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Critiques de Pierre Jourde (257)
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Lettres à Sade

Dans cet ouvrage, des hommes et femmes qui sont universitaires, écrivains, juristes ou philosophes écrivent une lettre à Sade. Le fond diffère à chaque missive et l'orientation choisie varie selon le rédacteur. Il n'est pas question pour les écrivains de lui dire de but en blanc s'ils l'aiment ou le détestent mais plutôt de choisir un aspect de Sade (sa personnalité, ses écrits, sa fin de vie, ses pensées) et de s'en servir comme trame pour s'adresser au marquis.



J'ai beaucoup aimé ces lettres qui traitent d'un point de vue différent la pensée, les écrits de Sade, son enfermement, sa mort. Tandis qu'une lettre me fait réfléchir pour savoir si je suis d'accord ou non avec son rédacteur, d'autres se projètent contemporains de Sade et me re-situent à ses côtés à la Bastille. Certains font des parallèles avec la façon dont est traité le corps de nos jours : piercings, corps morcelés (dons d'organes), mères porteuses, l'enfant à tout prix. Un des auteurs a un parti pris plus poétique tandis qu'une autre me semble invectiver l'écrivain lequel n'a pas voix au chapitre bien évidemment puisqu'il ne s'agit pas d'un dialogue.

Il est souvent question de la nature de l'homme (homme naturellement bon ou a contrario meurtrier, incestueux, violent) ?



J'ai un avis très positif sur ce livre pour plusieurs raisons :



- ceux qui ont rédigé les lettres m'étaient complètement inconnus à l'exception de Noëlle CHâtelet et Catherine Cusset. Je n'ai donc pas été parasitée par ce que j'aurais pu avoir lu de l'auteur ni même "parasitée" par le physique de la personne. Je n'avais pas la vision du visage de l'écrivain mais uniquement son écrit.

-Les lettres sont de qualité, bien écrites voire dfficiles pour deux d'entre elles : j'ai dû les relire lentement pour m'en imprégner et les comprendre.

-J'ai bien aimé le procédé, les points de vue différents.

-Je me suis demandé ce que j'aurais pu lui écrire.



-La couverture est très jolie et j'aime le toucher différent entre le bandeau glacé, lisse et brillant et le reste de la couverture (et j'attache une grande importance aux titres et couvertures des livres).

- J'ai même laissé passer du temps entre la lecture des premières lettres et la lecture de la dernière lettre. Je n'avais pas envie de la lire parce que je n'avais pas envie de n'avoir plus de lettres à lire.



Un grand merci à Babelio et aux éditions Thierry Marchaisse pour cette opération Masse Critique.



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Lettres à Sade

L'idée de cet ouvrage est excellente, étrange voire fantastique :A l'occasion des 200 ans de la mort de Sade (+18.12.1814), 17 écrivains (mais aussi philosophes, universitaires, peintre, scénographe ou cinéastes) ont été conviés à lui adresser une lettre à leur convenance,à la première personne ou non.

Si presque tous ouvrent leurs missives par de respectueux ou de polis Cher Marquis, Cher Marquis de Sade, Cher Sade, Cher Monsieur de Sade, Comte, Cher Donatien-Alphonse-Francois, un ose un Votre Énormité et une autre un Mon cher amour.

Classées en trois thèmes (Libertés, Modernités et Éternités), ces lettres d'amour, de reproche, d'adieu ou de remerciement saluent toutefois presque unanimement l'homme acharné à vivre libre malgré l'emprisonnement, l'embastillement, l'internement.

Un de nos contemporains tient à le remercier pour nous avoir appris le caractère obsessionnel du désir, un autre salue le véritable écrivain, le provocateur ultime, un autre encore relate le choc ressenti à la découverte de son oeuvre et son emprise sur sa vie personnelle et ses rencontres. Une cinéaste, femme d'images, l'imagine sur un plateau télé interviewé par un journaliste avide de scoops bien scabreux.....

La grande intelligence de cet ouvrage est de n'être pas tombé dans l'écueil qui aurait été d'empiler des louanges et rien que des louanges afin de lui tresser une couronne mortuaire faite de lauriers alors que l'épine sied mieux à ce cher Sade !

Ainsi, reçoit-il une lettre d'adieu de celle qui, fatiguée du chaos et des cahots de l'existence, lui annonce qu'elle ne le lira plus, qu'il sera désormais le fantôme de sa bibliothèque mais qui, ultime fidélité, le remercie de l'avoir peut-être aidée à se libérer de ses chaînes.Une autre lettre d'adieu lui parvient d'une autre lectrice qui avoue vouloir jeter l'éponge afin de sauvegarder son âme et son esprit.

Ainsi Sade reçoit-il aussi une missive s'interrogeant sur la récupération faite de son personnage et sur la reconnaissance qui en dit long sur la misère des temps que nous traversons....

.. pauvre Monsieur de Sade ! Finalement reçoit-il une longue lettre d'amour enflammée !

Merci à Babelio (via la Masse Critique) et à la maison d'édition Thierry Marchaisse pour m'avoir fait découvrir cet ouvrage fin, intelligent (belle couverture ) que je recommande vivement!
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Littérature monstre : Etudes sur la modernité l..

Critique de Alexis Brocas pour le Magazine Littéraire



Il tient sa garde haute, de l'allonge dans ses analyses, attaque à droite et à gauche, vise juste et parfois en dessous de la ceinture. Pierre Jourde pratique ce qu'il appelle la « critique de combat », et La Littérature sans estomac n'était que d'aimables prolégomènes à la Littérature monstre. Avec cet essai, il se dote d'un ring à sa mesure, où Christine Angot, Virginie Despentes et quelques autres font office de punching-balls, et la critique journalistique joue le rôle du sac de sable. Une critique accusée de plaider la subjectivité pour masquer son incompétence, de dévaluer le commentaire par sa complaisance, de réduire le livre à quelques propositions grossières et d'abdiquer son jugement en estimant tout objet culturel estimable a priori. La critique fait l'objet d'un méticuleux massacre. Cela donne envie de la défendre : sa crise, avérée, ne découle-t-elle pas de celle, plus globale, de la presse ? Puisque le chapitre le plus offensif de cette Littérature monstre s'intitule « Polémiques », il n'est pas interdit de discuter ses thèses... Tout en reconnaissant l'honnêteté de leur auteur. Contrairement à nombre de ses adversaires, Pierre Jourde ne prétend pas décerner des brevets de grands écrivains ; juste souligner ce qui rend, dans un texte, la réalité féconde, et, par une extrême singularité, touche à l'universel. Selon lui, tout découle de la fin du xixe siècle, quand le livre, s'affranchissant des règles, se met à viser l'unicité, l'extraordinaire, le monstrueux. L'essayiste révèle la singularité extrême de certains contemporains de Joris-Karl Huysmans, comme l'inventeur de l'opérette, Louis-Auguste Florimond Ronger, alias Hervé. C'est lui, si doué pour la tautologie ou pour prêter à ses personnages des dialogues insensés, qui étrenne dans l'allégresse une première partie de cette somme « jourdienne » baptisée « Loufoqueries ». On y croise les faunes d'Alexandre Vialatte, Alphonse Allais contant l'écorchement d'une bayadère avec d'innocentes afféteries, ou l'oublié Jean Lorrain et son emploi plus grandiloquent de ce même thème de l'épiderme... Car, pour Jourde, la réussite d'une oeuvre se révèle à la lumière des ratages des autres, consubstantiels à la création. Aussi met-il le même soin à disséquer Poictevin, émule allumé des Goncourt, qu'à évoquer la représentation de l'irreprésentable chez Nerval ou l'hermétisme du « Sonnet en X » de Mallarmé. Si la littérature moderne a accouché de bien des monstres, tous ne sont pas viables. Mais, en bon tératologue, Jourde ne néglige aucune bizarrerie.
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Littérature monstre : Etudes sur la modernité l..

Dans cet essai captivant, Pierre Jourde s'interroge sur l'aspiration à la singularité de la littérature, en particulier à la Belle Epoque, et des "formes excessives" (monstrueuses donc) qui en résultent. L'exégèse des "loufoqueries" sert une réflexion sur la modernité littéraire, aussi les écrivains contemporains ne sont-ils pas publiés (ni épargnés). Brillant et passionnant.
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Littérature monstre : Etudes sur la modernité l..

Propos théorique exigeant et ambitieux, saine visée polémique, formidable envie de lire. Du bonheur.



Publié en 2008, cet épais volume (700 pages) représente largement un captivant aboutissement à date de la recherche critique menée par Pierre Jourde parallèlement à son activité de romancier, dans la continuité de son « Empailler le toréador : l’incongru dans la littérature française » (1999) et de « La littérature sans estomac » (2002).



Sous-titré « Etudes sur la modernité littéraire », l’ouvrage, lui-même proprement monstrueux, est pourtant d’une surprenante et implacable unité cherchant, dans ses quatre parties thématiques, à dégager et démontrer le lieu littéraire de l’intelligence, de l’expérience de langage et du récit, clairement contre les fossoyeurs trop nombreux voulant perpétuellement discréditer l’idée même de littérature, réputée devoir se dissoudre toujours davantage dans une instantanéité aussi « moderne, forcément moderne » que vide de sens. L’avant-propos de Pierre Jourde, précisant l’étendue du projet, est lumineux, et justifie quasiment à lui seul l’ensemble de l’ouvrage.



Les 200 pages de « Loufoqueries » examinent un certain nombre d’auteurs emblématiques, souvent peu ou mal connus, autour de la Belle Epoque, traquant les ressorts et les limites de certains traits caractéristiques du roman moderne ou contemporain dans les livrets de Hervé, l’inventeur de l’opérette, dans les écrits « non musicaux » d’Erik Satie, dans le traitement du corps (et de sa peau, au premier chef) chez Jean Lorrain, chez Alphonse Allais, chez Georges Fourest, chez Eugène Mouton ou encore chez Félicien Champsaur, mais aussi dans les textes de Vialatte, dans la poésie de Georges Fourest, de Henry Jean-Marie Levet, d’Alphonse Allais, d’André Frédérique, de Léon-Paul Fargue, dans les travaux du photographe contemporain Jean-Luc Dorchies, ou encore dans les bandes dessinées de Goossens.



Les 100 pages de « Monstruosités » poursuivent directement ce premier propos en pointant un certain nombre d’occurrences et d’émergences du « monstrueux » à l’orée du XXème siècle, mettant en évidence le caractère profondément significatif de ce retour et de cette envolée, grâce à un parcours dans les écrits scientifiques et para-scientifiques en tératologie, à une lecture attentive des textes de Jean Richepin, de J.K. Huysmans, de Catulle Mendès, de Princesse Sapho ou de Léon Bloy, à l’analyse de l’hystérie et de l’autoscopie dans la littérature médicale de l’époque comme dans les textes de Gustav Meyrink, mais aussi grâce à une lecture millimétrique du « Rivage des Syrtes » de Gracq, et plus particulièrement à la lecture du portrait de Piero Aldobrandi, ou encore à la définition du statut des îles et des labyrinthes et de leurs imaginaires secrets respectifs dans la littérature du XXème siècle !



Les 150 pages de « Polémiques », utilisant subtilement le matériau dégagé par les deux premières parties de l’ouvrage, poursuit le travail de défense d’une « véritable » critique, à visée à la fois constructive et non complaisante, amorcé dans « La littérature sans estomac », et fournit une brillante démonstration de la légitimité et de la nécessité de ce « rendre compte » qui ne cherche pas à occulter les faiblesses ou les erreurs – perçues et si possible démontrées - des écrivains, fussent-ils « amis ». Une lecture infiniment salutaire pour quiconque se pique d’écrire SUR des livres, fût-ce au travers de modestes notes de lecture… L’arrogante complaisance d’une bonne partie du « système littéraire » de cooptation et d’auto-congratulation, allant de Philippe Sollers au Monde des Livres, qui domine le monde français des lettres depuis trop d’années, en prend au passage pour son grade, tandis que l’auteur nous gratifie de pages captivantes sur Houellebecq, sur Gracq, sur Littell, sur Michon, sur Echenoz ou sur Chevillard, avec une lucidité et une intelligence qui forcent l’admiration, et l’envie de lire encore et encore…



Les 150 pages de « L’objet singulier », enfin, tentent de conclure provisoirement la démarche entreprise, en esquissant une définition dynamique et vivante du roman contemporain, saisi par ses bizarreries revendiquées comme par ses filiations apparentes ou non, en parcourant à nouveau un étonnant matériau allant des romans dont le titre se limite à un nom ou un prénom, ou bien comporte « Monsieur » ou « Madame », aux œuvres consacrées comme « mineures » par la critique postérieure (et à ce que cela signifie), aux curieux destins littéraires de Nerval ou de Mallarmé, de ce point de vue-là (« mineur vs. majeur »), au complexe jeu de J.K. Huysmans avec ces notions même, ou enfin à la figure de Marcel Schwob, comme un archétype ultime de cette impossible synthèse.



L’un des miracles de cet ouvrage, et c’est tout le talent critique de Pierre Jourde qui est là à l’œuvre (comme on a pu en avoir un saisissant aperçu en direct, le 25 avril dernier à la librairie Charybde, où il officiait en « libraire invité »), c’est bien de réussir simultanément à tenir un propos théorique exigeant et ambitieux, à diriger cette recherche dans une visée nettement et sainement polémique, et à donner envie de lire ou relire des dizaines d’auteurs parmi ceux mentionnés. Un immense bonheur de lecture, donc.

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Paradis noirs



Noirs, en effet, ces paradis- mais sont-ce encore des paradis ?

En tout cas, ce n'est pas le sens que j'accorde à ce substantif. Les paradis de Pierre Jourde sont peuplés de souvenjirs torturés, de culpabilités inguérissables...

Tout est noir dans ce roman, mais d'une noirceur magnifiquement écrite...

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Paradis noirs

ISBN : 9782070459575



Si vous n'avez jamais entendu parler de Pierre Jourde, si, plus encore, vous n'avez jamais lu aucun de ses textes, "Paradis Noirs" risque de vous poser problème. Bien qu'il n'atteigne pas, en format poche, les trois-cents pages, bien qu'il fasse intervenir un nombre relativement réduit de personnages, bien qu'une identique sobriété s'observe quant à la toile de fond - l'Auvergne, entre le Passé et le Présent, et en particulier Clermont-Ferrand - ce livre est d'une complexité rare. J'irai même plus loin : à côté de "Paradis Noirs", "Festins Secrets", à la construction pourtant si particulière, littéralement hanté par la nuit et les brumes, fait presque figure de roman clair et ensoleillé qui pose d'emblée et sans aucun complexe les questions que l'auteur voulait aborder.



Dans "Paradis Noirs" au contraire, le lecteur met un peu (beaucoup ? trop ?) de temps à définir les thèmes centraux. La cruauté bien sûr, tout spécialement la cruauté enfantine, se détache sans trop difficultés au premier plan mais n'est-ce pas l'arbre destiné à nous cacher une forêt bien plus profonde, bien plus ambiguë ? ... Le héros - ou l'anti-héros - du roman, François, qui obsède le narrateur au point que celui-ci finit par le voir apparaître régulièrement à ses côtés (mort ? vivant ? est-il si intéressant de le savoir, au fond ?) et à se lancer avec lui dans de longues conversations, va au-delà de la cruauté. En fait, sauf erreur de ma part (c'est un livre difficile, je le répète et une relecture s'imposera un jour ou l'autre ), la cruauté qu'il sème autour de lui lui permet à François de ne plus souffrir. Cela va bien au-delà d'un Bien et d'un Mal qu'il relativise avec autant de facilité qu'il laisse monter en lui la rage, et n'est pas sans évoquer, dans cette atmosphère dominée par l'enfance catho à mort des protagonistes, la très polémique question du nirvana oriental : atteindre le nirvana, cet état où il nous devient impossible de ressentir la moindre souffrance parce que nous avons réussi à nous détacher de tout ce qui faisait notre vie, y compris et avant tout nos plaisirs. Pas forcément les grandes jouissances mais aussi les petits riens sur lesquels nous nous bâtissons et qui nous permettent d'avancer. Seul problème : atteindre le nirvana implique de ne plus percevoir la souffrance d'autrui. La légende de la déesse Kuan Yin qui, sur le point d'ccéder au nirvana, le refusa pour continuer à percevoir les souffrances de ses frères humains et les soutenir sur leur dur chemin terrestre, résume l'ambiguïté terrible de cet adieu sans retour à la souffrance au prix de la compassion.



L'enfance de François est comme la nôtre, remplie de petits riens. Des petits riens qu'il aimait et même qu'il vénérait, en dépit de leurs imperfections. Plus ou moins abandonné par sa mère, il est élevé par l'aïeule (c'est cette femme, servante toute sa vie, qui permet à Jourde de ponctuer son texte de la répétition lancinante de trois des vers les plus fameux de Baudelaire) qui l'aime comme son enfant. Le samedi et le dimanche - disait-on le "week-end" en ces temps si lointains ? - il allait chez ses deux grands tantes, l'une complètement sourde, l'autre toujours en train de rire, de chantonner, de faire gâteaux et crêpes pour les enfants du quartier. C'était modeste, le confort que nous avons appris à appeler moderne, manquait çà et là - surtout chez l'aïeule - mais il faisait bon, il faisait chaud : François était un enfant quasi normal, faisant face pour la première fois à la cruauté lorsque, sans raison, il tue un jour le vieux crapaud qui rendait de si grands services à l'aïeule.



Mais la cruauté fait partie de nous. Nous le savons tous. Et nous apprenons à la domestiquer, à la maîtriser, à la refouler.



Ou nous n'apprenons pas. Surtout si la cruauté nous permet de nous sentir mieux, de nous sentir plus, et puis de ne plus nous sentir du tout.



Mais il en va de la cruauté comme de toutes les drogues : elle détruit celui ou celle qui se livre à elle. Elle a, sans aucun doute possible, détruit François, adolescent brillant et même étincelant. Pire, elle a peuplé sa vie et son univers mental de regrets éternels. Celles, ceux qu'il a trahis - l'aïeule la toute première - sont devenus les compagnons, muets et pleins de reproches, de cette route qu'il s'est choisie parce que, au début, il pensait n'y trouver que ce qu'on pourrait nommer son "confort", une route dont, dans la seconde moitié du récit, le narrateur nous donne l'impression qu'elle n'est qu'une boucle enténébrée, qui répète sans cesse ses méandres et ses spirales comme, jadis, se déroulaient sans répit pour l'imagination des élèves, les couloirs, les angles perdus, toute cette architecture occulte du collège Saint-Barthélémy. Le collège où ils ont "tué" Serge, qui voulait tant être de leurs amis - Serge, dont on saura à la fin du livre que François avait une raison secrète de le haïr, ce qui le fait, en somme trahir aussi la cruauté puisque, dans ce cas-là au moins, elle cesse d'être gratuite - le collège où leur trio - Boris, François, le narrateur - est né, le collège qui porte le nom d'un martyre qui fut écorché vif.



Sous la plume de son "narrateur" - dont j'ai parfois eu l'impression troublante qu'il était un peu le "double" de François, comme un Dr Jekyll qui aurait finalement vaincu Mr Hyde, ou alors qu'il parlait carrément à une hallucination peut-être née des exigences de son métier puisqu'il est ... écrivain - "Paradis Noirs" oscille, avec une détermination redoutable, entre le passé, les grandes interrogations majeures mais ici traitées à la Jourde, si l'on veut bien me permettre cette expression, sur le Bien et le Mal dont nous sommes tous constitués, un présent qui ne fait vraiment que de très brèves (et très cartésiennes) apparitions, et à nouveau, le passé, le tout barbotant avec des difficultés sans nom dans une cruauté sourde ou calculée, une noirceur systématique, quelques éclairs fulgurants de bonté et de compassion pures, parmi des silhouettes plus fantomatiques les unes que les autres et les brumes qui les escamotent (la dernière fois que le rencontre le narrateur, dans une forêt vide, sur une route vide, François est là et puis, d'un seul coup, il n'est plus là : on ne le voit pas disparaître, il n'est plus là, c'est tout ), bref, dans une ambiance pesante, obsessionnelle, avec, pour faire bonne mesure, les remarques d'un narrateur qui, avançant en âge, se demande parfois non sans naïveté s'il se rappelle bien ...



"Paradis Noirs" est un livre auquel on s'accroche comme à un wagon fou, lui-même traîné par une locomotive monstrueuse, vers une direction dont on ne sait rien. On ne sait même plus comment diable on a pu prendre ce foutu train ... Et quand on débarque au terminus, il n'y a personne pour vous attendre. Et le plus étrange, c'est que vous voyez la locomotive et ses wagons déments trembloter dans l'air souterrain et puis, d'un seul coup, il n'y a plus rien.



Enfin si, il vous reste vos questions. Selon votre nature, acquise ou innée, d'omnilecteur ou de lecteur, disons, plus classique, vous en ressentirez de l'excitation ou de la frustration. Cela si vous ne décrochez pas en route. Il y en aura certainement pour le faire : ils ne s'apercevront pas que, en fait, c'est le wagon déjanté lui-même qui les a éjectés dans un tournant bien dangereux. Et cela vaut mieux : car ce wagon l'aura fait avec cette cruauté tout à la fois froide et pleine de rage qui est la marque du personnage principal.
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Paradis noirs

« Je m’apprête à publier du vécu (Le Voyage du canapé-lit, en janvier) mais je suis travaillé par l’envie de revenir à la veine du roman légèrement bizarre que j’ai longtemps creusée : Festins secrets, Paradis noirs, Le Maréchal absolu ou L’Heure et l’ombre. »

Trois des quatre romans évoqués par Pierre Jourde dans cette citation m’ont toujours fait l’effet d’appartenir à une même famille très particulière de l’étrange. Ce sont trois livres où les frontières entre réel et rêve, souvenir et réalité, réalisme et fantastique se brouillent, trois romans qui cultivent une impression d’irréalité et une atmosphère d’ombre et d’illusion qui les rapproche à mes yeux d’un certain symbolisme belge. Comme les tableaux de Spilliaert ou Degouve de Nuncques, Paradis noirs, Festins secrets et L’Heure et l’ombre plongent le lecteur dans une torpeur cotonneuse où les ombres et la brume semblent cacher des arrière-mondes. Ces ouvrages composent à mes yeux une fratrie spectrale, unie par des ressemblances et des obsessions communes, liée par des jeux de miroirs et un entrelacs de mots et d’images. [...]
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Paradis noirs

Paradis noir (pas radis noirs...)



Rien ne peut empêcher ici qu’on trouve la forme trop dominante du fond.



Sans réels chapitres, ce texte brillant et noueux s’articule autour de la répétition de trois vers de Baudelaire tirés des fleurs du mal (« la servante au grand cœur dont vous étiez jalouse, et qui dort son sommeil sous une humble pelouse , Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs » en superpositions d’anacoluthes et de tropes compliqués chers au poète halluciné).



Il narre les rencontres réelles ou imaginaires, à étapes de vingt ans, avec François un ami de collège qui partage avec lui un secret qui semble très lourd même s’il s’avère être celui d’une très mauvaise plaisanterie. On n’en saura pas plus sur ce sujet qui se termine en ellipse.



François a été élevé et a vécu au milieu de vieilles femmes ; abandonné par sa mère il passe sa jeunesse dans la noble pauvreté (pas la misère) de l’Auvergne profonde, parmi les fragrances et les odeurs du terroir.



Le narrateur lui, très soucieux de lui et de sa conscience culpabilisante, s’abandonne volontiers aux plaisirs sulfureux de trouver à tout une explication rassurante et poétique. Un intellectuel dans toute sa « vérité » affectée.



Les positions radicales et disons fascisantes prises par François trouvent, elles aussi une justification dans l’ambition qu’aurait François a n’envisager sa vie que sous la forme d’ « une » éternité. Ce sophisme est glissant, même si l’argumentaire peut sembler convaincant.



Lorsque le souvenir de François s’efface, ne restent que les vers de Baudelaire que Pierre Jourde met dans sa poche avec son mouchoir plein de larmes amères, par-dessus.



Est-ce tout que ce regard amoureux dont on ne pressent que le souvenir d’un battement de cœur ?



Un peu d'humour aiderait.

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Paradis noirs

Parler des coups de cœur est un exercice toujours difficile. Particulièrement pour ce livre tant il y a dire. Une lecture riche, intense, profonde et desservie par une écriture qui aiguise l’esprit.

Il aura suffi d'une silhouette aperçue sur le quai d'une gare pour le narrateur replonge dans ses souvenirs d'adolescence puis d'enfance. Lui qui croyait enterré toutes ces images, ces années de collège passées dans internat dirigé par des frères refont surface. Devenu un écrivain reconnu, il rend visite à Boris un de ses amis de l'internat. Boris marié, père de famille, l'image respectable tout comme lui, loin de ce qu'ils faisaient subir à Serge avec François le dernier membre du trio disparu depuis.

Se cachant derrière l'insouciance, la naïveté de l'enfance, les jeux n'en étaient pas pour autant cruels, honteux. L'humiliation était un trophée, Serge la victime qui ne bronchait pas. Le narrateur cherche à donner une nouvelle lumière sur ces années comme pour les laver. Mais un détail ou une situation resurgissent "et la sensation d’écœurement me prend, un dégoût qui ne vient pas de la nature peu glorieuse de cet épisode, mais de ce je ne peux empêcher qu'il serve à me rendre intéressant". On découvre François le chef de la bande élevé par des vieilles femmes, les plans conçus avec exaltation où le simple fait de savoir que Serge serait rabaissé une fois de plus engendrait un plaisir pervers. Pourquoi Serge acceptait-il son sort? Et cette silhouette est-ce vraiment François?



Pierre Jourde nous conduit sur les chemins de la mémoire fidèle et infidèle, ce qu'on embellit avec les années ou que l'on oublie par commodité. Mémoire qui nous trompe, nous leurre, nous permet de nous blanchir mais qui quand elle s'éveille révèle des actes et des pensées qu'on a préféré mettre dans un recoin comme s'ils n'avaient jamais existé. Mais le passé est bien réel et François, Serge le martyr apparaissent différemment.

Juxtaposant réalité et l'imaginatif développé par le poids des souvenirs et de la culpabilité, la question lancinante de l'innocence et des jeux cruels portent ce récit où la noirceur et la tristesse côtoient le sublime. Trois vers de Baudelaire La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs qui martèlent le récit trouvent tout leur sens dans les dernières pages.



Le paradis noirs de l'enfance où le duo souffrance/joie mettent l'âme humaine à nue. Un livré coup de cœur électrochoc par l'histoire et par cette écriture dont je suis tombée amoureuse !

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Pays éperdu

Bernard et son fils sont en route pour aller assister aux obsèques d'une très jeune fille décédée dans son village natal, loin, au bout du bout du bout d'une route étroite et sinueuse dans le Cantal, dont on ne repart qu'en faisant demi-tour. Plus de la moitié du livre est consacré au trajet en voiture et aux souvenirs que le paysage convoque chez l'auteur. C'est dense, touffus, foisonnant et peu compréhensible pour le lecteur. On dirait presque une posture, un parti pris mais pourquoi ? Pourquoi ce langage hermétique ? Pour avoir l'air de dire quelque chose là où il n'y a rien à dire ?

Vient ensuite une courte partie consacrée aux retrouvailles avec la famille de là-haut, entre silences et pudeurs puis les obsèques qui sont narrés de l'extérieur, en quelques lignes à peine. Vient ensuite le départ, le retour vers la ville où l'auteur a fait sa vie.

J'avais eu du mal à lire Pays perdu de Pierre Jourde, lui aussi peu compréhensible, bouillonnant de mots et de gestes dont le sens m'avait échappé et auquel ce Pays éperdu répond, plus soft, plus mesuré, encore plus soporifique. Sans doute ne suis-je pas réceptive à la manière dont toute cette nostalgie est transmise ?

Quel dommage que l'action se situe dans le Cantal, un chouette département qui mérite mieux !
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Pays perdu

Il n'est pas possible de dissocier ces deux livres de Pierre Jourde : "Pays perdu" et "La première pierre" dont nous parlerons ensuite.

Enseignant et écrivain, Pierre Jourde a beaucoup bourlingué dans de nombreux pays mais c'est en Auvergne, dans le Cantal, que sont ses racines : « C'est un pays perdu, dit-on ; pas d'expression plus juste. On n'y arrive qu'en s'égarant. Rien à y faire. Rien à y voir. Perdu depuis le début peut-être, tellement perdu avant d'avoir été que cette perte n'est que la forme de son existence. Et moi, stupidement, depuis l'origine, je cherche à le garder. Je voudrais qu'il soit lui-même, immobilisé dans sa propre perfection, et qu'à chaque instant on puisse s'en emplir. »

Dans ces quelques lignes, il y a la quintessence d'un livre qui a été si mal compris. Revenant au pays pour l'enterrement de Lucie, la petite fille de François et Marie-Claude, Pierre Jourde revoit tout ce qui fait la vie, là-haut. Il lie cela à la mort de son père et, de son style qui peut être percutant et très poétique en même temps, il parle des gens, des machines agricoles qui estropient, des bêtes, des accidents. Il est impossible de détacher une description plus qu'une autre car "Pays perdu" est un ensemble qu'il faut lire d'une seule traite.

Au fil des pages, il n'oublie rien : « le sort prématuré des maisons qui s'enfoncent en elles-mêmes et ne laissent que le moins possible d'ouvertures au froid polaire de l'hiver. La suie et la sueur, le purin et la poussière comme une tunique protectrice. »




Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Pays perdu



N°901– Mai 2015



PAYS PERDU – Pierre Jourde – L'esprit des péninsules.



Parce que son frère vient d'hériter d'un lointain cousin, Joseph, il revient avec le narrateur dans ce village perdu du Cantal pour prendre possession de son héritage, au vrai pas grand chose une fois que toutes les vieilleries auront été brûlées et les lieux nettoyés de tout ce que ce vieux célibataire avait, tout au long de sa vie, amassé. C'est aussi l'occasion d'apprendre la mort de Lucie, une jeune fille du village, torturée depuis longtemps par la maladie et d'aller à ses obsèques.



Ce roman qui se déroule sur deux jours retrace la vie des habitants d'un petit village du Cantal, Lussaud, où l'auteur a ses origines. C'est effectivement un pays perdu, un petit village de quelques familles dont le nombre va diminuant, où la route qui y mène se termine en cul-de-sac. A l'occasion de cet enterrement où il va revoir des voisins et des parents éloignés, des souvenirs d'enfance vont lui revenir et il va décrire ce terroir tel qu'il le voit, comme si l'écrivain qu'il est, portait cela en lui depuis bien longtemps. Sous sa plume, les paysages sont bucoliques et décrits poétiquement mais le village lui-même et ses habitants sont marqués, comme bien souvent ailleurs, par la solitude, l'alcoolisme, le suicide, le handicap mental qui résulte souvent des conséquences d'un alcoolisme militant et des mariages consanguins depuis plusieurs générations. Il évoque les incontournables vieux garçons, restés célibataires pour n'avoir jamais croisé de femme, la haine des clans, entretenue d'années en années, née d'une faute grave ou d'une broutille mal interprétée et qu'on avait même fini par oublier, mais qui est vouée à une impossible réconciliation. Il parle des inévitables adultères que tout le monde connaît mais qu’il faut taire, des ragots, de la cohabitation des générations sous un même toit, de la traditionnelle obéissance aux anciens, des rituels comme les verres de vin et d’apéritifs qu'on partage, les parties de belote, la lecture du journal, la mise à mort annuelle du cochon, la vie simple, austère, dure, de la saleté des fermes, de l’hygiène plus que relative au quotidien, de la rudesse du climat d'hiver, des villages quasi-déserts aux cimetières plus peuplés que les maisons. Il n'oublie pas non plus les fantasmes entretenus de tout temps, celui du trésor caché, des hypothétiques louis d'or enfouis dans les matelas mais qu'on en retrouve jamais. D'ailleurs le narrateur lui-même y succombe, les cherchant sans l'avouer, dans le fatras du cousin Joseph. De tout cela il parle sans complaisance et sans détour, décrivant le village tel qu'il est. Il se souvient de son enfance passée au village, revoit ceux qui sont encore là et qui suivront le cercueil et ceux qui ne viendront pas. Cet enterrement lui rappelle son père, sa vie, sa tombe...Il se laisse aller à des considérations personnelles sur la mort, la souffrance, les larmes qu'il exprime avec les mots de l'écrivain.



Ce texte évoque la disparition progressive et définitive d'une certaine forme de société paysanne qui désormais appartient au passé ou qui est promise à une mort prochaine et dont l'auteur a voulu porter témoignage. Même si ce n'est pas exactement un hommage, le dire, surtout de la manière dont a choisi l'auteur, n'a rien de déplacé et ne manifeste aucune volonté de dénigrer quiconque, même si ce n'était pas tout à fait ce qu'attendaient ces habitants. Malheureusement, ce livre qui est avant tout une œuvre d'art, une œuvre de l'esprit, n'a pas atteint son but, bien au contraire puisqu'une incompréhension s'est installée en même temps qu'un malaise. Ce qui, au départ ne devait être qu'une nouvelle relatant la mort d'une jeune fille s'est petit à petit transformé en roman à l'invite des souvenirs de l'auteur. Dans ce microcosme où tout se sait mais où tout doit rester secret jusqu’au sein des familles, il a osé briser le tabou du silence en évoquant les gens et leur histoire, même si les noms ont été changés. Ceux qui se sont reconnus ne l'ont pas supporté, l'ont accusé de « violer » ce village et sous couvert de parler d'eux s'est mêlé de ce qui ne le regardait pas, a révélé tout cela tout cela au grand jour. Dire des vérités, révélé des informations est devenu à leurs yeux inconcevable même si l'auteur y a inclus lui-même sa propre histoire, celle d'une lointaine filiation adultérine.



Pierre Jourde n'est pas un inconnu pour cette revue et la lecture de « La première pierre » m'avait ému (La Feuille Volante n°708). Il se trouve que les personnages dont parle l'auteur ont considéré que ce dernier, même s'il était originaire de ce village et même s'il était écrivain, n'avait pas le droit de parler des vivants et des morts, c'est à dire d'eux. Une polémique est donc née et, après la parution du livre, lorsqu'il est revenu, comme chaque été pour les vacances dans ce village où il possède encore une maison de famille, il a été agressé et la chose s'est terminée comme de juste devant le tribunal. C'est un peu comme si, puisqu'il était parti du village, qu'il avait embrassé une autre vie que celle de gratter la terre, qu'il avait choisi de vivre différemment des gens d'ici, qu'il était devenu universitaire et écrivain, il était maintenant considéré comme un étranger dont peu ou prou on était jaloux. Georges Brassens ne dit pas autre chose « Non les gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » ce à quoi Pierre Vassiliu lui répond « Ça emmerde les gens quand on vit pas comme eux ».



Ce que je retiens pour ma part et en dehors de cette polémique stérile (d'autant qu'il y a « chose jugée »), c'est l'écriture poétique de cet auteur, les descriptions méticuleuses et particulièrement réalistes des paysages et des gens. A titre personnel, j'ai entendu la même petite musique agréable que celle dont le poète Georges-Léon Godeau faisait entendre dans ses écrits. Je pense aussi qu'il ne peut y avoir d'art, d'inspiration, sans la nourriture de l'esprit qu'est le réel et qu'un écrivain choisisse d'irriguer son œuvre avec ses souvenirs et son environnement n'a rien de scandaleux. Au nom de quoi les peintres, les musiciens, les écrivains n'auraient-ils pas le droit de puiser leur créativité dans la réalité qui les entoure. Il me semble d’ailleurs que cela a déjà été fait, et avec talent, et notre belle littérature est riche de ces écrits dont notre culture, à juste titre, s’enorgueillit. Et puis n'a-t-on pas beaucoup parlé récemment de la liberté d’expression qui est si chère à notre démocratie et à notre modèle social ? Il y a, bien évidemment, l'indispensable respect de l'autre mais, sans vouloir entrer dans le débat, je n'ai vu dans ce texte aucune allusion tendant à porter préjudice à ceux qui sont ici décrits ni la moindre la moindre intention de leur nuire. Si ce qu'ils ont lu correspond à la réalité et que cette réalité les indispose, qui y peut quelque chose ?





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Pays perdu

Il est inutile de refaire le dix huitième résumé de la trame narrative de ce roman, de revenir sur les polémiques, violences et excès qu'il a forcement suscités.

Tout d'abord, pour moi, une évidence : l'exercice de style. Pour qui a un peu fréquenté Joris-Karl Huysmans, la parenté est flagrante. Jourde en est l'admirateur, le descendant brillant. L'alcoolisme, la dureté, la violence de ces existences paysannes offraient autant de sujets à cette prose d'une rare force évocatrice. Mais qui paraît inadaptée ici. Puis, l'étude ethnographique dans laquelle Jourde semble aussi se plaire d'autant qu'il sait profondément, viscéralement de quoi il parle. Etude portée par l'amour, même si cela semble paradoxal, de son sujet et par la révolte que suscite sa condition misérable.

Maintenant, l'auteur s'est-il laissé stupidement dépasser par la jouissance créatrice que lui offraient ces deux champs ? Très certainement, au point d'être parfois absurdement maladroit, manquant de discernement comme lorsqu'il compare cette dent unique à un monocle porté par dandysme !

Avait-il besoin de s'empêtrer dans des histoires banales d'adultères, de s'approcher au plus près des vices ou excès des uns et des autres au point qu'ils se reconnaissent, sûrement pas.

Enfin, a-t-il fait preuve de réalisme orienté, de naturalisme obtus ? Je ne le pense pas. Pour qui, comme moi a fréquenté le monde paysan durant de longues années, tout ce qu'il décrit ici, était et est toujours la pure vérité. Beaucoup plus que chez le trop médiatisé Depardon, il faut aller chercher chez le plus discret Pierre Collombert ces photographies de ces pays et paysans perdus, oubliés de tous. Alcool, consanguinité, pauvreté, saleté règnent toujours au fin fond du Tarn, du Gers, de l'Aveyron et de bien d'autres départements français. Moins sûrement qu'autrefois mais il n'y a plus grand monde pour briser les langues de bois de nos politiques ou de nos travailleurs sociaux à ce sujet.

Le service d'Urgence où je travaille, reçoit encore aujourd'hui de ces vieux paysans empestant le purin, la sueur et le feu de bois, de ces vieilles lavées une fois la quinzaine, abandonnées de tous et dont les pieds tombent sous la gangrène et les vers, de ces jeunes agriculteurs en comas éthyliques, dès le vendredi soir. C'est la France invisible, celle des sans dents, bien loin des entrepreneurs agricoles rutilants que courtisent les semenciers et les médias.

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Pays perdu

visions des anciens à la campagne. insalubrité et oublie
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Pays perdu

En bref, un court livre découvert totalement par hasard et qui ne parlera certainement pas à tout le monde. L'auteur prend comme prétexte un enterrement pour présenter un petit village auvergnat, "une communauté humaine qui se compose d'une dizaine de foyers, serrés sur un très petit espace, à quarante minutes de route de la première ville, et où tout le monde se croise tous les jours, [...]".
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Pays perdu

A l'origine, Pierre Jourde voulait juste écrire une nouvelle qui se limitait à la narration des obsèques d'une adolescente, fille d'amis paysans vivant dans un petit village du Cantal dont est originaire sa famille ; village perdu où il a passé ses vacances durant son enfance et où il est revenu ensuite chaque été avec sa famille.



Une fois la nouvelle publiée, fin 2001, influencé par Éric Nolleau, Pierre Jourde a décidé d'en faire un livre, en reprenant des souvenirs personnels et en modifiant les noms de lieux et de famille pour parler de la vie de son village.



L'enterrement de l'adolescente a ramené l'auteur à celui de son père, et à son histoire, alors que celui-ci ne s'était résolu à la lui raconter que lorsque qu'il a eu vingt-cinq ans. Toute sa vie attaché à son village, Pierre Jourde souhaitait montrer la rudesse du pays à travers certains secrets de famille. Il s'agissait de restituer un double sentiment : « des sensations trouvées nulle part ailleurs et un sentiment d'irréalité », tel qu'il a pu le vivre, durant ces séjours là-bas. Pierre Jourde ne perd aucune occasion de rappeler qu'il se sent appartenir à la société qu'il décrit et imaginait sans doute rendre hommage aux habitants de son village. Toutefois, en évitant de tomber dans la complaisance, l'auteur a pu involontairement se montrer parfois blessant dans sa description de protagonistes vivant dans de vieilles maisons inconfortables le long de ruelles où s'élèvent les vapeurs des tas de fumier.



Pierre Jourde a brisé le « culte du silence » qui se transmet de génération en génération dans ces hameaux. Son roman a suscité une vive émotion parmi les habitants de son village. Certains se sont reconnus ou ont reconnu des proches décédés. Les moindres détails ont été pris comme des critiques, des offenses, ou des indiscrétions malveillantes, et ont été considérés comme du mépris. Les réactions vives suscitées par ce livre seront reprises et commentées dans un second ouvrage de Pierre Joudre « La Première Pierre ».

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Pays perdu

Récemment, j'ai adopté une nouvelle règle de lecture : lorsque j'arrive à la moitié d'un bouquin, si je n'ai toujours pas accroché, j'abandonne. Il y a trop de livres à lire et pas assez de temps dans une vie pour perdre du temps à lire des livre qu'on n'aime pas. Et puis, un auteur qui ne sait pas accrocher le lecteur avant la moitié du livre, ne vaut pas la peine d'être lu.

Et bien une fois arrivé à la moitié de Pays Perdu, je ne pouvais plus supporter une seule description d'un habitant de ce village. Vu que j'ai cessé ma lecture au milieu de cet ouvrage, je fais appel à vous, qui avez lu ce livre : pouvez-vous me spoiler ? Pouvez-vous me confirmer que la deuxième moitié du livre est aussi barbante que la première ? S'agit-il, jusqu'au bout, d'une trainée incessante de descriptions aussi vides de sens les unes que les autres, et qui n'ont absolument aucun lien entre elles ?

En tout cas, certains auteurs ne se foulent pas à trouver une intrigue digne de ce nom. Ils se contentent de belles figures de style et hop, ils trouvent un éditeur ! J'en ai presque envie de pleurer pour les écrivains talentueux qui désespèrent.
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Pays perdu

Ce livre avait provoqué l'ire des habitants s'étant reconnus dans les portraits féroces de villageois alcoolisés sculptés par l'auteur à coup de serpe vitriolée. Ces autochtones offensés avaient attaqué l'écrivain et sa famille alors qu'il venait passer des vacances dans le village, dans sa maison familiale.

Ce fait divers consternant avait d'ailleurs fait l'objet de commentaires dans la presse nationale et locale lors du procès des agresseurs au tribunal d'Aurillac



Le texte (s'agit-il vraiment d'un roman ?) est vraiment très bien écrit. Il est vrai que l'écrivain ne ménage pas ses modèles, ne voyant chez les êtres qu'il évoque, que les mutilations causées par les outils de travail, la boisson, les animaux. Ce côté glauque, impitoyable, est d'ailleurs un peu trop systématique chez cet auteur, que ce soit dans sa fiction (voir Festin secrets), ou dans son oeuvre critique (la littérature sans estomac) Mais en même temps, comment ne pas voir, au-delà de ces portraits cruels de personnages dévastés par la vie, l'humanité, certes frêle et chancelante, qui émane de ces portraits. J'y vois pour ma part sourdre, au coeur même de l'écriture impitoyable, une profonde empathie envers ce pays (le plateau du Cezalier), abandonné en marge de l'autoroute pas si lointaine, envers les gens qui persistent à vivre et à exister aux marges d'un monde en pleine mutation.

Il est curieux que ce livre rejoigne, dans ses thèmes et son écriture, sa vision d'un monde rural en train de sombrer (ayant déjà largement disparu dans les trente glorieuses), trois autres écrivains du centre de la France : Millet, Michon et Bergougnoux.



Cela me parait confirmer qu'une littérature puisant son inspiration dans le terroir du massif central (ou d'autres terroirs d'ailleurs) - qui n'est pas "régionaliste" et qui est bien plus intéressante que celle de l'école dite "de Brive" - est possible, existe bel et bien.



Tant mieux si de nouveaux Giono peuvent renouveler le genre et sortir un peu la littérature française de l'ornière introspective parisienne dans laquelle elle a parfois tendance à s'enliser.



La France existe aussi au-delà du périphérique, et la littérature doit en rendre compte, à sa manière.


Lien : http://jcfvc.over-blog.com
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Pays perdu

Je connais Pierre Jourde par son blog sur le site de l'Obs (http://pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com/), et je sais par ailleurs qu'il est (ou fut) associé à Eric Naulleau, qui n'est (ou ne fut) pas que le complice de talk-show d’Éric Zemmour, mais aussi le premier éditeur (à peu de choses près) d'Olivier Maulin, ce qui est plus reluisant. Cet écheveau de circonstances fit que j'avais envie de le lire (Pierre Jourde). Je truffai donc ma liste de souhaits de toutes les références disponibles en français dans le réseau Bookcrossing, et quelqu'un m'envoya fort aimablement ce livre, lu dans la foulée.

Au début ça ne m'a pas plu, pas du tout. De la prose de professionnel urbain de l'intellect essayant de donner un sens à des circonstances de retour dans le village reculé d'origine de son père et de ses vacances d'enfant. Outre cette posture déjà un peu éculée, des phrases aussi longues que vides, du pur cérébral, aucun ressenti, aucune sincérité. J'étais sur le point d'abandonner cette lecture (chose bien rare chez moi), et simultanément, quelque chose bascula, tout doucement mais sans véritable retour en arrière. Comme si le narrateur, comme le voyageur, avait eu besoin d'un temps pour se familiariser à nouveau avec cette terre (ce matériau littéraire) revêche, raidi, dont l'intérêt ne se montre pas en un tournemain. Mais peu à peu, on y arriva, à cette impression que Pierre Jourde avait trouvé le chemin vers ce qu'il voulait dire, et probablement vers ses souvenirs et ses sensations, ce qu'il en conservait, ce que cela pouvait susciter dans son imaginaire volontiers baigné de fantastique. L'intérêt du livre remonte en flèche alors, et s'il reste parfois inégal, ce n'est peut-être qu'au gré du paysage, tant physique que mental, qu'il parcourt avec nous : les reliefs et leurs trous d'ombres plus ou moins ragoûtantes, alcoolisme, mutilations, merde, mort, et dans le meilleur des cas, folie.

Ce livre valut certains ennuis à son auteur : les habitants de sa région d'origine crurent s'y reconnaître un peu trop précisément, et finirent par l'accueillir, un jour qu'il arrivait là en vacances, à coups de pierres jetées vers lui et sa famille. A la lecture du livre, on comprend leur colère (les pierres, par contre, étaient de trop. Une saine discussion aurait mieux fait l'affaire). Pour moi, je ne peux que reconnaître ce que Pierre Jourde peint de cette campagne reculée et familiale : faussement belle, cruelle, possessive, profondément aliénante, et qu'on ne peut pourtant que désirer et retrouver toujours.
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