Citations de Pierre de Marivaux (578)
Lisette. - Ne me direz-vous point ce que peut signifier le tant pis que vous dites en riant ?
Maître Blaise. - C'est que je ris de tout, mon poulet.
Lucidor. - Si vous ne haïssez pas de me parler, je vous le rends bien, ma chère Angélique : quand je ne vous vois pas, vous me manquez, et je vous cherche.
Angélique. - Vous ne cherchez pas longtemps, car je reviens bien vite, et ne sors guère.
Lucidor. - Quand vous êtes revenue, je suis content.
Angélique. - Et moi, je ne suis pas mélancolique.
Lucidor. - Il est vrai, je vois avec joie que votre amitié répond à la mienne.
Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable, tu sauras mieux ce qu’il est permis de faire souffrir aux autres.
Les deux sexes n'ont rien à se reprocher, madame : vices et vertus, tout est égal entre eux.
Consultez votre bon cœur, vous sentirez qu'il condamne votre inconstance.
Et vous seriez bientôt rebutés de vous voir si vous ne vous quittiez jamais, car vous n'avez rien de beau à vous montrer.
Le plaisir d'être aimée trouve toujours sa place ou dans notre cœur ou dans notre vanité. Ne fait-on que nous désirer? Il n'y a encore rien de perdu: il est vrai que la vertu s'en scandalise; mais la vertueuse n'est pas fâchée du scandale.
Voilà l'inconvénient qu'il y a d'avoir un si joli visage; c'est qu'il nous donne l'air d'avoir tort quand nous sommes un peu soupçonnées, et qu'en mille occasions il conclut contre nous.
Au reste, je parlais tout à l'heure de style, je ne sais pas seulement ce que c'est. Comment fait-on pour en avoir un? Celui que je vous dans les livres, est-ce le bon? Pourquoi donc est-ce-qu'il me déplaît tant le plus souvent ? Celui de mes lettres vous paraît-il passable ? J'écrirai ceci de même.
Dans tout ce qui s’est passé chez vous, il n’y a rien de vrai que ma passion qui est infinie, et que le portrait que j’ai fait. (p129)
TRIVELIN
Expliquons-nous.
De sexes, je n'en connais que deux: l'un qui se dit raisonnable, l'autre qui nous prouve que cela n'est pas vrai; duquel des deux le Chevalier est-il ?
Adine (en riant) :
Un miroir ! Vous avez aussi un miroir ! Eh ! A quoi vous sert-il ? A vous regarder ? Ah ! Ah ! Ah !
Eglé :
Ah ! Ah ! Ah !... N'ai je pas deviné qu'elle me déplairait ?
Adine :
Tenez, en voilà un meilleur, venez apprendre à vous connaître et à vous taire.
Mais écoutez-moi pour la dernière fois, cela vaut mieux: nous disons que le monde est une ferme, les dieux là-haut en sont les seigneurs, et vous autres hommes, depuis que la vie dure, en avez toujours été les fermiers tout seuls et cela n'est pas juste, rendez-nous notre part de la ferme; gouvernez, gouvernons; obéissez, obéissons; partageons le profit et la perte; soyons maîtres et valets en commun; faites ceci, ma femme; faites ceci, mon homme;
Ne suis-je pas votre mari, votre maître et le chef de la famille ?
Sachez que jusqu'ici nous n'avons été poltronnes que par éducation.
On a souvent défini l'art de Marivaux comme celui de «peser des œufs de mouche dans des balances de toile d'araignée». Pourtant, parmi les écrivains du XVIIIe siècle, avant Rousseau, c'est Marivaux qui a le mieux dénoncé l'exclusion sociale et l'aliénation. Réflexions sur les conditions d'exercice de la liberté, ses pièces mettent en question des pouvoirs qui paraissaient assez généralement fondés en nature : le pouvoir du père ou de la mère tel qu'on le concevait sous l'Ancien Régime, celui des maîtres sur leurs valets, celui des hommes sur les femmes. Il n'est donc pas surprenant que ce théâtre libérateur donne la première place à l'analyse de la phase initiale de l'amour – lorsqu'il émerge à la conscience dans une atmosphère de trouble, de plaisir et de peur. Car chez Marivaux, l'amour souffle où il veut. Cause de bouleversements et de souffrances, il révèle la fragilité et la résistance des êtres pour devenir, lorsque le jeu des masques laisse apparaître la nudité des cœurs, le signe d'une immense liberté.
BLAISE
Eh mais, morgué, pisque vous n’avez pas besoin de gagner voute vie en tuant le monde, ou avez donc tort d’être médecin. Encore est-ce, quand c’est la pauvreté qui oblige à tuer les gens ; mais quand en est riche, ce n’est pas la peine ; et je continue toujours à dire qu’ou êtes un sot, et que, si vous voulez grandir, faut laisser les gens mourir tout seuls.
HORTENSE
Il me fera raison de vos refus. Seigneur, daignez m’accorder une grâce ; je vous la demande avec la confiance que l’Ambassadeur d’un roi si vanté me paraît mériter. La Princesse est irritée contre Lélio ; elle a dessein de le mettre entre les mains du plus grand ennemi qu’il ait ici, c’est Frédéric. Je réponds cependant de son innocence. Vous en dirai-je encore plus, Seigneur ? Lélio m’est cher, c’est aveu que je donne au péril où il est ; le temps vous prouvera que j’ai pu le faire. Sauvez Lélio, Seigneur, engagez la Princesse à vous le confier ; vous serez charmé de l’avoir servi, quand vous le connaîtrez, et le roi de Castille même vous saura gré du service que vous lui rendrez.
La Fée, au désespoir et avec feu.
Il a de l’esprit, Trivelin, il en a, et je n’en suis pas mieux ; je suis plus folle que jamais. Ah ! quel coup pour moi ! Que ce petit ingrat vient de me paraître aimable ! As-tu vu comme il est changé ? As-tu remarqué de quel air il me parlait ? combien sa physionomie était devenue fine ? Et ce n’est pas de moi qu’il tient toutes ces grâces-là ! Il a déjà de la délicatesse de sentiment ; il s’est retenu, il n’ose me dire à qui appartient le mouchoir ; il devine que j’en serais jalouse. Ah ! qu’il faut qu’il se soit pris d’amour pour avoir déjà tant d’esprit ? Que je suis malheureuse ! Une autre lui entendra dire ce je vous aime que j’ai tant désiré, et je sens qu’il méritera d’être adoré ; je suis au désespoir.
CRISPIN
Halte là ! Mon génie
Va des fureurs du sort affranchir votre vie.
Ne redoutez plus rien ; je vais tarir vos pleurs,
Et vous allez par moi voir finir vos malheurs.
Oui, quoique le destin vous livre ici la guerre,