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Critiques de Paul Gadenne (46)
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L'invitation chez les Stirl

L'invitation chez les Stirl (prononcez "Steurl") ne porte pas l'étiquette "roman", mais l'auteur, décédé en 1956, a pris la précaution de préciser dans une note introductive "que tout ici est invention pure", tout en plaçant le cadre de son récit dans une ville thermale bien réelle des Basses-Pyrénées. Il ajoute que son "ambition est de composer un ouvrage où ce qui compte est tout ce qui n'est pas dit". En quelque sorte, il rejoint Flaubert et son rêve d'écrire un roman dans lequel il ne se passe rien.



De ce point de vue, c'est presque gagné : deux personnages principaux, deux secondaires et un événement fortuit, voilà toutes les composantes avec lesquelles Paul Gadenne nous fait partager un séjour dans une villa démesurée et encombrée de vieilles vieilleries.



Olivier est invité par Mme Stirl à venir séjourner chez elle et son mari d'origine irlandaise. On ne sait pas d'où vient Olivier ni quoi que ce soit de sa probable relation antécédente avec Mme Stirl. Cette dernière, en contradiction apparente avec l'invitation qu'elle lui avait adressée, pose une sorte de barrière entre elle et son invité. La dite barrière est au moins double : d'abord deux énormes chiens menaçants, mais surtout le regard de Mme Stirl dont les yeux métalliques mettent mal à l'aise Olivier. Ce dernier n'a pas moyen de placer un mot : Madame parle et s'agite sans cesse. Lorsque, enfin, s'ouvre l'opportunité d'un rapprochement, Madame s'éloigne. Olivier parviendra à maîtriser les chiens, mais leur maîtresse lui échappera sans cesse.



Tout au long du récit, l'invité devient la victime. Piégé dans le malaise grandissant du non-dit, prisonnier de son éducation (il ne s'enfuit pas peut-être par politesse, à moins que ce ne soit dans l'attente vaine d'un changement d'attitude de son hôtesse...), Olivier donne l'impression d'être le naïf objet d'une vengeance froidement calculée, mais dont le lecteur et la victime elle-même ignorent la raison.



Confirmé : il ne se passe pas grand chose. Mais le climat tout empreint d'ambiguïté et le style merveilleux donnent à cette lecture un charme très particulier ; en confiserie, ce serait un excellent bonbon sucré avec une pointe d'acidité. Poe n'est pas loin.
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L'invitation chez les Stirl

Si ce n'est pas une oeuvre majeure de Paul Gadenne et que celle-ci comporte bien des maladresses , il n'en reste pas moins que ce court roman , que je qualifierais plutôt de longue nouvelle , possède un charme particulier lié à ce qu'il déclenche dans le lecteur une frustration ....Frustration de ne pouvoir catégoriser ce récit et d'en définir les contours pour passer à une analyse fine , tranchante et décortiquée comme on aime à le faire , pour ensuite reposer le volume sur son rayonnage avec la satisfaction d'avoir avancer et de pouvoir garder en soi une idée précise de la lecture .

Pour L'invitation chez les Stirl , il faudra oublier sa volonté de maitrise et de classement , et accepter de n'en rien dégager de franc .

C'est une sensation de flottement , de nébulosité , de brumes qui s'insinue en nous à la lecture de cette invitation ! On suit les cogitations tortueuses d'Olivier , invité donc chez ce couple d'amis inquiétant dans une maison à l'image de ses propriétaires ; les volets grinces , les palmiers prennent forme humaine presque , la menace s'insinue partout , dans cette vaste demeure en délabrement coupée du reste du monde en apparence . Une curieuse relation s'établit entre les hôtes et leur invité , particulièrement entre Olivier l'invité et la séduisante et terrifiante petite Mme Stirl . Bien évidemment on peut y voir un exemple du triangle amoureux dans toute sa complexité mais Paul Gadenne surcharge le récit d'une approche fantastique elle-même alourdie par un tâtonnement psychologique sans fondement . Mouvance , errance dans l'obscurité d'un objectif d'écrivain inabouti : Je le déconseillerai pour une première lecture de cet écrivain car cet ouvrage n'est en rien représentatif de l'ensemble de son oeuvre .

Et pourtant , en dépit de tout ce que je viens de souligner , j'ai aimé ce roman qui n'est pas sans me rappeler , le tour d'écrou d'henry James ,dans cette atmosphère d'étrangeté et de perversité effrayante des personnages .



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L'invitation chez les Stirl

Encore un roman tout en non-dits, tout en tension par l'immense Paul Gadenne. Pour sa défense, il annonce la couleur dès la préface: "l'intérêt de ce récit n'est pas là, mais uniquement dans l'ambition que j'ai eue, et que je dévoile sans me faire prier, de composer un ouvrage où ce qui compte est tout ce qui n'est pas dit". Pour l'essentiel cet ouvrage raconte le séjour d'Olivier Lérins dans le domaine des époux Stirl, situé non loin de la bourgade imaginaire de Barcos. M. Stirl est un être effacé, et sa femme, semble avoir un passif important avec Olivier Lérins, mais qui n'est jamais abordé de front. Le style est excellent, l'histoire prenante, l'auteur a, à mon sens, parfaitement atteint son ambition.
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L'invitation chez les Stirl

Vous est-il déjà arrivé d’accepter une invitation puis, une fois arrivé chez vos amis, de vous sentir légèrement importun, pas vraiment le bienvenu ? Ou peut-être, et même plus probablement, vous est-il arrivé, en vous rendant à une invitation, de craindre plus ou moins obscurément quelque chose de similaire. Une ambiance délétère, mais impossible d’en partir sous peine de grave impolitesse. Coincé là, dans le malaise…



C’est en substance ce qui arrive au héros de l’histoire, Olivier Lérins. Les Stirls, de vieux amis à lui, l’invitent depuis deux ans. Cette fois, impossible de se défiler. Ils possèdent une gigantesque maison dans le sud de la France. C’est un couple original, étrange, assez excentrique. Le mari est architecte, gagne fort bien sa vie, mais traite son métier avec une certaine légèreté. Un homme impeccablement poli, un fort bon ami. Avec la femme, Edith, sa relation est plus complexe. Une amie, une muse, une confidente, un amour secret peut-être…



Mais à peine arrivé, quelque chose est bizarre. Aucune voiture n’est venue le chercher à la gare. Chaque discussion se transforme en petite bataille. La belle Edith est en permanence accompagnée de deux molosses aussi déchainés que mal dressés, et qui ne laissent aucune place à l’intimité. Intimité qu’elle semble fuir d’ailleurs. Son mari est rarement là. La maison est gigantesque, en grande partie inhabitée, voir même inexplorée. Le climat est éprouvant, pluie et vent pour l’essentiel. Toutes les propositions d’excursion d’Olivier sont accueillies évasivement. Etrange séjour…



Paul Gadenne était un écrivain des années 50 aujourd’hui passablement oublié, dont la vie fut courte et passée en grande partie dans les sanatoriums. Du peu qu’on en trouve sur Internet, il était connu pour sa capacité à construire des ambiances pesantes en peu de mot. La lecture de ce livre le confirme.
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La plage de Scheveningen

La Libération – Guillaume Arnoult est de retour à Paris pour retrouver son amour d’avant guerre Irène. Ils décident, le temps d’un week-end, de retourner au plus près d’un moment mémoire de leur ancienne relation : la fameuse plage de Scheveningen peinte par Van Gogh ou Salomon de Ruisdael. En parallèle se déroule le jugement de Hersent, un ancien camarade de lycée, devenu un célèbre journaliste collaborationniste. Par bribes vont remonter des souvenirs, des obsessions, des blessures qui vont alimenter une réflexion aussi bien sur la relation amoureuse que la relation de Guillaume envers Hersent dont l’écho mutuel ramène à la surface des sujets comme la trahison, le courage, la force, le destin …

Outre la richesse des idées émises qui sont loin des poncifs souvent émis, j’ai surtout apprécié le style de Gadenne précis dans les descriptions des sentiments mêlés aux paysages. Un auteur dont je compte parcourir d’autres œuvres …

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La plage de Scheveningen

L'intrigue est difficile à comprendre et tortueuse, mais pourtant très profonde. On ne la découvre que peu à peu à travers les souvenirs, souvent tronqués, du personnage principal. C'est l'histoire de retrouvailles entre amants séparés pendant ou juste avant la guerre.
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La plage de Scheveningen

C'est l'automne . Pas n'importe lequel , celui de 44 . Guillaume Arnoult refait ses premiers pas dans le monde civil et tente de retrouver des repères affectifs dans ce Paris désolé où les gens sont bien tous les mêmes mais différents aussi : le temps a fait son travail , la guerre a abimé aussi .

Mais c'est à deux êtres plus précisement qu'il pense en renouant contact avec le cercle d'amis : Irène , son amour qui rompit leur relation un jour sans lui donner d'explication et Hersent son ami de jeunesse .



Au cours d'une longue nuit qu'ils passeront dans une chambre d'Hôtel face à une plage qui leur rappellera celle qui symbolise leur amour , cette "plage de Scheveningen" d'un tableau de Ruysdael....qu'ils s'étaient promis de trouver dans les heures les plus folles de leur amour de jeunesse ,

Au cours de cette longue nuit qui parait sans fin ressemblant à un rêve dans une longue discussion qui semble n'aboutir qu'à des impasses ,

Le passé resurgira sans que le présent puisse éclairer les pages obscures de celui-ci .









Une pesanteur enveloppe la nuit , l'humanité toute entière semble être au rendez vous . Si Irène se glissera à travers les mots pour conserver son mystère laissant au lecteur et à Guillaume une grande place pour imaginer , faire et défaire des situations placées sur l'unique de la probabilité , c'est aussi pour mieux ancrer une autre histoire qui se tisse en filigrane : celle d'Hersent , l'ami qui a vendu son âme au diable , le traitre qui fait la une des journaux .



Et à travers un long monologue intérieur , Guillaume essaiera de concilier Hersent d'avant , l'ami tumultueux et déjà portant en lui le germe du mal , comme nous tous , mais peut-être de façon plus exalté avec le coupable banni de la société et qui finira sur l'échafaud : les souvenirs se réveillent ...pêle-mêle. Alimentant le besoin de trouver des réponses à l'inacceptable , en vain . Chercher où se situe la frontière entre le germe du mal et le passage à l'acte , irréversible et où le salut n'existe plus . Nous sommes tous des Cains en puissance , et en ce sens le jugement du frère ne doit pas exister . Comment rendre justice ....



Citation :

Nous étions des hommes, et nous découvrions qu’être des hommes, c’était répondre au même nom que nos bourreaux»

Voilà qui me rappelle la pensée de Kertesz .



Au delà de la trame romanesque qui se réduit d'ailleurs à peau de chagrin puisque de mouvements s' il en est , il n'en existe qu'un ici : celui de la pensée avec d'incessants allers et retours entre le présent et le passé , des digressions métaphysiques où il faudra trouver le véritable sens à cette oeuvre .



Il n'échappera pas au lecteur qu'il s'agit d'un discours chrétien : l'évocation des mythes bibliques jalonnent l'ensemble du texte et lui apporte une dimension supérieure .

Une nuit oppressante , pour Guillaume , pour le lecteur : On cherche à sortir de ces tenèbres pour rejoindre Irène ( la paix en grec ) vers la lumière .

La rencontre ne se fera pas .

Mais avant de partir , Irène laissera le laisser-passer à Guillaume pour qu'il retrouve ....La paix . Ailleurs ,et sous d'autres traits . Une fin lumineuse et ouverte .

Ce roman est totalement inspiré de la biographie de Paul Gadenne , l'écriture a certainement du avoir un rôle cathartique .



Paul Gadenne est un immense écrivain , injustement oublié avec une puissance quasi Dostoievskienne et d'un talent d'écriture exceptionnel .

La plage de Schevenigen pourrait faire un excellent support d'études philosophiques , rien n'est laissé au hasard , chaque virgule , changement de rythme possède un sens . Tous les personnages comportent une dimension symbolique .



Une seule lecture ne suffira pas pour venir à bout de cette oeuvre plus complexe qu'elle n'y parait .

Un bijou ?

Non , un chef-d'oeuvre .

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La plage de Scheveningen

Paris, 1944. Guillaume Arnoult recherche Irène qu'il n'a plus revue depuis plusieurs années. Lorsqu'il la retrouve, il apprend la condamnation à mort d'Hersent, l'un de ses amis.

🌊 Dans ce roman, Paul Gadenne relate les retrouvailles d'Irène et Guillaume d'un ton léger comme si les deux amants s'étaient retrouvés sans que ces années de guerre aient laissé quelque noirceur dans leurs esprits et leurs cœurs. Cette apparente tranquille ambiance est également présente dans cette nuit qui occupera la quasi-totalité du roman. Dans cette chambre, face à la mer, l'auteur étire ces heures nocturnes faites de discussions, escapade, et entrecoupées de souvenirs. Guillaume s'interroge sur le chemin pris par Hersent tandis qu'Irène à la silhouette éthérée allège l'atmosphère.

Paul Gadenne décrit avec délicatesse les questions intestines de Guillaume ; une réserve qui n'abolit pas le drame qui se profile.

Superbe passage sur Caïn.

Une fin lumineuse.



Qui me connaît sait que je ne pouvais qu'aimer l'écriture de l'auteur (il ne saurait en être autrement). J'ai corné de nombreuses pages, les ai relues régulièrement au cours du roman, suis revenue souvent en arrière dès que je reprenais ma lecture.

Des mots superbes.

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La plage de Scheveningen

‘’Dans une guerre civile, c’est essentiellement votre position géographique au déclenchement qui décide de votre camp’’, a dit Hugh Thomas au sujet de la guerre d’Espagne. Mais certains aussi choisissent leur camp tôt, voire très tôt… Et parfois c’était le ‘’mauvais’’.



Nous sommes peu après la libération de la France. L’épuration bas son plein. Pour se protéger, chacun essaye de hurler plus fort que son voisin. Le héros, Guillaume, déambule un peu perdu dans ce monde en pleine mutation. Il retrouve son amour de jadis, Irène, jeune fille dont le charactère imprévisible fait en grande partie du charme. Sur un coup de tête, tous deux empruntent une voiture et partent en route d’une plage vue jadis sur un tableau flamand du XVIIème siècle. Leur voyage de retrouvaille se ponctue de souvenirs, de discussions aussi impromptues que décousues, et de tentatives (de Guillaume du moins) de renouer les fils qui peuvent l’être.



Au-dessus de cette histoire avortée et d’un récit à peu près dénué d’action, plane en permanence la figure de Robert Brasillach, à peine travesti sous le nom d’Hersent. L’un des écrivains les plus prometteurs de l’entre-deux guerre, critique de théâtre et de cinéma à qui l’on doit l’introduction du cinéma japonais en France… Devenu tête de proue et caution intellectuelle de la collaboration, auteur vedette de ‘’Je suis partout’’ où il appelait hebdomadairement à l’extermination des juifs ; arrêté, jugé et fusillé à la Libération ; dont la grâce fut personnellement refusé par De Gaulle malgré une pétition signée par les deux-tiers des écrivains français (dont Colette, Paulhan, Mauriac et Camus).



Comment le jeune homme brillant et charmant peut-il être la même personne que ce partisan acharné de l’ultra collaboration ? Comment ses rhétoriques déroutantes ont-elles pu se transformer en appels au meurtre enragés ? Que fait ce gringalet à grosse lunette avec son sourire d’adolescent au côté de Doriot en grand uniforme SS ? La schizophrénie est totale dans l’esprit de Gadenne, pour qui ces deux images n’arrivent tout simplement pas à se superposer. Et toujours, où qu’il aille, revient cette phrase : ‘’vous étiez amis, non ?’’



Gadene n’est pas homme à chercher des excuses ou aligner des explications. Il sait tout de l’homme qui a été fusillé et qui a été son ami. Il hait ses discours. Et il aime l’homme envers et contre tout. L’histoire, déroutante et sans explication, semble n’être là que pour souligner combien cette conclusion est elle-même déroutante et sans explication.

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La plage de Scheveningen

Gadenne, un immense écrivain oublié



http://www.denecessitevertu.fr/
Lien : http://www.denecessitevertu...
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La plage de Scheveningen

Tout est subtilement suggère dans ce livre ou nous suivons la narration déroutante dont le chemin n'est pas trace d'avance et ou les émotions et personnages ont le flou des motifs du tableau dont il s'inspire et dont l'évocation surgit au hasard,une merveilleuse lecture
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La plage de Scheveningen

En cours de lecture.

Je voulais abandonner car la façon d'écrire de l'auteur me rebute un peu.

Vu les commentaires enthousiastes, je me laisse la possibilité de le reprendre (peut-être) plus tard.

D'autant que son style me fait un peu penser à Laurent Mauvigné, auteur qu'il m'arrive de beaucoup apprécier (mais pas toujours).
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La plage de Scheveningen

L'ombre portée de Caïn



Dans “La plage de Scheveningen” de Paul Gadenne, je ne puis oublier les personnages de clair-obscur que sont Irène et Guillaume : ces deux êtres esseulés qui cherchent une langue commune pour ne pas choir dans la nuit de la parole.



Au-dessus de cet ouvrage plane l'ombre portée de la figure de Caïn, au travers du personnage de Hersent (double littéraire de Robert Brasillach). Irène et Guillaume sont en quête d'une impossible réponse concernant l'action de collaboration du personnage de Hersent (Brasillach), et ne peuvent pour autant hurler avec la meute. Ils savent trop à quel point il n'est pas de chose plus difficile que de condamner un homme.



La vision de Paul Gadenne n'est pas tant pessimiste que terriblement lucide (au sens étymologique de ce mot : “brillant”, et de ce fait éclairant sur la nature humaine). Gadenne creuse au sein des relations entre les êtres : il donne à voir l'infranchissable tranchée qui nous sépare tous les uns des autres.



Son livre entier est une sorte de “plaidoirie” : le personnage de Guillaume recherche Irène parce qu'il estime qu'elle l'a mal jugé ; Guillaume et Irène s'interrogent sur la légitimité de la justice française à condamner à mort le personnage de Hersent (Brasillach) ; sans parler du magistral monologue de Caïn à la fin du livre où les mots semblent littéralement vomir une bile noire sur le blanc du papier. D'ailleurs, ce n'est pas innocemment que Paul Gadenne a placé en exergue au seuil de son livre, cette phrase que Caïn dit à Dieu dans la Genèse : « Quiconque me trouvera, me tuera. » La justice des hommes ne convainc pas Paul Gadenne.



Caïn (autrement dit l'homme) ne peut accepter ceci : à savoir que « le vent souffle où il veut ».

Et si l'offrande de son bûcher n'est pas dûment reconnue, alors il n'aura de cesse d'avoir brûlé tous ses frères humains dans le noir brasier de sa folie destructrice.

Peut-être n'avons-nous inventé notre faible représentation humaine du Créateur de toutes choses que pour nous chercher en fait une excuse au mal que nous faisons : une manière de nous exempter de nos propres fautes. Orgueilleux que nous sommes, nous avons soif de détruire ce que nous n'avons pu créer de nos propres mains.

Depuis la Nuit des Temps, nous ne cessons de perpétuer « le Temps de la Nuit », comme pour mieux voiler la lumière vivante du soleil, éclabousser de sang son ardent visage de sel.



Paul Gadenne / Guillaume Arnoult ne veut pas juger un homme, même s'il ne soutient pas son action. C'est cette prise de position qui est la plus troublante et la plus noble au sein d'une époque où l'on condamnait à tour de bras, coupables et innocents mélangés. Gadenne écrira d'ailleurs une lettre à Robert Brasillach… qu'il ne lui enverra jamais.



Ce livre de Paul Gadenne est au fond comme un douloureux écho aux mots prononcés par le Fils de l'Homme sur sa croix de douleurs. Car notre lot commun est de ne jamais vraiment savoir pleinement ce que nous faisons ni même pourquoi nous le faisons. Et qui pourra bien nous pardonner cela ? Dans ce procès métaphysique, nous sommes juge et partie.



À présent, j'aimerais livrer aux lecteurs de ces lignes, un passage du roman, dans lequel Guillaume / Gadenne et Hersent / Brasillach s'entretiennent avec passion de questions métaphysiques, non loin d'un cimetière :

« – Tu m'excuseras, dit Arnoult, mais même si tu me prouvais en ce moment que l'homme est seul… Oui, néant pour néant, je préfère le néant complet… Si je ne puis compter sur une pensée juste, aimante, connaissant la raison intime de mes faits et gestes, en somme sur la mémoire de Dieu, eh bien, je préfère ne compter sur rien, j'abandonne à l'instant toute prétention, je ne veux pas être autre chose qu'une poussière à la surface d'une poussière, – cette poussière d'astres que du moins j'aurai passionnément aimée. Si ces hommes devant nous n'ont pu compter au moment de mourir sur la mémoire de Dieu, ces noms et ces dates sur leurs tombes sont de trop, ils nous mentent, ils troublent inutilement notre néant. Et ces tombes elles-mêmes sont de trop ! Si le monde continue à être ce qu'il est, Hersent, nous n'aurons plus besoin de cimetières, plus besoin d'aligner des tombes. Nous referons des charniers. (…)
– Solitude pour solitude, reprit-il devant le silence d'Hersent, celle de l'humanité entière prise dans le cours de son histoire ne vaut pas mieux que celle d'un homme pris en particulier. Accepterais-tu de passer ta vie dans une prison ? de passer ta vie sans témoin ?... Sans l'espoir d'un témoin, d'un regard sur toi, tu meurs ; et tous les gestes, les pensées de ce prisonnier qu'est chacun de nous ne vont qu'à invoquer, à susciter un témoin hors des murs entre lesquels nous vivons, et quelquefois hors de notre époque. Sans quoi on ne s'apercevrait même plus qu'on est en prison, hein, et il n'y aurait pas de différence entre la vie et la mort. le bourreau qui viendrait nous appeler au petit matin, qu'est-ce qu'il changerait à notre sort ? Rien. Absolument rien. Une fourmi écrasée, voilà ce que ce serait. Quelque chose de si accablant, de si inexistant qu'il n'y aurait même pas de quoi crier. Si l'humanité sait qu'elle vit sans témoin, elle est à elle-même sa prison. Nous sommes tous prisonniers, Hersent, dans ta perspective. Si Dieu n'existe pas, comprends donc, il faut le faire exister. » Paul Gadenne (in “La plage de Scheveningen”, p. 176-178)



Thibault Marconnet

03/08/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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La plage de Scheveningen

En attendant sa nouvelle affectation, Guillaume Arnoult, le personnage principal, erre dans le Paris trouble de 1944, égaré entre deux mondes qui ne parviennent pas à se rejoindre : celui d’avant et après l’occupation.



« Il arpentait Paris, avec cette légère méfiance qu’on vient de rendre à l’air libre. Il lui semblait que dans ce monde, qui était déjà le monde d’« après », il n’y avait plus de place pour le bonheur. Malgré lui, malgré tout son désir de retrouver le Paris où il avait vécu, il comprenait en circulant sur ces trottoirs gris, que personne n’aurait jamais plus vingt ans. »



Il se souvient des lieux, des connaissances dont les relations se sont arrêtées brutalement avec la guerre. Il se souvient notamment d’Irène, cette femme qu’il a aimée avant la guerre. Il est obsédé par la pensée qu’elle ait pu le quitter pour ce qu’il n’était pas, qu’elle est pu le juger à tort. Il projette sur elle la possibilité d’un apaisement et peut être une autre forme de bonheur. Parviendra-t-il à retrouver cette sérénité qu’il avait éprouvé avec elle devant la plage de Scheveningen, cette peinture de Ruysdael ?



« Il lui semblait soudain qu’elle seule aurait pu mettre fin à cette impression de solitude, d’abandon, de faute universelle où il vivait. »



Il lui devient vital d’éclaircir leur relation passée et décide de la retrouver. Mais tandis qu’il la recherche, contre toute attente, tout le ramène à Hersent, cet ami d’enfance, écrivain talentueux, accusé de collaboration: un traître. Guillaume ne parvient pas à réconcilier l’homme et ses idées, se refuse à le juger et s’interroge pour essayer de comprendre. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il choisi cette voie, lui qu’il admirait tant ?

Un début prometteur non ?



Mais voilà, cela n’a pas suffi. Assez rapidement, j’ai commencé à regarder le nombre de pages qu’il me restait à lire, ce qui n’est jamais très bon signe… Bien qu’écrit essentiellement à la troisième personne, j’ai eu étrangement l’impression d’écouter un monologue. Même les rares dialogues m’ont laissé cette impression de monologue. En dépit de très beaux passages et une belle écriture enveloppante, le narrateur a fini par me noyer dans un entrelacs de réflexions plus ou moins métaphysiques. Je ne parvenais pas à comprendre où il voulait m’emmener. Je ne suis d’ailleurs toujours pas certaine de le savoir.



« Rien n’arrête le travail de la pensée. » dira Guillaume Arnoult. Et sa pensée est en effet toujours en ébullition : un mot, un paysage, un objet, un lieu, un geste le faisant dériver vers d’autres pensées pour revenir à celles qui le préoccupent réellement. Réellement ? Ou ne sont-elles qu’un paravent à d’autres pensées plus refoulées ? Il creuse, il fouille, s’interroge sur le bien et le mal, la responsabilité collective et individuelle, sur la justice (ou l’injustice) des jugements, sur la justification des châtiments, sur la solitude des êtres, la difficulté à connaitre autrui ; autant de thèmes qui pourtant m’intéressaient mais qui ne sont pas parvenus à maintenir mon intérêt.



Paul Gadenne est souvent présenté comme un grand auteur méconnu du XXème siècle. C’est d’ailleurs ce qui m’a attirée vers cette lecture, ça, et quelques extraits attrayants. Alors évidemment, j’aurais bien aimé afficher un enthousiasme un peu plus débordant, d’autant les qualités d’écriture sont indéniables. Mais le fait est qu’il m’a laissée sur le bord du chemin.

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Le jour que voici

Petite maison d'édition.

Travail artisanal de grande qualité pour les amoureux du livre.

Il a été tiré 80 exemplaires sur centaure ivoire de 120 gr.

Un joyau d'écriture.
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Le vent noir

Je ne m'aventurerai pas à critiquer ce roman, qui mériterait une place de choix dans la littérature française; pour faire simple, c'est l'histoire d'un homme qui s'obsède peu à peu pour une femme qui n'est pas très réceptive à ses charmes; il se montre d'abord prévenant, mais cela tourne vite à l'excès. L'écriture est tortueuse, torturée, l'écrivain étant visiblement hanté par la question de la séparation, de la solitude inhérente à l'être humain. On ne comprend pas tout, et c'est le but de l'auteur qui préfère évoquer les choses de façon indirecte, détournée, à travers un narrateur qui s'enfonce dans l'esprit des personnages entraînés par leurs tourments.
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Le vent noir

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Les Hauts-Quartiers

Il en faut du souffle pour venir à bout de cette dernière oeuvre , publiée16 ans après la mort de l'auteur .

Surtout qu'il ne s'y passe rien , amateurs d'aventures passez votre chemin .

A moins que vous ne fassiez partis de ceux qui vivent et considèrent la vie , même de peu , même dans ce qu'elle a de plus ordinaire et trivial , comme une véritable aventure .

C'est de cela dont il s'agit .

Mais comme l'ordinaire n'est rien moins qu'ordinaire et que celui qui prend le temps et le recul nécessaire pour l'appréhender sous ses différentes strates sera récompensé ou puni de sa perspicacité , Paul Gadenne nous offre un roman foisonnant , riches en réflexions fondamentales , de ces réflexions qui affligent autant qu'elles peuvent nourrir la ferveur de l'homme en quête de sens .

Nous suivrons Didier Aubert dans son parcours de vie bref , intense et douloureux qui se terminera comme la passion du Christ .Ou presque .

Didier Aubert , en quête lui aussi . la quête de l'effacement , de l'oubli et de la transcendance . Nourri par des lectures de Maitre Eckhart , Kierkegaard, Peguy et j'en passe , il n'a d'autres but que d'écrire un traité sur la vie des Saints .

Difficile comme tâche lorsque on est désespérément homme et soumis à toutes les souffrances terrestres . Et il a son lot dans le domaine : tuberculeux , pauvre et exposé à l'opprobre qui sévit toujours plus dès lors qu'on a la malchance de vivre dans les "hauts-quartiers " .

De là Paul Gadenne nous offre quelques portraits représentatifs de cette société post-guerre où la bourgeoisie n'en finit plus de s'embourgeoiser . Au détriment du menu peuple bien sûr , il ne saurait en être autrement .Sous la bénédiction de notre Sainte Eglise priez pour nous . Et comme les accointances du pouvoir politique et du pouvoir religieux ne se sont jamais si bien portées , en ces périodes post traumatisme , où les fondations du système social se trouvent fortement ébranlées par toute l'horreur des années de guerres et ses atrocités , la canaillerie (ou bourgeoisie , c'est bonnet blanc et blanc bonnet chez Gadenne ) s'encanaille à qui mieux à mieux ,

Paul Gadenne ne fait pas de quartiers : Les personnages sont scrupuleusement analysés pour en faire sortir toute la noirceur et la perversité . Tous les mêmes , dans les hauts-quartiers au delà de leur apparence souvent trompeuses hélas pour notre Didier qui , quoique en quête d'effacement , nous offre le paradoxe de l'homme en proie à ses désirs de renoncement et/ou d'élevation et ceux plus primaires de l'homme en quête d'amour , d'affection et de tendresse .

Affection et tendresse qu'il croisera , sans pouvoir les saisir , la quête d'absolu ne peut pas s'embarrasser bien longtemps de tout ce que cela implique d',engagement et d'enracinement terrestre . L'occasion de rencontrer l'amour et ses méandres à travers des personnages excessivement complexes ou simples dont on ne parviendra jamais à saisir le fond malgré les interminables pages d'analyse psychologique !

Finalement notre homme de l'effacement a bien des difficultés à atteindre son but , tant ses sentiments exacerbés le ramène à la vie, enchaîné par ce corps souffreteux mais violemment vivant , révolté , plein de sève et d'exaltation . Il est bien loin le chemin de la sainteté et c'est tant mieux car sa révolte douloureuse , son regard sans indulgence sur l'humanité , son audace libertaire pied de nez à tout pouvoir coercitif constitue l'essence même de cette oeuvre : Finalement l'insolence et la liberté de penser dans un monde d'hypocrisie , n'est-ce pas le début de la sainteté ?

Alors ...

Déjà prometteur avec Le jour que voici , une oeuvre de jeunesse hélas quasiment introuvable aujourd'hui ( merci la BDP ! ).

Enchanteur avec La baleine , court récit métaphorique offrant multiples interprétations ,

Ténébreux et exigeant , hanté déjà par la culpabilité et la noirceur de l'humanité dans La Plage de Scheveningen

Paul Gadenne nous offre une dernière oeuvre encore différente , plus dense , plus douloureuse encore , dans un style d'une élégance rare qui n'est pas s'en rappeler l'écriture Proustienne , toutes proportion gardées , Dostoïevskienne dans ses obsessions .

En ces temps de folie et de fuite avant , voilà une lecture qui nous force à nous poser et à regarder sans complaisance le triste état de notre humanité .

On peut se demander pourquoi un format si dense , alors que ,emputé de quelques centaines de pages ,il aurait probablement trouvé plus de lectorat . Je ne peux m'empêcher d'y voir une forme expiatoire , pour celui qui fustigeait l'église et ses travers et qui pourtant était fortement empreint de tradition judéo-chrétienne . Façon aussi de mettre à l'honneur la notion de mérite : abruptement je dirais ....qu'il faut quand même se les farcir ces 600 ou 700 pages !
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Les Hauts-Quartiers

Certes le roman est un peu trop long. Mais l'acuité des analyses, la beauté de la phrase, la recherche de la profondeur, ces sortes d'envolées quittant la réalité matérielle à la poursuite de l'impalpable, de la tentative de sa traduction et du désir le communiquer, je ne le retrouve nulle part ailleurs (sauf en prose poétique, Gustave Roud, Jaccottet...)

Pour cela, je n'ai que hâte de lire ses autres oeuvres.
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Les Hauts-Quartiers

Roman magnifique, paru seize ans après la mort de Paul Gadenne (1907-1956), Les Hauts-Quartiers parle d'effacement et de dépouillement. La réédition en poche de ce texte presque introuvable est une belle occasion de le tirer d'un purgatoire injuste.
Lien : http://www.telerama.fr/criti..
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