu’il découvre la littérature qui va le sauver de l’indigence.

C’est certainement pour cela que ses œuvres portent en elles une écriture vraie, sincère, en butte contre toutes les idéologies qui enferment les êtres dans les geôles étroites de leur conscience, et révèlent les sentiments authentiques de l’homme qui a connu la souffrance et aspire à un profond besoin de liberté.

En se gardant de toute érudition inutile, l’auteur offre ainsi avec « La religieuse de Madrigal » un beau roman, inspiré et humain.

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L'adieu au siècle

Journal de l’année commandé par Le Seuil, au même titre que celui de 1998 le fut à Philippe Sollers, celui de 2000 à Alain Minc, celui-ci, rédigé par Michel Del Castillo concerne l’année 1999. Au gré des jours, des rencontres, des événements, l’auteur nous relate l’année qui clos le siècle. Il nous livre états d'âme et dialogues culturels, souvenirs personnels et réflexions métaphysiques sous l’éclairage parfois brutal de l’actualité.

En fait, et sous prétexte de la rédaction de ce journal, l’auteur ne cesse d’explorer sa propre histoire. Il mêle sa quête d’identité commencée avec « Tanguy », son premier roman, à l’amour des livres et des mots, à Dostoïevski, à Montaigne, à Dumas…Ce qui ne le dispense pas de commentaires parfois acerbes ou désabusés sur le monde et la manière dont il va.

Plus qu’un banal journal, une « impossible quête ».



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Mamita

Xavier est un très vieil homme. Au terme d’une longue existence, il revisite ses souvenirs et convoque les fantômes qui ont marqué son passé. Il y a Mamita, sa mère si belle et si mystérieuse, dont l’existence fut une longue suite de provocations, de perversités et de crimes. Il y a Marc, son compagnon que la maladie emportât dans une ultime ironie et qu’il ne cesse de pleurer. Souvent en proie à des crises d’angoisse paralysantes, Xavier se réfugie dans la musique pour apaiser ses tourments, alors qu’ils semblent naître de cette musique. « Peut-être est-ce sous le grand piano noir que les terreurs de l’homme avaient pris leurs racines. Parce qu’elle éclairait sans expliquer, la musique laissait dans l’ombre l’impénétrable épaisseur du monde. » (p. 20)

Pianiste émérite et adulé, Xavier décide d’enregistrer l’intégrale de l’œuvre de Chopin. Pour ce faire, il quitte sa maison de Montmartre pour s’installer à Redwoods, sa demeure dans le Vermont. Dans la majestueuse solitude du très bel état américain, il travaille avec concentration à l’étude de l’œuvre du célèbre compositeur. « Il sut qu’il allait désormais se consacrer à l’étude attentive de Chopin. Ce serait sa manière de rejoindre Marc et de répondre à Mamita qui n’avait jamais su résister aux effusions les plus suspectes. » (p. 41) Par la musique, il tente de combler les silences, les non-dits et les incertitudes qui rongent son existence. Alors qu’il pourrait jouir d’une vieillesse bénie par une sérénité bienfaisante, Xavier ne cesse de courir après ses doutes et ses douleurs. « Depuis sa naissance, il était de nulle part, oublié, partie prenante au désordre de sa Mamita. » (p. 110) Ses nouveaux amis, la douce et fine Sarah et le jeune et beau Tim, désespèrent de le voir trouver la paix et fermer enfin la porte du passé.

La musique et le piano sont des composantes fondamentales de la vie de Xavier. « Il l’avait souvent dit d’un ton d’ironique provocation : il était né sous un piano. » (p. 17) Et le piano, c’est ce qui le relie et le ramène depuis toujours à Mamita et à son enfance malmenée des années 1930 à la fin de la seconde guerre mondiale. Xavier se débat dans l’incertitude de ses sentiments et de ses souvenirs. Son enfance espagnole a-t-elle été un traumatisme ? Les fuites éperdues de Marseille à Paris et le retour à Madrid n’ont-ils pas été les meilleurs instants de sa vie, auprès de sa chère Mamita ? Alors que tout le monde s’accorde à dire que cette femme était un monstre, Xavier lui reste indéfectiblement et nourrit toujours pour elle un amour exclusif et dérangeant. À mesure que progressent les réminiscences, le portrait de Mamita se dévoile par couches successives et révèle le visage d’un montre adoré et honni.

La première de couverture présente deux très belles mains blanches sur un piano noir et annonce une femme forcément superbe. La lecture nous fait découvrir une héroïne perverse et exaltée, en rupture avec la société et la morale. Opportuniste et calculatrice, Mamita ne laisse rien au hasard. « Rien, dans cette existence tumultueuse, ne pouvait être attribué à l’inconscience ou à la légèreté. Chaque forfait résultait d’un calcul. » (p. 291) Ses agissements pendant la révolution espagnole de 1936 ou au cours de la seconde guerre mondiale font d’elle une coupable sur tous les fronts. « Mamita était la fleur vénéneuse issue d’une époque corrompue. » (p. 146) Infidèle à ses propres et éphémères convictions, Mamita passe sans cesse d’un camp à l’autre dans le seul but d’assurer sa survie, négligeant l’enfant qu’elle trimballe comme un paquet trop encombrant, jusqu’au jour où elle prend la plus terrible des décisions.

Le roman de Michel Del Castillo est pour le moins dérangeant. L’histoire de cette femme est à la fois fascinant et écœurant. La construction du récit rend à merveille les errements intérieurs de Xavier : les souvenirs se mêlent aux réflexions et aux peurs et l’on est entraîné dans les méandres d’un esprit tourmenté. C’est à la fois bouleversant et terrifiant.


Lien : http://www.desgalipettesentr..
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La vie mentie

Salvador Portal est directeur d'une société de communication. Tout va bien pour lui en apparence mais il souhaite faire des recherches sur sa famille à la suite de l'annonce du suicide de son père. Il part en Espagne pour enquêter. Son père était le fils d'un intellectuel espagnol opposé à Franco et sa mère était d'origine juive allemande.

Quant à Véra, sa grand-mère, elle venait de Berlin et a suivi son mari en Espagne pour échapper aux persécutions nazies. Avec son mari, tué en 1936 dans des circonstances tragiques, elle a vécu un amour passionné, et ce grand-père de légende hante la mémoire familiale.

Salvador va ainsi mettre ses pas dans les traces de sa grand-mère, Véra, et découvrir que sa grand-mère a croisé le chemin du philosophe dissident Unamuno

Un récit captivant qui nous emmène dans l'Espagne des années 30 et dans la France actuelle en butte aux effets de la mondialisation.
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La nuit du décret

Un livre magnifique, sombre et qui dérange. Plus un film sur la police qu'un roman policier.
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Le temps de Franco

livre pour ceux qui aiment aller au dela des légendes que tissent partisans et héritiers de partisans.

la terreur rouge valait bien la terreur noire et la république n'était qu'une façade pour révolutionnaires et contre révolutionnaires a l'intérieur de la révolution.

est on certain que l'auteur puisse se faire entendre aujourdhui?

la nuance et la modération dans l'analyse peuvent elles s'imposer?

le droit à l'oubli est il compatible avec le culte des mémoires?

del castillo sait poser ces questions.au lecteur d'apporter les réponses

au total un beau récit et une place à la méditation
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Mamita

Critique de Pierre Assouline pour le Magazine Littéraire



Ne vous demandez pas si Mamita a des accents autobiographiques : tous les livres de Michel del Castillo sont la sonate de sa vie. C'est une histoire de pianos. Il suffit de les suivre, d'une ville ou d'un pays l'autre, pour reconstituer l'itinéraire du héros. Lorsqu'un piano surgit quelque part, il est derrière, ou dessous, ou à côté. La musique est sa vie. Elle est partout. Même dans les disques et les salles de concert. Et, dans ce roman, en majesté. Diffuse, discrète, permanente, elle n'est pourtant pas centrale. Mamita est au centre de Mamita. On n'en sort pas, et pourquoi en sortirait-on : aujourd'hui, maman est morte... De quoi s'agit-il ? À première vue, des rencontres, des amours et du paquet de névroses de Xavier, pianiste doué qui vient de mettre un point final à ses concerts, à son arrivée dans une Amérique obsédée par le Mal qui rôde, une société en pleine campagne électorale pour les primaires, alors que le camp démocrate hésite encore entre Barack Obama et Hillary Clinton. Il est reçu dans le salon d'une grande dame juive avec laquelle il se lie d'amitié à New York, ville qui ne peut pas susciter de sentiments mais des sensations. Il se rend à Boston pour y enregistrer Le Clavier bien tempéré et une intégrale Chopin. En chemin, la rencontre de l'ingénieur du son avec lequel il est amené à travailler provoque un choc de nature à remuer des effluves d'inexprimé en lui. Tout remonte. Encore que l'amour est construction et le désir est anarchie. Son ami d'autrefois ne prétendait-il pas que les gays étaient « les derniers cathares », parce qu'ils vivaient dans le désordre du pur désir et, purs ou impurs, ils se refusaient à aggraver le malheur du monde en procréant ? C'est peu dire que chaque morceau lui est une madeleine. Monteverdi le ramène immanquablement à son ami Marc, une polonaise de Chopin à son enfance, les arias de Bellini à des réminiscences d'un passé bien enfui et mal enfoui. À une caresse dans le cou. À de doux effluves de lavande. À la délicatesse d'un mouvement des doigts pour se saisir d'une tasse. Après Bach, qui obséda ses années, il se voue désormais à Chopin, avec un soin aussi maniaque pour la précision des enregistrements qu'il déployait pour l'acoustique de ses concerts. Il croit que la perfection en art est de ce monde. Il y a du Glenn Gould en lui, encore que les silhouettes d'Yves Nat et de Dinu Lipatti traversent ces pages. L'auteur réussit remarquablement la peinture de ces séances exténuantes grâce à une familiarité avec la musique aussi ancienne que son compagnonnage avec la littérature. L'une et l'autre lui ont sauvé la vie dans son adolescence puis dans sa jeunesse. Ce qui ne s'oublie pas.

Quoi qu'il dise et quoi qu'il fasse, quel que soit l'air qu'il respire où qu'il soit, l'ombre portée de sa mère le poursuit. Elle et lui dans l'appartement de la grand-mère calle Goya à Madrid. Elle et lui au piano à quatre mains. Elle, vindicative, égotiste, méchante, hargneuse, traître, menteuse, lascive, perverse. Lui, l'opposé. Quand il ose évoquer à table les vraies raisons de la mort d'un de ses anciens amants, la mère répond ainsi au fils : « Tu n'es qu'un petit imbécile !... Que peux-tu comprendre à tout ça ? Tu es un petit Français étriqué, sage, raisonneur, un malheureux pédéraste qui se fait prendre comme une femme. Tu ne sais pas ce qu'est un homme, un vrai, un Espagnol. Et tu viens, la bouche enfarinée, me poser des questions sournoises ? Sache-le, mon petit bonhomme, je n'ai de comptes à rendre à personne, surtout pas à une petite tapette venimeuse. Maintenant, si tu le veux bien, restons-en là. » Elle en est effectivement restée là ; pas lui. Il lui a répondu. La réponse fait un certain nombre de pages rassemblées dans une quarantaine de livres. Depuis Tanguy (1956), Michel del Castillo parvient à creuser le même sillon sans jamais écrire le même livre. D'une fidélité absolue à ses hantises, il se renouvelle pourtant à chaque fois, dans ses romans et ses récits comme dans ses essais, sans jamais rien renier de ses hontes, noyau infracassable de son oeuvre. Sa langue est claire, fluide, classique. Comme le clavier, bien tempérée. Malgré tout, Mamita, comme les précédents, est signé Castillo, et non Janicot. Pas seulement parce que c'est le nom de la mère contre celui du père, choix douloureux entre les deux qui l'ont successivement abandonné - sa mère n'a cessé de l'aimer, de le mépriser, de le gâter, de l'écraser, de la dèche à la magnificence et retour. Castillo plutôt que Janicot parce que c'est l'Espagne de l'exil plutôt que la France. Le fil rouge de son oeuvre, c'est une lettre cachée qui figure en haut de la couverture de tous ses livres depuis un demi-siècle. Son nom d'Espagne, mais de l'autre Espagne. L'Espagne intérieure de ceux du dehors.

Cioran écrit quelque part que la musique nous aide à être un peu mieux malheureux. Il y a de cela chez Michel del Castillo, à condition de remplacer le malheur par la mélancolie face aux ravages d'une enfance dénaturée. Il n'a eu de cesse de s'interroger sur la cruauté de cette femme qui a livré son mari aux Allemands et a abandonné son fils à une solitude monstrueuse après l'avoir marchandé dans l'espoir de mieux s'en tirer à la fin de la guerre, après avoir joué un jeu trouble. Cette femme, qui l'a ballotté pendant toute son enfance, qui n'a jamais cherché à revoir son fils (avant qu'il ne la retrouve par hasard rue des Archives en 1955), qui a même réussi à le déposséder de sa souffrance alors qu'il lui doit tout de même d'avoir passé quatre années d'horreur parmi des délinquants mineurs dans une maison de redressement au lendemain de la guerre, à l'époque la plus sombre du franquisme, il la découvre encore quinze ans après sa mort en creusant au-delà du possible sa complexité. Ne vous demandez pas si ce roman a des accents autobiographiques : tous les livres de Michel del Castillo sont la sonate de sa vie. Louons cet interprète hors pair, car sa sensibilité est déchirante. Ce roman est son dernier enregistrement en date. Faites une place à ce Nocturne intérieur d'un enfant, d'un adolescent et d'un homme dont le voeu le plus cher aura été de se faire accepter.
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Mamita

Critique de Pierre Assouline pour le Magazine Littéraire



Ne vous demandez pas si Mamita a des accents autobiographiques : tous les livres de Michel del Castillo sont la sonate de sa vie. C'est une histoire de pianos. Il suffit de les suivre, d'une ville ou d'un pays l'autre, pour reconstituer l'itinéraire du héros. Lorsqu'un piano surgit quelque part, il est derrière, ou dessous, ou à côté. La musique est sa vie. Elle est partout. Même dans les disques et les salles de concert. Et, dans ce roman, en majesté. Diffuse, discrète, permanente, elle n'est pourtant pas centrale. Mamita est au centre de Mamita. On n'en sort pas, et pourquoi en sortirait-on : aujourd'hui, maman est morte... De quoi s'agit-il ? À première vue, des rencontres, des amours et du paquet de névroses de Xavier, pianiste doué qui vient de mettre un point final à ses concerts, à son arrivée dans une Amérique obsédée par le Mal qui rôde, une société en pleine campagne électorale pour les primaires, alors que le camp démocrate hésite encore entre Barack Obama et Hillary Clinton. Il est reçu dans le salon d'une grande dame juive avec laquelle il se lie d'amitié à New York, ville qui ne peut pas susciter de sentiments mais des sensations. Il se rend à Boston pour y enregistrer Le Clavier bien tempéré et une intégrale Chopin. En chemin, la rencontre de l'ingénieur du son avec lequel il est amené à travailler provoque un choc de nature à remuer des effluves d'inexprimé en lui. Tout remonte. Encore que l'amour est construction et le désir est anarchie. Son ami d'autrefois ne prétendait-il pas que les gays étaient « les derniers cathares », parce qu'ils vivaient dans le désordre du pur désir et, purs ou impurs, ils se refusaient à aggraver le malheur du monde en procréant ? C'est peu dire que chaque morceau lui est une madeleine. Monteverdi le ramène immanquablement à son ami Marc, une polonaise de Chopin à son enfance, les arias de Bellini à des réminiscences d'un passé bien enfui et mal enfoui. À une caresse dans le cou. À de doux effluves de lavande. À la délicatesse d'un mouvement des doigts pour se saisir d'une tasse. Après Bach, qui obséda ses années, il se voue désormais à Chopin, avec un soin aussi maniaque pour la précision des enregistrements qu'il déployait pour l'acoustique de ses concerts. Il croit que la perfection en art est de ce monde. Il y a du Glenn Gould en lui, encore que les silhouettes d'Yves Nat et de Dinu Lipatti traversent ces pages. L'auteur réussit remarquablement la peinture de ces séances exténuantes grâce à une familiarité avec la musique aussi ancienne que son compagnonnage avec la littérature. L'une et l'autre lui ont sauvé la vie dans son adolescence puis dans sa jeunesse. Ce qui ne s'oublie pas.

Quoi qu'il dise et quoi qu'il fasse, quel que soit l'air qu'il respire où qu'il soit, l'ombre portée de sa mère le poursuit. Elle et lui dans l'appartement de la grand-mère calle Goya à Madrid. Elle et lui au piano à quatre mains. Elle, vindicative, égotiste, méchante, hargneuse, traître, menteuse, lascive, perverse. Lui, l'opposé. Quand il ose évoquer à table les vraies raisons de la mort d'un de ses anciens amants, la mère répond ainsi au fils : « Tu n'es qu'un petit imbécile !... Que peux-tu comprendre à tout ça ? Tu es un petit Français étriqué, sage, raisonneur, un malheureux pédéraste qui se fait prendre comme une femme. Tu ne sais pas ce qu'est un homme, un vrai, un Espagnol. Et tu viens, la bouche enfarinée, me poser des questions sournoises ? Sache-le, mon petit bonhomme, je n'ai de comptes à rendre à personne, surtout pas à une petite tapette venimeuse. Maintenant, si tu le veux bien, restons-en là. » Elle en est effectivement restée là ; pas lui. Il lui a répondu. La réponse fait un certain nombre de pages rassemblées dans une quarantaine de livres. Depuis Tanguy (1956), Michel del Castillo parvient à creuser le même sillon sans jamais écrire le même livre. D'une fidélité absolue à ses hantises, il se renouvelle pourtant à chaque fois, dans ses romans et ses récits comme dans ses essais, sans jamais rien renier de ses hontes, noyau infracassable de son oeuvre. Sa langue est claire, fluide, classique. Comme le clavier, bien tempérée. Malgré tout, Mamita, comme les précédents, est signé Castillo, et non Janicot. Pas seulement parce que c'est le nom de la mère contre celui du père, choix douloureux entre les deux qui l'ont successivement abandonné - sa mère n'a cessé de l'aimer, de le mépriser, de le gâter, de l'écraser, de la dèche à la magnificence et retour. Castillo plutôt que Janicot parce que c'est l'Espagne de l'exil plutôt que la France. Le fil rouge de son oeuvre, c'est une lettre cachée qui figure en haut de la couverture de tous ses livres depuis un demi-siècle. Son nom d'Espagne, mais de l'autre Espagne. L'Espagne intérieure de ceux du dehors.

Cioran écrit quelque part que la musique nous aide à être un peu mieux malheureux. Il y a de cela chez Michel del Castillo, à condition de remplacer le malheur par la mélancolie face aux ravages d'une enfance dénaturée. Il n'a eu de cesse de s'interroger sur la cruauté de cette femme qui a livré son mari aux Allemands et a abandonné son fils à une solitude monstrueuse après l'avoir marchandé dans l'espoir de mieux s'en tirer à la fin de la guerre, après avoir joué un jeu trouble. Cette femme, qui l'a ballotté pendant toute son enfance, qui n'a jamais cherché à revoir son fils (avant qu'il ne la retrouve par hasard rue des Archives en 1955), qui a même réussi à le déposséder de sa souffrance alors qu'il lui doit tout de même d'avoir passé quatre années d'horreur parmi des délinquants mineurs dans une maison de redressement au lendemain de la guerre, à l'époque la plus sombre du franquisme, il la découvre encore quinze ans après sa mort en creusant au-delà du possible sa complexité. Ne vous demandez pas si ce roman a des accents autobiographiques : tous les livres de Michel del Castillo sont la sonate de sa vie. Louons cet interprète hors pair, car sa sensibilité est déchirante. Ce roman est son dernier enregistrement en date. Faites une place à ce Nocturne intérieur d'un enfant, d'un adolescent et d'un homme dont le voeu le plus cher aura été de se faire accepter.
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Rue des Archives

Del Castillo nous parle de sa mère, une grande exentrique, pas conventionnelle, jamais responsable, toujours à se justifier. Elle a eu 6 enfants de pères différents, dont deux sont morts en bas âge, et les 4 autres abandonnés, ce qui est le cas de l'auteur, ayant servi de "monnaie d'échange" à 9 ans, en 1942...

Del Castillo mène l'enquête : évoque Aldo, un demi frère, élevé par trois soeurs devotes, qui s'était fait publié chez Julliard, et dont Del Castillo découvre l'existence en lisant son livre et en reconnaissant "sa mère" dans les écrits d'Aldo.

Del Castillo, au moment de la mort de sa mère, va faire le ménage chez elle. Elle vivait recluse, dans une saleté incroyable.

C'est l'histoire d'une femme, toujours en fuite.
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De père français

Le livre aurait pu s'appeler la Nausée comme le livre le suggère ou "grosse mesquinerie" mais ça fait pas très littéraire. Le père de Del Castillo est peu commun : en plus de s'être très peu occupé de femme et enfant, il n'a pas hésité à les dénoncer dans les années 40 pour s'en "débarasser", ne pas compromettre sa position chez Michelin et les faire interner au camp de Rieucros à Mende. C'est pas ce biais là que je connaissait Del Castillo, par contre j'étais loin d'imaginer les circonstances de l'internement.

Le père est bas, mesquin, raciste, imbu de lui même, fuyant d'un bout à l'autre de son existence.
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Colette, une certaine France

Michel del Castillo est habile à vous faire aimer un écrivain, son essai sur Dostoïevski m’avait beaucoup plu, la relecture et l’écoute de Colette m’ont donné envie d’en savoir un peu plus sur elle.

L’image que j’avais gardé était celle de l’enfance campagnarde en Puisaye, le mariage avec Willy qui va s’approprier la paternité du premier « Claudine », le parfum du scandale de Colette nue sur scène et de sa liaison avec Mathilde de Morny, puis la femme assagie et la naissance de l’enfant chéri surnommée Bel Gazou, enfin la notoriété et la vieille dame du Palais Royal.



Ce livre n’est pas une biographie au sens habituel du terme mais plutôt un portrait et comme tout bon portrait il est fidèle mais n’épargne pas les traits gênants.

Michel del Castillo s’intéresse à l’entourage de Colette, à la correspondance de celle-ci et la réalité qu’il nous fait entrevoir est assez éloignée de la légende, « Peu d’auteurs auront travaillé avec autant de persévérance à l’élaboration de leur mythe » dit-il.

Il ne s’agit pas seulement de petits détournements ou de petits arrangements avec la vérité, mais dans bien des circonstances Colette apparaît dure, égoïste et rancunière. Les portraits que fait Michel del Castillo de Willy, de Mathilde de Morny, et surtout de Colette de Jouvenel dite Bel Gazou, sont autant de pierres dans le jardin de Colette. Il s’interroge sur le paradoxe d’une auteure qui chante si bien la nature mais aime surtout la vie mondaine, qui sait magnifiquement parler de Sido mais n’assiste pas aux obsèques de sa mère, qui chante les enfants mais qui ne fut pas une mère exemplaire. Il dit son amour de l’argent, son ingratitude, son ambition balayant tout.

Mais ce portrait est aussi un exercice d’admiration, égoïste Colette ? certes « on n’aura beau l’aimer et tenter de la défendre par tous les moyens, on ne réussira pas à enlever Colette à son égoïsme » mais géniale égoïste ou comme l’appelait François Mauriac une « joyeuse ogresse ».

Michel del Castillo est touché par la quête perpétuelle du paradis de l’enfance de Colette, lui l’enfant meurtri et déchiré par son enfance. Lorsqu’il lit Colette il est emporté « A cet instant une page m’empoigne, me bouleverse par sa cadence exacte, par sa mélodie simple et savante » « Par la magie de cette poésie à la fois simple et raffinée. »

Il aime sa sensualité animale, sa véritable «vocation du bonheur », sa prose est « l’une des plus concrètes, des plus charnelles, avec celle de Montaigne, que la France ait produites »

Il n’aime pas tout dans l’oeuvre de Colette mais « Sido et la Naissance du jour témoignent d'une maîtrise inégalée »

Colette sort de ce portrait habillée d’ombres et de lumière sûrement plus proche de la réalité que dans les biographies idolâtres.

Pour Michel del Castillo « Elle ne prétend à rien d’autre qu’à raconter et à charmer par ses histoires. Elle veut dispenser le plaisir de lire, l’émerveillement et l’émotion, par les moyens les plus simples.(...) Par moments, ce chant nous arrache à nous-mêmes, nous transporte, nous plonge dans une béatitude comblée. »


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Tanguy

L'auteur nous raconte son enfance. Obligé de quitter l'Espagne au moment de la guerre civile, réfugié en France, Tanguy va vivre l'abomination des camps de concentration, l'enfer d'une maison de redressement en Espagne et bien d'autres moments marquants. On ne peut qu'être sensible au parcours de cet enfant malmené par la vie et par les hommes. Un témoignage bouleversant écrit avec sobriété. A découvrir.
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Le temps de Franco

Le premier mot qui vient à l’esprit quand on lit le récit (il ne veut pas parler de biographie) de Michel del Castillo, intitulé Le temps de franco, est « modération ». En effet l’écrivain espagnol, fils d’une mère républicaine ayant subit les affres du franquisme et lui-même opposant au Caudillo, essaie de dresser un portrait du dictateur le plus objectif possible, celui d’un militaire « chimiquement pur » (et non pas un fasciste au sens politique du terme), serviteur absolu de l’Etat, légaliste, engoncé dans les vieux principes conservateurs surannés d’une Espagne traditionnelle à la puissance perdue. Cet homme indécis et peu brillant, qui s’est révélé dans la guerre et les faits d’arme au Maroc, croit incarner l’Espagne à lui seul. C’est pourquoi tout est acceptable, selon lui...
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La religieuse de Madrigal

Après "la cathédrale de la mer", j'ai décidé de rester un peu en Espagne avec Michel del Castillo cette fois.



Quelques temps que je n'avais plus lu, et pourtant j'aime son écriture et particulièrement ses romans historiques (les louves de l'Escurial)



début de lecture :



Dans l'Espagne du Siècle d'or, l'avenir d'Ana de Jésus s'annonce doux et radieux. Héritière légitime de la couronne d'Espagne, elle menace le trône de Philippe II, qui lui intime d'entrer dans les ordres. Au couvent de Madrigal, elle brave l'autorité de l'Église pour rencontrer Gabriel, le roi disparu du Portugal dont elle s'éprend éperdument...



Biographie de l'auteur



Né en 1933, Michel del Castillo quitte très tôt l'Espagne en pleine guerre civile pour la France.



Il est l'auteur d'une œuvre considérable, dont La Nuit du décret, prix Renaudot 1981, et Colette, une certaine France, prix Femina essai 1999. La plupart de ses romans sont disponibles en Points.




Lien : http://mazel-livres.blogspot..
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Les portes du sang

On tourne vite en rond sur le sujet central du livre : Clara del monte, femme sulblime et scandaleuse, espagnole, internée dans le camp de Rieucros.

L'auteur laisse entrevoir une intrigue qui n'apparaît jamais et la lecture devient fastidieuse.
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La nuit du décret

J'en avais entendu parlé

Trop parlé

J'y suis allé tout de même, me méfiant du livre à la "mode"

Et pas regretté !

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