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Critiques de Oliver Rohe (39)
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Boulevard de Yougoslavie

J'ai habité ce quartier une quinzaine d'années dans les années 60-70. J'espérais trouver dans ce livre une monographie historique et sociale du quartier, de ses évolutions, de sa population. Or il n'y a même pas un portrait complet de la zone du Blosne lors de l'écriture du livre. Seulement des touches pointillistes guère éclairantes et aucune peinture d'ensemble. Sur l'évolution du quartier, quelques observations très generales, qu'on peut faire mutatis mutandis pour tous ceux qui ont été édifiés à la même époque. Mais aucun effort de les contextualiser dans le cadre de ce quartier précis sur lequel nous n'appartenons rien. Rien ? Enfin si : le projet de l'auteur a été retoqué et il est vexé. Il n'ose pas traiter les habitants d'imbéciles mais le coeur y est.

Ce qui est dommage, c'est que l'auteur juge aussi inutile de nous présenter son projet. Peut-être ne serions nous pas capables de les apprécier à leur juste valeur. Parce que quand même les conceptions architecturales de l'auteur sont un peu inquiétantes. Il loue Le Corbusier à longueur de pages, allant jusqu'à défendre son fameux projet de rénovation de Paris au début des années 50 : démolition totale de la ville et construction de quelques dizaines de gratte-ciels à la place.

On se dit que finalement les habitants du Blosne ont peut-être eu quelques bonnes raisons de chahuter l'architecte.

Mais l'auteur a trouvé la solution pour retomber sur ses pieds : ce n'est pas son projet qui est mauvais ce sont les habitants du quartier qui ne sont pas les bons. Parce qu'il y a, nous dit-on, deux catégories d'habitants au Blosne : les mauvais, des Blancs petits-bourgeois ; ce sont eux qui ont participé à l'enquête et qui n'ont pas aimé le projet. Par stupidité et égoïsme. Et les bons habitants, les immigrés. Eux, ils auraient peut-être aimé le projet, sait-on jamais ? Mais ils ne sont pas venus donner leur avis. Parce qu'ils n'ont pas osé. A cause des Blancs. Sûrement. En tout cas, si le peuple vote mal, il faut changer de peuple. Après quoi l'architecte part en mission auprès des habitants (les bons, bien sûr) afin de recueillir leur parole. Ça n'a plus rien à voir avec l'urbanisme ni avec la structure et le fonctionnement du quartier. Parce qu'en réalité, cela transparait dans les interviews, ils se foutent complètement des projets de réaménagement.

Donc, finalement, c'est vrai, ils ne sont pas contre. Mais le réaménagement, on en parle à peine. A la place, l'auteur expose ses vues sur la société. Et on a déjà lu ça mille fois. C'est toujours le même tissu d'apitoiements et d'indignations convenus, la même stigmatisation de l'égoïsme de notre société. Bref, pour moi, ça devient très emmerdant. Alors j'ai arrêté ma lecture. Mon lecteur le plus distrait a sans doute déjà compris que l'architecte ne m'est guère sympathique. C'est vrai. Outre ce que je lui ai déjà reproché, il fait preuve d'une belle hypocrisie : l'intraitable disciple de le Corbusier nous révèle que son cabinet se situe dans un immeuble mi-modern style mi-art déco du centre- ville. Selon lui, cet immeuble est immonde, mais si on voulait le démolir, la coalition des conservateurs de tout poil monterait sur les barricades. Mais au fait...qui donc contraint ce malheureux à garder ses bureaux à un endroit qui le fait tant souffrir dans sa pureté architecturale?

Ce sera mon mot de la fin.

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Un peuple en petit

Ce peuple en petit (Gallimard, 2009) se présente en une trinité, trois voix juxtaposées aux points de convergences trompeurs mais qui crée une image durable du chaos fragile et tragicomique de la vie humaine.



Le premier personnage, dominant le récit, est celui de Karl, un acteur de théâtre allemand revenu dans sa ville natale de Bochum, pour y interpréter le rôle principal de la «Mort d’un Commis voyageur». Cet acteur au sommet de sa gloire, mais au corps vieillissant gagné par des dysfonctionnements de plus en plus nombreux, est rattrapé dans ce lieu – Bochum - par tous ses souvenirs, et en particulier ceux de son père haineux, lui aussi malade et cloué dans un fauteuil roulant à la fin de sa vie, et ceux de son beau-père, un notable viennois exécré de sa fille, lignée paternelle haïssable qu’il reproduit lui-même vis-à-vis de son beau-fils et peinture monstrueuse de la famille comme lieu d’étouffement gangrené par les heures les plus sombres de l’Histoire allemande et autrichienne, qui résonne de l’écho des textes de Thomas Bernhard.



«En sortant de la gare en début de matinée, sous la bruine, la tête chargée des bribes de conversations entendues tout au long du trajet, dans la fraîcheur, les muscles encore engourdis complètement froissés, le corps en réalité tout entier dans le cul, j’ai été lourdement frappé, comme étourdi en même temps que fasciné, par la laideur chaque fois plus surprenante de la ville. Le mot ville me semble d’ailleurs largement usurpé tant l’architecture du lieu, les plans qui ont présidé à sa fondation, l’espèce de haine du goût dont il s’imprègne, me font davantage penser à une benne à ordures. Une benne à ordures en brique rouge, en métal, en verre fumé – et remplie à ras bord d’ouvriers au chômage. Dans nulle autre région d’Allemagne, dans nulle autre ville de la Ruhr, les crimes de nos parents, et la reconstruction précipitée qui les a suivis, se font autant sentir – avec autant de preuves, autant d’éclat. Dans cette ceinture industrielle en décrépitude, autrefois poumon minier du pays, se sont joués à deux reprises, avec un scénario identique, un aboutissement identique, tous les drames de l’Allemagne moderne : l’armement massif, la destruction massive, la reconstruction, le chômage massif. Au milieu de la scène, comme rescapée d’une catastrophe naturelle, le visage ahuri après tant d’humiliations, après tant de ferveur fanatique, survit chichement une population de petites gens hagards, voûtés et depuis toujours piétinés au nom de la grandeur de l’Allemagne ; grandeur qui a tour à tour et sans véritable transition porté le nom de nazisme puis celui de miracle économique.»



Puis il y a la voix d’un fils, avec une narration centrée autour des dates : du 3 janvier 1979 au 5 février 1989, il grandit tant bien que mal pendant ces dix années au milieu des horreurs d’une guerre, dans un pays qui ne sera pas nommé, où les activités et loisirs quotidiens sont interrompus, inévitablement, par le chaos imprévisible et incompréhensible, les déménagements forcés et la violence inique.



«Réveil une fois de plus tonique bombardements drus font tanguer les bagnoles. Vingt trente quarante obus de divers calibres pour planter le décor rappeler leur quotidien à tous. Le quotidien de tous c’est le bruit qui avance par paliers par sauts quantitatifs du lointain monstrueux à l’immédiat inaudible. L’attente l’effroi la panique. Le quotidien c’est le vacillement des structures la pierre qui se soumet les éclatements de verre la distribution aveugle des débris. Le quotidien c’est la certitude informulée que le plafond lui-même est une menace.»



Entre les deux est un esprit insane, un homme anonyme à Paris – appelé simplement le Personnage Deux - en proie à des histoires de voisinage étranges, obnubilé par les araignées qui peuplent son plafond et surtout par le langage et ce que veulent dire les mots - un homme qui doute du sens de chaque mot, et du réel lui-même.



L’exercice formel est un peu trop visible, mais la force de la langue d’Oliver Rohe fait naître une vision d’un monde où tout peut s’écrouler, une vision d’une clarté aveuglante sur ce que les rapports humains peuvent comporter d’abjection, de solitude mais aussi de drôlerie, et sur toutes les ressources qui jaillissent du langage.



«Il est très facile de passer – certains diront tuer – une journée en se contentant d’observer le plafond. Le plafond déploie une vie mondaine très riche […] Ce sont des moments privilégiés où il est possible de vérifier l’étendue de son vocabulaire, de mettre en relation les mots et les objets, voire d’interroger l’arbitraire de leur union.»



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Boulevard de Yougoslavie

Ce livre est venu à ma rencontre par hasard sur l'étagère de ma librairie... La couverture m'avait attirée ainsi que l'éditeur que j'apprécie beaucoup... Et lorsque j'ai lu la quatrième de couverture, je n'avais plus le choix, il fallait que je le lise !

Ce livre est issu d'une résidence de 3 auteurs pendant 4 années dans le quartier du Blosne en ZUP sud de Rennes où j'ai grandi. J'y ai retrouvé les noms de rue, la description du quartier, de ses tours, de ses espaces verts, des regroupements de jeunes, du Triangle qui était ma bouffée d'oxygène avec sa bibliothèque, des relations de voisinage parfois tendues, du multiculturalisme... Quartier que j'ai fuit adulte notamment pour sa misère et sa violence, avant qu'il ne se métamorphose...



En dehors de cette donnée géographique qui m'a nécessairement captivée, ce que j'ai apprécié ce sont les portraits d'habitants, les anecdotes pour essayer de les comprendre au-delà des apparences et des préjugés... Ces morceaux de vie sont contés avec pudeur et bienveillance.

Et pour finir, ce qui m' a le plus interpellé est la réflexion sur la démocratie participative : comment impliquer pleinement les citoyens dans un projet ? Comment constituer un échantillon représentatif de la population ? Comment réussir à donner la parole et faire s'exprimer des personnes dans l'ombre de la société, bâillonnées par la non maîtrise du français et de nos codes culturels ?

Le portrait de l'urbaniste, expert dans son domaine après des années d'études était saisissante : accepter de remettre son travail en cause et son savoir, faire preuve d'écoute et co-construire le projet était vécu par le personnage comme une deconstruction de sa vie et de ses principes.

Une belle lecture qui me suivra longtemps personnellement et professionnellement.
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Défaut d'origine

Exilé depuis des années, Selber, retourne à son corps défendant dans son pays natal, le Liban, même si le pays n’est jamais nommé ici. «On m’a mis là et pourtant j’ai horreur des avions.» Tentant d’ignorer un voisin de siège qui, tout en s’alcoolisant de façon consciencieuse, ne cesse pendant le vol de vouloir nouer les fils de la conversation, le narrateur laisse affluer en un long monologue intérieur les souvenirs de ce pays, et de ses conversations avec Roman, son ami d’alors, pensées périodiquement ponctuées ou relancées par les saillies de l’importun voisin ou de l’hôtesse de l’air.



Au fil de ce monologue dans lequel les pensées de l’ami Roman au nom évocateur et celles de Selber finissent par se fondre, le narrateur vomit ses racines, à l’inverse des écrivains de l’exil, qui se lamentent habituellement sur leur patrie perdue ; d’autant plus haïssable qu’elle est marquée par l’horreur de la guerre, et par l’amnésie qui lui a succédé, la patrie, mais aussi la langue maternelle et la famille, sont des entraves monstrueuses, avec lesquelles il est nécessaire rompre pour accéder à sa propre liberté.



«Dès que tu auras franchi les frontières considère-toi plutôt comme une sorte d’apatride qui se réjouit de n’appartenir à rien ni à personne (c’est ce que je m’efforce de penser jusqu'à aujourd’hui), dis-toi qu’un renégat, qu’un ingrat ou qu’un amnésique valent toujours mieux qu’un idiot sentimental que le souvenir de la patrie fait chavirer, un idiot qui participe sans le savoir à son propre anéantissement.»



Tout en soulignant l’impératif de se démarquer de ses racines pour conquérir un espace de liberté, Olivier Rohe met aussi en lumière ce qu’il y a de prétention et de fantasme en matière d’écriture, à vouloir être un écrivain singulier et sans héritage.



«Chaque fois que je lisais un livre l’auteur de ce livre balisait le terrain de la langue à ma place disait Roman, chaque fois donc que je lisais un livre l’auteur de ce livre, qu’il se nomme Balzac ou Proust ou même Maupassant, me retirait toujours davantage la possibilité de trouver, au milieu de ce vaste terrain balisé pour moi, «une parcelle de langage encore inexploitée». C’est de la possibilité d’envisager la langue autrement que comme une «partie perdue d’avance», et aux règles de laquelle j’étais invité à me plier, que tous ces auteurs – aussi illustres soient-ils – m’auront privé et c’est même, maintenant que j’y pense, «l’idée de possibilité, ou de virtualité, ou d’infini» qu’ils m’auront confisqué.»



Réflexion sur l’identité et l’écriture en forte résonance avec le «Moo Pak» de Gabriel Josipovici, «Défaut d’origine», paru en 2003 aux éditions Allia, reste une lecture fascinante et indispensable.

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Chant balnéaire

On suit dans ce récit la guerre du Liban, vécue au quotidien par un jeune garçon. Le narrateur a 13 ans quand avec sa mère et sa soeur ils fuient Beyrouth-Ouest pour se réfugier dans une station balnéaire à l'Est. C'est l'automne, la station est déserte.

L'auteur, allemand par son père, libanais par sa mère, se remémore ce passé traumatisant pour écrire ce "chant" épique et douloureux au présent et en suivant l'ordre chronologique. Adolescent, il déteste l'école, aime le foot, se bagarre et fréquente de mauvais garçons, ne pense qu'à la sexualité qu'il découvre. Ado ordinaire mais il y a la guerre. Avec elle la misère : sa mère, issue d'une riche famille libanaise, a tout perdu et vend petit à petit le peu qui lui reste pour vivre. En l'absence d'un père, ses modèles masculins sont les miliciens qui gardent la station : tantôt ils protègent, préviennent les bombardements, tantôt ils humilient. Ils ont le pouvoir des armes.

Quand cette enclave chrétienne est bombardée, la famille se terre dans la voiture au parking. Un jour, le jeune homme, de retour du lycée, risque d'être arrêté ou tué aux frontières qui se déplacent au gré des heurts entre phalangistes.

La tension s'accroît, la violence se traduit par une mise en page proche de la poésie avec des phrases courtes et un vocabulaire heurté.

L'auteur avait déjà évoqué la guerre civile libanaise dans le roman précédent mais celui-ci est plus autobiographique et libérateur sans doute.

A lire absolument.
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Ma dernière création est un piège à taupes

Le barbon Mikhaïl Kalachnikov a rendu l’âme, le 23 décembre 2013, et on a pu lire des articles célébrant son parcours, et le «succès» commercial de son invention, dans les plus grands journaux.



Adaptation d’une pièce radiophonique publié en 2012 aux Editions Inculte, «Ma dernière création est un piège à taupes» recèle, sous une écriture simple et d’une apparente froideur, une narration brillamment conçue - juxtaposant les fils entrelacés de la vie de Mikhaïl Kalachnikov, de l’histoire de l’AK-47 «symbole brandi par l’exploité contre le capitaliste, par l’opprimé contre le colonisateur» devenu une marchandise courante, et enfin des images de guerre, témoignages de la fragmentation des conflits, et de l’horreur du spectacle diffusé par les grands media, créateur de compassion et de satisfaction personnelle -, une approche narrative qui permet d'écarter tout risque d’une fascination esthétique pour une arme devenue une «icône», la kalachnikov AK-47.



On découvre ici un Mikhaïl Kalachnikov ingénieur de génie, totalement dévoué à l’efficacité guerrière autant qu’à l’esthétique de son invention, sans aucune attention à ses conséquences, par aveuglement ou par stupidité. Cet homme, qui était aussi poète, est représenté en chien aboyeur, toujours focalisé sur l’amélioration de son arme, bien que la défaite allemande, son obsession initiale, ait été depuis consommée depuis des décennies et malgré la diffusion de l’AK-47 sur tous les théâtres de conflits, finissant par se retourner contre l’Armée rouge elle-même.



Une lecture dont on ne peut regretter que la brièveté, d’une intelligence et d’un souffle impressionnants.

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Ma dernière création est un piège à taupes

Le sous-titre cynique, " Mikhaïl Kalachnikov, sa vie, son oeuvre", ainsi que l' illustration de la couverture en disent long sur le sujet abordé. Le roman est construit à partir de trois récits entremêlés. Oliver Rohe nous livre d' une part la biographie d' un homme, né pratiquement avec la Révolution d' Octobre et toujours considéré dans son pays comme héros national depuis sa tristement célèbre conception. Un second récit retrace l' historique du célèbre "bébé" , l' Avtomat Kalachnikova, comment ce fusil d' assaut, au départ symbole de l' affranchissement des peuples a fini par devenir un banal objet de la mondialisation au prix attractif, envahissant en quantités faramineuses - cent millions d' exemplaires en circulation-la totalité des zones de conflit de la planète, précédé par sa réputation de robustesse et de fiabilité. En troisième lieu, l' auteur met en scène l ' AK-47 dans des images - choc extraites des médias internationaux. En fin de compte, ce court essai ( 82 pages), brillamment rédigé, se lit d' une traite : c' est instructif, édifiant et somme toute ......déprimant.
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Chant balnéaire

Un quotidien de guerre dans son déguisement de paix, une dureté sans nom dans son emballage de rire tragique : d’une station balnéaire libanaise au nord de Beyrouth, refuge de ses 13-17 ans, Oliver Rohe extrait une expérience poétique à haute intensité.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/21/note-de-lecture-chant-balneaire-oliver-rohe/



Beyrouth, 1985. La guerre civile, trois ans après l’intervention israélienne et l’élimination des réfugiés palestiniens comme force politique locale, n’est plus du tout larvée comme elle avait pu l’être quelques années auparavant (même si elle dure déjà depuis dix ans, à présent), et change désormais nettement de nature et d’intensité. Chassés par les combats (et par la multiplication des prises d’otages occidentaux, les spécificités du droit civil libanais les classant comme des Allemands) de leur maison de Beyrouth Ouest : le jeune narrateur et ses treize ans, sa mère, sa sœur. Leur refuge : une station balnéaire à une vingtaine kilomètres au nord de la capitale libanaise, près de Jounieh, dans ce qui constitue déjà de facto le « réduit chrétien ». Là, en l’espace de quelques années d’un extraordinaire « no man’s land », littéralement coincé entre paix souvent apparente et guerre pourtant omniprésente, un adolescent, tout travaillé de désirs, d’envies et de questionnements obligatoirement bizarres aux yeux du monde, s’éveille hors de tout contexte « normal », et y crée un formidable quotidien matériel, public comme secret, réel comme fantasmé, irrigué d’une poésie fort peu commune.



Publié en 2023 chez Allia, le quatrième roman d’Oliver Rohe aura (de l’aveu de l’auteur) mis presque vingt ans pour transformer le souvenir personnel de ses cinq dernières années au Liban, entre 1985 et 1990, de ses treize à ses dix-sept ans, en un texte hors normes, travaillé d’une langue rare et résolument inclassable, construit comme une expérience poétique d’une folle intensité – alors même qu’elle s’inscrit dans une litanie de jours nourris de soucis ordinaires – dans un environnement extraordinaire. Pour la première fois, la guerre civile libanaise qui hantait en sous-main les magnifiques « Défaut d’origine » (2003) ou « Terrain vague » (2005) y est directement nommée – et ô combien « traitée » -, mais la gouaille superbement à contre-emploi immédiat qui irriguait « Ma dernière création est un piège à taupes » (2012) ou bien « À fendre le cœur le plus dur » (2015), écrit en collaboration avec Jérôme Ferrari, ne sera ici jamais bien loin.



Pour parvenir à relater l’expérience étrangère (à l’époque, entre les diverses langues arabes et françaises utilisées sur place, sans même parler de l’allemand, de l’anglais ou de l’arménien, comme vis-à-vis de l’enfant que fut là-bas l’auteur) inscrite dans cet espace flottant en diable, Oliver Rohe a su convoquer avec une extrême malice l’imaginaire balnéaire et son jeu des saisons (exploré dans un tout autre registre par le Sylvain Coher de « Hors saison » en 2002). Il a surtout su trouver et construire la langue adéquate pour ce compte-rendu qui ne peut pas en être un, langue soigneusement bizarre, langue qui parvient à rendre compte au plus fin et au plus innocent de la cohabitation du fait militaire et du fait civil, langue qui évoquera par moments le forçage de la féérie dans le désarroi à la manière d’un « Grand Meaulnes » totalement transfiguré, langue mobile, simultanément pudique et crue, langue qui transforme le réel et manipule comme il se doit les intensités mémorielles différenciées de ce qui fut jadis, langue enfin qui ne laisse jamais retomber sa visée esthétique, narrative et poétique – de l’au-delà du simple vécu si difficilement dicible.



On se délectera tout particulièrement (ici) de l’entretien de l’auteur avec Marie Richeux, sur France Culture, dans son émission « Par les temps qui courent » du 5 avril 2023.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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À fendre le coeur le plus dur

Les images d’un conflit colonial oublié de 1911 pour dire ce que contient involontairement le très contemporain storytelling de la guerre.



Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2015/10/15/note-de-lecture-a-fendre-le-coeur-le-plus-dur-jerome-ferrari-oliver-rohe/


Lien : http://charybde2.wordpress.c..
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Boulevard de Yougoslavie

Le formidable roman choral, très intime et très politique, d’une rénovation urbaine contemporaine, et de ce que peut encore, peut-être, le volontarisme intelligent et pragmatique du vivre-ensemble.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/13/note-de-lecture-boulevard-de-yougoslavie-arno-bertina-mathieu-larnaudie-oliver-rohe/



Années 2010 : Le Blosne, quartier périphérique de Rennes, la capitale administrative bretonne, issu des années 1960, doit (enfin) être rénové en profondeur, après plusieurs décennies de mesurettes d’accompagnement, tolérables car le design initial et la qualité de la construction d’époque s’étaient révélés solides, à la différence de beaucoup de réalisations urbaines de ces années dites « glorieuses ».



Aux commandes du processus de rénovation en préparation, la mairie de Rennes bien entendu, et le jeune cabinet d’urbanisme et d’architecture local de Youcef Bouras et de son associée : c’est sur eux que s’abat au premier chef la révolte apparente des habitants du quartier lors de la présentation de l’audit qui vient d’être réalisé. En un rétablissement lumineux, l’adjointe chargée du logement propose alors un processus inédit de démocratie participative, en demandant aux administrés de prendre en charge eux-mêmes la conception de la rénovation, avec le soutien technique de l’université de Rennes, soutien payé naturellement par la Mairie.



Pour la lectrice et le lecteur, aux côtés de Youcef Bouras lui-même, spectateur sceptique de ce processus né d’un désaveu qu’il digère particulièrement mal, qui sera pourtant notre principal guide au cœur de ces mois fébriles de réorientation inhabituelle d’un programme « descendant », on trouvera Saïd Layachi, lycéen passionné de cinéma qui arpente volontiers en bicross les moindres recoins qu quartier, Nicole Pierre, dame âgée et membre du club informel des « tricoteuses », aussi discret que souterrainement influent, Nadine Gaulthier, travailleuse sociale, Luis Horacio Rios, psychologue praticien, Leslie Ferrand, jeune universitaire détachée sur le « nouveau » projet, et enfin Ayham Azzam, réfugié syrien fraîchement débarqué sur les bords de la Vilaine et de l’Ille, pour organiser sous nos yeux une fascinante appréhension à facettes de la ville comme quotidien et comme politique.



À partir d’un véritable projet de rénovation urbaine, de l’un de ces exemples d’une politique de la ville trop souvent aléatoire, projet qui n’a rien de fictionnel, en mettant à profit une résidence littéraire au long cours (à l’opposé de la pratique répandue des séjours de un, deux ou trois mois qui prévalent en la matière) et en organisant entre eux trois une sorte de course de relais efficace, Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Oliver Rohe nous offrent, avec ce « Boulevard de Yougoslavie » (du nom de l’une des principales artères quadrillant le quartier du Blosne) publié chez Inculte Dernière Marge en mars 2021, un roman passionnant, une mise en fiction entraînante qui pousse vraiment à la réflexion de fond, à propos de l’urbanisme contemporain dans ce qu’il a de plus vivement politique, et, naturellement, à propos de bien d’autres choses qui en procèdent directement ou indirectement. Mêlant, croisant et fusionnant avec une extraordinaire habileté des thèmes souterrains plus spécifiquement travaillés auparavant par chacun des trois auteurs, déracinement (Oliver Rohe : « Défaut d’origine » en 2003 ou « Terrain vague » en 2005), heurs et malheurs de l’improvisation autogestionnaire (Arno Bertina : « Des châteaux qui brûlent » en 2017) ou détours performatifs de la parole politique (Mathieu Larnaudie : « Acharnement » en 2012 ou « Les jeunes gens » en 2018), notamment, « Boulevard de Yougoslavie » nous force avec une surprenante bienveillance, mais sans jamais relâcher sa pression littéraire et politique, à regarder dans les yeux les conséquences intimes de nos prises de décision passées et présentes, de nos actions et de nos inactions, dès lors qu’il s’agit bien de vies communes et de société opérante, capable de se projeter vers un avenir autre que celui de l’effondrement à déchirures terminales promis par l’aveuglement capitaliste persistant. Et c’est ainsi sans doute, avec une aussi belle médiation par la littérature, que, en paraphrasant la phrase précieuse d’Yves Lacoste, la géographie – dans ses acceptions les plus larges – peut bien servir d’abord à autre chose qu’à faire la guerre.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Terrain vague

La poésie dramatique et hallucinée de l’oubli bien commode, après la guerre civile.



Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2016/10/09/note-de-lecture-terrain-vague-oliver-rohe/
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À fendre le coeur le plus dur

Regarder les images de guerre, comprendre leur récit au-delà de l’effroi et ses échos actuels.



À la fin de l’année 1911, l’écrivain et correspondant de guerre Gaston Chérau est envoyé en Tripolitaine (sur le territoire de l’actuelle Libye) par le quotidien Le Matin pour couvrir le conflit italo-turc. De ce photoreportage pour un quotidien dévoué à la cause d’une Italie soucieuse de renforcer sa légitimité de puissance coloniale, tout en exerçant une domination implacable sur la population locale, il reste aujourd’hui plus de deux cent images, matériau de cet essai.



«Mais les photographies survivent aux circonstances dans lesquelles elles ont été prises et elles finissent toujours par dire plus et autre chose que ce qu’on voulait leur faire dire.»



À partir de ces photographies, Jérôme Ferrari et Oliver Rohe sondent la construction d’un récit de propagande par les images, proposent une interprétation des signes que renvoient ces clichés, en particulier les images, insoutenables, de pendaisons de libyens au milieu de la foule, et interrogent en même temps la possibilité d’en rendre compte en littérature, en montrant ces images (plusieurs d’entre elles sont reproduites ici, de même que des extraits du journal de Chérau insérés dans le récit).



Les autres clichés de Gaston Chérau alimentent aussi la propagande, en montrant la vie quotidienne des soldats pour créer la compassion, mais les photographies de pendaison sont le cœur noir de ces archives, qui au premier abord annihilent la pensée, en frappant d’effroi celui qui les regarde.

En dévoilant leurs hésitations premières à écrire et à montrer ces images, les auteurs mettent en lumière leur questionnement moral et le mouvement pour surmonter le sentiment initial d’horreur que ces images suscitent, et, en spectateur émancipé du matériau par un regard approfondi, pour pouvoir interroger la manière dont elles interpellent notre sensibilité, un siècle plus tard, en regard des interventions militaires occidentales actuelles, l’invasion de l’Irak en particulier.



Les images assujetties à un message de propagande, récit officiel conçu pour donner à la nation italienne le visage de la justice et de la civilisation, et à l’ennemi indigène l’apparence du barbare, ces images des suppliciés libyens (cadavres qui semblent à peine être des hommes, dont l’individualité est niée) où c’est "la qualité d’homme qui est visée et atteinte", semblent annoncer d’autres meurtres de masse du XXème siècle, dont on trouve des échos ici.



À l’heure où peur et propagande peuvent facilement brouiller notre vision du monde, cet essai, paru en octobre 2015 aux éditions Inculte dernière marge apparaît comme une lecture nécessaire et précieuse.



Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2015/11/15/note-de-lecture-bis-a-fendre-le-coeur-le-plus-dur-jerome-ferrari-oliver-rohe/



Pour acheter ce livre chez Charybde, c'est par là :

http://www.charybde.fr/collectif/a-fendre-le-coeur-le-plus-dur

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À fendre le coeur le plus dur

Jérôme Ferrari et Oliver Rohe : A fendre le cœur le plus dur (2015)

Le titre de ce petit livre est la citation d’une lettre de Gaston Chérau, journaliste et photographe qui a couvert la guerre italo-turque de 1911-1912 en Lybie. Le thème est l’asymétrie physique et morale d’une guerre coloniale où l’attaque massive de l’agresseur est suivie de représailles sauvages, lesquelles sont réprimées avec le travestissement du juge chez les guerriers et les civils : ils étaient trop lointains, trop différents, mouraient trop souvent et se ressemblaient un peu trop dans leur mort (p 35). Les postérités de cette horreur sont la guerre d’Algérie (page 55, une quasi-citation d’Où j’ai perdu mon âme) ou d’Irak : Jusqu’au retrait des forces coalisées, les images du bourbier irakien se contentaient le plus souvent d’embrasser le point de vue exclusif de l’armée américaine, jamais celui de l’ennemi autochtone, civil ou insurgé, ajoutant donc à l’asymétrie militaire celle de l’accès à la parole, au récit, à la représentation (p 57). Les photos ne sont guère lisibles, ce qui est suffisant, et une postface précise l’Histoire.

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MYTHIQ 27

Fou et réussi : 27 artistes morts à 27 ans saisis en 27 lignes par 27 écrivains illustrés par 44 plasticiens contemporains.



Publié à l’automne 2013, ce livre richement illustré allie le livre d’art et le recueil de nouvelles. Coordonnés par Yann Suty, 27 écrivains et 44 plasticiens contemporains ont accepté de jouer un étonnant jeu à contraintes : écrire 27 lignes (et les illustrer) sans verser dans le simple hommage plus ou moins compassé, sur 27 artistes (essentiellement des musiciens) morts à 27 ans, complétant de figures moins connues, appartenant néanmoins elles aussi au « Club des 27 », les illustres Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Brian Jones, Kurt Cobain ou Amy WInehouse.



Le résultat est très réussi, et l’énorme majorité de ces courts textes, irrévérencieux, subtils, poignants, drôles, dégagent, seuls ou par leur assemblage, une curieuse poésie légèrement hallucinée, en parfaite résonance avec l’iconographie parfois sauvage du volume, qui fait la part belle au street art (les éditeurs de ce projet sont aussi les réalisateurs des anthologies visuelles périodiques Artaq dans ce domaine).



Tous les textes mériteraient d’être cités, je me contenterai donc de mentionner au passage :

- Dave Alexander (le bassiste alcoolique tôt remercié par Iggy Pop) évoqué par Paul Vacca dans sa sérénité retrouvée de qui ne redoute plus le licenciement,

- Jean-Michel Basquiat (qui fut aussi musicien) radicalement poétisé par Oliver Rohe (« La question est de savoir si l’apparition d’un enfant sauvage est aujourd’hui possible »),

- Chris Bell (le co-fondateur de Big Star) dont l’amertume terminale est joliment ressassée par Arnaud Viviant (« Le problème de Chilton, c’est qu’il n’aime pas assez les Beatles »),

- D. Boon (le chanteur des pionniers punk Minutemen) illustrant à sa manière l’expression « tombé du camion » sous la plume de Philippe Routier (« En réalité, depuis la disparition de D. Boon de nos radars et de nos enceintes, l’interstate 10 est devenue un ruisseau dormant et le songe du chanteur un conte muet »),

- Arlester Dyke Christian (le chanteur du combo soul-funk Dyke & the Blazers) qui voit grâce à Marc Durin-Valois la ville funky aussi belle qu’une balle (« J’crois bien que toutes les rues de ma vie seront toujours / Des funky, funky Broadway »),

- Richey James Edwards (le guitariste des Manic Street Preachers) dont la disparition jamais élucidée peut nourrir rumeurs et spéculations réinventées par Yann Suty (« Reste cette bonne vieille Vauxhall Cavalier métallisée, abandonnée près du Severn Bridge, la batterie à plat et à l’intérieur un foutoir sans nom, ce n’est plus une voiture mais un squat,… »),

- John Garrighan (membre fondateur du très punk Berlin Project, de Pittsburgh) dont l’art de la diatribe tous azimuts lui est retourné à la volée par Solange Bied-Charreton (« Le filet de bave a disparu sous la serpillère. Mon pauvre, tu es invisible. Tu ressembles à tout le monde, tu ressembles aux caprices de tout le monde »),

- Peter Ham (le guitariste de Badfinger) dont le mode de suicide permet à Marc Villemain une surprenante variation sur la paradoxale méticulosité nécessaire à la pendaison (« Et moi qui ne suis pas bien doué de mes dix doigts, contrairement à notre Badfinger, je serais bien foutu de le rater, mon nœud »),

- Les Harvey (le guitariste de Stone the Crows) dont qui d’autre que le Claro de « Chair électrique » eut pu rendre l’ultime arc de 10 000 volts (« Zone danger où sont où vont les mains trempées dans l’acier guitare d’une vie promise »),

- Brian Jones (que l’on n’a normalement pas besoin de présenter) ramené à son essence de sitar et de piscine par Laurent Binet (« Entre tous, le sitar symbolise Brian Jones le multi-instrumentiste défoncé parce que de loin ça ressemble à une pipe à crack géante, on sent bien que c’est un truc un peu indien, et en même temps on voit que c’est quand même un genre de guitare, comme le banjo ou la mandoline, mais avec un karma plus hippie »),

- Jim Morrison (que l’on a encore moins besoin de présenter) rencontrant sa déesse finale avant que l’ouragan ne frappe, en une fin poétiquement rêvée par Paul Verhaeghen,

- Gary Thain (l’un des premiers bassistes de Uriah Heep) confronté à la spirale de fascination et d’imitation propre au rock par Elsa Flageul (« On ne devrait jamais mourir. On ne devrait jamais rencontrer ses idoles »),

- Jeremy Michael Ward (l’électronicien de The Mars Volta) dont le permanent rêve éveillé, avec ou sans héroïne, prend un relief pensif et poétique grâce à Fabrice Colin (« Mais Jeremy fouina trop pas assez plutôt mal en tout cas et / Un dimanche californien pourri oublia d’ouvrir les yeux »),

- Denis Wielemans (le batteur des Girls in Hawaii) établissant un lien, ténu et magique, entre la mort d’un cerf et la musique qui frappe jusqu’au bout, avec Aude Walker,

- et Mia Zapata (la chanteuse du groupe grunge The Gits) dont le viol sordide et mortel devient atrocement emblématique d’un sale destin et d’une sale société grâce à Manuel Candré (« Agonie ensuite dans ce parking dans la ruelle, ça va durer, trop »).



Comme leurs collègues écrivains, les plasticiens impliqués, pour la plupart grands ou très grands noms de l’art urbain contemporain, ont joué le jeu à fond, et ont soigneusement évité l’hommage stérile pour réussir à trouver des résonances hardcore, ironiques ou poétiques, aux textes et à leurs sujets. En prime, sept pages d’introduction du sujet et du recueil rappellent avec clarté, intelligence et humour les origines du projet et les défis qu’il représentait.



À l’issue, un livre à l’image de son dessein, légèrement fou, d’une richesse insoupçonnée, que l’on aura un immense plaisir poétique et jubilatoire, et peut-être même un rien songeur, à lire et reparcourir régulièrement.

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Défaut d'origine

D'une superbe écriture maîtrisée, régler son compte au romantisme de l'origine et de l'exil.



Publié en 2003 chez Allia, le premier roman d'Oliver Rohe impressionne d'emblée.



Dans un monologue intérieur véhément, durant le temps d'un trajet en avion, simplement entrecoupé des bribes de tentatives de dialogue anodin de la part d'un encombrant et alcoolisé voisin de siège (dans une situation qui plairait donc immanquablement aux amatrices et amateurs du "Zone" de Mathias Énard), le narrateur - se référant sans discontinuer aux paroles, rappelées au fil d'années de fréquentation, d'un ami d'enfance (qui ne s'appelle peut-être pas Roman par hasard) qu'il part rejoindre dans son pays d'origine, non spécifié, dévasté depuis des années par les guerres civiles, les invasions étrangères qui osent à peine dire leur nom, les fléaux religieux, les seigneurs de la guerre perpétuellement auto-proclamés, mais aussi par les grandes réconciliations imposées dans le culte de l'oubli, de la croissance et du profit - règle aussi sauvagement qu'in petto ses comptes avec ses origines, sa famille, son père disparu, sa mère étouffante, mais aussi et peut-être surtout, dans une saisissante spirale inversée, avec la notion même d'origine, et la bêtise monumentale qu'y attachent à foison ceux qui "sont nés quelque part".



Repoussant avec une rage maîtrisée la nostalgie, la complaisance de l'exil et la mémoire enjolivée de "la terre qui nous a vu naître", le narrateur réalise ici un formidable exorcisme de toutes les tentations romantiques de tous les LIbans, toutes les ex-Yougoslavies, tous les Rwandas du monde. Bâtissant sur les ruines réelles des conflits comme sur celles de la mémoire, Oliver Rohe résonne superbement avec les récents travaux de Jean-Yves Jouannais ("L'usage des ruines"), met incidemment singulièrement en perspective "Le quatrième mur" de Sorj Chalandon, et ravive la flamme perpétuelle de Claude Simon.



Ambitieux et réussi, un roman dont la nécessité est intacte, dix ans après sa parution.
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Chant balnéaire

Un récit sur la vie quotidienne d'un ado et de son entourage pendant la guerre du Liban qui m'a souvent glacé mais que je n'ai pas laché tant l'écriture, poétique, est belle, singulière. Une écriture blanche qui exprime avec justesse les sentiments du narrateur.

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Chant balnéaire

C'est un livre bizarre. Il pourrait être très bien. Le Liban des années 80 est un setting idéal pour une bonne histoire.

Mais qu'est-ce qu'on trouve dans ce livre ?

Pas d'intrigue, pas de bonne description psy, pas d'explication de la situation au Liban, pas d'idée philo ou politique, pas d'humour ou presque.

On trouve une certaine atmosphère, ouai, c'est vrai, un peu.. C'est tout. c'est triste.
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Boulevard de Yougoslavie

Trois écrivains non-rennais délivrent le fruit de leur travail après une résidence de quatre ans dans un quartier du sud de Rennes. Pas mal du tout ! Bien fichu, bien écrit. Un travail entre l'écrivain et le journaliste.

Un livre qui intéressera les curieux, les Rennais et les personnes intéressées par la rénovation urbaine et les limites de la démocratie participative.
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Un peuple en petit

Roman atypique par les thèmes abordés, la structure narrative, le choix des personnages "un peuple en petit".

Trois voix se font entendre sans aucun lien entre elles. La 1ère, identifiée par un nom de ville, Bochum, est celle d'un acteur reconnu ; la 2ème, appelée Personnage 2, est celle d'un célibataire obnubilé par le vocabulaire et le contrepoint ; la 3ème, annoncée par une date ( 22 juin 1981 et suivantes) est celle d'un jeune garçon dans une ville sous les bombes. Chaque récit progresse de façon inéluctable selon la tonalité choisie : dramatique pour le premier, absurde pour le second, violente et insupportable pour le troisième.

Du grand art, à découvrir absolument .
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Terrain vague

Difficile d'expliquer ou simplement de résumer ce petit ouvrage qu'il faut lire d'une traite, et même relire pour le saisir.

Un homme, dont on ne sait pas grand chose et qui se dévoile un peu au fil des pages, donne libre cours à ses pensées. Que fait-il dans cette pièce, que se passe-t-il dehors ? on n'en saura rien puisque seules quelques visions de l'extérieur permettent de situer ce récit dans un monde chaotique.

Les pensées de ce personnage le sont tout autant. dans l'instant de ce récit (il me semble, en tous cas, que cela ne dure pas, mais l'absence de repères temporels ne permet aucune certitude), il cherche à faire le lien avec le passé (proche, lointain ?) et surtout avec son environnement immédiat.



Ce flot de pensées n'est pas sans rappeler Imre Kertész (Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas). Il ne faut pas tenter de reconstruire une histoire à la lecture de ce texte. Au contraire, si la lecture est exigeante, elle demande dans le même temps un abandon du lecteur, afin de saisir, dans la nébuleuse de ces phrases qui se suivent, se répètent, se répondent, l’inquiétude vague, le questionnement de ce personnage ambigu qui ne comprend pas.

Quitte à ne pas tout comprendre soi-même. Mais cela importe peu puisque ce qui compte, c’est cet individu qui cherche à se reconstituer au travers de souvenirs, des éléments de cette pièce, de ses rêves. Le terrain vague est moins ici l’extérieur que cette pensée hasardeuse, faite de trous, d’obstacles, de recoins, mais d’où rien n’émerge réellement.



Les illustrations, la ponctuation minimale ainsi que les « décrochages » du texte, comme autant de fragments poétiques, attestent d’une recherche esthétique qui questionne aussi le lecteur.





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