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Citations de Philippe Jaccottet (680)


Je pense à présent à des histoires de voyageurs franchissant un col dans un tourbillon de neige. Cela seulement, rien de plus : sans savoir, sans chercher ce qu'il advient d'eux de l'autre côté. Le tourbillon de ce verger est-il en même temps le voyageur ? Je ne veux rien affirmer, ici, en ce moment.
Je risque un mot, une image, une pensée, je les retire ou les abandonne, c'est tout, puis je m'en vais. J'ai ce verger derrière moi maintenant, c'est à peine s'il a touché terre, il ne le peut pas, pourquoi est-ce qu'on marche, j'ai l'âme enveloppée de neige tout à coup, mais ce n'est pas une neige venue d'en-haut et qui tombe, et qui ensevelit sous un froid chuchotement, celle-ci monte, flotte, fait halte.

Tu l'as croisée. Ne te retourne pas.

Elle a ouvert, elle a fermé les yeux.
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Tout à la fin de la nuit
quand ce souffle s'est élevé
une bougie d'abord
a défailli

Avant les premiers oiseaux
qui peut encore veiller ?
Le vent le sait, qui traverse les fleuves

Cette flamme, ou larme inversée :
une obole pour le passeur
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Considérez le ciel solaire
à l'heure de l'extrême incandescence:
c'est là qu'il nous faut traverser.

Des barques croisent dans ce lac de lumière.

Aiguisez mieux votre regard:
vous les verrez franchir sans bruit cette brume éblouie
et, par-delà, s'ancrer dans les eaux de la nuit
pour y plonger éternellement leurs filets dans les profondeurs.
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En hommage à Philippe Jaccottet, décédé le 24 février 2021

Mon regard touche à sa limite :
où la course de l'eau dans l'herbe
à des roseaux s'ouvre en écume.

Souffle du vent dans l'herbe
tu peux cribler de flèches cette cible
tu la traverses, tu ne l'atteins pas.

Courez, eaux grises, tout le jour
vers la frontière de roseaux :
elle ne sera pas franchie.

Cours, clair regard, à la barrière,
surprends l'écume :
seul fleurit l'inaccessible.





(p. 69)
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Accepter ne se peut
comprendre ne se peut
on ne peut pas vouloir accepter ni comprendre

On avance peu à peu
comme un colporteur
d'une aube à l'autre
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Je redescendrai le chemin de la journée
de peur d'avoir laissé quelque chose derrière
moi. Me comprendras-tu? Je n'ai pas le moyen
de rien perdre, car je voudrais ne pas vieillir,
mais simplement mûrir de toutes mes années.
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[...] L'oiseau porte dans son plumage, qui est couleur de la terre sur laquelle il aime tant à marcher, cette sorte de foulard couleur de feu apprivoisé, couleur de ciel au couchant. Ce n'est presque rien, comme cet oiseau n'est presque rien, et cet instant, et ces tâches, et ces paroles. À peine une braise qui sautillerait, ou un petit porte-drapeau, messager sans vrai message : l'étrangeté insondable des couleurs. Cela ne pèserait presque rien, même dans une main d'enfant.

Cependant vous parvient aux oreilles, par intermittence, le bruit discret, comme prudent, des dernières feuilles du figuier; celui, plus ample mais plus lointain, des hauts platanes d'un parc ; c'est la rumeur du vent invisible, le bruit de l'invisible. À l'abri duquel le rouge-gorge et moi vaquons à nos besognes. Lui, le porte-lanterne, l'imprudent, si rôde un chat.

(extrait de "Rouge-gorge") - p. 58
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Philippe Jaccottet
Lune D'hiver



Pour entrer dans l'obscurité prends ce miroir où s'éteint un
glacial incendie :

atteint le centre de la nuit, tu n'y verras plus reflété qu'un
baptême de brebis

Jeunesse, je te consume avec ce bois qui fut vert dans la plus
claire fumée qu'ait jamais l'air emportée

Âme qui de peu t'effraies,

la terre de fin d'hiver

n'est qu'une tombe d'abeilles


Phillippe Jaccottet nous a quitté le 24 février 2021.
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Jour à peine plus jaune sur la pierre et plus long,
ne vas-tu pas pouvoir me réparer ?
Soleil enfin moins timoré, soleil croissant,
ressoude-moi ce cœur.
Lumière qui te voûtes pour soulever l'ombre
et secouer le froid de tes épaules,
je n'ai jamais cherché qu'à te comprendre et t'obéir.
Ce mois de février est celui où tu te redresses
très lentement comme un lutteur jeté à terre
et qui va t'emporter ---
soulève-moi sur tes épaules,
lave moi de nouveau les yeux, que je m'éveille,
arrache-moi de terre, que je n'en mâche pas
avant le temps comme le lâche que je suis.
Je ne peux plus parler qu'à travers ces fragments pareils
à des pierres qu'il faut soulever avec leur part d'ombres
et contre quoi l'on se heurte,
plus épars qu'elles."
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Qui sommes-nous, qu’il faille ce fer dans le sang ?
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Plus je vieilli et plus je crois en l'ignorance/
Plus j'ai vécu, moins je posséde et moins je règne/
Tout ce que j'ai c'est un espace tour à tour/
Enneigé ou brillant, mais jamais habité.
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La lyre de cuivre des frênes
a longtemps brillé dans la neige

Puis, quand on redescend
à la rencontre des nuages,
on entend bientôt la rivière
sous sa fourrure de brouillard.

Tais-toi : ce que tu allais dire
en couvrirait le bruit.
Écoute seulement : l'huis s'est ouvert.

p. 48
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J'en reviens au verger d'avril. Ce texte, à un certain moment, m'a irrité, comme d'autres, analogues, mais antérieurs ; je sais bien pourquoi. À la longue, je lui trouvais quelque chose de futile : comme un ouvrage mené dans une chambre calfeutrée, à la lueur d'un de ces globes de verre remplis d'eau qui diffusaient la lumière, jadis, dans certains ateliers, sur des travaux délicats, patients, minutieux, alors qu'au-dehors des outils plus aiguisés, ceux de la maladie ou ceux du temps, poursuivent un travail qui arrache des cris, qui écorche. C'était de nouveau l'histoire de la balance, dont j'aurais voulu rapprocher davantage ou même confondre les plateaux opposés.
    
Cet agacement, l'abandon de ce texte à mi-chemin pendant des mois, signifient-ils que ces images merveilleuses me sont devenues indifférentes ou même insupportables ? Non. C'est bien pourquoi j'essaie ici des réponses, comme elles me viennent à l'esprit. Par exemple, j'imagine qu'un écrivain saisi peu à peu, ou soudain – pour s'être heurté de plus près au malheur –, de doute quant à la réalité des issues que ses images les plus pures semblaient lui désigner, puisse, au lieu de les renier et de s'acharner contre elles pour les détruire (cela arrive), entreprendre de leur trouver leur juste place dans le cours de sa vie (donc dans la trame de son texte), et de les garder là, lointaines, menacées, précaires, à l'intérieur d'un ensemble plus rude et plus opaque ; pour éviter de les « monter en épingle », c'est-à-dire de les figer, de les dénaturer. Ce serait alors supposer qu'elles ont, ces images, ces promesses, ces éclaircies, leur place dans un ordre, au même titre que le malheur qui les obscurcit. Notre vie serait pareille à une œuvre musicale avec ses dissonances nécessaires ; et pour être « vrais », nous autres qui écrivons, nous n'aurions plus qu'à peser avec soin le dosage, dans notre œuvre, du clair et de l'obscur. Mais justement, ce n'est pas si facile. La lumière est peut-être plutôt une rupture qu'un facteur d'harmonie ; une certaine obscurité, en tout cas, n'est vraiment elle-même que si elle ne se laisse pas apprivoiser, concilier, soumettre.
...
Peut-être y a-t-il une espèce d'issue. Car ce qui m'a arrêté dans mon élan – quand j'allais franchir le verger comme un réfugié la frontière qui le sauve – est si dur, si massif, si opaque, cela échappe si définitivement à la compréhension, à l'acceptation que, ou bien il faut lui concéder la victoire absolue, après quoi il ne sera plus possible de survivre qu'hébété, ou bien il faut imaginer quelque chose d'aussi totalement inimaginable et improbable qui fasse s'écrouler ce mur, quelque chose dont ces vues seraient des éclats épars, venus comme d'un autre espace, étrangers à l'espace, en tout cas différents du monde extérieur non moins que du monde intérieur à la rencontre desquels ils surgissent – sans qu'on puisse jamais les saisir, ni s'en assurer la possession.
    
    
À TRAVERS UN VERGER, 1971-1974. (II, extraits)
(Note : Ce recueil a paru en édition originale avec des gravures de Tal Coat aux éditions Fata Morgana, Montpellier, en 1975).
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Soir
     
... Ailleurs est dite par les prés une parole encore plus lointaine et merveilleuse : dans ces sortes d’enclos où veille un seul peuplier, où quelque mûriers s’arrondissent, où j’aperçois encore une dizaine de moutons groupés, à contre-jour, bientôt dans l’ombre. Qu’est-ce qui accorde si parfaitement ces quelques bêtes à l’herbe haute et à l’huile du soir ? Là-bas, dans le lointain, que signifie ce groupe serré, silencieux, à peu près immobile ? […] presque éternelles et presque absentes, amies de la terre nue, de la poussière et des pierres — et telles que si le seul bélier qu’elles suivent vraiment était la lune. Vieilles comme les pierres, elles-mêmes pierres laineuses, ou antiques outres laineuses pressées les unes contre les autres, usées, farouches, cachées par la poussière que leur trottinement soulève, immémoriales …
     
Mais ce soir, c’est autre chose : quand elles sont arrêtées en groupe, en cercle, dans les herbes, entre le vert et l’or d’un pré qui peu à peu s’assombrit. Ce serait plutôt, juste encore visible avant la nuit, comme à la lueur jaune d’une bougie, une sorte de concile chuchotant, de conseil occupé d’on ne sait quel souci. Bêtes dorées par la flamme invisible, tandis que la cire s’épanche et bientôt blanchira au bord du ciel, recevant sur leur front étroit, osseux (presque un crâne déjà) l’huile sainte du crépuscule, l’onction solaire, dans cet enclos bordé d’arbustes. Autour d’elles, qui les garde et les situe, il y a moins une barrière ou une haie qu’un autre cercle, une autre assemblée plus large de feuillage dont l’ombre se creuse, une enceinte qui, plutôt qu’elle ne les enferme, en frissonnant doucement fraie un passage à l’obscur — et, à cause de la fraîcheur, on imagine que c’est la nuit qui monte d’en bas, non la nuit cruelle dont le vide est angoisse sans fond, mais la diaphane, l’arbre veiné d’argent — tandis que les bêtes se serrent au centre encore éclairé, dans ce dernier sursis du jour. De loin, on ne peut deviner ce qu’elles font, si elles broutent, si quelqu’une bêle, si elles écoutent ou attendent. Peu importe. Gardées par l’effusion des profondeurs, dans cette boucle scintillante et fraîche de la nuit imminente, encore aidées par la flamme d’une chandelle que nul ne tient, on les dirait toutes ensemble occupées à épeler tout bas les mots « herbe », « terre », « pacage » ; à moins que ce ne soit « paix infinie », « paix souveraine », « tranquillité dans le centre à jamais ». Dernière leçon dans l’école bocagère, vêpres d’étable dans ces replis des campagnes : la leçon dite et entendue, voici la flamme soufflée, et le doux trait du sommeil fiché en plein coeur de toutes choses.
     
pp. 98-100.
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" Mais chaque jour, peut-être, on peut reprendre
le filet déchiré, maille après maille,
et ce serait, dans l'espace plus haut,
comme recoudre, astre à astre, la nuit..."
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Nous voudrions garder la pureté,
le mal eût-il plus de réalité.

Nous voudrions ne pas porter de haine,
bien que l'orage étourdisse les graines.

Qui sait combien les graines sont légères,
redouterait d'adorer le tonnerre.
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Cela, c'est quand on ne peut plus se dérober à la douleur,
qu'elle ressemble à quelqu'un qui approche
en déchirant les brumes dont on s'enveloppe
abattant un à un les obstacles, traversant
la distance de plus en plus faible - si près soudain
qu'on ne voit plus que son mufle plus large
que le ciel.

Parler alors semble mensonge ou pire : lâche
insulte à la douleur, et gaspillage
du peu de temps et de forces qui nous reste.
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Toi cependant,

ou tout à fait effacé
et nous laissant moins de cendres
que feu d’un soir au foyer,

ou invisible habitant l’invisible,

ou graine dans la loge de nos cœurs,

quoi qu’il en soit,

demeure en modèle de patience et de sourire,
tel le soleil dans notre dos encore
qui éclaire la table, et la page, et les raisins.
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Couronne de roses blanches. Les cheveux clairsemés, défaits, d'un vieil homme gravement malade, voilà à quoi j'ai pensé cette année à la vue du grand rosier. À présent je pense encore au roi Lear dans la tempête. Il n'a plus de force ; la moindre odeur lui est un tourment, alors qu'il était le moins douillet des hommes.
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Chez Hölderlin :
Énigme, ce qui sourd pur
     
et ce passage, dans Tête d’Or de Claudel …
     
Le froid matin violet
Glisse sur les plaines éloignées, teignant chaque ornière de sa magie !
Et dans les fermes muettes, les coqs crient :
Cocorico !
C’est l’heure où le voyageur blotti dans sa voiture
Se réveille et, regardant au-dehors, tousse et soupire.
Et les âmes nouvellement nées le long des murs et des bois,
Poussant comme les petits oiseaux tout nus de faibles cris,
Refuient, guidées par les météores, vers les régions de l’obscurité.
— Quelle heure est-il ?
     
Qu’y avait-il là, dans ces lignes, où Cébès parle au seuil de la mort qu’il attend ? Qu’il dît cela à Tête d’Or leur prêtait un fond d’amitié amoureuse auquel, sans même en prendre conscience, je devais être sensible. Mais le point sensible était ailleurs : dans ces paroles de voyageur à la fin de la nuit, dont bien plus tard je devais retrouver l’écho dans tel haïku du passage de la barrière, mon préféré — que j’ai traduit :
     
Les voyageurs
demandant si la nuit est froide
avec des voix endormies
     
Ils se sont levés avant l’aube, et c’est peut-être pour aller à sa rencontre qu’ils l’ont fait. Sur quoi m’est aussitôt revenu le souvenir d’un autre court poème, le « Wandrers Nachtlied » de Goethe, qui dit le miracle d’un suspens du temps, d’un instant de paix suprême, au-dessus de tout, avec l’appréhension d’un repos ultime, consolant, on ne sait, ou inquiétant. Là aussi il y a des pas, et dans leur halte, l’entrevision du plus haut à quoi ces brefs poèmes s’attachent. Et, toujours dans mon insomnie, ce voyageur surpris dans le frémissement de l’aube, dans sa fragilité, à la suite des oiseaux, sur l’espace grand ouvert.
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