AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Paul Gadenne (46)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Baleine

Une baleine échouée, belle masse blanche posée et brillante comme une carrière de marbre. Un homme, une femme qui croyant ne voir qu’une bête ensablée se retrouvent à contempler une planète morte. La putréfaction qui monte, une odeur de mort, des masses roses sur du blanc laiteux. Le reflux de l’eau qui bat méthodiquement avec l’obstination des choses qui se font sans savoir. Cette certitude que la vraie foi doit ressembler aux atomes : il suffit qu’il y en ait un qui éclate… Courte nouvelle, courte merveille. La force d’un constat métaphysique ou rien n’est jamais souligné, mais où tout est saisi par la sensation : « Ce blanc aurait pu être celui de certaines pierres, dont l’effort vers la transparence s’est heurté à trop d’opacité, et dont toute la lumière est tournée vers l’intérieur. »
Commenter  J’apprécie          20
L'invitation chez les Stirl

L'invitation chez les Stirl (prononcez "Steurl") ne porte pas l'étiquette "roman", mais l'auteur, décédé en 1956, a pris la précaution de préciser dans une note introductive "que tout ici est invention pure", tout en plaçant le cadre de son récit dans une ville thermale bien réelle des Basses-Pyrénées. Il ajoute que son "ambition est de composer un ouvrage où ce qui compte est tout ce qui n'est pas dit". En quelque sorte, il rejoint Flaubert et son rêve d'écrire un roman dans lequel il ne se passe rien.



De ce point de vue, c'est presque gagné : deux personnages principaux, deux secondaires et un événement fortuit, voilà toutes les composantes avec lesquelles Paul Gadenne nous fait partager un séjour dans une villa démesurée et encombrée de vieilles vieilleries.



Olivier est invité par Mme Stirl à venir séjourner chez elle et son mari d'origine irlandaise. On ne sait pas d'où vient Olivier ni quoi que ce soit de sa probable relation antécédente avec Mme Stirl. Cette dernière, en contradiction apparente avec l'invitation qu'elle lui avait adressée, pose une sorte de barrière entre elle et son invité. La dite barrière est au moins double : d'abord deux énormes chiens menaçants, mais surtout le regard de Mme Stirl dont les yeux métalliques mettent mal à l'aise Olivier. Ce dernier n'a pas moyen de placer un mot : Madame parle et s'agite sans cesse. Lorsque, enfin, s'ouvre l'opportunité d'un rapprochement, Madame s'éloigne. Olivier parviendra à maîtriser les chiens, mais leur maîtresse lui échappera sans cesse.



Tout au long du récit, l'invité devient la victime. Piégé dans le malaise grandissant du non-dit, prisonnier de son éducation (il ne s'enfuit pas peut-être par politesse, à moins que ce ne soit dans l'attente vaine d'un changement d'attitude de son hôtesse...), Olivier donne l'impression d'être le naïf objet d'une vengeance froidement calculée, mais dont le lecteur et la victime elle-même ignorent la raison.



Confirmé : il ne se passe pas grand chose. Mais le climat tout empreint d'ambiguïté et le style merveilleux donnent à cette lecture un charme très particulier ; en confiserie, ce serait un excellent bonbon sucré avec une pointe d'acidité. Poe n'est pas loin.
Commenter  J’apprécie          00
Siloé

Jusqu'à maintenant, le moins bon Gadenne que j'ai lu. Certes il y a toujours cette phrase unique, reconnaissable, et d'une intelligence fulgurante. Cependant, je trouve dans cette ouvrage une certaine dose de romantisme qui est complètement absente des autres que j'ai pu lire et que je ne trouve pas très heureuse. Cela vient sans doute du personnage principal, qui est un cérébral, mais c'est vrai que certains des dialogues qu'il tient avec son amoureuse m'ont presque porté à rire tant ils étaient abstraits. Ce qui me déplaît, aussi, c'est ce constant retour sur les descriptions de montagne, qui certes sont faits avec maestria, mais donnent beaucoup de lourdeur au propos. Par bien des points, et je ne suis pas le premier à le souligner, ce livre fait penser à la Montagne Magique de Thomas Mann. Attention, cela reste de très haut niveau, mais moindre par exemple que le Vent Noir ou la Plage de Scheveningen. Les thématiques chères à Paul Gadenne sont bien là. J'ai beaucoup aimé quelques éléments secondaires du livre, comme la transfiguration de Pondorge en orateur génial et incompris ainsi que la satyre du milieu universitaire, en entrée. Avec Gadenne, on est bien souvent dans la perte de l'être aimé, et cet ouvrage ne fait pas exception.
Commenter  J’apprécie          20
La plage de Scheveningen

‘’Dans une guerre civile, c’est essentiellement votre position géographique au déclenchement qui décide de votre camp’’, a dit Hugh Thomas au sujet de la guerre d’Espagne. Mais certains aussi choisissent leur camp tôt, voire très tôt… Et parfois c’était le ‘’mauvais’’.



Nous sommes peu après la libération de la France. L’épuration bas son plein. Pour se protéger, chacun essaye de hurler plus fort que son voisin. Le héros, Guillaume, déambule un peu perdu dans ce monde en pleine mutation. Il retrouve son amour de jadis, Irène, jeune fille dont le charactère imprévisible fait en grande partie du charme. Sur un coup de tête, tous deux empruntent une voiture et partent en route d’une plage vue jadis sur un tableau flamand du XVIIème siècle. Leur voyage de retrouvaille se ponctue de souvenirs, de discussions aussi impromptues que décousues, et de tentatives (de Guillaume du moins) de renouer les fils qui peuvent l’être.



Au-dessus de cette histoire avortée et d’un récit à peu près dénué d’action, plane en permanence la figure de Robert Brasillach, à peine travesti sous le nom d’Hersent. L’un des écrivains les plus prometteurs de l’entre-deux guerre, critique de théâtre et de cinéma à qui l’on doit l’introduction du cinéma japonais en France… Devenu tête de proue et caution intellectuelle de la collaboration, auteur vedette de ‘’Je suis partout’’ où il appelait hebdomadairement à l’extermination des juifs ; arrêté, jugé et fusillé à la Libération ; dont la grâce fut personnellement refusé par De Gaulle malgré une pétition signée par les deux-tiers des écrivains français (dont Colette, Paulhan, Mauriac et Camus).



Comment le jeune homme brillant et charmant peut-il être la même personne que ce partisan acharné de l’ultra collaboration ? Comment ses rhétoriques déroutantes ont-elles pu se transformer en appels au meurtre enragés ? Que fait ce gringalet à grosse lunette avec son sourire d’adolescent au côté de Doriot en grand uniforme SS ? La schizophrénie est totale dans l’esprit de Gadenne, pour qui ces deux images n’arrivent tout simplement pas à se superposer. Et toujours, où qu’il aille, revient cette phrase : ‘’vous étiez amis, non ?’’



Gadene n’est pas homme à chercher des excuses ou aligner des explications. Il sait tout de l’homme qui a été fusillé et qui a été son ami. Il hait ses discours. Et il aime l’homme envers et contre tout. L’histoire, déroutante et sans explication, semble n’être là que pour souligner combien cette conclusion est elle-même déroutante et sans explication.

Commenter  J’apprécie          272
Baleine

Pierre et Odile vont voir une baleine blanche échouée, morte et en voie de décomposition, sur une plage de la mer du Nord.

Cette nouvelle de 25 pages est brillamment écrite, la plume est d'une grande élégance et les images d'une grande beauté poétique.

Mais.

"Nous avions cru ne voir qu'une bête ensablée ; nous contemplions une planète morte."

Ça n'est pas une lecture pour les éco-anxieux.

Ni aucun autre anxieux.

Voici ces deux jeunes gens, libres et indolents, placés face à une vision saisissante de la mort.

On sent bien que ça les chamboule ; qu'ils ne seront plus jamais les mêmes après ça (sans qu'on comprenne trop, en fait, ce qu'ils seront ensuite ; j'ai trouvé la chute bien obscure).

Mais qu'on contemple une baleine sur la plage, ou un filet de merlan dans son assiette, le résultat est le même, non ? La mort y est tout aussi présente, n'est-ce pas ?

Creusons donc un peu la métaphore.

La baleine est décrite comme "un monument posé sur le cataclysme européen".

Ça se précise.

Cette nouvelle publiée de façon posthume (Paul Gadenne est mort en 1956) ne nous parlerait-elle pas d'une Europe éventrée et putréfiée par la guerre ?

L'intérieur visible de la baleine ressemble "à un laboratoire écroulé, à l'intérieur convulsé d'une usine".

Lors de leur retour de la plage, Pierre et Odile prennent un tramway : "Des soldats avaient envahi la voiture ; ils avaient bu, comme d'habitude, et commençaient à se prendre de querelle. le vin les avait rendus méchants ; on pouvait être sûr qu'ils avaient employé leur dimanche à quelque chose."

La querelle est leur métier, après tout. Mais c'est un constat assez accablant pour l'armée, ne trouvez-vous pas ? Et le témoignage d'un certain manque de foi en l'espèce humaine...

Alors, ce n'est que mon interprétation. Et ces 25 pages sont si pleines, si denses, qu'il est bien possible que chacun et chacune y trouve la sienne, totalement différente.

De quoi, mais de quoi parle "Baleine" ?
Commenter  J’apprécie          257
Baleine, suivi de L'intellectuel dans le ja..

Baleine est un récit-monstre. L'air de rien, ça a dequoi bouleverser une tête.



On y trouve une telle surenchère de symboles qu'au lieu d'enfermer le propos de la nouvelle dans un étroit réseau de signification, les symboles se relaient et finisse par signifier la totalité du récit, à la virgule près, sans nécessiter de référant extérieur à celui-ci — la narration se fait poésie. Leur abondance et la répetition finit par leur accorder une autorité complète sur la narration, guidant les pas de l'auteur et du lecteur, qui tentent tous deux d'être à leur diapason.



L'Intellectuel dans le jardin m'a énormément plu aussi, malgré les ambitions plus modestes — mais bon, c'est relatif : on a ici affaire au même désir d'inquiéter, mais sur un registre moins métaphysique ; par contre, question d'ambitions, Gadenne s'attache ici à une forme qui ressemble presqu'à une fable, à une allégorie, ce qui, dans le contexte littéraire d'après-guerre, relève d'un certain anachronisme courageux.



La toute dernière nouvelle démontre, s'il avait besoin, les soucis narratologiques de l'auteur. Je ne crois pas que ça m'ait marqué, mais j'aime l'exercice, et j'ai aimé lire ceci après les deux histoires qui l'ont précédé.
Commenter  J’apprécie          00
Baleine

Comment faire d’une baleine échouée sur une plage, le symbole d’un monde en décomposition au lendemain, de la seconde guerre mondiale ?

Baleine, c’est un court récit, je dirais même une courte nouvelle, publiée en 1949.



Baleine, c’est une rumeur qui enflent et réveille un petit groupe d’amis, en pleine discussion oisive dans un salon, « captifs des velours et des soies ». Une baleine blanche s’était échouée sur une plage à quelques kilomètres de là.



Pierre, le narrateur, retrouve Odile avec qui on soupçonne qu’il a une relation (en 35 pages, il ne faut pas attendre beaucoup de détails 😉) et ils partent en quête de l’animal déjà en voie de putréfaction …



Voilà, c’est fini. C’est merveilleusement bien écrit, chaque mot est pesé, chaque phrase ciselée mais cette façon qu’à l’auteur de mêler la matière en déliquescence et l’esprit humain m’a laissée de marbre.



Je crois que je n’avais pas les clés pour apprécier ce qui est vendu pour un chef-d’œuvre.
Commenter  J’apprécie          00
Baleine

Peu d'action dans ces quelques pages : une baleine venue s'échouer sur une plage se meurt.

Où exactement ? Aucune précision n'est donnée.

À quelle époque ? Rien ne permet de le déterminer.

L'auteur ne donne volontairement aucune information, aucune réponse aux deux questions ci-dessus, faisant de son texte un récit hors de tout, hors du temps et de l'espace, et dont la portée est universelle.



La baleine n'est évidemment qu'un symbole, une représentation de notre propre vie.

Animal marin puissant et magnifique, elle devient totalement vulnérable une fois échouée et d'une laideur pitoyable lorsque son corps massif commence à se décomposer.

L'auteur décrit avec finesse les paysages terrestres et marins dont la beauté contraste avec la laideur de ce qu'est devenue la pauvre bête ; il nous offre les odeurs agréables du bord de mer et celles désagréables du monstre pourrissant.

C'est superbement bien écrit !



Baleine est une nouvelle extrêmement originale, à la fois très sobre et très simple mais remplie de poésie.

Très belle, et tellement courte que je l'ai lue d'une traite deux fois de suite.
Commenter  J’apprécie          285
La plage de Scheveningen

En attendant sa nouvelle affectation, Guillaume Arnoult, le personnage principal, erre dans le Paris trouble de 1944, égaré entre deux mondes qui ne parviennent pas à se rejoindre : celui d’avant et après l’occupation.



« Il arpentait Paris, avec cette légère méfiance qu’on vient de rendre à l’air libre. Il lui semblait que dans ce monde, qui était déjà le monde d’« après », il n’y avait plus de place pour le bonheur. Malgré lui, malgré tout son désir de retrouver le Paris où il avait vécu, il comprenait en circulant sur ces trottoirs gris, que personne n’aurait jamais plus vingt ans. »



Il se souvient des lieux, des connaissances dont les relations se sont arrêtées brutalement avec la guerre. Il se souvient notamment d’Irène, cette femme qu’il a aimée avant la guerre. Il est obsédé par la pensée qu’elle ait pu le quitter pour ce qu’il n’était pas, qu’elle est pu le juger à tort. Il projette sur elle la possibilité d’un apaisement et peut être une autre forme de bonheur. Parviendra-t-il à retrouver cette sérénité qu’il avait éprouvé avec elle devant la plage de Scheveningen, cette peinture de Ruysdael ?



« Il lui semblait soudain qu’elle seule aurait pu mettre fin à cette impression de solitude, d’abandon, de faute universelle où il vivait. »



Il lui devient vital d’éclaircir leur relation passée et décide de la retrouver. Mais tandis qu’il la recherche, contre toute attente, tout le ramène à Hersent, cet ami d’enfance, écrivain talentueux, accusé de collaboration: un traître. Guillaume ne parvient pas à réconcilier l’homme et ses idées, se refuse à le juger et s’interroge pour essayer de comprendre. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il choisi cette voie, lui qu’il admirait tant ?

Un début prometteur non ?



Mais voilà, cela n’a pas suffi. Assez rapidement, j’ai commencé à regarder le nombre de pages qu’il me restait à lire, ce qui n’est jamais très bon signe… Bien qu’écrit essentiellement à la troisième personne, j’ai eu étrangement l’impression d’écouter un monologue. Même les rares dialogues m’ont laissé cette impression de monologue. En dépit de très beaux passages et une belle écriture enveloppante, le narrateur a fini par me noyer dans un entrelacs de réflexions plus ou moins métaphysiques. Je ne parvenais pas à comprendre où il voulait m’emmener. Je ne suis d’ailleurs toujours pas certaine de le savoir.



« Rien n’arrête le travail de la pensée. » dira Guillaume Arnoult. Et sa pensée est en effet toujours en ébullition : un mot, un paysage, un objet, un lieu, un geste le faisant dériver vers d’autres pensées pour revenir à celles qui le préoccupent réellement. Réellement ? Ou ne sont-elles qu’un paravent à d’autres pensées plus refoulées ? Il creuse, il fouille, s’interroge sur le bien et le mal, la responsabilité collective et individuelle, sur la justice (ou l’injustice) des jugements, sur la justification des châtiments, sur la solitude des êtres, la difficulté à connaitre autrui ; autant de thèmes qui pourtant m’intéressaient mais qui ne sont pas parvenus à maintenir mon intérêt.



Paul Gadenne est souvent présenté comme un grand auteur méconnu du XXème siècle. C’est d’ailleurs ce qui m’a attirée vers cette lecture, ça, et quelques extraits attrayants. Alors évidemment, j’aurais bien aimé afficher un enthousiasme un peu plus débordant, d’autant les qualités d’écriture sont indéniables. Mais le fait est qu’il m’a laissée sur le bord du chemin.

Commenter  J’apprécie          385
La plage de Scheveningen

Paris, 1944. Guillaume Arnoult recherche Irène qu'il n'a plus revue depuis plusieurs années. Lorsqu'il la retrouve, il apprend la condamnation à mort d'Hersent, l'un de ses amis.

🌊 Dans ce roman, Paul Gadenne relate les retrouvailles d'Irène et Guillaume d'un ton léger comme si les deux amants s'étaient retrouvés sans que ces années de guerre aient laissé quelque noirceur dans leurs esprits et leurs cœurs. Cette apparente tranquille ambiance est également présente dans cette nuit qui occupera la quasi-totalité du roman. Dans cette chambre, face à la mer, l'auteur étire ces heures nocturnes faites de discussions, escapade, et entrecoupées de souvenirs. Guillaume s'interroge sur le chemin pris par Hersent tandis qu'Irène à la silhouette éthérée allège l'atmosphère.

Paul Gadenne décrit avec délicatesse les questions intestines de Guillaume ; une réserve qui n'abolit pas le drame qui se profile.

Superbe passage sur Caïn.

Une fin lumineuse.



Qui me connaît sait que je ne pouvais qu'aimer l'écriture de l'auteur (il ne saurait en être autrement). J'ai corné de nombreuses pages, les ai relues régulièrement au cours du roman, suis revenue souvent en arrière dès que je reprenais ma lecture.

Des mots superbes.

Commenter  J’apprécie          40
La plage de Scheveningen

En cours de lecture.

Je voulais abandonner car la façon d'écrire de l'auteur me rebute un peu.

Vu les commentaires enthousiastes, je me laisse la possibilité de le reprendre (peut-être) plus tard.

D'autant que son style me fait un peu penser à Laurent Mauvigné, auteur qu'il m'arrive de beaucoup apprécier (mais pas toujours).
Commenter  J’apprécie          20
Baleine

Baleine est un court récit de la taille d'une nouvelle, - moins d'une trentaine de pages, écrit par un certain Paul Gadenne que je ne connaissais pas. Ce texte publié pour la première fois en 1949 par Albert Camus dans la revue Empédocle, m'a touché par sa beauté, sa grâce, sa profondeur.

Nous sommes dans une ville de bord de mer, une station balnéaire sans doute. Nous faisons la connaissance de deux jeunes personnes, Pierre et Odile. Je les devine nonchalants, avachis sur des coussins, des canapés, presque désinvoltes, étrangers au monde qui les entoure. C'est peut-être une histoire d'amour qui commence... Ils ne savent pas encore qu'une baleine va traverser leurs vies à jamais... Ce n'est pas rien une baleine, ça impose...

La beauté du texte de Paul Gadenne m'a invité à les accompagner, j'ai cheminé avec eux, porté par cette écriture ciselée comme un joyau...

Baleine, c'est le surgissement d'un monde en décomposition, celui de l'après-guerre, un monde privé d'espoir...

La rumeur s'est vite propagée : une baleine s'est échouée sur une des plages toutes proche. Elle n'a pas survécu, elle est là dans sa gigantesque et lente pourriture... Elle est là depuis quelques jours déjà...

Odile est heureuse que Pierre l'invite à aller voir la baleine échouée. C'est pour elle comme un conte de fée, une jubilation qui rompt l'ennui, l'invitation à venir voir le spectacle du fameux cétacé, ce n'est pas tous les jours qu'on peut voir une baleine de près, même échouée, même pourrissante, même devenant charogne. On ne sait pas vraiment de tout cela ce qui attire Pierre et Odile, ce qui les fait se dresser soudain de la mollesse de leurs coussins, oisifs... le monstre ? L'animal venu du fond de l'océan ? L'événement inattendu où il ne se passe jamais rien dans cette station balnéaire ? Ou cette masse qui pourrit et déjà puante, d'une odeur infecte ? Qu'est-ce qui les fait réagir soudainement et venir ?

L'écriture ciselée comme une pierre précieuse est d'une beauté incroyable, pure, précise, mystérieuse en même temps, et c'est ce qui en fait aussi son charme.

La magie de cette lecture tiendrait-elle à la présence d'un cétacé ?

C'est une histoire d'altérité et le sens de ce texte prend alors peu à peu forme dans cette allégorie car, bien sûr, on n'imagine pas que tout ceci a été écrit pour seulement contempler une baleine morte et qui va pourrir tranquillement sur le littoral.

Les mots ont cette précision et cette fausse incertitude qui nous laissent à la lisière d'un paysage presque au bord du vide... Je ne savais pas où j'allais. J'étais prêt dès les premières lignes à me perdre, à m'enivrer...

Il y a une grâce sans cesse à chaque page, - que dis-je, à chaque ligne...

Trente pages pour dire à travers une cathédrale de chair immonde et sublime en même temps, échouée sur du sable, la déchéance, la fragilité de l'existence, la vie après la vie, la vie après la guerre, ce qui peut advenir pour continuer à tenir debout dans ce désastre qui reste...

L'écriture de Paul Gadenne est d'une grande pureté. Je ne saurais dire en quoi elle est bouleversante. Tout paraît si insignifiant, si léger, tandis que les mots de ce texte commence à nous traverser de part en part. La beauté du décor est là, l'océan déjà, et celle de l'envers du décor encore plus belle, plus tragique peut-être.

Des phrases, des dialogues se posent, inachevés, peut-être que le vent du large les emporte...

La beauté de ce récit tient aussi à son mystère, ce qu'il recèle. Ce qu'il ne dit pas, ce qu'il ne dira jamais.

Peut-être que ce texte en si peu de pages nous permet de poser la main sur la beauté de la littérature, ce qu'elle est, sa force, sa puissance sidérale en nous. Ses abymes aussi...

Cette masse qui git dans sa putréfaction devient tout simplement belle sous l'écriture par l'écriture de Paul Gadenne, un monde à la dérive, une cathédrale blanche, béante dans sa blessure immonde, où entre le regard de Pierre et Odile, le nôtre aussi, le regard

Parce qu'à partir d'une charogne posée sur une plage, voilà une magnifique méditation sur la beauté, la beauté du monde, la seule essentielle.

L'indécision et le mystère planent sur l'endroit, les raisons, l'intrigue, on subodore une atmosphère de menace sourde, de presque fin du monde, mais tout cela est purement secondaire.

La seule question essentielle à poser devant une baleine qui pourrit sur une plage et dont la vue nous sidère est bien celle-ci : Pourquoi ?

Pourquoi ?

Éloge de la grâce, des effondrements, éloge des renaissances...

Le texte tient à deux autres mystères. Que vont devenir Pierre et Odile au retour de la plage, dans le chemin qui fracasse les existences, dans la tourmente de la vie d'après ? Après avoir rencontré une baleine échouée et pourrie... Et l'autre mystère, c'est nous, c'est moi : que vais-je faire non pas de ce texte mais des autres lectures à venir, puisque ce récit m'a déjà transformé... ?



Merci à Chrystèle et Sandrine qui m'ont encouragé à cheminer vers ce texte beau et rare.

Commenter  J’apprécie          4832
L'invitation chez les Stirl

Encore un roman tout en non-dits, tout en tension par l'immense Paul Gadenne. Pour sa défense, il annonce la couleur dès la préface: "l'intérêt de ce récit n'est pas là, mais uniquement dans l'ambition que j'ai eue, et que je dévoile sans me faire prier, de composer un ouvrage où ce qui compte est tout ce qui n'est pas dit". Pour l'essentiel cet ouvrage raconte le séjour d'Olivier Lérins dans le domaine des époux Stirl, situé non loin de la bourgade imaginaire de Barcos. M. Stirl est un être effacé, et sa femme, semble avoir un passif important avec Olivier Lérins, mais qui n'est jamais abordé de front. Le style est excellent, l'histoire prenante, l'auteur a, à mon sens, parfaitement atteint son ambition.
Commenter  J’apprécie          20
Baleine

Comment aborder une oeuvre qui vous a bouleversé et d'ont il y aurait tant à dire mais que vous ne trouvez pas les mots ?

D'habitude je suis trop bavard , y compris dans mes critiques sur babelio,  et pourtant j'ai envie de me taire devant ce livre , j'ai longtemps hésité avant de parler de ce livre car il a le pouvoir de m'imposer un silence quasi religieux : je me sens pudique et discret devant lui comme devant une cathédrale imposante ou devant une vérité bouleversante.

A la première lecture je suis passé complêtement à côté et je n'ai à vrai dire à ce moment là rien compris : je trouvais le style prétentieux et j'avais trouvé ce livre élitiste et ça m'avait agacé : qu'elle erreure !

Et puis je me suis lancé dans une seconde lecture en essayant de comprendre où l'auteur voulait en venir , en ignorant les " nous vîmes " , les " il fût ainsi " excetera qui agacaient serieusement ma vision Célinisée de la langue , populaire et immédiate comme gage de sincérité et d'autencité ( en réalité c'était du snobisme inversé ) pour essayer de comprendre le sens du livre.

Et là le gouffre s'est ouvert sous mes pieds , et comme les deux personnages ( amants ? ) du livre j'étais happé dans les profondeurs.

Ce livre me semble vers sa fin , mais l'interprétation n'est que la mienne , le sens du livre étant en suspens et ouvert à l'interprétation , une métaphore de comment le vertige métaphysique peut radicaliser des êtres ; comme si l'hypothèse de fin , qui n'est peut être que la mienne , donc ce n'est pas un spoiler techniquement , d'un extrémisme , y compris l'attentat , comme conséquence d'une prise de conscience mystique et métaphysique de notre place dans l'univers ,  m'a sidéré.

On devrait d'avantage parler de ce livre inouï qui est vivant et qui croit comme une frêle petite fleur blanche et fragile au vent et en même temps de la puissance de destruction d'un big bang.

Inoubliable.

Lisez le vous verrez.
Commenter  J’apprécie          41
Le vent noir

Je ne m'aventurerai pas à critiquer ce roman, qui mériterait une place de choix dans la littérature française; pour faire simple, c'est l'histoire d'un homme qui s'obsède peu à peu pour une femme qui n'est pas très réceptive à ses charmes; il se montre d'abord prévenant, mais cela tourne vite à l'excès. L'écriture est tortueuse, torturée, l'écrivain étant visiblement hanté par la question de la séparation, de la solitude inhérente à l'être humain. On ne comprend pas tout, et c'est le but de l'auteur qui préfère évoquer les choses de façon indirecte, détournée, à travers un narrateur qui s'enfonce dans l'esprit des personnages entraînés par leurs tourments.
Commenter  J’apprécie          20
La plage de Scheveningen

L'intrigue est difficile à comprendre et tortueuse, mais pourtant très profonde. On ne la découvre que peu à peu à travers les souvenirs, souvent tronqués, du personnage principal. C'est l'histoire de retrouvailles entre amants séparés pendant ou juste avant la guerre.
Commenter  J’apprécie          10
Baleine

Une brève nouvelle de Paul Gadenne.

le narrateur et son amie quittent un salon feutré pour aller voir une baleine morte échouée sur la plage.

C'est simple et symboliquement fort.

En plus l'édition toilée rouge et sur papier ivoire est superbe. Un petit bijou qui reflète bien le sujet de cette nouvelle.
Commenter  J’apprécie          30
Les Hauts-Quartiers

Certes le roman est un peu trop long. Mais l'acuité des analyses, la beauté de la phrase, la recherche de la profondeur, ces sortes d'envolées quittant la réalité matérielle à la poursuite de l'impalpable, de la tentative de sa traduction et du désir le communiquer, je ne le retrouve nulle part ailleurs (sauf en prose poétique, Gustave Roud, Jaccottet...)

Pour cela, je n'ai que hâte de lire ses autres oeuvres.
Commenter  J’apprécie          20
Baleine

Petite parenthèse de seulement quelques pages,

un souffle entre deux romans plus épais.

Puissant, dense, malgré sa finesse,

ce petit récit a toute l'allure d'un grand.



Publié en 1949, l'Europe d'après-guerre abattue

marquée par l'horreur de la guerre et la mort,

telle cette baleine en décomposition.

Cette oeuvre traverse le temps,

éternelle.



« … la baleine achevait cet univers chaotique, secrètement accordé dans l'invisible,

qu'elle était un monument posé sur le cataclysme européen. »



*

Pierre et Odile, le temps d'une petite promenade au bord de la côte.

Voir de leurs propres yeux

la baleine échouée sur le rivage.

Curiosité morbide, fascination pour certains,

Dégoût pour d'autres.



Sur la route en lacets,

la mer se découvre

puis se dérobe au regard.

Elle apparaît enfin,

sa surface si paisible, belle et pure dans son habit de cristal.



« La mer était calme, d'un froid lumineux, parsemée d'étranges secrets qui laissaient présager des profondeurs. »



Et puis lentement se dessine

une forme oblongue enfouie dans le sable.

Un colosse terrassé, rejeté par la mer,

Un mastodonte échoué sur la plage,

enlisé.

C'est elle.



« Nous avions cru ne voir qu'une bête ensablée : nous contemplions une planète morte. »



D'abord blanche et scintillante au soleil,

pareille à une montagne de neige,

la baleine se décompose.



« Ce blanc aurait pu être celui de certaines pierres, dont l'effort vers la transparence s'est heurté à trop d'opacité, et dont toute la lumière est tournée vers l'intérieur. »



Dépouille se parant de tons livides, verdâtres et mauves

Elle se teinte des nuances de la mort.

Viscosité, putréfaction, relent fétide.



Quelle tristesse de la voir

avant si belle, si majestueuse, si impressionnante, si puissante,

devenue apathique, insignifiante.

Déchéance.

Vanité.



« C'était là ce qui rendait à ces débris une importance, un sens – une menace – qui nous concernaient directement. Je le sentis en regardant Odile : une étrange, une décisive sympathie s'était nouée en nous pour l'être qui était venu terminer là sa durée, une sympathie qui nous isolait avec lui sur cette grève indifférente, entre la falaise immobile et les eaux en mouvement. »



Une rencontre qui change tout.

« Un pas vers la vérité »

Entre compréhension et mélancolie.

Fragilité de la vie.

Quête de sens.



« Une pitié démesurée, que nous ne pouvions empêcher de retomber sur nous-mêmes, nous montait à la gorge, devant les restes dérisoires de l'animal biblique, du Léviathan échoué. Cette baleine nous paraissait être la dernière ; comme chaque homme dont la vie s'éteint nous semble être le dernier homme. »



Un symbolisme dont eux seuls sont conscients.



« … nous pouvions nous convaincre que le monde se donnait l'illusion de poursuivre sa vie routinière et indifférente. »



*

A la fois poétique et sobre,

je découvre la magnifique plume de Paul Gadenne.

La beauté de l'écriture,

la puissance évocatrice des mots dans toute leur simplicité.



Surprise que ces quelques pages renferment autant d'éclat que de profondeur.

L'image de la baleine échouée sur la plage

cache la cruelle, impitoyable et inéluctable finalité de notre existence.



Une oeuvre métaphorique pour réfléchir et se laisser porter par les mots.

La certitude de revenir et d'emprunter à nouveau le chemin qui mène à l'océan.



Merci à toi Chrystèle pour ce merveilleux moment de lecture.
Commenter  J’apprécie          4011
Baleine

Quintessence de la beauté, de la pureté de l’écriture, du pouvoir de la littérature, ce tout petit texte de Paul Gadenne. Court et magistral.

Publié en 1949 dans la revue Empédocle par Albert Camus, réédité en 2014 chez Actes Sud, nous avons entre les mains 34 pages en papier tissé, de couleur crème surannée, dans lesquelles chaque ligne est incandescente d’élégance narrative. Chaque ligne se fait bijou.



Sur une plage, quelque part en France, une baleine blanche s’est échouée. Ceci est le seul élément de cette nouvelle. Une baleine échouée qui fait naitre rumeurs, suspicions et devient le centre de toutes les conversations, au point que le narrateur décide avec son amie Odile, d’aller la voir de ses propres yeux. Cette nouvelle narre la rencontre. La rencontre avec la mort de ce colosse dans un décor profondément vivant. Et ce que la vision de cette mort va faire naitre chez les deux observateurs.



Il y a une transformation entre le moment où nous découvrons de jeunes gens engourdis, affalés, « écroulés sur le velours, dans un luxe bizarre de cristaux et d’appliques, nous protégeant, derrière une tenture à emblèmes », la déambulation pour rejoindre le lieu de l’échouage et l’observation. Comme si la vision puis la conscience de la mort redonnait vie. La métamorphose de la baleine en décomposition recompose le sens de la vie du narrateur, le sens de toute existence, à savoir la mort à venir. C’est fort et cela se fait en quelques pages. Brillant.



« Nous marchions à la lisière du bois. Le vent nous envoyait des aiguilles de pin dans la figure. Elles se piquaient dans les cheveux mousseux d’Odile qui avait pour les en retirer des gestes de chinoise devant son miroir ».



L’arrivée au bord de la mer est éblouissante. En orfèvre des mots Paul Garenne nous offre des paysages marins absolument magnifiques débordant de vie, de senteurs, de sons, de couleurs et d’odeurs.



« Nous ne cessions pas d’entendre cette respiration lente et hautaine, ces chocs sourds, cette voix dédaigneuse de tout éclat. Les lames se chevauchaient, puis s’affalaient sur elles-mêmes, avec de grands soupirs faussement exténués. Une mousse inconsistante se rassemblait sur le rivage, où elle restait seule à frémir, tandis que la déclivité entrainait les eaux ruisselantes ».



Et la rencontre de "ce trait jeté en travers de la plage comme une rature". La baleine. Blanche, d’un blanc sans lumière, un blanc gelé, comme le blanc du lait épanché…Et son corps en décomposition décrit dans ses moindres détails. Je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec la charogne de Baudelaire. Requiem pour Moby Dick dans cette description surprenante, cette « mare aux reflets de jasmin et d’ortie, cet épanchement paresseux, promis aux plus troubles métamorphoses ». J’ai rarement lu de description aussi aboutie, aussi troublante, aussi métaphorique. Et comme pour la charogne qui nous force à voir ce que nous allons tous devenir, le spectacle de la baleine en décomposition nous donne à voir le sens de toute existence. Dans un style narratif certes autre mais dans un message philosophique très proche finalement.



La fin se veut espoir. Quelques traces d’amour pour se rassurer, telle une bouée jetée en mer, l’éternité et le néant entrelacés. Nos observateurs, différents, semblent désormais baignés dans l’haleine bleue et glaciale d’une baleine morte.



Une nouvelle inoubliable, à lire, à relire…



Commenter  J’apprécie          9859




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Paul Gadenne (314)Voir plus

Quiz Voir plus

Régions du Monde

Le Latium est une région d’Italie qui se situe…

Au Nord-Ouest
Au Nord-Est
Au Centre
Au Sud

10 questions
193 lecteurs ont répondu
Thèmes : géographieCréer un quiz sur cet auteur

{* *}