avec Arthur ASSERAF, Guillaume BLANC, Patrick BOUCHERON, Guillaume CALAFAT, Krystel GUALDÉ,
Nadia Yala KISUKIDI, Malika RAHAL, Pierre SINGARAVÉLOU, Sylvie THÉNAULT et Emmanuel LAURENTIN
À l'occasion de la publication de l'ouvrage : Colonisations. Notre histoire dirigé par Pierre Singaravélou (Le Seuil)
Réunissant les meilleurs chercheurs spécialistes des questions coloniales en France et dans le monde, l'ouvrage collectif dirigé par Pierre Singaravélou, entend rendre compte de manière accessible du profond renouveau de la recherche en histoire, dans les sciences humaines et les arts ces trente dernières années.
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On peut m'appeler comme on veut. Ça m'est égal. Je n'aime pas les impératifs. Un nom, c'est une saloperie, qui te force, qui te contraint : on te l'a donné, tu ne peux pas lui échapper ! Échapper à ton père, à ta mère ! À ta famille ! Tu ne peux pas balayer une longue lignée de ancêtres qui ont placé leurs espoirs en toi.
Les Idées ne naissent ni du travail ni de l'étude. Elles ne nécessitent ni lecture ni labeur. Elles surgissent des corps abattus, quand il n'y a plus d'espace pour s'échapper. Elles arrivent, bouleversent l'ordre, ouvrent en grand portes et fenêtres.
Je suis née dans une ville d'Europe. Ces villes ont toutes les mêmes rues, les mêmes architectures, les mêmes haines, les mêmes frousses. Elles grondent sous les pavés, sous les places fleuries et ombragées. Fracassent les avenues bourgeoises et opulentes ; pourrissent dans la lumière des faubourgs. (11)
Personne ne sait comment se termine cette vieille fable. (...). Mais moi, je la connais. Parce que je suis attentive à ce que murmure le monde. Attentive aux cyclones, aux tempêtes. Aux éboulements, aux averses. La surface est couverte de cicatrices. J'entends la rumeur du sous-sol. Les littoraux sont léchés par les marées de sel. La banquise se morcelle, pendant que fondent les neiges. La terre, une nouvelle fois, sera recouverte. Une nouvelle fois, le monde connaîtra la montée des eaux. Et l'orage, devenu fou, nettoiera tout.
La mémoire ne fait rien avec les trous. Soit elle invente, soit elle abandonne. Mais un trou n'est ni une perte, ni un manque. C'est une échappée, le point dans lequel se glisse le récit pour filer ailleurs. Il ne suit pas une ligne, il s'enfonce. Il navigue comme un bateau déchainé, qui s'écrase contre la houle et jaillit de l'autre côté des vagues.
Au coeur des battues et des bagarres, je fis ainsi une étrange expérience, celle de la dissociation. Je n'étais pas une, mais deux. Il y avait ce corps, qui ne réagissait pas toujours, et mon esprit_ alerte, puissant...
Dans ma tête, je gagnais tous les combats.
Rime défendait l'idée que, pour se protéger, il fallait lancer l'attaque et prendre le risque de tout perdre. Accélérer son propre déclin, plutôt que de se laisser écraser. Préserver ce à quoi on tient, c'est parfois avoir le courage de le détruire soi-même.
Je savais qu'il fallait se méfier des mots. Ils donnent le vertige et ce n'est pas bon pour le coeur. Ils entretiennent le chagrin, la douleur au lieu de les apaiser. Les gens heureux rêvent en silence.
Ils avaient refusé de participer au monde et avaient choisi la désertion. Pour résister à la violence, il avait fallu créer d'autres trajectoires, enfanter un autre séjour. Il n'y avait rien à attendre de la société, de l'autre côté de la frontière et, pour trouver la paix, il fallait se glisser dans les espaces d'indistinction. C'est avec "L'Indépendance" que tout avait commencé. Une idée...