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Citations de Pierre Bergounioux (358)


Il n’avait pas bougé, à quatre pattes, la tête basse, râlant encore par accès sous le déluge noir qui l’avait instantanément transpercé. Un voile glacé descendait doucement le long de ses côtes que l’asphyxie, l’épuisement soulevaient par saccades, comme de profonds sanglots. Il n’y a plus rien. Je dois être vidé, maintenant. Il encensait pesamment, imprimant au long filet de bave épaisse, collante, déjà refroidie, qui pendait à sa lèvre un lent mouvement pendulaire. En même temps que l’abjecte mixture de petits pois et de porto qui se dissolvait sous son nez dans l’herbe noyée, il avait expulsé la houle abominable qu’il avait tenté d’apaiser avant qu’elle ne le jette dehors, luttant de vitesse avec l’extrusion suffocante, libératrice.
(incipit)
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Mais tout ce qu’on peut faire, pendant que le monde existe et que sa considération nous écrase, c’est de rechercher méthodiquement ce que jadis il nous a enlevé.
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Le temps passe. L’instant s’achève et tout ce qu’on trouve, c’est de reprocher au gosse, au vrai, qu’on a traîné avec soi, d’être assis, bras ballants, sur une souche, à ne pas chercher. On lui en veut de ne pas déférer à l’injonction du gosse fictif que ses yeux ne sauraient déceler dans l’après-midi blême alors qu’il devrait être manifeste, aux nôtres, qu’il n’y est pas, pour lui, pas encore, puisqu’il est un gosse, un vrai. Si l’on était raisonnable, on se rendrait à l’évidence. On verrait. On accepterait. On se tairait. Au lieu de quoi on adresse des paroles amères à quelqu’un qui n’a rien fait. On veut le charger d’une part de la vieille dette qu’on a contractée. Finalement, c’est une querelle de gosses, même si l’un des deux n’est plus visible et c’est celui-ci, en vérité, qu’il faudrait chapitrer sur son acrimonie, sa mauvaise querelle, son incurable faiblesse.
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C’est l’aube, le réveil. Nous nous souvenons brutalement que nos interlocuteurs n’habitent plus désormais que la contrée des rêves, qu’on les chercherait en vain à la clarté du jour. Et c’est comme de les perdre une nouvelle fois.
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On croit que nos sens nous trompent. Ils nous livrent, quand ça leur chante, des indications exactes, telles que quelque chose correspond quelque part à l’impression que nous en avons mais, à d’autres moments, ce n’est rien, semble-t-il, qu’une impression.
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Ce qu’on cherche, on le trouvera vers la fin, si on le trouve.
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Loin de me rapprocher du but, chaque pas dans le sous-bois retardait d’autant la rencontre, la rendait, d’improbable qu’elle était déjà, si manifestement chimérique qu’il m’arrivait de m’arrêter, découragé, avec le sentiment que cela faisait des heures, des années que je me heurtais à des obstacles, sans avancer. La fatigue, l’action combinée du soleil et des vapeurs, la tension brusquement retombée faisaient du retour un combat injuste, interminable contre des branches mortes qui ne cesseraient de repousser.
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Il faut vingt ans et subir l’ultime perte, celle du temps, pour entreprendre de revenir sur ses pas, vers la paix dont on fut arraché, l’égalité, rien. C’est de se savoir finie que la vie prend tournure, esquisse la boucle qui la repliera sur elle-même, le signe du néant.
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J’ai relâché la cétoine. Je l’ai perdue et ce sont vingt années qu’il m’a fallu pour la reprendre, elle et un certain nombre de créatures pareillement dotées des attributs qui nous furent refusés. C’est le temps qu’on met pour s’aviser qu’il y a le temps, qu’il ne sert à rien qu’à exécuter les desseins qu’on a formés d’emblée, en vain, et qu’on ferait bien d’y regarder à deux fois, vu sa rareté – on le sait, maintenant – avant de le dépenser.
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Ce dont on se souvient, c’est surtout de ça, du mauvais. Le reste, les heures accordées, ce qui est là, grand-père et tant d’autres, on n’en tient pas compte et, après, on ne se rappelle plus. Les bons moments s’abolissent. La perfection de la vie, c’est le présent pur, sans la traîne sombre de réclamations et de remords, derrière, ni, devant, dans l’avenir, la nécessité de l’effacer par un acte de réparation opposé à chacun des actes laissés inachevés. C’est ainsi, sans doute, que l’autre, sous sa cuirasse, voit les choses, l’angélique et les roses, l’heure qu’il est, et rien d’autre à nul autre moment. Et si on veut la garder, vers cinq ans, ce serait pour participer, à quelque degré, du repos, de la plénitude qu’on lui suppose et qui nous ont été refusés. Ce qui nous comblerait est resté dehors. On ne dispose pas des moyens de se l’approprier. Le monde, ou le décor cartonneux qui en tient lieu, nous est retiré dans le même temps, presque, qu’il nous est livré. Mais on tient registre. On s’éloigne, à reculons, de la paix qu’on voit aux arbres, aux insectes, aux effigies casquées, tout armées, de bronze. On est entraîné si loin qu’on va désespérer d’obtenir quoi que ce soit qui nous aurait, un peu, apaisés. Et pourtant, une main qu’on s’ignore inscrit scrupuleusement chaque honte, perte et dommage, comme si elle savait ce qu’on ne peut encore imaginer : qu’il y aura une fin et qu’elle doit coïncider avec le commencement, le commencement du commencement, avant le premier découvert et la première noirceur. Ou, pour dire les choses autrement, qu’il y a quelqu’un, dans l’air, la lumière – un adulte – que le gosse ne voit pas parce que le moment n’est pas venu. C’est le tour du gosse. Et quand l’adulte va se dessiner, prendre corps, qu’un tiers assis à l’écart, sous les catalpas, verra un adulte dans l’allée sablée, le gosse aura disparu. Du moins, c’est ce qu’on croit parce que c’est ce qu’on voit. Mais avec d’autres yeux, qui nous montreraient la vibration de la lumière, ses corpuscules, la fuite des jours, la dérive des mondes, l’éternelle métamorphose, on devinerait, à trois pas du gosse, l’adulte pour qui, sans savoir, le gosse tient registre et, plus tard, près de l’adulte aux traits marqués, l’ombre pâle, petite, impérieuse, qui lui dicte ses agissements. Et l’autre obéit. Il n’a pas le choix, pas plus qu’on ne l’a eu quand on s’est trouvé inséré dans la gousse de chair, pour la durée de l’intermède, et ce qu’il y avait de beau, de plénifiant, de l’autre côté du tégument, dehors. Tout ce qu’il peut faire, l’adulte, c’est de reprendre point par point la litanie, d’ouvrir en regard, si l’on veut, une autre colonne, une comptabilité en partie double où chaque déficit sera compensé, annulé.
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On se découvre sevré du repos en soi-même et, quand on voudrait échapper à notre disgrâce, se procurer ce qui nous fut refusé, tout ce qu’on gagne, c’est de se rendre encore plus mauvais, malheureux, disgracié. On n’ose pas demander, si ce n’est à l’absent qu’on imagine, fort mal, dans les limbes, à l’adulte qui naîtra de l’enfant qu’on est. Celui-là, on peut, pour la simple raison qu’on aura disparu lorsqu’il viendra. On se sera réfugié, à son tour, dans l’inaccessible profondeur du temps.
Des années durant, c’est ainsi qu’il en va. On cumule les déficits et les noirceurs. On fait l’expérience réitérée de la séparation et de l’impuissance. Chaque jour inscrit quelque chose au registre des pertes, jusqu’à l’instant où l’on se met à regarder autrement ce qui se passe, où l’on s’avise qu’il n’est pas dit, écrit – pas encore, pas tout à fait – que la colonne dont le pied se perd, là-bas, vers l’origine, se prolongera en droite ligne jusqu’à la fin. Il vient d’arriver que quelque chose, peu importe quoi, qui aurait dû nous être dérobé, comme c’est la règle depuis qu’on a commencé, ouvert le registre, on s’en est emparé. On l’a, contre toute espérance.
Avec un rien de discernement supplémentaire, on verrait ce qui s’est produit, pourquoi on voit différemment. C’est qu’on est différent, que le temps a passé. Quelqu’un s’est éloigné, absenté et quelqu’un d’autre a pris sa place. Mais comme c’est exactement au même endroit, à l’intérieur du sac de peau, la subrogation s’est faite sans qu’on s’en aperçût. Il faudrait de meilleurs yeux pour discerner, à trois pas de l’adulte – puisqu’on est un adulte – le gosse ectoplasmique tenant à deux mains le grand registre noir, diaphane, de ses chagrins.
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Quelque chose de précieux m’était échu et s’évertuait à m’échapper. J’envisageais toutes sortes d’expédients pour dissocier cette splendeur du mouvement qui l’animait et ma crainte se mêlait de honte. L’ordre du monde semble ainsi fait qu’il ne saurait souffrir qu’on défasse ce qu’il a combiné, ajusté, poli avant que l’heure ne soit venue, l’automne arrivé. Naturellement, on peut n’en pas tenir compte, songer à séparer l’agitation de la forme, de l’éclat, du reste. Mais alors on se sent rempli de sombre à ras-bord. On s’avise qu’on a un cœur, qu’il cogne.
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Je suis resté planté dans le soleil de mai à ruminer mes desseins ténébreux. Il y avait des rosiers, dans l’enclave bizarre que le jardin public formait en pleine ville. Ses grilles de fer pointues encageaient un assortiment de plantes qu’on ne voyait nulle part ailleurs. Des arbres piquants, inapprochables, étaient fichés dans le sol durci. D’autres arboraient des haricots verts géants, parfaitement incomestibles. Il n’est pas jusqu’aux tilleuls qu’une taille féroce ne réduisît aux squelettes torturés d’eux-mêmes, dressant vers le ciel des moignons boulus, sans presque de feuilles, sans parfum, comme des poteaux télégraphiques. Les saisons qui changeaient la campagne avoisinante s’arrêtaient au portillon métallique. C’était pareil, été comme hiver, les moignons, l’édifice inaltérable du grand cèdre, la borne susurrante de la fontaine coiffée d’un bouton hémisphérique de laiton, l’écriteau en tôle émaillée stipulant que les chiens devaient être tenus en laisse, qu’il était interdit de marcher sur les pelouses ou de couper les fleurs sous peine de poursuites, que les papiers devaient être déposés dans les paniers ad hoc.
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Lorsque l’homme est confronté à la nature, et non à d’autres hommes, l’exigence pratique l’emporte. La dimension symbolique – les apparences, le design, les significations parasites – s’atrophie, disparaît. Une machine agricole est l’application visible, palpable, de quelques principes de la physique des solides. On en voit surtout l’effet lorsqu’elle est engagée dans le travail, ses formes estompées par le mouvement, noyées dans la terre ou le nuage de poussière et de paille hachée qu’elle soulève. Il a fallu que cet équipement tombe en déshérence, pourrisse, solitaire, dans les friches ou s’entasse dans les casses pour qu’apparaisse la qualité plastique que lui conférait, paradoxalement, l’absence de toute considération esthétique dans sa conception.
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Les changements des dernières décennies, la mécanisation du travail, la révolution de l’information, la libéralisation des moeurs sont l’aboutissement de la mutation accomplie par une société massivement rurale, encore, au sortir de la dernière guerre et qui se range, tant mal que bien, aux nouveaux standards de l’activité dans les pays développés, primat de la grande industrie, développement des services, généralisation de l’échange. Pareille conversion ne s’exerce pas uniformément partout. Elle rencontre des obstacles naturels, des résistances culturelles, de sorte que peuvent coexister, un moment, des mondes qui sont du temps cristallisé, des stades successifs de développement économique. Alors que le marché international des céréales pousse les gros agrariens de la Beauce et de la Brie, de la Limagne, de la Champagne à adopter les engins, les engrais chimiques, les semences de sélection du productivisme, la paysannerie parcellaire installée sur les « moins bonnes terres » perpétue les modes de faire-valoir et les techniques séculaires. L’autosubsistance reste l’horizon du travail. On répugne à congédier les bœufs virgiliens, à abandonner les cultures ancestrales, avec leurs rendements dérisoires, parce que, très provisoirement, il existe un débouché local et que, en tout état de cause, le Crédit Agricole n’ira jamais financer des exploitations dont la taille est désormais inférieure aux nouveaux seuils de rentabilité.
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C’est à cet instant que François rentre en scène, là que, depuis l’avenir où nous attendons notre tour, nous le dépêchons rétroactivement, Gabriel, mon cadet, et moi, pour recueillir les éléments d’un passé qui, si nous l’avions mieux connu, nous aurait simplifié la besogne lorsque nous avons affronté le présent.
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Je lui ai demandé s’il avait pensé à se tuer. Il a dit que oui. À la fin du printemps- parce que c’est toujours la même attente crédule, la même grâce miraculeuse – et ensuite après nous avoir revus, tous.
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On s’enfoncerait lentement, avec effort, à travers l’épaisse litière jusqu’à ce que personne ne puisse s’imaginer que nous étions là, sur l’écorce terrestre en ce point minuscule, invisible sur la carte, sans repère, accident, signe distinctif.
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Je ne veux pas parler des lions que je n’ai jamais vus, mais de la chaleur, de la fatigue, de l’incommodité , quand on ne dispose pas immédiatement d’un lit pour dormir, de l’eau qu’on pourrait boire, des choses ou des personnes qui nous rendent la vie plus facile en nous épargnant d’avoir affaire trop souvent ou trop directement à nous-mêmes.
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D’autres, par bonheur, brillant d’un éclat juvénile, conservent la fraîcheur étourdissante du printemps. Parmi eux, les tribulations d’une poignée de jeunes hommes dans la Sierra Maestra, leur entrée, quelque temps après, dans La Havane, la réforme agraire et la Baie des Cochons, l’exemple, la liesse communicative dont une île des Caraïbes devient, un beau jour, le foyer. Cuba.
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