Citations de Philippe Claudel (2762)
"L'idiotie est une maladie qui va bien avec la peur. L'une et l'autre s'engraissent mutuellement, créant une gangrène qui ne demande qu'à se propager."
Qu'est-ce-donc que la vie humaine sinon un collier de blessures que l'on passe autour de son cou ? A quoi sert d'aller ainsi dans les jours, les mois, les années, toujours plus faible, toujours meurtri ? Pourquoi faut-il que les lendemains soient toujours plus amers que les jours passés qui le sont déjà trop ?
Le silence semble parfois le profond dialogue de ceux qui se comprennent.
La soupe est comme l’air de la ville qu’il a respiré en descendant du bateau. Elle n’a pas vraiment d’odeur, pas de goût. Il n’y reconnaît rien. Il n’y trouve pas le délicieux picotement de la citronnelle, la douceur de la coriandre fraîche, la suavité des tripes cuites. La soupe entre dans sa bouche et dans son corps, et c’est soudain tout l’inconnu de sa vie nouvelle qui vient en lui.
Une voiture les emmène dans les rues qu'il n'a jamais vues. C'est la première fois que Monsieur Linh monte dans une voiture. Il est effrayé. Il se blottit dans l'angle du siège, presse sa petite fille contre lui. Elle ne paraît pas inquiète. Sa belle robe brille sous les reflets du jour. Pourquoi la voiture va-elle aussi vite ? A quoi cela sert-il ? Monsieur Linh se souvient du rythme des charrettes tirées par les buffles, du long et souple balancement, qui fait parfois dormir, parfois rêver, et du paysage qui change avec une lenteur précieuse, une lenteur qui permet de regarder vraiment le monde, les champs, les forêts, les rivières, et de parler avec ceux que l'on croise, d'entendre leurs voix, d'échanger des nouvelles. La voiture est comme un coffre jeté d'un pont. On y étouffe. On y entend rien d'autre qu'un sourd et inquiétant rugissement. Le paysage tourbillonne au-dehors. On ne peut rien en saisir. On a l'impression qu'on va s'écraser bientôt.
J'ai 50 ans.Il m'est arrivé depuis ma naissance de mesurer la vie comme un présent que Dieu nous a concédé, puis tour à tour, selon les âges, comme une crétinerie désolée, un simple processus biologique, une incohérence, un passage merveilleux, une parenthèse effroyable, un état, un rêve, un cauchemar. L'injustice de la loterie m'a en tout cas toujours hanté. Nous ne sommes égaux en rien. p.74
( Procession de scarabées, Guêpes combattantes / Grandville )
L'eau finit toujours par rendre ce qu'on lui donne, le lendemain, ou des années plus tard. Vous verrez, voilà le vrai problème. Tandis que la terre, c'est pas pareil, on peut avoir confiance, elle garde tout pour elle!
La nuit a fait éclore dans la ville des milliers de lumières qui scintillent et paraissent se déplacer. On dirait des étoiles tombées à terre et qui cherchent à s'envoler de nouveau vers le ciel. Mais elles ne peuvent le faire. On ne peut jamais s'envoler vers ce qu'on a perdu.
Moi, depuis tout petit, j'aime les questions, et les chemins qui mènent à leurs réponses. Parfois d'ailleurs, je finis par ne connaître que le chemin, mais ce n'est pas grave: j'ai déjà avancé.
Certains mots construisent des murs que d’autres mots ne parviendront jamais à ébouler.
Nous enterrons nos morts. Nous les brûlons aussi. Jamais nous n'aurions songé à les confier aux arbres. pourtant nous ne manquons ni de forêts ni d'imaginaire. Mais nos croyances sont devenues creuses et sans écho. Nous perpétuons des rituels que la plupart d'entre nous seraient bien en peine d'expliquer...
Les preuves d'amour manquent entre les hommes, alors que les indices de la trahison et du mal prolifèrent.
Je savais, comme lui sans doute, qu'on peut vivre dans les regrets comme dans un pays.
Car le problème, voyez-vous, c'est que quand on est grand, on oublie, on oublie presque tout, et on oublie surtout qu'on a été enfant.
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"Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont fait. Il faut qu'ils s'en débarrassent. Alors ils viennent me voir car ils savent que je suis le seul à pouvoir les soulager, et ils me disent tout. Je suis l'égout, Brodeck. Je ne suis pas le prêtre, je suis l'homme-égout. Celui dans le cerveau duquel on peut déverser toutes les sanies, toutes les ordures, pour se soulager, pour s'alléger. Et ensuite, ils repartent comme si de rien n'était. Tout neufs. Bien propres. Prêts à recommencer. Sachant que l'égout s'est refermé sur ce qu'ils lui ont confié. Qu'il n'en parlera jamais, à personne. Ils peuvent dormir tranquille, et moi pendant ce temps, Brodeck, moi je déborde, je déborde sous le trop-plein, je n'en peux plus, mais je tiens, j'essaie de tenir. Je mourrai avec tous ces dépôts d'horreur en moi.
Vois-tu ce vin ? Et bien c'est mon seul ami. Il m'endort et me fait oublier, durant quelques instants, toute cette masse immonde que je transporte en moi, ce chargement putride qu'ils m'ont tous confié. Si je te dis cela, ce n'est pas pour que tu me plaignes, c'est pour que tu me comprennes...Tu te sens seul de devoir dire le pire, moi, je me sens seul de devoir l'absoudre."
Aujourd'hui tout est fini. J'ai épuisé mon temps et le vide ne me fait plus peur. Tu penses peut-être que moi aussi je suis un salaud, que je ne suis pas meilleur que les autres. Tu as raison. Bien sûr que tu as raison. Pardonne-moi pour tout ce que j'ai fait, et pardonne-moi surtout pour tout ce que je n'ai pas fait.
Le chagrin tue. Très vite. Le sentiment de la faute aussi, chez ceux qui ont un bout de morale.
(Les âmes grises)
Puis il m'a dit que là où il allait, des fleurs, il y en avait des milliers, et des milliers qu'il ne connaissait pas, qu'il n'avait jamais vues, ou alors, pour certaines, seulement dans les livres, et qu'on ne pouvait pas toujours vivre dans les livres, que la vie et ses beautés, il fallait bien un jour les prendre à pleines mains.
L'homme est bien naïf ou très orgueilleux de penser que tout mystère peut se comprendre, et que tout problème peut se résoudre.
Quand on vit dans les fleurs, on ne pense pas à la boue.