Citations de Olivia Rosenthal (213)
Pour en apprendre toujours plus sur les objets cultuels et rituels, on les ausculte, on les déshabille, on les traverse, on fait apparaitre ce qui restait enfoui, comme si leur apparence pouvait suffire à comprendre les raisons de l'amour qu'on leur a un jour porté. Mais ces images issues d'une exposition à la brutalité rayonnante de la machine ne diront jamais rien de l'expérience intime et imaginaire qui relia jadis des humains à ces objets dérisoires et presque aussi enfantins que des poupées de chiffon. La visée objective de la science manifeste ici ses limites. (p.37)
... tout cadavre est un élément et un instrument de la nature, une nourriture, une aubaine, un accélérateur de vies minuscules. Il faut donc revenir aux faits, aux chiffre, à l'appréhension directe des corps souffrants, agonisants, défunts, il faut consentir au dégoût, regarder les morts au lieu de les imaginer, il ne faut plus fuir.
... l'anonymat, bien qu'il ne soit pas nécessairement désirable, devient impossible et à force d'être impossible devient désirable.
On vous a dit que le bonheur avait un coût, vous acceptez cette idée, mais malgré vos faibles compétences en arithmétique et en économie, vous avez parfois l'impression que le coût est supérieur au bénéfice. Vous n'arrivez pas à distinguer avec certitude ce que vous devez et ce qui vous est dû, vous avancez à l'aveugle , vous êtes liés par un contrat dont vous ne connaissez pas les termes exacts et qui s'applique à vous de l'extérieur.
Je m’ouvre à la peur, la grande peur, ce qui veut dire la peur sans raison, sans loi, la peur physique qu’on éprouve pour soi seul, en égoïste, la peur de n’avoir aucun moyen de résister à l’agression d’un tiers quand il s’y met becs et ongles.
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La médecine, science sans affect, science sans individualité car la présence d’un individu pourrait bouleverser la conception statistique du symptôme et faire ainsi obstacle au bon déroulement supposé de l’idée de guérison, science dans laquelle le corps est modélisé, ce qui suppose de la part du patient un peu de croyance en la validité du modèle et pourquoi pas la représentation de soi malade en figure possible et superlative de la maladie, quelle chance. Je m’égare
La douleur, je ne veux pas l'effacer
La tristesse, je ne veux pas l'effacer
La joie, je ne veux pas l'effacer
La colère, je ne veux pas l'effacer
La haine, je ne veux pas l'effacer
La culpabilité peut-être, peut-être que la culpabilité je veux l'effacer.
On peut vivre par procuration des choses incroyablement douloureuses.
Enfant, vous ne vous demandez pas quel métier vous ferez, quelle vie vous mènerez, dans quel lieu vous habiterez, quels amis vous aurez, à quel âge vous mourrez, quels amoureux vous éconduirez, votre mère vous tient lieu de vie, de métier, de lieu, d’ami, d’amoureux et de tout le reste.
De peur de subir toutes sortes de réprimandes, vous suivez à la lettre les recommandations de vos parents. Vous ne vous mettez jamais nue au lit avec un homme pour ne pas tomber enceinte, pour ne pas être attaquée dans la rue vous ne rentrez jamais après minuit, l'heure limite fixée par vos parent à vos sorties nocturnes. Le monde est plein de chausse-trappes et de dangers. Vous vous oubliez.
La manière la plus sûre de guérir une souffrance qui conduit un individu à agresser son semblable consiste, non à supprimer la cause de l’agressivité, mais à supprimer tout ou partie du semblable.
Les animaux, même s’ils n’en expriment pas le souhait, peuvent bénéficier de l’euthanasie. Les hommes en revanche, même s’ils en expriment vivement le souhait, n’ont jamais le droit à un tel traitement. Donner son avis ne sert donc strictement à rien et mieux vaut, comme les animaux, se taire. Pour que la frontière entre les hommes et les bêtes ne fasse aucun doute, on s’expose à de terribles incohérences.
Le conditionnement consiste à apprendre à un animal donné à faire ce qu’on lui demande sans avoir besoin de le torturer et comme s’il agissait de son plein gré. C’est un travail d’apprentissage long et difficile que le manipulateur préfère, de loin, à l’usage de la violence et des coups. Personne n’aime avoir le rôle du méchant.
Dans la nature, les animaux n’ont pas le temps de s’ennuyer. Ne pas mourir, se défendre, se cacher, se protéger et se nourrir exige une grande vigilance, de la promptitude, de la ruse, un sens de la prévision, toutes sortes de qualités que les animaux doivent déployer dès leur plus jeune âge et qui occupent entièrement leurs journées. Mais en captivité, l’éventail des activités possibles se réduit de manière drastique. Un ours qui passe habituellement huit heures par jour à chercher sa nourriture mettra dix minutes pour finir sa gamelle. Le reste du temps, il n’a rien à faire, sa cage est ronde alors il tourne en rond, il prend des gestes stéréotypés, il s’ennuie, si on ne veut pas qu’il dépérisse, il faut lui trouver quelque chose à faire.
La libido sciendi remplace la libido tout court, l’étude recouvre, l’étude compense, l’étude soigne, l’étude console, l’étude retarde, elle détourne le désir de son objet de sorte que vous mettez des années à comprendre exactement quel est cet objet et comment vous pourriez l’atteindre.
Vous auriez aimé jeter vous-même le canari dans le vide-ordures de la cuisine après l’avoir emmailloté dans un linceul blanc. Cela vous aurait permis de donner de l’épaisseur à l’existence passée de cette petite bête.
Le monde est un tissu de mots, nous sommes tout entiers protégés et maintenus en vie par les moyens à la fois coercitifs et maternels du texte.
Après avoir quitté le lycée pour entamer des études supérieures, vous ne revenez pas en arrière, ni ne gardez de liens avec les camarades que vous fréquentiez. Vous décidez de commencer une vie nouvelle, de garder pour vous seule ce qui a précédé, de n'y faire aucune allusion, de ménager en vous des espaces clos entre lesquels il sera impossible de communiquer.
Cela vous permet de prendre du recul, d'élaborer des stratégies de retrait, de construire des barrières de protection, des digues, des palissades, des fortifications, des remparts. Vous vous repliez, vous vous cachez, vous vous séparez, vous vous absentez, vous expérimentez le silence.
Votre désir d'humanité est à peu près équivalent à votre désir d'animalité. En réalité, il est absolument impossible de les distinguer. Vous avez peur.
A un moment de doute et d'incertitude, vous vous sentez prisonnière mais votre prison n'a pas de nom, pas d'épaisseur, pas d'étendue, pas de volume, pas d'odeur, pas d'entrée et pas de sortie. Comme disent les biologistes, la situation est anxiogène.