Partout les statues de Bouddha, de Lord Bouddha... Les statues sévères, verticales, vermoulues, avec une dorure qui leur communique un éclat animal et un écaillement extérieur qui donne à croire que l'air les détériore.
Un peu plus loin, dans une autre cage, allait et venait une panthère noire, encore pleine de l'odeur de sa forêt natale. C'était un étrange fragment de nuit étoilée, une bande magnétique qui s'agitait sans arrêt, un volcan noir et élastique qui voulait raser le monde, une dynamo de force pure qui ondulait ; et deux yeux jaunes, précis comme des poignards, et qui interrogeaient de tout feu car ils ne comprenaient ni la prison ni le genre humain.
Des années entières je le parcourus, de marché en marché. Car le Mexique n'est pas dans les chansons gutturales des films, ni dans les cavaliers moustachus et bardés de pistolets : il est dans ses marchés. Le Mexique est une terre de châles carmin et bleu turquoise phosphorescent. Le Mexique est une terre de pots et de cruches, une terre de fruits ouverts sous un tourbillon d'insectes. Le Mexique est un champ sans fin d'agaves bleu acier avec une couronne d'épines jaunes.
LE TIGRE
Je suis le tigre.
Je te guette parmi les feuilles
aussi grandes que des lingots
de minerai mouillé.
Le fleuve blanc grandit
sous la brume. Te voici.
Tu plonges nue.
J'attends.
Alors d'un bond,
feu, sang et dents,
ma griffe abat
ta poitrine, tes hanches.
Je bois ton sang, je brise
tes membres, un à un.
Et je reste dans la fôret
à veiller durant des années
tes os, ta cendre,
immobile à l'écart
de la haine et de la colère,
désarmé par ta mort,
traversé par les lianes,
immobile sous la pluie,
sentinelle implacable,
de mon amour, cet assassin.
mientras yo sigo el agua que llevas y me lleva:
la noche, el mundo, el viento devanan su destino,
y ya no soy sin ti sino sólo tu sueño
(sonnet LXXX)