Citations de Olivier Germain-Thomas (59)
A l'exaltation qui pourrait naître de cet instant serré entre deux mondes, je dis "Au trou!" Dans la gare terminus, je me concentre sur les seules questions matérielles. Derrière moi, des montagnes en forme des cônes glacés dont mes filles sont friandes dessinent une ligne aussi dansante que la carapace d'un dragon; devant, l'inconnu. La gare vietnamienne de Lang Son est quasi déserte. A l'approche de la frontière chinoise, le train s'est peu à peu vidé. Je guette un moyen de transport avec le souci mesquin de ne pas me faire arnaquer. Une moto se présente; faute de cheval ou de palanquin, prenons.
Pour nous que vivons dans une époque coupée de toute tradition, il nous reste la poésie comme guide de voyage.
La seule justification de l'argent est de servir l'art. Les financiers de Venise sont au paradis pour avoir semé des palais et des coupoles sur l'eau.
Les rêves les plus forts sont comme la grâce, ils surgissent à l'improviste.
Quelque chose est à bout de souffle dans les grands systèmes religieux qui ont réglé le sexe, la mort ou l'imaginaire.
La poésie des trains de l'Inde m'ayant alimenté depuis trente-cinq ans, j'ai acquis la manie du collectionneur.
Je vais marcher le long du Mékong. Des enfants nus jouent dans la boue. Mon arrivée les fige. Je les entends reprendre derrière moi leurs rires et leurs éclaboussures. J'arrive devant des baraquements où s'entasse dans des senteurs de chiasse une humanité rejetée. Au nom de quoi ?
Le car est bondé, les cahots nous font sauter comme des crevettes jetées vivantes dans une poêle, mais on rit, et si l'on est projeté dans les bars voisins, on se congratule sous le regard indifférent des poules.
je choisis un hôtel convenable dans la vieille ville de Hanoi transformée en parc d'attraction pour touristes ravis de retrouver un parfum colonial en se prélassant dans des pousse-pousse tirés par des néo-Tonkionois, déguisés en paléo-Tonkinois.
Le lendemain retour à Shanghai par Ningbo. Aux abords de la métropole, tours de verre et jets d'acier. Dans un jour lointain (?), quand mon corps ne sera plus que vent et poussière, peut-être regardera-t-on ces tours avec la même nostalgie que nous regardons le Bund des Empires disparus. .
Echapper à l'ânerie qui consiste à polluer un jardin japonais avec des mots abstraits. Eviter également d'ne visiter plus de deux à la fois. D'ailleurs il n'y a pas à visiter un jardin, il y a à le vivre.
Maintenant je me hâte. Je sais combien le temps est compté, certes le mien, mais surtout la durée où cette terre présentera encore des visages d'une glaise antique.
J'ai voyagé pas à pas vers des contrées dont les portes étaient lourdes et les issues troubles.
Pendant ce long trajet, sur des routes connues, mais moins sûres, il leur arrive d'être escortés par plus de deux cents hommes à cheval. Ce ne sont pas là des protections pour des marchands, fussent-ils riches. Ils sont devenus des notables de l'empire, même dans ses extrémités occidentales.
Pendant vingt-quatre ans, de son départ de Venise en 1271 à l'âge de dix-sept ans avec son père Nicolo et Matteo son oncle, jusqu'à son retour en 1295, il connaîtra une destinée rendue exceptionnelle par la distance parcourue, la durée, les responsabilités qui furent siennes, et le témoignage qu'il en a rapporté.
Toute l'île de Putuo est sous la protection de Guanyin qui est la métamorphose féminine du très vénéra bodhisattva de la compassion Avalokiteshvara (qui a changé de sexe en pérégrinant). Il manquait une figure féminine au bouddhisme. On prend un homme, on lui coupe les roubignoles, on lui adjoint des tétons. De quoi faire couler de l'encre rose... Mais il y a là un besoin naturel. N'a-t-on pas chez nous introduit peu à peu le culte de la Vierge, "mère de Dieu"? L'islam ne souffre-t-il pas de ce manque?
Sur le chemin il y a des rencontres et des retrouvailles. mais on chemine seul.
Les chants de l'Ile à dormir debout. Le livre de Centhini.
Encore une fois, je constate, comme dans l'Attapu, que le réel de ces pays est écrit en encre sympathique. Aussitôt apparu, il s'efface pour laisser place aux pelleteuses. Seule la mémoire pourra garder les images d'un pays encore relié à l'Antiquité, et qui court derrière nous, dans l'ignorance de notre essoufflement. Mais la mémoire, elle aussi, écrit parfois en encre sympathique. Devenir un bon limier quand les images seront cachées dans l'inconscient...
Depuis des décennies, je boucle mon sac avec l'impatience de l'enfant avant Noël. Chaque voyage invente sa ligne; de même chaque livre.
L'entrée dans la modernité est une entrée dans le temps. On y gagne des horloges, on y perd l'éternité.