Interview de l'auteur Patrick Breuzé pour son dernier livre: Bout d'Chien paru aux éditions les passionnés de bouquins. Interview réalisée par l'émission : La Place du Village.
La nuit était belle. Le ciel avait tendu son voile bleu marine d'un bout à l'autre de la vallée, prenant appui sur chacun des sommets. Pas un nuage ne le plissait. Partout dans les pâtures, une fine rosée s'était déposée, libérant des odeurs d'herbes sucrées et de terre mouillée. Le long des lisières de noisetiers, un vent timide fouinait sans bruit, furetait comme un chien sous le couvert, hésitait, puis repartait, entraînant dans son sillage des odeurs fortes de sous-bois et de troncs moussus.
Il questionnait la roche du regard, une roche rabotée par le vent, dure et fière le long des couloirs. Rongée par une sorte de pelade sur toute la partie gauche, là où le moutonnement des épicéas avait réussi à prendre racine. Le gros de la troupe se blottissait en une longue crinière vert foncé abandonnant à quelques troncs le soin de jouer les éclaireurs, lesquels s'agrippaient là où pourtant rien ne semblait vivre. Des sacrifiés vaillamment accrochés à la roche, avec leurs branches tordues, leurs flèches tourmentées, tête de pont illusoire d'un mouvement de troupe qui ne se ferait jamais.
Assis sur son train arrière, le chien le regardait, calmement, attendant un signe pour savoir quoi faire. Les chiens aiment les choses simples : un ordre, un geste, une caresse ou une réprimande. Pour ce qui est des sentiments c'est une tout autre affaire et il est peu probable que les humains comprennent un jour la complexité de ce qui lie un chien à son maître. C'est peut-être mieux ainsi. Tout n'a pas à être expliqué en amour.
Seulement après, il remercia chacun des hommes de quelques mots dits avec retenue et pudeur, les yeux au sol et le front bas. Des mots jamais répétés, mais que l'on rangeait comme des images entre les feuilles de sa mémoire.
Des nuages lourds, venus du fond de la vallée, s'amoncelaient sur les versants regroupant parfois le gros de leur troupe en un même lieu comme avant un assaut.
D'énormes plaques de neige arrondies comme des édredons pendaient des toits. A coup de hache, on brisait ces surplombs, aussi durs que la pierre, allégeant ainsi les charpentes et les arbalétriers. Quand la tâche devenait trop pénible, on montait sur les toits pour scier la neige au passe-partout comme l'auraient fait des scieurs de long.
Dehors, tout était blanc, épais, immobile.
A l'intérieur, le gel avait dessiné sur les vitres des feuilles aux nervures cristallines et, plus bas, au ras du bâti, une fine langue de glace s('était formée avec des vagues superposées comme des écailles.
Quand elle entendit la porte se refermer, elle ne ressentit rien. Ni soulagement, ni colère. Ses mains étaient gelées, ses pieds violacés. Son corps noué attendait qu'on lui dise quoi faire. Ce sentiment de fin de vie, elle le connaissait déjà. [...] Adossée contre le mur chaulé, elle regarda défiler sa vie, de rares moments de bonheur, de longues années de labeur. Désormais, il faudrait admettre que le fardeau devint encore plus lourd. (p.76)
L’absence est à l’amour ce qu’est le vent au feu, il éteint les petits et ravive les grands.
C'était sûr, la femme qui marchait sur la route des Moulins n'était pas d'ici. Cela se voyait à sa manière d'éviter les ornières pour ne pas se salir, à sa façon de poser les talons, soucieuse de ne pas abîmer ses chaussures sur les cailloux.