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Critiques de Philippe Jaenada (1165)
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Au printemps des monstres

Difficile de résumer un tel bouquin comme il a été difficile à Philippe Jaenada de résumer l’histoire de ce jeune garçon de onze ans, Luc Taron, enlevé à Paris un soir du printemps 1964 et dont le corps a été retrouvé le lendemain au matin dans le bois de Verrières, dans l’Essonne.

Ce fait divers dénommé « l’affaire de l’Étrangleur » défraya la chronique en 1964. Progressivement, insidieusement, les soupçons vont se porter, injustement, mais inévitablement sur les parents jusqu’à l’entrée en scène de Lucien Léger. Celui-ci revendique en effet le meurtre dans des courriers signés « l’étrangleur » et à force de fanfaronnade finit par être arrêté.

Ce jeune homme ordinaire, infirmier, né en 1937, marié à Solange en 1959 avoue le meurtre.

Son procès se déroulera du 3 au 7 mai 1966 devant la cour d’assises de Seine-et-Oise. Le verdict tombe : Réclusion criminelle à perpétuité. Soudain, revirement de Lucien Léger qui opère une brusque volte-face: « Monsieur le Président , vous venez de commettre une erreur judiciaire ! », et de déclarer que s’il est bien l’auteur des 56 messages, il n’a rien à voir avec le drame.

Condamné sans réelles preuves, sans témoins et de plus sans mobile, il sera mis à l’écart de la société pour le reste de sa vie.

Certes, comme le dit l’auteur, rien n’est simple dans cette histoire. Quel travail, quelle persévérance et quelles recherches archivistiques, tout comme d’ailleurs dans ses deux précédents ouvrages que sont La petite femelle et La serpe, Philippe Jaenada a dû fournir pour nous offrir un bouquin d’une telle densité avec une analyse aussi précise et minutieuse, révélant les failles du dossier et toutes les incohérences de cette affaire. C’est presque à la fabrication d’un coupable qu’il nous est donné d’assister, même si Lucien Léger, ce mythomane, a contribué à embrouiller l’histoire. L’écrivain reconnaît que le livre écrit par Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani « Le voleur de crimes » lui a été plus qu’utile dans ses recherches.

En s’attelant à cette tâche qui consiste à examiner, à éplucher, à analyser tous les faits, tous les articles, toutes les lettres, toutes les archives possiblement consultables, recouper tout ça, une tâche de titan, pour tenter de cerner la personnalité de Lucien Léger et savoir qui pourrait être le meurtrier du petit Luc Taron, Philippe Jaenada n’hésite pas à désigner comme responsable de ce fiasco, de cette injustice, de ce scandale, Maurice Garçon, le plus grand avocat du XXe siècle. Il nous invite également à une véritable plongée au cœur de ces années 1960, une époque qui pouvait aussi être sombre.

Tous les protagonistes de cette affaire, à des degrés différents, présentent des zones obscures. Seule, Solange, l’épouse de Lucien Léger, cette jeune femme à qui l’auteur réserve la troisième et dernière partie de son roman, peut apparaître comme un rayon de lumière, et pourtant, rien ne lui sera épargné dans sa douloureuse et brève vie.

Pour atténuer cette noirceur et nous extraire quelques instants de cette atmosphère pesante et menaçante où gravitent des monstres comme l’écrit Lucien léger lui-même dans un de ces courriers : « Je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres », l’auteur se tourne vers la dérision, se mettant en scène lui-même, nous permettant par ses digressions d’échapper à ce malaise ambiant. Très vivantes également, et très pertinentes, ces petites remarques et réflexions notées entre parenthèses, exprimant son avis personnel.

Philippe Jaenada parvient au fil de l’enquête, par son investigation au cœur de cette affaire qualifiée de résolue, à nous faire carrément douter de la culpabilité de celui qui fut dénommé l’Étrangleur.

L’homme étant décédé, nous nous prenons à espérer qu’un jour peut-être, un procès en révision pourrait avoir lieu… Le rêve n’est pas interdit. En tout cas, il est difficile de sortir indemne de cette lecture et ce roman me hantera longtemps.

Petite anecdote personnelle : j’ai été pour le moins surprise et émue, lorsque Philippe Jaenada se trouve à enquêter sur André Cotte, dont le nom apparaît dans une lettre du procès. Adjoint au chef des FFI Vercors, restant à leurs côtés jusqu’en septembre 1944, André Cotte s’illustre lors des bombardements de La Chapelle-en-Vercors. Il reprend ensuite son métier d’enseignant. « Le collège de Saint-Vallier, dont il a été nommé principal en 1966, porte aujourd’hui son nom, et ce n’est que justice... » Que de souvenirs pour moi, qui justement en 1966, suis entrée en quatrième dans ce collège tout neuf !

Au printemps des monstres, est un gros pavé de 750 pages, un investissement énorme à n’en point douter pour son auteur, bouquin lourd pour de nombreuses raisons, écrit pour un homme qui s‘appelait Léger et l’était pourtant si peu…, que je ne pourrai oublier de sitôt !


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La Serpe

Et si Hercule Poirot, petit détective belge tiré à quatre épingles et vaguement ridicule, devenait un gentil colosse, porté sur le whisky?



Si au lieu de vous tenir à l'écart de ses fameuses déductions de logique pure, au lieu de vous convoquer dans le lounge avec le colonel mustard et miss scarlet pour vous les aligner toutes, ses déductions, sans pitié, et dans les dernières pages du bouquin- histoire de vous montrer à quel point vous êtes: une brêle naïve, une tarte sentimentale, un faible d’esprit au Q.I. de protozoaire (rayez la mention inutile)- si, au lieu de tout cela, il vous confiait ses doutes, ses affres de conscience, s'il vous impliquait dans ses recherches, partageait ses conclusions au fur et à mesure de son enquête ?



Même plus: s'il vous faisait marrer avec quelques apartés rigolos, histoire de détendre l'atmosphère, bien poisseuse, pourtant, avec ces trois horribles meurtres à la serpe?



Tout le plaisir de la lecture du dernier Jaenada est là, dans cette présence chaleureuse, dans ce regard fraternel, dans ce cheminement patient, infatigable, et partagé, vers une vérité qui se dérobe, dans le temps -les faits datent de 1941- et dans la paperasse judiciaire et journalistique.



Avec lui nous faisons connaissance d' Henri Girard alias Georges Arnaud, écrivain célèbre - Le Salaire de la Peur- , et auteur présumé d'un triple meurtre atroce, dont il fut acquitté, sinon blanchi, par un as du barreau, Maurice Garçon.



Pas sympa, et même pas sympa du tout, le jeune Henri Girard , mais sa vie semble coupée en deux: le sale gosse de riche profiteur et capricieux se mue, après son acquittement et la dilapidation de son patrimoine, en un justicier inlassable, un défenseur infatigable de la veuve et de l'orphelin...



Comment expliquer cette mutation? Le choc, la prison, le frisson d'avoir tutoyé de si près la guillotine? Pas suffisant, comme explication.



Jaenada avec sa flasque d'Oban et le foulard de sa femme en guise de doudou, va exhumer les pièces de l'enquête et celle du procès, fouiller la correspondance familiale, recouper et comparer les témoignages.



Et, comme lui, nous allons pourfendre quelques clichés, débusquer quelques invraisemblances et décaper quelques vérités premières bien cachées...jusqu'à modifier notre jugement.



Et même plus... mais chuut!



Je vous laisse avec Jaenada, sa Mereva un peu nulle, son pneu sous-gonflé, son humour hilarant, sa patience de fourmi, son opiniâtreté de teckel.



La Serpe est une double rencontre: celle du narrateur - un type adorable qu'on aimerait embrasser sur les deux joues- et celle de son sujet , Georges Arnaud-Henri Girard, un écorché vif plein de cynisme et de douleur, qui en avait gros sur la patate, et qui a su trouver, malgré les préjudices et sa sulfureuse réputation, une parade pleine de grandeur et de panache à ses souffrances et aux soupçons ineffaçables qui pesaient sur lui.
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Au printemps des monstres

Au printemps des monstres, ce livre m’a pris beaucoup de temps pour le lire. J’ai ressenti parfois de la lassitude mais, paradoxalement, je le referme presque à regret.

Je n’ai pas dénombré tous les personnages croisés au cours d’une histoire qui tourne autour de l’assassinat de Luc Taron (11 ans), le 26 mai 1964. Ils sont nombreux, fugaces pour certains, devenus célèbres pour d’autres, mais tout s’articule évidemment autour de Lucien Léger, connu sous le terme qu’il s’était attribué lui-même dans ses messages précédant son arrestation : L’Étrangleur.

Précision utile, Luc Taron n’est pas mort étranglé et là, commencent les doutes, les invraisemblances et les complications infinies d’une affaire jamais vraiment élucidée et dont certains éléments ont disparu des différents dossiers.

Philippe Jaenada, comme il l’a fait dans ses romans précédents que j’ai lus, pour Pauline Dubuisson dans La petite femelle puis pour Henri Girard, dans La serpe, ne laisse aucun détail de côté. Il se rend sur les lieux, tous les lieux où ont vécu les personnages dont il parle, sans oublier, ce qui détend bien la tension d’une lecture peu réjouissante, sans oublier de confier ses soucis de santé, ses moyens de déplacement, sa lutte contre son tabagisme et surtout en faisant partager ses émotions, son ressenti.

D’emblée, il m’apprend qu’il est né à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), le 25 mai 1964, quelques heures avant la découverte du corps de Luc Taron, dans le grand bois de Verrières (Essonne). D’ailleurs, il s’y trouve, dans ce bois, à 4 h du matin, à la même date, cinquante-cinq ans après sa naissance, pas très loin du lieu où il a vu le jour.

Trois grandes parties constituent son récit passionnant et fort bien documenté : Le fou, Les monstres et Solange. Malgré la longueur des chapitres, il a su ménager une utile respiration agrémentée de quelques citations édifiantes tirées de la presse, d’autres livres ou de déclarations à la radio ou à la télévision.

Régulièrement, Philippe Jaenada que j’ai écouté très attentivement aux récentes Correspondances de Manosque, rend hommage, remercie Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani pour leur livre, Le Voleur de crimes (édition du Ravin bleu, 2011). Avant lui, ils ont enquêté, fouillé dans cette histoire bien compliquée et rencontré, parlé avec Lucien Léger, après sa libération de prison, avant sa mort. Il salue régulièrement aussi l’aide efficace de Wats, Letizia Dannery ainsi que bien d’autres dont, et avant tout, Anne-Catherine, son épouse.

Le fou est bien sûr consacré au détail des événements. Le fou en question se nomme Lucien Léger et il s’attribue un crime qu’il n’a sûrement pas commis et pour lequel il a été condamné à perpétuité. Il avait d’abord reconnu les faits pour protéger une ou plusieurs personnes puis s’était rétracté juste avant le procès, la peine de mort pouvant être au bout… Après quarante-et-un ans d’enfermement, il sort de la prison de Douai, dans la nuit du 2 au 3 octobre 2005. Il est mort en juillet 2008, à 71 ans.

Quand Philippe Jaenada aborde Les monstres, commence l’étude détaillée des invraisemblances, des détails importants laissés de côté et surtout du rôle des principaux protagonistes qui sont, eux, les véritables monstres.

L’auteur ne ménage pas les avocats et met en avant la véritable personnalité de Luc Taron qui n’avait pas de copain. Il raconte la vie de sa mère, Suzanne Brûlé et surtout de celui qui s’affiche comme le père : Yves Taron, « un escroc minable ». Surtout, il y a ce Jacques Salce qui a un alibi trop beau pour la nuit du crime et dont le nom reviendra souvent ensuite.

Enfin, Philippe Jaenada nous parle de Solange, l’épouse de Lucien Léger, dont la photo illustre la couverture du livre. Son histoire est terriblement émouvante car, enlevée à sa mère pour être confiée à l’Assistance publique, elle a su devenir une jeune fille comme les autres. Hélas, sa santé s’est subitement dégradée alors qu’elle allait passer le BEPC (Brevet des Collèges aujourd’hui), en 1955. Tout au long des années qui lui restent à vivre, jusqu’à son décès, à 31 ans, elle consomme beaucoup de médicaments et séjourne régulièrement dans des unités psychiatriques.

Lucien Léger a commencé à correspondre avec elle alors qu’il était soldat en Algérie car il était ami avec son frère. Ils se sont enfin rencontrés, se sont aimés et se sont retrouvés plongés dans la tourmente judiciaire. Ils se sont écrit des quantités de lettres dont l’auteur cite de nombreux passages mais Solange Léger devient la proie de la presse à scandale (Ici Paris, France Dimanche, Détective) qui en fait des tonnes pour vendre du papier. Solange étant dans la misère la plupart du temps, elle tente de monnayer ses confidences vite transformées, hélas, pour appâter le lecteur.

Au printemps des monstres, ce livre m’a demandé beaucoup de temps pour le lire mais beaucoup moins qu’il en a fallu à Philippe Jaenada pour enquêter et écrire, passant en permanence, trois années de sa vie, jour et nuit, pour cette histoire qui n’a jamais vraiment trouvé de solution convaincante. Seule certitude : Lucien Léger n’a pas tué Luc Taron.

Quand, à Manosque, Ghislaine a demandé à l’auteur comment il pouvait sortir indemne après avoir écrit un tel livre, Philippe Jaenada a répondu qu’il n’était pas indemne, plutôt effondré, que, moralement, il n’en sort pas et qu’il y pense tout le temps, précisant qu’une fois de plus, la vérité judiciaire est fausse !


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Au printemps des monstres

Faites sortir l’accusé !

Quand Philippe Jaenada s’attaque à un fait divers, vous savez que vous allez y passer aussi le printemps et l’été.

750 pages avec une police microscopique. Excédent de bagages pour le génie de la digression !

Pour lire ce monstre dans un avion, au choix, il faut soit réserver un second siège, soit sacrifier la valise réservée aux quinze paires de chaussures de madame, soit abandonner un gamin dans le hall de l’aéroport et balancer le second dans la soute de l’appareil (on a pris la troisième option, bien entendu). Il faut surtout choisir une destination lointaine, genre Pluton, pour boucler, non pas la ceinture mais cette lecture maniaque.

En 1964, le corps du petit Luc Taron, onze ans est retrouvé dans une forêt. Des courriers, signés « L’Etrangleur », revendiquent à de multiples reprises cet assassinat et attisent la curiosité de l’opinion publique. L’auteur des lettres est identifié, arrêté et jugé. Emballé, c’est pesé. Pas vraiment.

Lucien Leger va passer 41 ans en prison pour ce crime qu’il n’a peut-être pas commis. Hondelatte en bave. L’auteur va reprendre tout le dossier, se rendre sur les lieux du crime, disséquer la vie de tous les protagonistes de l’affaire et s’appuyer sur une enquête référence de deux journalistes qui date de 2012 et qui a remis en cause la culpabilité du plus ancien détenu de France.

L’analyse est aussi minutieuse que brillante mais j’ai eu l’impression que Philippe Jaenada s’est mis une telle pression pour être à la hauteur de l’enquête réalisée par Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani qu’il inonde le lecteur d’un tsunami de détails au détriment de sa prose. Le Leger devient parfois un peu lourd. Il ne manque que la pointure de la coiffeuse du juge et le plat préféré du cousin au deuxième degré de la victime. L’arbre généalogique de tous les témoins remonte presque aux Carolingiens. J’exagère, oui, mais pas autant que Philippe Jaenada. Si le diable se cache dans les détails, l’enfer, c’est ici.

J’ai lu(tté) un mois durant sans abandonner cette lecture car j’adore les parenthèses enchantées de l’auteur, ces moments où il glisse sa petite histoire personnelle, ses tracas de santé, ses souvenirs d’enfance et ses commentaires ironiques. La marque Jaenada. Label rouge vif. Des respirations inspirées pour fuir l’expiration.

Je n’ai pu que me passionner aussi pour cette histoire que l’on pourrait réduire à un bal des menteurs. Tous les personnages sont troubles et trainent des casseroles taillées comme des marmites. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre... Ils préfèrent se laisser tomber. Côté victime, le vernis de la famille modèle craque dès les premières investigations, l’accusé ment pour entretenir sa popularité morbide, sa compagne collectionne les internements, des comploteurs complotent dans la compote, des résistants de la dernière minute collaborent, avocats et juges ne se compliquent pas trop la vie. Le roman décrit aussi très bien le poids de l’opinion et des médias… et il se déroule en 1964. Tout le monde joue plus son personnage qu’il ne le vit.

Ce roman, c’est une rentrée littéraire à lui tout seul, la Comédie Humaine en un seul tome, un bottin qui n’a rien de mondain, que son éditeur aurait dû un peu plus épurer.

Les trois derniers romans de Philippe Jaenada suffisent à remplir une bibliothèque.

Une lecture qui relève de la performance.



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La Petite Femelle

Même si l'on n' avait qu'une vague idée de cette affaire qui défraya la chronique dans les années cinquante, il est certain qu'en refermant les 700 et quelques pages de ce récit, on n'est pas prêt d'oublier ce drame. Et tout cela grâce au talent de Philippe Jaelana, qui, avec un acharnement à la hauteur de celui des charognards qui ont démoli torchon après torchon la moindre chance que la jeune femme s'en sorte.

Certes, elle a tué son amant. Certes l'auteur est entièrement dévoué à sa cause. Mais tout de même, on est estomaqué par ce que l'on apprend. Quand Pauline prétend qu'elle est maudite, on la croirait presque. Un père froid qui lui donne toute jeune la solution pour rester digne devant l'échec : le suicide! Gageons que ces principes éducatifs ne constituent pas une base fiable pour une personnalité solide. Rajoutons à cela une probable faille narcissique qu'a provoqué ce milieu peu aimant, et la suite s'inscrit dans une logique imparable. Donc il y a mort d'homme et il y a pathologie psychiatrique, l'histoire est assez simple.



Mais là où on hallucine, c'est sur la légèreté inouïe de l'enquête, la détermination sans faille de la partie civile de prouver que l'on a affaire à un monstre, et l'acharnement de la presse qui colporte rumeurs et suppositions et se nourrit de ses propres mensonges pour noircir le tableau et démolir l'accusée. Même sans trouble de la personnalité , qui pourrait se relever un tel lynchage?



Et c'est là que le travail d'analyse de l'auteur ( que l'on aurait bien aimé constater a posteriori de la part des abrutis incompétents qui ont bâclé leur boulot à l'époque : on n'avait pas l'ADN, certes, mais l'analyse de la balistique, ça fait quand même un bail qu'on connaît, non?). Philippe Jaenada, comme le précise un extrait de critique, retourne chaque pierre, étudie chaque échange, reconstruit les faits, épluche les témoignages ( et là aussi, le traitement qui en a été fait lors du procès donne une piètre image de la justice française de cette période).



Justement parlons-en de la période : la France sort de la guerre qui a fait bien des victimes, et qui n'a pas contribué à mettre en valeur la grandeur d'âme de nos concitoyens. Et l'affaire semble concentrer la rancoeur qu'a le peuple à l'égard de ses propres ignominies. Cela fait partie de la malédiction déjà évoquée



Enfin et c'est sans doute ce qui vaut les cinq étoiles : c'est un récit drôle, malgré la noirceur de l'histoire! D'autres auteurs se sont penchés sur ce destin tragique, mais ici le ton est très ironique, vis à vis des professionnels qui ont précipité Pauline vers sa fin cruelle. Philippe Jaenada réinvente les patronymes par respect pour les familles, mais n'épargne cependant pas les hyènes et les vautours. Et ce ton, drôle , décalé, irrespectueux y compris sur le mode de l'autodérision que l'auteur pratique dans des digressions hautes en couleurs) est justement ce qui constitue le plus bel hommage que l'on puisse faire à la coupable (ou victime ?). Et l'on imagine pas qu'il puisse y avoir le moindre conflit d'intérêt dans cette plaidoirie bien à distance du drame, alors que la plupart des protagonistes ont contribué à l'entropie générale et redistribué les atomes de carbone qui les constituaient .



Cette liberté d'écriture et d'opinion est réellement réjouissante et il y a fort à parier que les autres écrits de l'auteur rejoindront mes projets de lecture



Un petit bémol : les histoires des co-détenues, avec qui Pauline s’est liée, alourdissent le propos sans apporter un éclairage utile.



Challenge pavés 2015-2016


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Sulak

Philippe Jaenada m’a déjà passionné avec La petite femelle, La serpe, Au printemps des monstres et, plus récemment, Sans preuve & sans aveu.

Au hasard d’un désherbage de ma médiathèque, voilà que j’aperçois un livre du même auteur : Sulak. Comme je ne l’ai encore pas lu, je me dépêche de le prendre tout en râlant devant cette élimination d’un tel bouquin des collections…

Je me suis donc lancé goulument dans la lecture de cette autre enquête menée par Philippe Jaenada, un livre publié en 2013. Comme d’habitude, c’est fouillé, émaillé de rencontres, de recherches et, bien sûr, d’anecdotes concertant l’auteur lui-même, en lien avec ses recherches ou avec les dates des faits qu’il relate.

Si Bruno Sulak est né à Sidi Bel Abbès (Algérie), le 6 mars 1955, l’essentiel du livre, le plus palpitant, se passe dans les années 1980. L’auteur n’oublie rien, présente les parents de Bruno et surtout sa fille, Amélie Sulak, qui lui a apporté quantité de détails, d’éléments précieux pour son récit.

Je ne suis jamais déçu par le style Jaenada, sérieux, efficace et souvent teinté d’humour. C’est passionnant et de plus en plus addictif. Avant de plonger dans l’action et de suivre pas à pas Bruno, j’apprends que la famille Sulak est originaire de Pologne. Stanislas, le père de Bruno, a été légionnaire comme son fils le sera plus tard. Par moments, l’auteur délaisse la famille Sulak pour quelques Yougoslaves qui interviendront dans la vie de Bruno… patience.

Au passage, Philippe Jaenada glisse sa date de naissance, le 25 mai 1964, la même année où Krsta Zivkovic arrive à Levallois-Perret, depuis Belgrade. Il deviendra un des plus fidèles amis de Bruno.

Il n’a pas 20 ans quand, à Marseille, il vole une voiture avec trois autres comparses et ça lui vaut quatre mois de prison. Ce n’est donc pas très bien parti et commencent les changements de nom, de métier, de lieu de vie et… la légion étrangère.

C’est un événement malheureux qui l’oblige à déserter et le pousse dans la délinquance. Avec Yves, mari de sa belle-sœur, à court de fric, ils se lancent dans le braquage du Mammouth (hypermarché de l’époque), à Albi, et réussissent. Cela se passe sans faire la moindre victime et ce sera la marque de fabrique de Bruno Sulak, que ce soit dans les supermarchés ou, plus tard, dans les bijouteries, sa grande passion.

Sa vie est très mouvementée. Philippe Jaenada nous le rend très sympathique tout en démontrant l’engrenage fou, une fois lancé, impossible à arrêter. Beau gosse, notre homme séduit les femmes, à commencer par Patricia qu’il épouse et Amélie naît le 23 avril 1979. Il y aura aussi et surtout Thalie et bien d’autres pour lesquelles il n’hésite pas à dépenser sans compter l’argent volé.

L’auteur n’oublie pas les flics et surtout Georges Moréas (OCRB) qui veut absolument l’arrêter, s’attache au personnage mais se retrouve coincé par la rivalité entre les services de police. Par exemple, la BRB (Brigade de Répression du Banditisme) n’informe pas l’OCRB (Office Central pour la Répression du Banditisme) de Georges Moréas sur ce qu’elle vient d’apprendre à propos de Sulak qui en profite pour disparaître... et me fait voyager un peu partout en France et même en Amérique du Nord et au Brésil avant que Philippe Jaenada me fasse vivre ses évasions, en apnée. Je note aussi que la presse, pour aguicher le lecteur, n’hésite pas à titrer, à son sujet « Ennemi public et superstar ».

Comme l’auteur aime la précision, il détaille les conditions de détention inhumaines imposées à Bruno Sulak mais je vous laisse le plaisir de plonger dans ce gros livre afin de vivre jusqu’au bout cette histoire grâce à l’énorme et minutieux travail de Philippe Jaenada qui raconte tout cela si bien.


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Sans preuve et sans aveu

« … ce livre a simplement pour intention d’essayer de montrer qu’Alain Laprie n’a pas été correctement jugé. Que la gendarmerie et la justice n’ont pas accompli sérieusement la mission qu’elles sont censées accomplir. »

Après La petite femelle, La serpe et Au printemps des monstres, Philippe Jaenada a décortiqué à nouveau une affaire judiciaire. Cette fois-ci, c’est dans l’urgence qu’il a épluché un dossier puis écrit car Alain Laprie est en prison, qu’il souffre quotidiennement de conditions de vie atroces, condamné à quinze ans de réclusion, Sans preuve & sans aveu.

Le mercredi 17 mars 2004, Marie Cescon (88 ans) a été découverte baignant dans son sang, dans sa maison en partie détruite par le feu, à Pompignac, près de Bordeaux. Avec son talent habituel, Philippe Jaenada traite le dossier, raconte, évalue, dénonce, argumente. C’est précis, détaillé et très intéressant à lire.

Une fois de plus, l’auteur prouve qu’une erreur judiciaire s’est mise en place et a été facilitée par des gendarmes et des juges sûrs de leur opinion, s’acharnant sur un homme que toute enquête sérieuse, ne dédaignant aucun détail, permettrait d’innocenter.

L’affaire de l’assassinat de Marie Cescon est avant tout une histoire de famille que Philippe Jaenada détaille parfaitement. On parle d’héritage, d’argent bien ou mal géré, cet argent au sujet duquel toute famille peut se déchirer.

J’apprends qu’Alain Laprie était « le neveu préféré » de Marie Cescon, qu’il était son héritier désigné dans son testament mais que d’autres membres de la famille n’acceptaient pas ce cadeau.

De plus, il y a cet incendie partiel de la maison, le gaz ouvert ou fermé, le feu qui couvait ou non. Tout cela avait une importance capitale pour les horaires de la soirée et rien n’est vraiment tiré au clair.

Alain Laprie subit des gardes à vue, est incarcéré, libéré, acquitté lors d’un premier procès. Hélas, le Parquet fait appel et un second procès est même interrompu, renvoyé pour arriver à celui qui inflige la condamnation facilitée par la projection d’une vidéo. Il s’agit de la confrontation entre Alain Laprie et son oncle, Georges, décédé, frère de Marie Cescon, auteur d’une révélation qui a fait basculer l’affaire sans la moindre preuve.

Il faut lire Sans preuve & sans aveu pour comprendre comment la vie d’un homme peut s’effondrer sur de simples présomptions, des accusations infondées, des rapports d’experts bien arrangeants et sur la négligence d’éléments prouvant l’innocence d’Alain Laprie.

Philippe Jaenada, contrairement à son habitude, évite les longues digressions, pourtant très intéressantes, de ses précédents livres. Malgré tout, cela ne l’empêche pas de glisser quelques clins d’œil qui font sourire et détendent un peu la lecture.

C’est la vie d’un homme qui est en jeu, toute sa famille qui est brisée Sans preuve & sans aveu. Malgré les belles formules comme la présomption d’innocence ou le bénéfice du doute, la réalité est tout autre. Manque de moyens du système judiciaire, formation insuffisante des gendarmes enquêteurs, les exemples similaires foisonnent et il serait temps de remédier à cela, de faire cesser ces scandales car l’intime conviction ne doit jamais remplacer les faits, les preuves, l’absence d’aveux. Cette solution de facilité cause trop de dégâts humains irréversibles pour être la règle.


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La Serpe

Cher Père Noël,

Oui, je sais, c'est tôt,  mais quand on a une commande particulière,  il vaut mieux s'y prendre de bonne heure...

Cher Père Noël,  donc, comme j'ai été un lecteur très sage cette année,  j'aimerais trouver au pied du sapin, dans ces merveilleux chaussons offerts avec amour par mes proches, une panoplie de Philippe Jaenada. La plus belle, la complète,  celle avec le talent, le style, l'humour,  celle avec tous ses codes. Un truc que j'enfile et qui me permet de rédiger mes chroniques le coeur léger.  (Si un jour, je le rencontre,  je demanderai à Philippe Jaenada si j'ai raison de penser qu'il a l'écriture facile).

Deuxième roman de cet auteur que je découvre,  après son "Sulak", à la lecture duquel je m'étais déjà régalé.

La serpe, est l'outil qui a servi en octobre 41 à massacrer trois personnes dans un château en Dordogne. C'est le petit-fils d'Henry Girard, principal accusé de ce triple homicide, qui à raconté à son ami Jaenada cet épisode dramatique de la vie de son grand-père.

L'auteur s'est donc rendu sur les lieux mêmes de la tragédie afin de relire les minutes du procès, d'éplucher les témoignages et d'essayer d'imaginer l'atmosphère de l'époque.

Ce roman c'est son enquête. Mais une enquête façon  Philippe Jaenada, c'est Columbo, le chien en moins (la femme y est, elle, et il y a même un fils adoré, absent lui, chez le célèbre lieutenant ).

Pour avoir une idée de l'écriture de cet auteur, si vous n'avez pas la chance de la connaître,  c'est simple, Philippe Jaenada il va de Marseille à  Lyon mais en passant par.....Lille.

Alors certes,  La serpe est un pavé,  mais la raison en est très simple, si l'écrivain s'était focalisé sur son seul sujet, je pense qu'il aurait perdu des lecteurs en route. Parce que même moi, à un moment, je me suis égaré,  faut dire qu'il y a du détail,  rien ne lui échappe,  il y a de la répétition aussi et ça, il vous prévient à l'avance,  c'est pas qu'il vous prenne pour des imbéciles,  mais c'est qu'il veut être sûr que vous ne loupez rien, parce que le récit et riche et surtout, il a quelque chose à vous raconter, lui, il a résolu l'énigme. Bon sang mais c'est bien sûr ! Alors, pour alléger son récit,  il rajoute des pages, des petites anecdotes, des trucs dont on n'a rien à faire... mais c'est drôle, ça égaye un roman qui pourrait être très noir. C'est son style, et surtout, qu'il ne change rien, c'est trop bon. En tout cas, moi, j'en redemande. D'ailleurs tout au long de son livre, il m'a conseillé de lire La petite femelle , son précédent opus et je vais écouter son conseil. (Ah oui, parce qu'il faut que je vous dise, vous pouvez compter sur lui pour faire la promo de ses ouvrages, il a les mots et les clins d'oeil faciles, il sait les glisser dans le fil de sa narration).



Merci à Babelio et aux Editions Julliard pour cet excellent moment de lecture.



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La Serpe

Titre : La serpe

Auteur : Philippe Jaenada

Editeur : Julliard

Année : 2017

Résumé : Octobre 1941 trois corps sont retrouvés atrocement mutilés dans un château du Périgord. Seul rescapé de la tuerie, le jeune Henri Girard fait figure de coupable idéal. Alors que son père, sa tante et sa domestique baignent encore dans leur sang, Henri fait preuve d’un détachement paraissant coupable aux yeux des premiers arrivés sur le lieu du crime. Contre toute attente, à la suite d’un procès retentissant, Girard sera pourtant innocenté alors que l’opinion publique reste persuadée de sa culpabilité.. Enfin libre, il s’exilera en Amérique du sud qui lui inspirera le salaire de la peur, roman dont l’adaptation cinématographique fera bientôt sa renommée. Méthodiquement, à l’aide des minutes du procès et d’une multitudes de documents, Jeanada mène l’enquête.

Mon humble avis : Dans les 15 derniers sélectionnés du prix Goncourt, une presse quasi unanime, des avis dithyrambiques, La serpe par ci, la serpe par là…. Dur d’échapper à ce roman en cette rentrée littéraire 2017. Je ne connaissais pas Jaenada avant de m’attaquer à ce pavé de plus de 600 pages mais les échos parvenus de métropole m’indiquaient sans aucun doute possible que je tenais là l’un des livres qui allait marquer ma vie de lecteur d’une trace indélébile. Restait à découvrir ce texte mais je dois avouer que je démarrais cette lecture plutôt confiant et avide de découvrir ce roman qu’on disait original et passionnant. Les premières pages me confortaient dans cette opinion : de l’humour, des digressions plus ou moins heureuses mais un vrai ton et des va-et-vient brillants entre l’époque du crime et celle de l’enquête menée par Jaenada. A la manière de Truman Capote et de son fameux in cold blood (de sang froid pour la VF 1966) l’auteur relance une affaire aujourd’hui enterrée pour tenter d’en tirer la substance et pourquoi pas innocenter Henri Girard d’un crime qu’il avouera pourtant face caméra sur ses vieux jours ( du reste Jaenada ne donne aucune explication quant à ces aveux me semble-t-il) Bon autant vous le dire tout de suite cette recherche de vérité me passionna sur les cent premières pages puis m’ennuya allègrement le reste du roman. Et pourtant… Pourtant certains passages sont brillantissimes (surtout ceux concernant la personnalité troublée d’Henri Girard et ses pérégrinations américaines). Trop de détails tue le détail aurais-je envie de dire : plusieurs dizaines de pages sur une fenêtre qui ferme mal, des tunnels interminables sur des horaires contradictoires d’extinction d’une lumière, une vague histoire de résistance… Si l’on peut reconnaître à Jaenada un travail de recherche impressionnant, une aptitude assez exceptionnelle à rechercher la vérité derrière les apparences, on peut également regretter sa trop grande méticulosité qui à tendance à lasser le lecteur ( moi en tout cas ). A mon humble avis Jaenada n’est jamais aussi bon qu’au contact de son personnage principal, ce fameux Henri Girard tour à tour sale gosse, cruel et inconstant puis plus tard idéaliste et engagé. Un vrai personnage de roman, un homme complexe dont le destin fut durement marqué par cette accusation et les mois d’internement qui s’ensuivirent. Au-delà de ce personnage haut en couleur et des multiples digressions (parfois hilarantes) distillées dans le texte, je dois avouer avoir ressenti un certain agacement face à ce roman qui m’a paru interminable et dont j’ai survolé les dernières pages, bien incapable d’accrocher au récit. A mon grand regret je l’avoue.

J’achète ? : J’ai bien peur de devoir dire non. L’auteur semble sympathique, la vie d’Henri Girard méritait bien un roman mais pourtant je me suis ennuyé comme jamais. Evidemment ce n’est que mon humble avis…


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Au printemps des monstres

En 1964, un petit Parisien de onze ans, Luc Taron, disparaît et est retrouvé mort dans une forêt de proche banlieue. Un corbeau, s’identifiant comme « L’Etrangleur », revendique son assassinat dans une série de très étranges courriers aux médias, à la police et aux parents. Arrêté au bout d’un mois, l’homme, qui s’appelle Lucien Léger et est infirmier, avoue le meurtre et est condamné à la réclusion à perpétuité.





Il avait vingt-sept ans au moment des faits. Il ne sortira de prison que quarante-et-un an plus tard, au terme de la seconde détention la plus longue d’Europe. Revenu sur ses aveux au milieu de mille contradictions, il ne démordra plus jamais de son innocence. Ce n’est qu’en 2012, quatre ans après sa mort, que des doutes quant à sa culpabilité sont émis par deux journalistes, dans un livre évoquant un Lucien Léger qui se serait faussement accusé par besoin pathologique de reconnaissance. Philippe Jaenada revient sur cette affaire, et, après quatre ans d’enquête et d’écriture, nous livre sa propre analyse et ses multiples interrogations. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les zones d’ombre sont légion dans cette histoire qui n'en finit pas d'ébahir son lecteur...





Le travail de Philippe Jaenada est impressionnant d’exhaustivité et de précision. Il s’est rendu sur tous les lieux, a épluché tous les documents, s’est entretenu avec toutes les personnes pouvant apporter un éclairage sur cette histoire vraie, dont il apparaît que l’on n’a très opportunément retenu que le versant qui arrangeait les protagonistes de l’époque. Et si la première partie du récit, consacrée à une restitution fidèle et minutieuse des événements connus et retenus par les médias, la police et la justice, stupéfie par l’apparence monstrueusement délirante des actes et des comportements de Lucien Léger, c’est une version bien différente, dissipant cette fois toute impression de folie et de perversion, mais menant à une consternation tout autant sidérée face à la probabilité de l’erreur judiciaire, que la suite du livre s’emploie à mettre au jour.





Contre-enquête et réexamen du moindre détail, complétés d’une exploration tristement édifiante de cette histoire vue par la malheureuse épouse de Lucien Léger, semble-t-il indûment internée en asile psychiatrique, ont tôt fait de nous convaincre, à défaut de preuves opposables à des protagonistes aujourd’hui décédés, que rien dans cette affaire n’est conforme à ce que l’on a bien voulu en retenir, et que les plus coupables, les plus fous et les plus monstrueux, n’y sont sans doute pas ceux que l’on a condamnés et enfermés.





Minutieuse, exhaustive, l’investigation de Philippe Jaenada nous tient en haleine sur près de huit cent pages, entre étonnement, indignation et consternation, mais aussi, pour notre plus grand plaisir, de sourires en éclats de rire : commentaires railleurs, digressions pleines d’auto-dérision faisant écho à l’actualité générale ou personnelle de l’auteur, viennent plaisamment alléger le texte, au gré de drôles de parenthèses imbriquées comme des poupées russes.





C’est donc presque autant amusé par les anecdotes et le style, que tristement troublé par cette justice aux allures de loterie dénoncée par l’un des avocats de Lucien Léger, par ces apparences dont notre société tend souvent trop hâtivement à se satisfaire, et par le triste sort de ce couple condamné, manifestement à tort, à cette mort lente qu’a été leur détention vraiment à perpétuité - en prison pour lui, en asile psychiatrique pour elle -, que l’on s’installe longuement dans cette lecture coup de coeur.


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La Serpe

Un matin de 1941, au château d’Escoire dans le Périgord, Henri Girard crie au secours : son père, sa tante et la bonne ont été massacrés à coups de serpe durant la nuit. Aucune effraction n’est constatée, Henri était seul avec les victimes dans la demeure verrouillée, et, très vite, il apparaît évident que tout l’accuse. Peu de temps auparavant, il a emprunté l’arme du crime. On lui prête une vie de patachon, flambeur toujours fauché, mari volage d’une demi-folle, brebis égarée entretenant des relations houleuses avec les Girard. Des Girard fortunés, dont il est le seul héritier… Placé en détention préventive, il passe en jugement dix-neuf mois plus tard. Et là, coup de théâtre : il est acquitté après une délibération du jury d’à peine dix minutes.





L’homme reprend sa vie, dilapide son héritage, fuit ses créanciers jusqu’au Venezuela dont il revient en 1950 avec un livre : le fameux Salaire de la peur, dont la publication sous le pseudonyme de Georges Arnaud manque de peu de lui valoir le Goncourt, et lui assure, en tout cas, un succès fracassant, amplifié par l’adaptation du roman au cinéma par Henri-Georges Clouzot. Toujours prodigue et remarquablement généreux, il se met au service de l’indépendance de l’Algérie, s’investit dans la défense de la veuve et de l’orphelin dans plusieurs causes perdues, réalise des reportages sur de grandes affaires. Pendant tout ce temps, rien n’y fait, l’opinion publique ne démord pas de sa culpabilité lors du triple meurtre de 1941. Il faut dire que, lui acquitté, l’affaire est demeurée irrésolue…





Avec l’extrême souci du détail qui caractérise ses enquêtes et l’irrésistible humour qui, parsemant son récit de digressions très vivantes, fait de lui un personnage du livre à part entière en même temps qu’un conteur hors pair, capable de vous tenir suspendu à ses mots pendant plus de six cents pages, entre étonnements et éclats de rire, Philippe Jaenada a entrepris de rouvrir le volumineux dossier de cette si trouble affaire. Comment ne pas être intrigué par Henri Girard, cet homme qui s’attache, jusqu’à la fin de sa vie, à combattre les erreurs et les injustices commises par la société, quand lui-même, à en croire l’opinion générale, en a précisément, et fort inexplicablement, profité ? Et si, malgré les apparences, il était vraiment innocent ? Et qui donc serait alors le coupable, jamais trouvé, jamais puni ?





Saga familiale, chronique historique des années d’Occupation, feuilleton judiciaire et hommage appuyé à l’oeuvre oubliée de Georges Arnaud, ce livre, fruit d’un travail d’investigation autant faramineux qu’intelligent, est aussi une véritable œuvre romanesque. Se mettant lui-même en scène au travers d’une histoire criminelle en tout point véridique, l’auteur s’y joue en toute dérision de son lecteur, pour le tenir suspendu entre bonnes et fausses pistes, à mesure de sa savante distillation de témoignages, documents et hypothèses. Une superbe occasion de méditer sur l’erreur judiciaire… Coup de coeur.


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La Serpe

Un écrivain parisien rôde autour d’un château par une sombre soirée d’automne. Attention pas n’importe quel château, le château qui domine le village d’Escoire, un château où a eu lieu, il y a plus de soixante-dix ans un crime atroce. Un homme et deux femmes ont été sauvagement massacrés à coup de serpe, le seul rescapé de la demeure fut pendant près de deux années le coupable idéal. Acquitté au cours d’un procès retentissant, il reste pourtant aux yeux de beaucoup de gens un effroyable assassin qui a eu beaucoup de chance.



Un fait-divers comme un autre ? Pas pour Philippe Jaenada, c’est lui l’écrivain rodeur, il connait très bien le petit-fils du prétendu meurtrier et ce prétendu meurtrier est devenu George Arnaud, le célèbre auteur du « Salaire de la peur » formidable roman qui a donné un formidable film de Clouzot ( mais un moins formidable remake de Friedkin) et que Georges Arnaud, dans la France un peu moisie de l’après-guerre, fut un trublion XXL.



Très sensible aux malheurs des autres, il dilapide sa fortune, intellectuel, incontournable fouteur de merde, il sera de tous les combats politiques, sociaux et philosophiques de cette époque. Viscéralement contre la colonisation, il participera à la création de la première école de journalisme d’Alger.



Bref, un jeune homme de vingt-quatre ans accusé d’avoir tué son père, sa tante et la bonne de la maison, qui une fois acquitté devient aventurier en Amérique du Sud, puis romancier et intellectuel respecté à son retour en France, en voilà une sacrée vie qui ne demandait qu’à être racontée par un écrivain de talent.



Philippe Jaenada, car c’est bien lui l’écrivain de talent, devient Philippe Rouletabille, Sherlock Jaenada, Philippe Poirot et Monsieur Marple pour se plonger dans les dossiers de l’enquête et du procès du triple crime d’Escoire. Le plus objectivement possible l’écrivain enquêteur, fouille, traque et recoupe le moindre indice dans les compte-rendus d’époque et, après dix jours de recherche aux Archives départementales de la Dordogne, ce qu’il découvre laisse le lecteur sans voix.



Six cents pages serrées pour raconter une partie de Cluedo, ce pourrait être long, mais Philippe Jaenada a, comme d’habitude, le bon gout d’être drôle et tendre dans ses digressions qui sont devenues sa marque de fabrique.



Les réflexions et la plongée d’un écrivain (très parigot tête de veau pour notre plus grand plaisir) dans les nuits périgourdines (je ne sais pas pourquoi, mais je trouve que les mots périgourdin et périgourdine ont un petit côté égrillards) sont hilarantes.



Ce romancier méticuleux,sérieux et désopilant à la fois, devrait avoir un prix littéraire à chaque saison. Avec « la Serpe » il vient d’écrire le Club des Cinq (à lui tout seul) en Périgord (rouge sang évidemment).


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Sulak

♫Vous avez lu l'histoire

De Jesse James

Comment il vécu

Comment il est mort

Ça vous a plus hein

Vous en demandez encore

Et bien

Écoutez l'histoire

De Bonnie and Clyde♫

Serge Gainsbourg - Brigitte Bardot - 1968 -



C'est René Chateau, occupé pour la promo

film Warner Bros, Bonnie and Clyde Barrow

Contacte Gainsbourg , chanson en intro

Serge, pas foulé, écrit en moins de 24 h chrono

Poème de Bonnie Parker, traduit mot pour mot

René Chateau, c'est lui qui interviewe en 1965 JP Belmondo

pour le magazine Lui, sur le tournage de Pierrot le Fou....

Quel est le rapport avec notre histoire, me direz-vous !

ALors puisque vous voulez savoir installez-vous .....

Le Professionnel, avec Bebel , et son garde du corps , Steeve, " le boxeur " pour les Yougo

P'tit rôle, mais seule image fiable pour les journaux

Quand on se promène au bord de l'eau

comme tout est beau, chante un gars bien

Dans la légion le diable marche avec nous chante le refrain

Faut le savoir, dans la légion ça rigole pas...

Stanislas Sulak , c'est le papa, y laissera un bras

on ne parle jamais de la difficulté pour tous ceux là

de se laver les mains, on ne retient que le coup de main ....

donc Steeve, le boxeur, et c'est un euphémisme rejoint Sulak Bruno, notre héros

Combien pour cette Panthère dans la vitrine ? Houa houa ! (Là faut que je saborde, non faut que j'aborde le style Jaenada et ses parenthèses (Un briquet panthère de chez Cartier, platine diamants, onyx émeraude , il n'en existe que quatre dans le monde, chacun unique;ferme la première), arrive la deuxième.) Rien ne lui résiste, l'esprit humain capable de prodiges optimistes.habitudes intrinseques. Pas question que sa famille subisse les conséquences de son décalage à la marge. Révolté contre la norme, le fric et l'hypocrisie, prendre tout ce qui brille, mêche allumée prêt à faire des étincelles, voire de se faire la belle.....Thalie sa muse, pas tant que ça , l'attend elle s'use, si l'on s'en sert, woman Wonder quand nécessaire .....

Evasion, Train corail , gendarmes otages, revolver , Coffre BmW, Anthony Delon,...je passe tout ça ce serait trop long. Faudrait que je vous cause du Fanfaron, Desproges , de Laurent Fignon, retour case Prison...

(Pour le plaisir ( Palindrome : STAR A CARATS) )

Steeve, abattu par derrière

Désertion des légIonnaires

pour tous les goûts Spaggiari Albert

L'EAU, l'AIR, le FEU , la TERRE

les Quatre éléments, symbole solaire

Regarde devant ce qu'il te reste à faire

Ne regarde jamais derrière

erreur administration judiciaire ?

ardeur musclée pénitenciaire ?

d'un deuxième étage jeté par terre

ou battu à coups de barre de fer

Voltaire très en colère

Homicide involontaire !

évasion manquée, corruption fonctionnaires

1985, à 29 ans, Sulak meurt sans peur à sang Pitié-Salpétriere.











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Sans preuve et sans aveu

Le 17 mars 2004, à une vingtaine de kilomètres de Bordeaux, deux jeunes gens, Julien et Damien s’apprêtant à aller retrouver des amis, aperçoivent de la fumée, beaucoup de fumée, des flammes aussi, s’élevant du toit de la vieille maison voisine.

À l’intérieur, est retrouvée, la tête ensanglantée, Marie Cescon, 88 ans. Inanimée, elle est saisie par ses voisins et extraite de la maison. Les pompiers ne pourront pas la réanimer...

Les enquêteurs se focalisent dès le départ sur un homme Alain Laprie, le neveu préféré de Marie.

Mis en garde à vue le 22 juin 2004, il est remis en liberté 11 heures après.

Quelques années plus tard, pour se délivrer d’un lourd secret dit-il, son oncle Georges, un frère de Marie, intéressé par l’héritage, l’accuse. Il déclare aux gendarmes que son neveu s’est confié à lui quelques jours après le décès de l’octogénaire, qu’il lui a révélé être l’auteur du crime : « C’est moi qui ai fait le coup », cette confession de l’oncle sera répétée devant le juge d’instruction.

Le procès prévu à Bordeaux le 20 juin 2016 est annulé et renvoyé au 26 novembre 2018. Alain Laprie est acquitté au bénéfice du doute, le témoignage bien tardif de l’oncle, décédé en 2014, et nié par l’accusé, étant le seul élément du dossier.

Dix jours plus tard, le parquet général fait appel de la décision.

Après seize années d’instruction, Le 17 février 2020, au palais de justice d’Angoulême, sans témoin, sans preuve et sans aveu, la cour d’assises condamne Alain Laprie à 15 ans de réclusion criminelle.

Il est remis en liberté le temps que la justice examine son pourvoi en cassation. La cour de cassation rejette le pourvoi et il dort en prison depuis le 2 septembre 2021.

En août 2021, alors que le dernier (et excellent) roman de Philippe Jaenada vient de paraître, roman sur lequel il a passé près de quatre ans à travailler, celui-ci souhaite passer à autre chose et peut-être arrêter avec ce genre de sujet.

Et à quelques jours de l’incarcération d’Alain Laprie, c’est à l’issue d’une signature au Cap Ferret, que son ami libraire lui parle de cette histoire de fous, de cet ami qui a un gros problème avec la justice et il le lui présente.

Touché par cet homme et son histoire, l’auteur ne se contente pas de sa seule intuition et se plonge dans le dossier d’instruction de l’affaire, dossier qui va le convaincre qu’il ne peut s’agir que d’une erreur judiciaire.

Décortiquant et épluchant minutieusement le dossier judiciaire comme il l’a déjà si bien fait dans ces précédents bouquins que ce soit dans La petite femelle pour réhabiliter Pauline Dubuisson, dans La Serpe pour Henri Girard ou Au printemps des monstres pour Lucien Léger, cette fois sans digressions sur ses problèmes de santé ou la vie de ses proches, sans se rendre sur les lieux, sans rencontrer personne, il écrit ce livre, dit-il, dans l’urgence afin de réhabiliter un innocent accusé dans une affaire où l’enquête a été menée entièrement à charge. Un acharnement de l’instruction pour pouvoir le déclarer coupable sans pour autant qu’il y ait la moindre preuve, notamment avec cette histoire de feu qui a couvé.

Dans ce dossier de rivalités familiales, maintes choses l’ont interpellé et Philippe Jaenada explique et décrit tout cela très bien. C’est assez technique et parfois, de longues phrases ont été nécessaires pour bien faire visualiser et comprendre, un schéma des lieux en début d’ouvrage permet de bien suivre le cheminement de sa pensée. Pas la moindre preuve. Le témoignage de son oncle, sur lequel vont s’appuyer les jurés est complètement invraisemblable. De nombreux éléments sont en sa faveur et il a notamment un alibi. Mais, persuadés qu’ils ont trouvé le coupable, les gendarmes et les juges d’instruction se fiant à leur intime conviction vont s’acharner sur lui pour démontrer que ce ne peut être que lui.

C’est ainsi qu’une dernière expertise finit par mettre en avant que le feu a pu couver, contrairement à ce qu’avaient conclu les experts précédents et ce pour que cela puisse coïncider avec la présence d’Alain Laprie dans la maison. Autre acharnement avec la bouteille de gaz ouverte...

Cette enquête focalisée sur une seule personne montre de nombreuses incohérences. De graves insuffisances également sont à déplorer. Aucune analyse d’ADN n’a été faite auprès des voisins ou de l’entourage, pourtant, sur un mégot retrouvé près du corps, il y avait un ADN n’appartenant ni à Alain, ni aux cousins…

Pourquoi Alain Laprie pour lequel aucune preuve ni aveu n’est dans le dossier a-t-il été condamné ?

La présomption d’innocence comme c’est le cas dans cette affaire, qui est prévue par le code pénal, ne doit-elle pas, au bénéfice du doute, bénéficier à l’accusé et l’empêcher d’être condamné ?

Mais l’on sait malheureusement qu’il existe de nombreuses histoires comme celle-ci, où le bénéfice du doute et la présomption d’innocence n’existent pas.

Cette affaire révèle les failles d’un système judiciaire fort mal en point, en train de se déliter par manque de moyens, d’énergie et de volonté.

J’ai été convaincue par l’analyse méticuleuse et détaillée du dossier de cette affaire menée avec tellement de précision et de sérieux par Philippe Jaenada et été entièrement persuadée de sa sincérité.

J’ai été scandalisée et bouleversée à la lecture de ce livre, incrédule et atterrée devant la manière dont a été menée cette enquête et effarée sans pour autant être complètement surprise par l’inefficacité de notre système judiciaire. En effet, des erreurs judiciaires ont déjà été commises, on le sait et une amie avocate à qui l’écrivain parlait du projet de son livre confirme : « C’est loin d’être rare, crois-moi. »

Sans preuve & sans aveu, selon son auteur a pour seul objectif d’obtenir la réhabilitation d’un innocent. Mais ce livre propose en fait une profonde réflexion sur le fonctionnement de la justice.

En attendant, un homme est privé de liberté et croupit en prison, laissant femme et enfant désemparés tandis que le ou les coupables courent toujours.

Seul un fait nouveau permettrait un procès en révision mais l’espoir est ténu car l’on sait qu’il s’agit d’une procédure qui aboutit rarement.

Incompréhension et colère sont les sentiments qui m’ont animée tout au long de ma lecture et ne sont pas prêts de s’éteindre.


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Sulak

Bruno Sulak défraya la chronique en devenant l’ennemi public N°1, braqueur gentleman , « ces exploits » eurent le don de se mettre toutes les polices à son dos, tandis que son parcours atypique lui valait une certaine sympathie. Aucun de ces nombreux braquages ne fit couler le sang.

Et la, moi qui viens de refermer le livre de Jaenada, j’en suis sur le cul. Tombé par hasard sur ce destin hors norme, Jaenada décide dans faire un méticuleux récit, avec empathie, n’hésitant pas à poser des questions restées sans réponses lors de sa mort.

Son bouquin est bluffant, prend aux tripes. Mais il sait aussi lui insuffler un brin d’humour salvateur. Jaenada ne s’arrête pas au seul Sulak, il relate les vies de ces proches, Stanislas magnifique père, ne jugeant jamais son fils, Thalie l’amour de Sulak, ces sœurs fières et forcément inquiètes, de ce frère qui refusait de suivre le chemin balisé. De ce flic Georges Moréas, devenu auteur, qui se reconnait dans ce voyou charmeur.

Passionnant de bout en bout, Jaenada n’hésite pas à mêler des éléments de son existence, à rappeler des évènements de l’époque pouvant expliquer la chasse orchestrée par différents services policiers.

Jaenada signe un grand bouquin.

Allez, direct dans votre pense-bête.

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Le chameau sauvage

Ce fut sans doute l'envie simple de rire, l'envie d'une lecture facile, un brin burlesque et déjantée, oui cette envie de légèreté cette semaine qui m' a guidée vers ce livre que j'ai depuis un bon moment (merci chère Nicola !). Ayant été très refroidie avec La serpe de Philippe Jaenada qui m'est littéralement tombé des mains, chose rare chez moi, j'avais parcouru d'un oeil méfiant la critique de Nicola - @NicolaK - sur « le chameau sauvage », critique mi-figue mi-raisin qui néanmoins avait eu le don de m'interpeller…Bien m'en a pris, si ce livre n'est pas un chef d'oeuvre de littérature, il reste une savoureuse bouffée d'oxygène, très bien écrite, durant laquelle je me suis vu éclater de rire à maintes reprises et rien que pour cela, cette semaine précisément, un immense merci Monsieur Jaenada ! Ce n'était pas gagné hein, la morosité m'enveloppant de son manteau noir. Et vous voilà à dos de sardine, lasso en main, à faire n'importe quoi, façon Pierre Richard, pour tenter de me l'ôter, cette mélancolie, et me changer les idées. Et dès les premières pages ça a marché. Certes, c'est un peu gros par moment, certes parfois j'avais envie de secouer cet anti-héros que vous avez la générosité de nous offrir sur un plateau, prêt à se faire croquer, triturer, malmener, aux tribulations et errances délirantes, j'avais envie de lui crier « mais nonnnnn, ce n'est pas vrai ! », oui il peut agacer, un peu, votre Harvald Sanz, mais tout de suite le ton est donné et j'ai senti mes zygomatiques se mettre, se remettre, à fonctionner immédiatement…malgré tout.



Deux jours à me délecter, à savourer les descriptions des personnages, les comportements et réactions incongrues de Harvald Sanz, anti-héros pathétique et attachant, « aussi pimpant et attrayant qu'un ver grisâtre ». Harvald Sanz est le loser, celui dont la vie « est une succession de torgnoles, un champ de bataille boueux truffé de mines, de cratères et de barbelés », le personnage qui enchaine défaite sur défaite, qui a l'art de faire toujours les mauvais choix, de rencontrer les personnages les plus loufoques et déjantés qui soit. Cela donne naissance à des situations cocasses voire délirantes. Les digressions, qui sont la pâte de cet auteur, parenthèses au sein de parenthèses, m'ont ici remplie de joie alors qu'elles m'avaient bien refroidie dans La serpe. Comme quoi, ne jamais s'arrêter à un livre pour se faire une idée définitive d'un auteur ! Sa plume est ici au service de cette farce jubilatoire, ménageant suspense, trouvailles littéraires (rien que les noms des personnages semblent sortis tout droit d'un roman d'Amélie Nothomb, prenez son amoureuse : Pollux Lesiak) et à-propos avec brio !



Les essais et excès alcoolisés de notre homme pour contrecarrer ce mauvais oeil donnent lieu à des situations drôlement tristes, pathétiques, comme ici lorsque Halvard se réveille avec quelqu'un dans son lit sans aucun souvenir de la soirée (voyez comme Philippe Jaedana a le sens de la mise en scène et du suspense, c'est délicieux) :



« J'ai d'abord essayé de reconnaitre la personne à son souffle, mais c'est comme essayer de reconnaitre une ville à la couleur de ses voitures. Une danseuse étoile et un routier roumain respirent de la même façon lorsqu'ils dorment (Je suppose). Pourvu que ce soit une danseuse étoile. J'allais être obligé de me retourner, je le sentais venir. Je pouvais avoir n'importe qui dans le dos.(…) J'ai distingué quelque chose. Une forme sous la couette. Une masse blonde au niveau de l'oreiller. Ca ne semblait pas très agressif, je pouvais effectuer un quart de tour sans risque. Une masse de cheveux blonds bouclés sur l'oreiller. Pas De visage. Les coiffeurs font des merveilles, une couleur et une permanente sont à la portée de la première venue, mais la probabilité de trouver Pollux Lesiak endormie nue près de moi devenait tout de même infime. Qui était cette personne à la chevelure blonde et bouclée ? En tout cas, pas un routier roumain, c'était déjà une grande victoire – ou alors un routier roumain hippie, et là vraiment j'avais le mauvais oeil. Non, j'apercevais un bout d'épaule : une épaule de fille. Mais de quelle fille ? Florence Piombini avait de longs cheveux blond vénitien, mais aussi bouclés que la crinière d'un cheval et c'était une amie, nous ne nous accouplions pas lorsque nous dormions ensemble – or cette sensation de brûlure n'étais pas l'oeuvre du Saint-Esprit (encore heureux)…(…) Je me suis mis en devoir de débroussailler lentement, d'écarter les mèches de cheveux une à une pour découvrir le visage. Je ne me pressais pas non seulement parce que je craignais de la réveiller par un geste trop brusque, mais surtout parce que je me voyais dans un film, j'entendais presque un accompagnement musical angoissant, un crescendo de violons lourd de menaces, j'imaginais toute une salle de spectateurs bouche-bée, un pop-corn sur la langue, n'osant pas croquer, j'écarte une mèche, toujours rien, bon sang, il y en a encore dessous, une autre, ah, une jeune femme plante ses ongles dans l'avant-bras de son fiancé, plus qu'une mèche et le nez apparaitra sans doute. (…) Oh non, Seigneur, non. La bonne femme du premier. L'hystérique au Wizard ! ».



De plus, certes c'est du burlesque, du burlesque assumé, mais ne vous méprenez pas, il y a une réelle profondeur derrière, de la réflexion, en premier lieu sur l'amour, sur l'amitié, sur les relations sociales en milieu urbain, sur la solitude, sur la mort et le deuil (le passage de notre Harvald Sanz complètement ivre passant devant un enterrement et les réflexions que cela lui inspire sur la mort m'ont particulièrement touchée). La deuxième partie du roman est d'ailleurs plus sentimentale, joliment mièvre avec un zeste de candeur, Philippe Jaenada met à l'honneur les début de la relation amoureuse, sa fin brutale, des questions plus existentielles sont posées, elles tourbillonnent et s'affolent « comme des cafards dans une cuisine sale », et viennent nuancer la première partie absolument loufoque. Cette partie est un tantinet plus poussive, elle comporte quelques longueurs il faut bien le reconnaître mais il y cette fin, imprévisible, qui m'a marquée…Quant au titre du livre, le chameau sauvage, il prend sens à la toute toute fin !



A noter de très belles envolées lyriques sur l'amour qui apportent fraicheur et candeur au livre.

« Je parlais avec elle, elle parlait avec moi. Nous parlions ensemble, nous vivions ensemble, exactement au milieu de tout le reste. Je n'éprouvais pas cette fameuse impression populaire que nous étions seuls au monde, mais plutôt, au contraire, que le monde entier s'harmonisait autour de nous – comme deux atomes qui tournent très vite l'un autour de l'autre, et par rapport auxquels s'organise le système planétaire. J'avais la sensation d'un échange d'énergie, une interaction nucléaire qui diffusait des ondes vers tout ce qui nous entourait ».



Alors je vous recommande vivement ce livre si vous avez envie de vous changer les idées, de passer quelques heures à sourire avec tendresse, voire carrément à rire aux éclats par moment, ce livre est jubilatoire ! touchant ! Et plus profond qu'il n'y parait !



Mille mercis Nicola, sans toi je n'aurais jamais lu ce livre et cela aurait été fort dommage !

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Au printemps des monstres

Philippe Jaenada prétend avoir dû se tourner vers la littérature du réel parce que sa vie devenue trop plan-plan ne lui permettait plus d'écrire des romans à forte connotation autobiographique. Ouais. Ouais. J'ai une autre théorie. Parce que dans son avant-dernier roman, « Plage de Manaccora, 16h30 », le héros est un écrivain nommé Voltaire. Et très clairement, Jaenada a décidé de se prendre pour l'illustre philosophe des Lumières. Même goût pour les cold cases et les réhab' (Henri Girard et Lucien Léger valant bien le Chevalier de la Barre ou le vieux Calas), même rage devant l'injustice, même ratiocinations sur les problèmes de santé qui les occupent à leur corps défendu, et bien sûr, même recours à la logique et à l'ironie pour pourfendre les sots, les méchants et les cyniques. Jean Calas n'a pu tuer son fils ne seul ni avec des complices : ça doit même être pour ça qu'il est innocent. Jacques Salce lui, est parfaitement coupable, au moins d'être un nazi, même si « au lieu de conserver son orgueil et sa confiance de pionnier, il s'est pissé dessus et a fait tout ce qu'il pouvait jusqu'à sa mort, en pleurnichant, pour qu'on le prenne pour un grand résistant ». Et, il faut le dire, j'ai beaucoup, beaucoup plus ri en lisant « Au printemps des monstres » qu'en compulsant le « Traité sur la tolérance », et pas seulement parce que le premier, en nombre de pages, fait 10 fois le second.

Bon, Jaenada se prend pour Voltaire, c'est sûr, pourtant c'est à un autre écrivain que je n'ai cessé de penser. L'homme qui digresse, qui va à sauts et à gambade, qui n'écrit que par allongeails sans jamais supprimer une version antérieure : il y a du Montaigne chez Jaenada !

Comme lui, il transforme une chronique par l'ajout d'un substrat autobiographique. Comme lui, il ne retranche jamais rien à son texte mais ne cesse de le commenter au point de toujours sembler surpris par son lecteur au moment même de l'écriture (par exemple, après avoir cité le personnage d'Emma Peel, incarnée par Diana Rigg, il note « À la relecture : qui vient de mourir ». Ou bien, il râle contre une avocate qui ne répond pas à ses demandes et fait amende honorable quand elle se manifeste enfin, concluant « (Je pourrais effacer ce que j'ai écrit plus haut, mais non. Je l'ai attendu six mois, ce mail, quand même.) ». Et, tandis que Montaigne se nourrit des stoïciens qu'il pille et surtout met en pratique car les livres sont faits pour être vécus, Jaenada aussi s'est donné des maîtres qu'il cite encore et toujours : Troplain et Ivani qui, les premiers, ont écrit un livre sur les incohérences de l'affaire Taron mais aussi Modiano, qu'il croise sans cesse dans cette affaire hors-norme à laquelle est mêlé de loin le père de l'écrivain, au point qu'on finit par ne plus savoir si c'est la littérature qui imite la vie, ou l'inverse.

Et surtout, Jaenada , par l'écriture, ne cherche-t-il pas, tout comme son illustre devancier, à apprivoiser la mort ?

Plus il parle des protagonistes de son histoire, plus il s'émeut de modestes points communs qu'il découvre (« le 25 mai, elle est confiée à la paroisse catholique de Saint-Potin (c'est ma date anniversaire et je travaille à Voici, il n'y a pas de hasard »). Jusqu'à, en lisant les lettres de Solange, dont la photo orne la couverture du livre, s'exclamer « [Solange aime bien les parenthèses.] »

(Sujet de thèse pour mes vieux jours : explorer l'utilisation différenciée des parenthèses et des crochets dans ce fichu bouquin)

Jaenada parle de vies injustement fracassées et s'identifie à elles : c'est sa façon de conjurer le sort. Ou de s'entraîner à vivre la tragédie qui nous pend tous au nez, par excès de cholestérol, grosse colère d'un éditeur exaspéré mettant à mort son poulain ou irruption du rouleau compresseur de l'injustice : « Je ne suis pas mort – joie. (j'aime (façon de parler) penser, en écrivant, en regardant mes doigts bouger sur le clavier (il faut que je me coupe les ongles) qu'un jour, dans quelques années (ou dans trois semaines), un lecteur dans son lit à Bastia, une lectrice dans un TGV vers Lyon, liront les premiers mots de ce chapitre et penseront : « Ben si. ») »

Alors voilà. le petit Luc Taron est mort. Solange est morte. Lucien Léger aussi. Et Jaenada, à vrai dire, ne se sent pas très bien. Mais il est vivant. Et nous aussi, de nous être indignés et d'avoir ri avec lui.
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La Petite Femelle

Après le remarquable « Sulak », Jaenada se lance dans un travail gigantesque, pour démontrer que Pauline Dubuisson (accusée du meurtre de Félix Bailly en 1951, son ex petit ami), a été victime non pas d'une erreur judiciaire mais d'un procès honteusement à charge. Va alors s'abattre sur la jeune femme un flot de haine, de mensonges, de détournements de témoignages pour en faire une coupable calculatrice, froide et orgueilleuse. Du pain béni pour une société misogyne ou l'émancipation féminine était vu comme un terrible fléau.

En plus de 700 pages (ne vous effrayez pas, ça se lit tout seul), Jaenada met en contradiction ces accusateurs, s'appuyant sur l'énorme travail de recherches effectué. Pauline Dubuisson le paiera toute sa vie (bien courte il est vraie), le trio de justice et la presse bien pensante se chargeant de la représenter de la pire des manières.

Avec le ton qu'on lui connait, Jaenada allège son récit d'évènements propres à sa propre vie, son humour toujours bienvenu en habille certains pour plusieurs hivers, même si parfois son empathie pour Pauline, lui fait écrire des vacheries gratuites sur certains protagonistes. Mais « La petite femelle » est avant tout un remarquable travail du meilleur avocat qu'aurait aimé avoir Pauline. Sa vie n'aura été que tragédies et injustices. Philippe Jaenada ne la réhabilite pas, il montre simplement que son procès n'aura été qu'une vague fumisterie. Et que «La petite femelle » méritait bien ce gros pavé. Passionnant.
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La Serpe

Il doit falloir un sacré talent pour se permettre de saouler de digressions le lecteur sur 600 pages, sans qu'il lâche l'affaire. Sans parler du culot.

Mais quelle affaire tout de même, celle d'un homme à la vie hors du commun, orphelin de mère très tôt, fils de châtelain et flambeur d'héritage dans sa prime jeunesse... jusqu'à cette sordide nuit d'octobre 1941, et l'assassinat au château d'Escoire de son père, sa tante et la bonne, à coups de serpe. Accusé par la société mais acquitté au tribunal, il s'en remettra Henri Girard, une survie à base de péripéties incessantes, de changement de nom et de territoire, en dilapidant la fortune héritée ou en écrivant « Le salaire de la peur » (notamment).

L'auteur mêne l'enquête avec une verve inépuisable, dans un flux de pensées et de réflexions incessantes, en parsemant son récit d'humour (irrésistible humour, issu souvent de situations le concernant lui et ses proches), dans un semblant de bordel (plutôt bien organisé en réalité), s'appuyant sur une recherche tatillonne et des citations entre guillemets (sans oublier les parenthèses (souvent imbriquées les parenthèses), ni la difficulté qu'il a du avoir à les refermer toutes (j'en ai pas croisé une seule orpheline, et j'ai vérifié croyez moi (ou pas))).

Un boulot de fou ou de fourmi, celui de l'écrivain doublé de l'enquêteur, qui s'amusent et s'accordent, jouant de digressions comme de potentiels bols d'air dans cette enquête prolifère, par moments limite indigeste. Je me suis même surpris à souhaiter les voir débarquer.

J'ai l'impression d'avoir pris une cuite à la digression, ma première. Même pas mal à la tête. En plus j'ai bien rigolé. Je recommencerai du coup (peut-être avec « la petite femelle » (c'est la seconde affaire du bouquin, dont il nous parle en filigrane publicitaire... et digressive bien sûr)).
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Sulak

Si ce n'est peut-être Marseille, la ville de son enfance, rien ne prédispose Bruno Sulak à devenir un voyou.



Son père, d'origine polonaise, est un ancien légionnaire blessé en Indochine et décoré pour ses faits d'armes, et Sulak, dans un premier temps, va suivre la voie paternelle. Après un passage dans l'armée, dont il est renvoyé pour un vol de mobylette, il incorpore la légion étrangère. Mais il déserte quand sa compagnie saute sur Kolwezi sans lui ; à la suite d'une permission, il a laissé passer l'heure du retour à la caserne, sans savoir que sa compagnie partait au Zaïre.



A partir de là, Sulak bascule dans la délinquance. Fuyant une vie trop calme, à la recherche de sensations fortes, il braque ses premiers supermarchés. Il est armé, mais son revolver est chargé à blanc ; il ne veut pas risquer de blesser ou de tuer dans un moment de stress. C'est une conduite qu'il adopte même quand, ensuite, il s'attaque à des bijouteries.



La personnalité de Sulak est celle d'un séducteur ; il est beau, charismatique, intelligent, et son charme agit sur tous ceux qu'il croise. Mais après quelques années de coups spectaculaires, de vie facile, de cavales et de passages en prison, au moment où il veut arrêter, le destin en décide autrement.



Philippe Jaenada est tombé sous le charme de Sulak, braqueur de bijouteries paradoxalement idéaliste et non-violent, et rend le personnage attachant. Après un début un peu déroutant où l'on suit plusieurs histoires parallèles, on est séduit par cette histoire de voyou épris de liberté. Au point que dans les dernières pages du roman, on se surprend à espérer une autre fin que celle qui se dessine.

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