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Citations de Nathalie Azoulai (287)


Sur l'étendue de son absence, sa mort ne formera qu'une onde légère qui, à mon insu, anéantira la dernière preuve que j'ai été jeune. Il arrive toujours un moment où plus personne ne croit que vous l'avez été, alors que vous ne cessez de crier que si, que si. (Les photos n'ont jamais servi de preuve, à la différence d'un pas de danse agile et tonique qui soudain fait ressurgir la silhouette du danseur que vous étiez à vingt ans.)
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Les amitiés, c'est comme les crashs aériens, on n'en retrouve pas toujours les boîtes noires...
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Choisir un sujet de recherche, c'est comme choisir un homme, on sait qu'on en prend pour des années.
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Ici, on a plutôt l'impression d'être dans une fabrique, une usine à codeurs, en présence d'une chair à machine disponible jour et nuit. Ce sont bien des soutiers qui œuvrent là, un prolétariat crédule dupe de ses baskets et de des airs décontractés. Tous ces gars survivront-ils à Chat-GPT qui assumera bientôt tout le petit code, le code basique, qui supplantera ces bataillons de petites mains, en mettra certainement beaucoup sur le carreau ?
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Les écrivains écrivent, les codeurs écrivent. Selon les jours, je les vois jouer un morceau à quatre mains, harmonieux, paisible, ou disputer un match enragé. Je vois le codeur plus inspiré que l’écrivain ne le sera jamais, obsessionnel, rivé à son ouvrage, promis à une nuit de feu perpétuelle qui produira des actions utiles au reste de l’humanité. Je vois l’écrivain accepter que son texte se fasse encoder (sertir dans des chaînes de caractères puis traduire, diviser, subdiviser), que ce qu’il soigne et compose devienne sous les doigts du codeur une sorte de logorrhée, de coulée numérique sans odeur ni saveur ni beauté particulière.
On me trouve naïve, trop sensible aux images, aux clichés des films américains, ce à quoi je réponds, mais c’est vous qui ne les voyez pas ces jeunes hommes qui communiquent avec un puits sans fond, outre-monde, au-delà, dark web, outre-tombe, ou avec Dieu, comme les membres fanatiques d’une yeshiva sans fenêtres (où on ne lirait pas mais où on écrirait) qui chercheraient à refonder les écritures pour verrouiller leur dialogue muet, inverser l’ordre des choses, qui sait, que Dieu fasse enfin ce qu’on lui demande. Deus in machina.
(…)
Les gens du pont ne savent pas ce qui se passe dans la soute quand les soutiers, eux, savent bien ce qui se passe sur le pont, mais les soutiers préfèrent rester dans le noir, faire avancer le bateau et laisser les autres deviser sur le paysage. Mais alors si tout le monde est content, quel est le problème ?
Je suis une femme, j’ai plus de cinquante ans, je suis écrivain et je veux apprendre à coder. Mes proches se moquent de moi, me rappellent que je panique au moindre bug. C’est vrai. j’ai toujours peur que la machine chauffe, implose, s’éteigne, et que dans cette extinction, elle emporte ma mémoire, mes textes, qu’elle me laisse en carafe avec des souvenirs foudroyés. C’est un syndrome récent chez moi, je m’attends toujours à ce que quelque chose explose et, quand je suis en voiture, qu’un choc terrible me percute, même sur une route tranquille. Soudain, l’air, le temps se compressent, avec toute mon existence dedans. En quelques secondes, je visualise mon corps qui s’écrase, s’enroule jusqu’à s’étrangler. Par où commencer ?
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Sur l’un des murs de mon bureau, il y a un grand tableau magnétique. Je l’ai installé après avoir vu la série Homeland, mais jusque-là, je n’y ai accroché que des pense-bêtes, des photos de mes filles, des numéros de téléphone que je n’ai jamais composés. J’enlève tout. Je cherche un portrait de Grace Hopper (avec vernis à ongles), je l’imprime et je l’accroche au centre du tableau. Juste à côté, je mets une photo de Boris, puis des images de jeunes hommes entre eux, dans la guerre, le rock, un vestiaire, une boîte, une chambrée, une salle de garde, un bar, une cité.
Je sais bien que je n’ai ni meurtre ni coupable à trouver mais j’ai un mystère à élucider. Je me prends pour Carrie Mathison (l’héroïne de Homeland), j’espère voir à force de regarder. J’adopte des poses de profileur, jambes légèrement écartées, bras croisés, tantôt concentrée tantôt distraite. Son tableau à elle est en liège et je lui envie le geste de punaiser rageusement de nouveaux éléments ; c’est plus vif que de faire glisser des aimants. Plus silencieux aussi.

Les écrivains ont déjà bien à faire comme ça pour ne pas en plus se mêler de technique et de science. Flaubert n’écrit pas sur la machine à vapeur, Proust ne cherche à comprendre ni l’électricité ni le téléphone. J’aime les métiers, j’aime les expertises (sans doute ai-je le sentiment de n’en avoir aucune). J’imagine ma grand-mère débarquer dans une usine de téléviseurs, exiger qu’on lui explique comment ça marche, et menacer de ne pas bouger tant qu’on ne le lui aura pas expliqué. Mais là, c’est différent. Ni la machine à vapeur ni le téléphone ne produisent de signes, aucune de ces inventions ne vient grossir la flotte graphique sur laquelle les humains transportent leur savoir, leur pensée, leur langage. Le code, ce sont des signes sous les signes, du langage avant, sous le langage, proto, infra, méta, comme on voudra. Une écriture qui précède l’écriture. Sous les claviers qui cliquettent, les doigts virtuoses, jaillissent une algèbre véloce, une grammaire multicolore, de vieilles polices de machine à écrire comme d’avant l’ordinateur, des signes de ponctuation, des caractères spéciaux, une langue vivante qui pourtant ne se parle pas. Une écriture qui succède à toutes les écritures au sens où elle les utilise toutes, les mélange, les combine, lettres, chiffres, tout.
On ne dirait pas comme ça mais le code fait la synthèse, c’est la troisième révolution graphique. Des révolutions, il y en a une tous les deux mille ans à peu près : la première invente l’écriture des langues (en – 3300), la deuxième celle de la monnaie frappée en – 620 (les nombres), et la troisième date de 1936, c’est le code qui traduit les lettres en nombres (même si c’est plus compliqué que ça). Tous les deux mille ans, c’est une scansion anthropologique qui balaie tout sur son passage, accroît la civilisation, la propulse en avant.
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Nous nous apprêtons à déjeuner sur la terrasse de notre ami Pierre, nous sommes une dizaine de convives. C’est un beau jour de juin, ensoleillé, pas trop chaud, un jour qui donne envie de vivre longtemps. Un jour qui ressemble à celui vers lequel s’élance Clarissa, l’héroïne de Virginia Woolf, au début de Mrs Dalloway, avec juste ce qu’il faut de fraîcheur à des enfants sur une plage, comme elle dit.
Dans un coin de la terrasse, j’aperçois le fils de Pierre, Boris. Il est attablé devant un ordinateur, casque sur les oreilles. C’est un garçon vif et affable d’habitude, mais là, il nous sourit à peine, ne nous rejoint pas, ne fait même pas mine de vouloir se lever. Je me demande pourquoi il reste sur la terrasse et ne va pas s’enfermer dans une pièce de la maison s’il a tant à faire, mais peut-être qu’il reste là pour avoir juste ce qu’il lui faut de fraîcheur, comme des des enfants sur une plage.
Son père le dédouane. Il nous explique que Boris vient de se réveiller car il a passé la nuit à coder, il ne déjeunera pas avec nous. D’ailleurs, il ne déjeune jamais ces temps-ci. Il avale des barres de céréales et des pommes toute la journée devant son écran. Son clavier doit être tout collant, s’esclaffe Pierre, je n’arrête pas de lui dire d’aller courir, de bouger, mais que voulez-vous ? Il code il code il code. Pierre dit ça sans ponctuation, avec une pointe de fierté.
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while True:
print("All work and no play makes Jack a dull boy.")
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Je révise ma formule, coder coder coder devient coder se tromper coder chercher coder buter coder demander coder trouver
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Elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie... Racine, c'est le supermarché du chagrin d'amour ...
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Primo, dans ma classe, il y avait trop de filles, des filles partout, des filles tout le temps. Avec leurs drames permanents, leurs dialogues maniaques, il m’a dit, je lui ai dit – pourquoi les filles restituent-elles les échanges avec un tel détail quand les garçons les résument ? – leurs allures de grappes sur les marches, les bancs dans la rue, leurs voix aiguës.
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Sa mort a déclenché en moi un vrai siège à l’intérieur duquel le chagrin sinuait à peine. J’ai pensé que c’était l’affairement, toutes ces choses à organiser sous le choc, les membres gourds, l’œil perpétuellement rivé sur tout ce qui avait pu m’échapper : je bougeais, je parlais, mais tout était ralenti, mes pieds étaient pris dans la glace, ça ramait, ça n’avançait pas.
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Mais j’ai lâché Anna Karénine, je l’ai lu avidement jusqu’à la page 350 et je me suis arrêtée tout net. Je n’arrive pas à le reprendre, je ne peux plus lire que la moitié d’un roman épais. J’entends souvent que les gens n’ont plus le temps pour ça mais si on fait le calcul, ils passent des heures devant des séries, à commencer par moi qui cède à ce loisir paresseux. C’est une question de cerveau, pas de temps, et de motivation, comme si l’idée que les romans ne disent plus le monde s’installait dans nos esprits. C’est une malédiction car le désir d’écrire, lui, ne disparaît pas et augmente même avec l’espérance de vie (après la retraite, les gens ont du temps pour ça). Mais la littérature, elle, a peut-être l’avenir d’un artisanat très rare comme la glyptique ou la plumasserie, bonne à ne plus fournir qu’une clientèle triée sur e volet. Si au moins elle avait le savoir-faire des luthiers, indémodable, indispensable et modeste, mais non, même pas.
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Big Data est une masse volumineuse et véloce. Si elle se composait de livres, elle napperait tout le territoire américain et grimperait sur cinquante-deux étages. Si elle se composait de CD, on en verrait cinq colonnes monter jusqu’à la Lune. Certains parlent du déluge de données face auquel il faut dresser une arche, au moins le savoir-faire d’un Noé ou d’un Thésée pour frayer son chemin, contrer cette manne, qu’elle ne nous engloutisse pas, ne devienne pas notre châtiment suprême.
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– Python, ajoute-t-elle, s’écrit très rapidement, c’est un atout. En revanche, il s’exécute un peu moins vite que d’autres langages. Il faut toujours arbitrer entre le temps d’écriture et le temps d’exécution.
Cette idée d’exécution me plonge dans des abîmes de réflexion. Qu’un signe produise autre chose que du sens, je n’en reviens toujours pas, même si évidemment je pense aux notes d’une partition qu’on exécute. Et la langue courante ? Et si la littérature s’exécutait, que se passerait-il ? Tous les livres prendraient vie, nous deviendrions les personnages, leurs histoires contamineraient nos existences. La poésie s’exécuterait plus vite que la peinture. La Terre serait instantanément bleue comme une orange. La question du temps m’épate, le code court après la vitesse, pour qu’entre le signe et ce qu’il produit, l’intervalle se réduise, disparaisse, n’existe pas, running code, disent les Anglo-Saxons.
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Si la grammaire est l’art de parler, le code est l’art de programmer, et programmer, l’art d’expliquer ses pensées à la machine par des signes que les hommes ont inventés à ce dessein…
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Dans l’iPhone 13, par exemple, 15 milliards de transistors font des billions de calculs par seconde.
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Quand je l’écoute, je vois du code pousser sous toutes les surfaces du monde, le menu, la table, les banquettes, le zinc, le percolateur, la caisse, le feu rouge à l’extérieur. Le sol devient surface de verre sous laquelle j’aperçois les lignes de code. Je me figure des masses touffues, velues, qui chaque fois que je soulève une chose, une action quotidienne, acheter un billet de train ou une place de théâtre, prolifèrent sous la pierre comme des mousses, des fourmis. Je fais une expérience mentale, je supprime le code comme on éteindrait l’électricité dans le monde entier et tout plonge dans le noir, la faim, le froid. Rien de bucolique ne se profile, aucune vision champêtre, seulement la guerre, la désolation, l’apocalypse.
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Je recommence à lire des blogs [sur le code]. La plupart sont écrits dans un mauvais français, bourrés de fautes, de t et de s mal placés. On peut soutenir une activité cérébrale intense et être illettré. Évidemment, mais au lieu de le déplorer, j’y vois une sorte d’état de fait, comme si les codeurs avaient admis que le langage humain était devenu secondaire. Ils ne font même pas semblant, n’accordent plus rien convenablement, laissent la langue partir à vau-l’eau tandis que l’autre langue, celle qu’ils pratiquent, elle, ne souffre aucune entorse, aucune inexactitude, pas la moindre petite virgule mal placée. Et ça ne dérange personne, même pas moi à vrai dire. Nos deux illettrismes se regardent en chiens de faïence.
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Il y a du beau code et du code moche, poursuit- elle. II n'y a qu'à regarder, tu prends plusieurs codes du même programme et tu en compares les masses, le nombre de lignes, les indentations, les symétries, le dessin général à l'écran. On distingue tout de suite ce qui est élégant, économe, de ce qui est verbeux, boursouflé, sur- chargé.
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