Citations de Philippe Meirieu (56)
Il sait, en effet, que l'affirmation de l'éducabilité de tous les hommes n'est en rien une banale constatation, mais bien une pure et simple provocation, une provocation à penser, à imaginer, à agir, à exercer sa liberté. Il sait que ce n'est pas une thèse vraie mais bien une thèse à vérifier, qu'il ne s'agit pas d'un état des lieux mais plutôt d'un horizon sur lequel fixer les yeux, un horizon qui, comme toujours l'horizon, recule au fur et à mesure que l'on avance.
On peut ainsi, sans guère de difficulté et avec un zeste d'habitude, parler de tout en n'ayant rien à dire : il suffit de parler des autres, non pour tenter d'expliquer ou de comprendre ce qu'ils pensent mais pour décoder ce qu'ils disent et font comme les symptômes d'une vérité qui leur est cachée et à laquelle l'interprétateur accède, lui, tout naturellement et de plain-pied.
C'est ainsi qu'une psychologie bavarde s'étale dans la presse et dans bien des publications qui traitent, de plus ou moins loin, des faits de société. On n'a pas besoin, pour la pratiquer, de connaître ce dont on parle ; il suffit de disposer de quelques «clés de lecture», c'est-à-dire, en réalité, de quelques formules toutes faites où apparaissent les mots «pouvoir», «fantasme», «désir», «régression», «fixation» ; il suffit d'apprendre à dévoyer quelques expressions courantes, à utiliser un petit nombre de métaphores et à ajouter l'adjectif «symbolique» le plus souvent possible dans son discours. On est alors capable de voir dans telle ou telle prise de position l'expression d'un «fantasme de toute-puissance où le déni symbolique du père marque le refus d'assumer la rupture œdipienne» ... moyennant quoi on peut faire l'économie de l'analyse de ce qui est dit, se débarrasser d'une interrogation inopportune et récupérer, sinon le pouvoir, du moins le prestige de «celui qui, quand même, ne s'en laisse pas conter».
Nous appellerons donc ici «pédagogue» un éducateur qui se donne pour fin l'émancipation des personnes qui lui sont confiées, la formation progressive de leur capacité à décider elles-mêmes de leur propre histoire, et qui prétend y parvenir par la médiation d'apprentissages déterminés. Nous considérons, par ailleurs, que quiconque adhère à un tel projet «entre en pédagogie», quels que soient le statut institutionnel qu'il détient et le positionnement social qui est le sien.
L'égalitarisme, lui, est dans le mythe de la classe homogène qui contraint toute différence à s'exprimer par la concurrence ou à être sanctionné par l'exclusion.
L'instruction obligatoire en France est désormais de 3 à 16 ans. Je crois qu'en avançant l'âge de celle-ci le gouvernement n'a cherché ni à faire un cadeau à l'enseignement privé - qui pourra, désormais revendiquer le financement de ses écoles maternelles -, ni mettre un terme à la possibilité de scolariser dès 2 ans des enfants en situation sociale difficile.
On me décrit, ici ou là, comme ayant eu une influence déterminante sur l'évolution du système scolaire depuis plusieurs dizaines d'années: c'est me faire beaucoup d'honneur et témoigner de beaucoup d'ignorance.
S'émanciper et s'associer sont les deux démarches inséparables qui conditionnent l'accès au statut de citoyen: ce sont donc les deux objectifs que l'éducation doit se donner prioritairement.
La seule issue aussi pour affronter le défi, plus que jamais d'actualité, de la formation à la citoyenneté. Un défi qui n'a pas encore été complètement relevé et qui, pour permettre à la modernité de construire une société démocratique, doit convoquer la pédagogie.
Les neurosciences ne nous exonéront donc pas du travail éducatif qui consiste à rendre vrai, le bien, les connaissances et les savoirs, désirables pour et par l'enfant lui-même.
La motivation n'est pas un préalable à l'apprentissage et à la réussite d'un élève. Elle est un objet de travail pour le pédagogue.
Etre pédagogue, c'est comprendre les contradictions qui se nouent dans la relation entre l'enseignant et l'élève, c'est comprendre que nous désirons la toute puissance, que nous souffrons que l'autre s'émancipe, et que nous devons le prendre tel qu'il est pour qu'il devienne ce qu'il veut.
Les travaux sur la notion d'attente, sur "l'effet Pygmalion", montrent que rien n'est plus concret et précis que la manière dont l'élève reçoit le regard que l'enseignant porte sur lui. Alain disait : "il y a des manières d'interroger qui tuent la bonne réponse".
Écrire, c'est affirmer et assumer son altérité.
Écrire, c'est s'émanciper.
Il y a des noëls qui vous interpellent un jour du trottoir d'en face et dont la trace, sans cesse, vous reproche votre silence.
Il faut prendre le temps de raconter des histoires. De s'exposer à l'autre, de lui avouer, à demi mots, notre fragilité. D'hésiter. De s'emballer. De laisser s'échapper ces petits bouts d'humanité que nous cachons si bien.
Il y a des noëls minuscule.
Des noëls clandestins
gratifiés à la hâte,
entrevus un jour de brouillard
à la fenêtre d'un autobus.
Des noëls pirates bousculant
tout à coup nos échiquiers.
Des noëls radieux et dérisoires
où l'enfance, doucement,
revient nous prendre par la main.
"On apprend à attendre une réponse au lieu de l'exiger sur-le-champ. A expliquer ce qu'on veut vraiment et à se demander si c'est juste. Ainsi apprend-on à penser."
"Les enfants ne sont pas des marionnettes qu'on pourrait manipuler. Il faut les éduquer en les prenant comme ils sont ... Mais pour les faire progresser."
Nous sommes bien là aux antipodes de l'attitude du docteur Frankenstein: l'éducateur n'abandonne pas l'autre à ses impulsions pour lui reprocher ensuite de s'y laisser aller; il construit le cadre où l'autre peut découvrir progressivement les règles fondatrices de la socialité, celles qui lui permettront de se mettre en jeu lui-même.