Citations de Pierre Rosanvallon (64)
L'Etat providence est malade. Combien de temps les choses pourront t-elles continuer d'aller ainsi ? L'accroissement des impôts et des charges sociales ne risque t-il pas de mettre en péril la compétitivité des entreprises et de saper le dynamisme de l'économie ? C'est la question qui est partout posée. Si les choses restent en l'état, la progression des prélèvements obligatoires se poursuivra en effet inexorablement.
Le pays ne se sent pas écouté.
Si dans une nation on voyait comme deux nations, la première remplie de richesses et d'orgueil, la seconde de misères et de murmures, on n'y entendrait pas le mot patrie.
L'engouement pour les statistiques qui a simultanément marqué la période [début 19e siècle] a participé d'un même désir du pays de mieux se connaître et d'exposer à la face des pouvoirs les réalités vécues. Les journaux de la période ont d'ailleurs constaté qu'ils augmentaient leurs ventes lorsqu'ils publiaient des données économiques, sociales ou démographiques sur l'état du pays ou de la société. (p. 40-41)
Dans "Olbie", un essai de Jean Baptiste Say, publié en 1799, il s'agissait pour l'essentiel, d'une longue exhortatation à vivre sobrement, à se défier de l'excès des richesses, à veiller à ce que l'amour du travail ne soit pas éxité par le désir du gain.
A Olbie, il n'y avait ni opulence excessive, ni extrême indigence.
Les démons de la grande industrie n'avaient pas encore pris place dans cette représentation du monde...
Il s'agit de redonner consistance au mot "peuple" en l'appréhendant sous sa vitalité. De montrer qu'il n'existe qu'au pluriel, qu'il ne peut être saisi que dans sa diversité et sa complexité.
Nos régimes sont considérés comme démocratiques au sens où le pouvoir sort des urnes à l’issue d’une compétition ouverte et où nous vivons dans un État de droit qui reconnaît et protège les libertés individuelles. Démocraties certes largement inachevées. Les représentés se sentent ainsi souvent abandonnés par leurs représentants statutaires, et le peuple, passé le moment électoral, se trouve bien peu souverain.
[...] les individus [ne sont] dorénavant pas tant sensibles à ce qu'ils possédaient à un moment donné qu'à ce qu'ils craignent de perdre ou à ce qu'ils espèrent gagner. C'est de façon dynamique qu'ils considèrent de plus en plus leur existence. "L'individu-histoire", nécessairement singulier, s'est superposé à "l'individu-condition", davantage identifié de façon stable à un groupe, lui-même constitué autour d'une caractéristique centrale. (p. 22)
L'idéologue (…) est un rédacteur de catéchismes, un fabricant de mots d'ordre, un fournisseurs d'arguments chocs pour la polémique. Cet idéologue a, dans tous les cas, un rapport élastique à la notion de vérité.
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La forme la plus insupportable d' inégalité reste en effet liée au sentiment de ne pas être traité comme un être humain , d'être rejeté hors du cercle , considéré comme "un moins que rien".
Soyons des citoyens inquiets, car, dans ces moments d'épreuve des démocraties traversés, sans cette inquiétude, nous n'aurons pas la lucidité et le courage d'essayer de remonter la pente.
L’art de gouverner impliquait de la sorte de séparer radicalement la politique et la morale, et de donner congé à toutes les visions idéalistes antérieures.
Pour les citoyens, le défaut de démocratie signifie ne pas être écoutés, voir des décisions prises sans consultation, des ministres ne pas assumer leurs responsabilités, des dirigeants mentir impunément, un monde politique vivre en vase clos et ne pas rendre assez de comptes, un fonctionnement administratif rester opaque.
Les mots ne disent plus les choses et s’avèrent donc incapables de les modeler.
Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner.
les hommes souvent plus durs et plus rebelles que le marbre même, font assez voir qu’ils sont nés à une liberté si grande qu’au lieu d’obéir ils opposent l’obstination à la raison, et la rébellion au commandement.
La démocratie est un régime pluraliste qui implique l'acceptation de la divergence d'intérêts et d'opinions et organise la compétition électorale sur cette base. Elle institutionnalise le conflit et son règlement.
(Le décentrement des démocraties, p. 27)
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La grande force des populismes est d'avoir compris le rôle central qui est désormais joué par les émotions en politique. Certains l'ont explicitement théorisé.
Il y a toujours, en démocratie, une tension structurelle entre volonté et décision, long terme et court terme, et le citoyen est lui-même partagé entre son impatience et son attente de stabilité ou de changement durable. En démocratie, les citoyens sont écartelés entre le désir de pouvoir reprendre à tout moment le contrôle d'un pouvoir élu et la demande que soient mises en œuvre de "véritables" politiques. L'écart de plus en plus fréquent entre les résultats d'un vote ayant amené des gouvernants au pouvoir et les variations consécutives de la confiance qui leur est accordée ne fait qu'exacerber cette tension. D'où la centralité de la discussion sur la durée des mandats et, parallèlement, les multiples propositions pour "rafraîchir" plus fréquemment l'expression électorale. C'est à quoi revient la réclamation de voir tenus des référendums ou la revendication de mise en place de procédures de révocation. Le référendum est donc considéré là comme un substitut à une fonction plus générale de contrôle et comme un moyen de purger la défiance. Modalité qui a l'inconvénient majeur de gommer la distinction entre décider et vouloir en démocratie.
La démocratie est le régime qui implique une discussion permanente sur ses concepts et son vocabulaire.