AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Pablo Casacuberta (47)


Chaque fois que je m’asseyais dans la salle d’attente, j’entendais un couple de vieillardes chuchoter sans vergogne sur mon physique, un comportement que le docteur, avec sa récurrente exposition publique de ce qu’il appelait ma “santé de fer”, ne faisait que stimuler.
Commenter  J’apprécie          00
Je décidai finalement d'aller dans la chambre inoccupée, de m'allonger sur le lit et de réfléchir à mon père, à mes perspectives d'avenir, au sort de ma mère et du nain, à l'idée de me raser régulièrement, à l'inévitable et progressive invasion de mon espace intime par les femmes, à la peur de rester petit avec des jambes arquées, à l'importance du calcium en l’occurrence, à l'équilibre acido-basique, au bizarre filigrane de la chaîne carbonée, à la cohésion interne des atomes, et avant que cette ampoule de plus en plus petite m'emmène dans les particules subatomiques, la conscience m'abandonna, ou plutôt se retira dans une pièce interdite pour moi, le Maximo Seigner qui se parlait à lui-même à l'état de veille.
Commenter  J’apprécie          93
Quand elle haussa épaule et bras, sa robe mouillée souligna les volumes de sa poitrine. C'était une robe d'été couleur crème, qui lui mouillait la taille, les hanches et le buste, et qui n'était vraiment pas conçue pour être portée mouillée, car le tissu paraissait maintenant collé à son corps, comme fraîchement peint sur la peau. Il me sembla que c'était une robe très moulante pour une femme mariée qui sort seule le soir, et je me demandai un instant si cette rivière alcoolisée que son haleine et sa conduite trahissaient avait été ingérée seule ou accompagnée, et par qui.
Commenter  J’apprécie          114
Je me demandai si je ne devais pas remettre mon pantalon en attendant, mais je me rappelai aussitôt ce qui arrivait dans les camps de vacances à ceux qui se montraient, comme moi parfois, trop jaloux de leur intimité : ils étaient frappés d'ostracisme.
Il me revint en mémoire une expérience vécue dans le vestiaire des hommes d'un club où ma classe avait été invitée pour faire une heure de natation. La séance terminée, j'étais allé aux douches, comme les autres, où j'avais commis l'erreur monumentale de me mettre sous la douche en maillot de bain, sans savoir que ce que fait la horde dans cet endroit, c'est se mesurer, établir qui est le chef de troupeau et, par conséquent, désigner ceux qui doivent se soumettre. De sorte que se doucher en maillot de bain constituait, outre une absurdité pratique, un grave manque d'esprit grégaire, indiquant, comme je le compris plus tard, une totale indifférence aux échelons hiérarchiques.
Commenter  J’apprécie          114
Toutes les cathédrales que j'avais bâties, persuadé que le sens de mes actes était implicite, avaient dû retourner à la poussière d'où elles étaient venues. C'était comme si chaque scène vécue constituait une espèce d'essai irrésolu, exigeant de moi une énorme dépense d'énergie dont, après tant de combats intérieurs, il ne restait plus rien. Ma vie entière pouvait se voir comme une longue succession de "choses qui étaient presque arrivées", de constructions et de tentatives susceptibles d'aboutir. Je me demandai si l'existence des autres, cette masse infinie d'yeux, de bras et de jambes qui parcourt les rues tous les jours et à laquelle je prêtais à tort ou à raison des intentions, ne serait pas une grande addition de petites odyssées individuelles qui laissaient les protagonistes à quelques pas à peine de l'endroit où elles avaient commencé, chacune faite de prétextes, de délais pressants et de doctrines justificatives, et néanmoins tout aussi vide et insignifiante qu'une colonie de moules.
Commenter  J’apprécie          20
Même dans mes souvenirs les plus anciens figurait déjà la conscience douloureuse d'être plus massif, plus grand et plus fruste que ce qu'aurait requis toute interaction vertueuse avec mon entourage ; d'être moins éveillé, sain ou rapide, mais surtout d'être moins présent dans le monde que les autres, de me voir condamné à percevoir des scènes de ma vie depuis une sorte de balcon éloigné des faits ; enfin, cette vieille impression que le monde m'appartenait un peu moins qu'à mes congénères et que c'était déjà tellement caractéristique de ma constitution interne qu'il paraissait impossible de la déloger de mon cadre vital.
Commenter  J’apprécie          30
À mesure que ses chaussures se mêlaient à des dizaines de pieds, je reconnus dans cette marée de jambes un petit chien errant qui rôdait souvent autour de l'immeuble. Comme il m'était arrivé de lui céder une bouchée de ce que j'achetais en sortant de la consultation, la pauvre bête me faisait fête comme au plus dévoué des êtres humains, son accueil haletant et sa queue frétillante étaient les meilleurs stimulants pour poursuivre mon chemin. Les employés qui surveillaient les voitures garées dans le parking du Mignón l'appelaient Hitler, car il avait une tache sur le museau, comme une moustache. Ce nom attribué à un animal si noble m'avait toujours paru d'une extrême cruauté, car même si la ressemblance avec la moustache était évidente, une âme sensible l'aurait plutôt appelé Chaplin, ainsi que je l'avais baptisé intérieurement sans jamais prononcer ce mot. C'était un chien reconnaissant, un gentil vagabond qui ne réclamait rien à personne mais fêtait n'importe quelle pitance comme s'il s'agissait du plus délicieux des mets, et j'aimais penser qu'entre nous s'était établie une certaine amitié.
Commenter  J’apprécie          10
En voyant l’ampleur de l’angoisse que révélait son visage, j’eus la tentation de m’excuser, de faire une révérence et de me jeter tout simplement par la fenêtre
Commenter  J’apprécie          20
Car la vérité est qu'avant de travailler comme charlatan, j'ai étudié la médecine. La vraie médecine, je veux dire, celle qu'on étudie dans les universités, puis je me suis spécialisé et j'ai fini par devenir un pneumologue acceptable. J’ai honoré la méthode scientifique, le doute et le scepticisme jusqu’à ce que la vie de luxe que j’avais bâtie autour de mon épouse exige de moi une clientèle de plus en plus nombreuse et avide de spectacle...
Commenter  J’apprécie          20
Je restai quelques instants absorbé par ces éclats rouges qui enflammaient le bord de mes paupières et mon indignation initiale fut lentement déplacée par le retour de mon autre moi, l'encyclopedique, mon sosie guerrier, l'érudit héroïque qui se chargeait de mes collections et des questions importantes, au lieu de se soumettre à ces bêtises.
Commenter  J’apprécie          20
je voulais affirmer très clairement, même pour moi seul, que jusqu’à ce jour, y compris dans des contextes plus extrêmes, j’avais été un homme fondamentalement censé, qui répondait de façon un peu tordue à des stimuli encore plus tordus que mes réponses.
Commenter  J’apprécie          40
Qu’allais-je lui dire face à son explosion de joie ? Que cette mesquinerie à laquelle elle faisait allusion avait déjà eu lieu et que nul acte présent ou futur n’aller en atténuer les irréparables conséquences ? Que je ne comprenais pas du tout son enthousiasme ? Que la vie ne consistait pas à nager d’un îlot d’espoir à un autre mais plutôt de flotter sans cap, tout bonnement comme on peut, jusqu’à ce qu’un jour les eaux nous engloutissent ? Mais aucun de ces actes de vandalisme spirituel ne valait la peine. Elle aurait bien le temps de s’écraser contre son propre mur.
Commenter  J’apprécie          00
J'ouvris au hasard Les Souffrances du jeune Werther et laissai l'odeur balsamique du papier jaunâtre monter vers mes narines, les imprégnant d'une exhalaison archaïque, lointaine, comme s'il s'agissait d'une espèce de lettre fanée que l'on doit lire avec le nez. En respirant ce mélange de papier, de colle, de vieux fils et de cuir, je découvris que cette odeur était justement celle que j'escomptais trouver dans un hôtel appelé Samarcanda, une combinaison élégante, surannée, chargée de résonances anciennes.
Commenter  J’apprécie          60
Je pensai combien le monde s'était réduit depuis l'époque où il était soutenu par des éléphants debout sur des tortues, devenant de plus en plus petit par rapport à la dimension relative prise par l'univers, et ce dramatique changement de dimension me consola un peu, comme s'il me faisait savoir que la dimension de ma tragédie personnelle allait à son tour diminuer par rapport à ma future expérience.
Commenter  J’apprécie          10
Cette plénitude avait quelque chose de triste. Comme une angoisse permanente de l'éphémère, qui rythmait le plaisir du moment, mais le problématisait, en faisait une sorte d'abîme.
Commenter  J’apprécie          30
Parmi les nombreuses affaires que papa n'avait pas emportées dans sa fuite, il y avait un vieux blaireau au manche en bois, frappé d'un croisement d'initiales gravées au poinçon : LS, pour Leopoldo Seigner, un prénom qui partageait avec le mien cette sonorité d'antiquaille oubliée dans un marché aux puces.

Je le pris dans la main droite et passai les poils sur la paume de ma main gauche. Bien que n'ayant jamais tenté la manœuvre, il m'était arrivé plus d'une fois de m'asseoir près de papa pour le regarder verser de l'eau savonneuse dans un bol et la battre comme s'il s'agissait d'un œuf, jusqu'à obtenir une espèce de meringue dont il s'enduisait du cou jusqu'aux pommettes. Voir la lame du rasoir monter et descendre lentement sur son visage était comme assister au rituel d'une sorte d'art martial, et tout en observant ces gestes je m'étais promis, bien qu'appartenant à la génération des rasoirs jetables et de la mousse en bombe, d'essayer un jour cette méthode ancestrale, quelles qu'en soient les conséquences.
Commenter  J’apprécie          80
— Allô !
— Máximo ? demanda une voix. Il me fallut deux secondes pour la reconnaître.
— Lui-même, répondis-je en copiant une expression de mon père, qui me plaisait pour son côté majestueux, parler de soi à la troisième personne.
Commenter  J’apprécie          80
Je fermai les yeux et fronçai les sourcils : si une illumination devait couronner la journée, je devais l'aider à venir. La pression sur mes paupières provoqua sur la rétine l'illusion de recevoir une fausse lumière, une lumière indéfinie née justement du froncement de sourcils. J'aimais créer dans les yeux cette espèce de feu de Bengale et l'observer, en supposant que suivre attentivement ses modulations était une façon de me pencher sur ce territoire inconnu qui s'étendait derrière mes yeux, la où le nerf optique conduisait au redoutable moi.
Commenter  J’apprécie          20
Je regardai quelques instants la page ainsi terminée, tandis que me venait aux lèvres, je ne sais pourquoi la mélodie de Cielito lindo. Puis je me levai de manière un peu mécanique, allai devant l'étagère où les volumes du Trésor de la jeunesse alignaient leurs lettres dorées, les caressai lentement de l'index et pris celui qui affichait Renoir-Syracuse. Pendant que je parcourais le volume sans que mes pensées ne perturbent le mouvement de mes doigts, j'observai les pages se succéder jusqu'à laisser enfin sous mes yeux l'image de deux chameaux attachés à l'abreuvoir d'un caravansérail sous le ciel vaste et dégagé du désert. Au-dessous, la légende paraissait écrite pour moi : Samarcanda.
Commenter  J’apprécie          60
Comment j'allais ? Mais comment diable pouvais-je le savoir, alors qu'il y avait au moins six ans que je ne tendais pas mon oreille interne, ne serait-ce que pour ausculter au moins un peu ce murmure ténu, à peine audible, qui se charge de nous dire "ça oui, ça non, cela si je le souhaite, mais pas ça, cet acte trouve un écho en moi, mais pas cet autre", et qui garantit, quand on le perçoit, qu'on ne trahit pas l'enfant qu'on a été, qu'on n'oublie pas complètement ce stade primordial où on ne faisait qu'un avec soi, où on mangeait la terre des pots de fleurs, parlait d'égal à égal avec les chiens, aimait notre mère comme la seule femme concevable et où on s'endormait sans culpabilité.
Commenter  J’apprécie          100



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Pablo Casacuberta (133)Voir plus


{* *}