Citations de Patricia Highsmith (326)
Les plus grandes réalisations dans le domaine de l’écriture à n’importe quelle époque sont le fait des observateurs du chaos.
On dit des artistes qu’ils vivent repliés sur eux-mêmes, alors qu’en réalité ils vivent hors d’eux-mêmes, bien plus que les gens ordinaires. Qu’il soit inspiré ou qu’il travaille, l’artiste fréquente le même monde qu’eux, mais ce monde est différent chaque fois qu’il y retourne. (Dieu merci, car, sinon, il s’ennuierait mortellement !) Il se demande souvent comment les gens ordinaires peuvent tolérer ce qu’il sait être pour eux toujours le même monde immuable.
Il y eut cependant des jours ou, en voiture, elles se promenèrent seules dans les montagnes, à la découverte. Une fois, elles tombèrent sur un village qui les charma et y passèrent la nuit, sans pyjama ni brosse à dents, sans passé ni futur, et cette nuit fut une de leurs îles dans le temps, préservée quelque part, dans le coeur ou la mémoire, intacte et absolue. Peut-être n'était-ce rien d'autre que le bonheur, pensa Therese, un bonheur total, rare sûrement, si rare que la plupart des gens ne devaient jamais le rencontrer. Mais si c'était simplement le bonheur, alors il avait dû dépasser les limites ordinaires et se muer en autre chose, une sorte de pression excessive, au point que le poids d'une tasse de café dans sa main, la rapidité d'un chat traversant le jardin, le choc silencieux de deux nuages, semblaient presque plus qu'elle ne pouvait en supporter. Et, de même qu'un mois auparavant elle n'avait pas compris le phénomène du bonheur soudain, elle ne comprenait pas son état présent, qui semblait un au-delà. C'était plus souvent pénible qu'agréable et elle craignait de souffrir de quelque handicap propre à elle seule. Elle avait aussi peur, par moments, que si elle marchait la colonne vertébrale brisée. Lorsqu'elle avait la tentation de s'en ouvrir à Carol, les mots se dissolvaient avant qu'elle pût les prononcer, tant elle manquait de confiance dans la normalité de ses réactions, uniques peut-être, que même Carol, alors, ne pourrait comprendre.
Elle n'était toujours pas amoureuse de lui après dix mois de fréquentation et sans doute ne le serait-elle jamais. Il était pourtant la personne qu'elle aimait le plus, non pas de tous les gens qu'elle avait connus, mais du moins de tous les hommes. Parfois, elle se croyait amoureuse de lui, lorsqu'elle se réveillait le matin et contemplait le plafond, se rappelait brusquement la présence de Richard dans sa vie, son visage rayonnant après quelque geste tendre de sa part. Elle y croyait tant que son esprit vacant n'émergeait pas du demi-sommeil pour se laisser envahir de préoccupations concrètes telles que l'heure, le programme de la journée, tout ce qui fait la substance solide de l'existence. Ce qu'elle ressentait alors ne ressemblait pourtant pas à ce qu'elle avait entendu dire de I'amour. L'amour, disait-on, était un état de béatitude proche du délire.
N'est-il pas plus sûr, et même plus sage, de croire que la vie n'a absolument aucun sens ?
Son parfum, à nouveau, parvint à Therese, clair-obscur, légèrement sucré, évocateur d’une soie vert sombre, un parfum qui lui appartenait en propre comme à une fleur. Therese se pencha vers le parfum, les yeux baissés sur son verre. Elle aurait voulu bousculer la table et se jeter dans les bras de cette femme, enfouir son visage dans son écharpe vert et or.-
"Tombé amoureux", ces mots si graves, ces mots désignant un sentiment si rarement éprouvé, et que certaines personnes affirmaient même n'avoir jamais connu. Cette folie, qui n'était en réalité nullement fondée dans son essence sur la beauté ou les charmes de la personne qui la provoquait, ce pouvoir mystérieux... Rickie prit conscience qu'il était soumis à cette force, ce qui était tout à la fois un bonheur et un danger.
Bien sur, les gens l'aimaient parce qu'il se comportait envers eux comme un gentil vieux oncle, toujours disposé à prêter cent francs et à n'y plus penser.
...la Suisse était pleine d'étudiants qui passent de longues années à rédiger leurs thèses, des décennies parfois, tout en vivant agréablement des subsides de leurs parents et des prêts gouvernementaux dont la plupart sont sans intérêts.
...les hommes mariés se laissent parfois entraîner sans le vouloir.
- J'aurais même cru qu'il y avait en vous quelque chose d'anormal si vous ne vous étiez pas effondré comme vous venez de le faire, dit Peter d'un ton plein de sympathie.
L'orgueil précède toujours la chute.
A compter de ce jour et jusqu'à la fin de sa vie, Luigi fut le seul habitant de Rioto à avoir vu Lugano ; plus encore, le fait d'avoir accompli le trajet à pied ajoutait à son exploit une dimension quasi surnaturelle. Son aventure paraissait aussi surprenante que s'il s'était mis à voler, ou qu'il était monté au ciel.
" Tu sais, l'autre jour, dans le journal, commença Vic sur le ton de la conversation, j'ai lu un article à propos d'un ménage à trois à Milan. Bien sûr, je ne sais pas quel genre de gens c'était, mais le mari et l'amant, qui étaient très bons amis, se sont tués ensemble dans un accident de moto, et la femme les a fait enterrer ensemble et a fait réserver une place pour elle dans le même caveau quand elle mourra. Elle a fait graver sur la tombe : "Ils ont vécu heureux ensemble." Tu vois donc que c'est possible. Je voudrais simplement que tu choisisses un homme - ou même plusieurs hommes, si tu veux - qui eussent un peu de cervelle. Tu ne crois pas que ça soit possible?"
L'amour véritable, le plus grand amour est celui qui est donné à ceux qui en ont le plus besoin. Car ils ne peuvent rien donner en retour.
Quel plaisir : le dictionnaire ! Le seul livre qui, à ma connaissance, soit vrai et droit.
La jalousie. L’une des émotions négatives, vaines donc, comme la haine. La jalousie n’a jamais inspiré à un poète un bon poème, à un peintre un bon tableau.
Les philosophes ne prennent jamais de décision. La philosophie ne parvient jamais à une conclusion. C’est presque la description ultime de la science philosophique. C’est la plus troublante des sciences. Sa seule vertu est la force orale qu’elle confère, simplement parce qu’elle s’attaque sans relâche et avec honnêteté aux problèmes insolubles qui tourmentent l’être humain dès que la pensée lui vient et jusqu’à son dernier souffle. La plupart des gens ignorent ces problèmes. La philosophie est un jeu, comme une patience dont on a retiré une carte, si bien que, même si l’on se débarrasse de toutes les cartes, l’on ne peut jamais « gagner ».
Vraiment, la seule façon de voir la réalité est à travers les yeux de la personne aimée. Le jeune homme qui au sommet d’une colline, découvre un port en contrebas, voit un panorama différent, s’il est amoureux, de celui que perçoit le promeneur solitaire qui tombe sur ce même port. Le premier connaît l’amour, qui gouverne les gestes humains – sa présence ou son absence – depuis l’acte qui consiste à cueillir une fleur jusqu’à celui qui consiste à faire la guerre. L’amour est le premier et primordial ajustement du regard qui permet de percevoir la réalité de la vérité.