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Citations de Pierre Michon (344)


…Il allait falloir écrire et je ne pourrais pas : Je m’étais mis au pied du mur, et n’étais pas maçon.
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...le sel des heures se dilue, et dans l'agonie du passé qui commence, l'avenir se lève et aussitôt se met à courir.
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Pas de lettre d'Auvers. Roulin au bout d'un an s'inquiéta de ce silence ; au bout de deux ou cinq il écrivit à Théo, qu'il appelait Monsieur Gogh ainsi que les lettres à lui envoyées font foi : il ne savait pas que les deux frères après avoir si longtemps guerroyé à fleurets mouchetés s'étaient pour finir embroché au même fleuret, et que Théo, le frère charitable, coupable et tyrannique, n'avait pas attendu trois ans pour suivre le frère fêlé qui était en quelque façon son barine à lui aussi, s'était avidement farci de plomb comme son frère et comme lui était couché ; et on ne répond pas de là-bas.
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Joseph Roulin survécut assez longtemps à Van Gogh.
Je crois qu'il en reçut quelques lettres de Saint-Rémy. […] Comment les lisait-il, Roulin ? Pas comme je les lirais, assurément, pas de cette lecture matoise et mauvaise, interprétative, que maintenant nous faisions de ceux qui ne nous écrivent que par une dernière politesse envers le sort, comme si sans illusions ils écrivaient à l'espoir en personne : c'est une mauvaise passe, disent-ils, c'est vent et circonstances, et on ne veut pas les croire, ils nous amusent, on sait que là-dessous sans recours ils culbutent, on est devenu très fort depuis qu'on sait que le langage ment. On a appris le pire, on y est installé. Mais pour Roulin, ça n'était pas si simple ; ça lui donnait à penser, comme on fait quand on ne lit pas entre les lignes, mais les lignes mêmes ; qu'on ne demande qu'à croire ce qui est écrit.
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Dans cette fin de nuit, sa dégaine m'étonna. Nous n'étions pas encore poudrés à frimas, en ce temps ; on portait la grande perruque, l'habit énorme et la culotte à rubans, basques et manchettes interminables. Dans ce paquet de fringues, la maigreur de mon homme se perdait. J'avais mal dormi peut-être, je trouvai qu'il n'avait pas l'air vrai ; on doutait qu'il y ait eu un corps là-dedans ; mais sous l'amas considérable des cheveux faux, on ne pouvait douter de la véracité du visage que se disputaient le désir de séduire et l'envie plus vertigineuse de déplaire ; cela donnait une figure stupéfaite, fiévreuse, offusquée : je me dis qu'un spectre au lever du jour n'est pas plus satisfait de son sort, et fait peut-être de la sorte bonne figure pour regagner ses lugubres pénates.
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Et le matin, c'était l'école, la ronde des petits pieds.
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Il ne fut pas étonné […] d'être promis à un tout petit métier, d'avoir à gagner sa vie et d'avoir à la perdre un jour, et de devoir moralement, gaillardement, affronter cela.
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Je grimpai le raidillon à toute allure, je fus sur la place ; en bas de la place plutôt, et le tabac est à l'autre bout, tout en haut : je ne le voyais pas, on n'y voyait pas à dix mètres, ces dix mètres étaient le monde, le diamètre du monde, qu'on trimballait avec soi en marchant, ou qui attendait là avec vous, autour de vous, bien docile, quand on s'arrêtait comme je venais de le faire. Je m'étais arrêté en effet, et ce n'était pas pour reprendre mon souffle, pas davantage pour mesurer le diamètre du monde ; ce n'était pas non plus pour reconnaître cet amas bleu roi de poutrelles et d'écrous, de ligatures et d'énormes troncs fraîchement coupés, sur quoi j'avais failli buter, et qui était le trente-huit tonnes Berlier de grumes : c'est que j'entendais à vingt mètres, peut-être dix, hors du monde, dans l'invisible, des talons aigus fouler le pavé de la place et venir vers moi.

Elle entra dans le monde visible, elle fut sur moi, nous nous vîmes. Elle s'arrêta. Elle ne disait mot. Les grands yeux très ouverts regardaient les miens.

Deuxième partie, La Petite Beune, pp. 111-112
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Il pensa à ce Parisien, qui était un bon garçon après tout, qui ne le grugeait qu'à moitié quand il l'aurait pu faire tout à fait. […] Bien sûr il était un peu truand, comme ils le sont tous : mais Roulin […] s'avisa que l'autre ne volait que de très riches qui de toute façon avaient de quoi, de ces citoyens superlatifs qui s'éprennent de ce dont on leur dit qu'il faut s'éprendre, ce qu'on appelle des amateurs ; et que sans doute il leur donnait même une sorte de plaisir, quoique empoisonné, puisque leur ayant persuadé que les runes de Vincent étaient pour eux seuls lisibles, il les en nantissait séance tenante contre leur poids d'or. […] Et ce truandage amusait en Roulin le prince républicain.
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C’est que nous sommes des hommes, Monsieur ; et que les hommes de haut en bas, les lettrés et les gueux, aiment passionnément l’Histoire, c’est-à-dire les terreurs, les massacres ; ils accourent de très loin pour les contempler, terreurs et massacres, ils accourent sous le couvert de déplorer les massacres, de les réparer même, disent-ils, les bonnes créatures.
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Si on lui avait demandé ce qui là-dedans l'avait fasciné dès sa jeunesse, dès qu'il avait eu les moyens ou la curiosité d'étudier un peu et de penser par lui-même, il nous aurait répondu par les éternels arguments du sans-culottisme éternel ; il eût dit qu'il voulait simplement cela : que les hommes eussent un commerce sans méchanceté, sans la méchanceté qui fonde leur commerce, comme si Caïn était un conte de bonne femme, comme si les paroles et les dents n'étaient pas faites pour mordre ; que la valeur de l'argent ne fût pas seule visible, comme si d'autres étaient visibles, étaient même valeurs ; que le pain en chaque point de la terre fût chaque jour rompu dans une eucharistie perpétuelle, où tous étaient messie et tous apôtres, où il n'y avait pas de Judas ; que les derniers devinssent les premiers, et la casquette des Postes une couronne parmi d'autres.
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A la fin de novembre le temps changea, les eaux se prirent. Les champs inondés gelèrent, des touffes de joncs cuites sortaient toutes droites de l'étendue.
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Allons, lire était bon, tant d'heures de détresse assidue valaient d'être vécues pour cet instant là.
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Entre Les Martres et Saint-Amand-le-Petit, il y a le bourg de Castelnau, sur la Grande Beune. C’est à Castelnau que je fus nommé, en 1961 : les diables sont nommés aussi je suppose, dans les Cercles du bas ; et de galipette en galipette ils progressent vers le trou de l’entonnoir comme nous glissons vers la retraite. Je n’étais pas encore tombé tout à fait, c’était mon premier poste, j’avais vingt ans. Il n’y a pas de gare à Castelnau ; c’est perdu ; des autobus partis le matin de Brive ou de Périgueux vous y larguent fort tard, en bout de tournée. J’y arrivai la nuit, passablement ahuri, au milieu d’un galop de pluies de septembre cabrées contre les phares, dans le battement de grands essuie-glaces ; je ne vis rien du village, la pluie était noire. Je pris pension Chez Hélène qui est l’unique hôtel, sur la lèvre de la falaise en bas de quoi coule la Beune, la grande ; je ne vis pas davantage la Beune ce soir-là, mais par la fenêtre de ma chambre me penchant sur du noir plus opaque je devinai derrière l’auberge un trou.

Première partie, La Grande Beune, incipit, p. 11
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Je découvrais les livres, où l'on peut s'ensevelir aussi bien que sous les jupes triomphales du ciel. J'apprenais que le ciel et les livres font mal et séduisent.
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Qu’est-ce donc que quelques années encore de vie, quand on est riche de tant de pertes ?
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C'était Lascaux au moment où les célibataires accroupis épousent leur pensée, conçoivent, brisent les bâtons d'ocre et touillent le charbon de bois dans une flaque, se taisent, le chapeau à andouillers posé à côté d'eux ; et peut-être qu'alors ils le prennent et le font tourner dans leurs mains, le chapeau, que doucement ils le regardent et pensent à leur petite enfance, pensent fortement qu'ils auront à mourir, qu'ils aiment les femmes et manger, bluffer avec des andouillers sur la tête, mais que des dieux cléments et insatiables en cet instant, les regardent, respirent par leur bouche, ont leur joie, et vont tout à l'heure les jeter avec cette joie contre ces murs, debout, incertains de leur propre volonté mais sûrs de leur main, traçant de grandes vaches rouges plus blessées que des femmes, comme elles bondissantes et joyeuses, traquées.
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La maison dans laquelle […] il s'affaira tout l'été à transformer des cageots en meubles, à mettre aux murs des tableaux de tournesols et des chinoiseries pour faire joli, sur la table de nuit un petit pot à eau et au mur un essuie-mains pour faire propre, relevant les yeux une fois sur ce chantier pleura de joie pendant qu'il mangeait sur son pouce un casse-croûte, dans quoi les bras au ciel il accueillit Gauguin, travailla avec Gauguin, s'engueula avec Gauguin, dans quoi pour finir il rentra seul et ivre dans la nuit sans cigales ni Messie du 24 décembre, se coupa comme on sait l'oreille et en fit ce qu'on sait.
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Il lisait des livres. Il fronçait ce faisant son front de petite brute, serrait les mâchoires et avait une moue dégoûtée, comme si un haut-le-coeur permanent et nécessaire le liait sans recours à la page qu'il haïssait peut-être, mais amoureusement décortiquait, comme un libertin dix-huitième dépèce membre à membre une victime encore, avec méticulosité mais sans goût et rien que pour dépecer. Il persistait dans cette écoeurante besogne bien au-delà des heures d'étude, jusqu'au réfectoire et dans la cour de récréation où, stoïque, pelotonné dans les racines d'un marronnier, dans le coin bruyant d'un préau, il s'abîmait dans le quelconque Quo vadis ou autre péplum de bibliothèque verte, qui le torturait.
(Vies des frères Bakroot)
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Je ne savais pas que l’écriture était un continent plus ténébreux, plus aguicheur et décevant que l’Afrique, l’écrivain une espèce plus avide de se perdre que l’explorateur ; et, quoiqu’il explorât la mémoire et les bibliothèques mémorieuses en lieu de dunes et de forêts, qu’en revenir cousu de mots comme d’autres le sont d’or ou y mourir plus pauvre que devant-en mourir- était l’alternative offerte aussi au scribe.
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