Citations de Polina Panassenko (144)
J'ai l'impression d'avoir fait rentrer mon nom dan le dictionnaire.
On a fait des rubans de mots dans le vide.
On déroule encore des rubans de mots mais dans tout ce qu'on dit il y a surtout ce qu'on ne dit pas, celle dont on ne parle pas, celle que la langue évite.
À la fin d'année, je passe de Polina à Poline. J'adopte un e en feuille de vigne. Polonais à la maison. Police à l’école. Dedans, dehors, dedans, dehors.
Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins.
Elle a raison mon avocate. N'importe qui aurait pu se noyer. Est-ce que pour n'importe qui on aurait parler de dette? Ah oui, dis l'avocate, mais ça c'est un peu le cas de tous les émigrés, non ?
C'est drôle de faire un exposé sur la sociologie des prénoms et de ne surtout pas parler des siens. C'est exactement ce qu’on a fait.
La Muraille de Chine c'est un immeuble sublime. On dirait un immeuble russe. Un immeuble immigré.
Moi aussi j'aimerais dire quelque chose. Participer. Il faut jouer sur le contraste. Ils sont forts d'être grands, je le serai d'être petite. J’œuvre les yeux, je lève les sourcils, je dis: C’est ici que nous allons habiter? C'est joli, on pourra quand-même mettre un petit banc pour dormir ? Rires, attendrissement, caresse sur les cheveux. La tension retombe. Mission accomplie.
Une protestation silencieuse doit savoir être visible.
L’accent qui revient malgré toi, on le remarque et on se moque : T’as l’accent qui pointe.
C’est l’en-dedans qui sort dehors. C’est le relief qui fait tomber ta langue dans le domaine public. Le même que celui des femmes enceintes. On veut savoir qui c’est là-dessous.
Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins.
Dans le flot des sons qui sortent de sa bouche, il arrive que quelque chose surnage. Alors il faut attraper et tirer jusqu'à la rive, mettre en lieu sûr puis en pratique.
elle a dit que c'était si mauvais que ses oreilles se sont fanées et enroulées sur elles-mêmes en petits tuyaux.
Longtemps j’ai cru que la mention « autorisée à s’appeler Pauline » sur le décret de naturalisation, ça voulait dire autorisée à s’appeler Pauline ou Polina. Au choix.
Je l’ai cru jusqu’au jour où j’ai essayé de faire inscrire Polina sur ma carte d’identité à la mairie de Montreuil
….
J’ai perdu mon prénom russe. En sortant de la mairie, je me repasse en tête tout le temps où j’ai cru que je l’avais encore alors que je ne l’avais plus. Je l’ai perdu à Saint-Etienne. Sans même m’en rendre compte. Ca me donne envie d’y retourner.
Tu as un français impeccable. Impeccable. Une cuisine bien lavée. Pas de pelures coincées dans le trou de l’évier. Pas de taches sur la nappe. Même pas une miette accrochée à l’éponge. Mais si mon français est impeccable, le français de ma mère, il est quoi ? Et celui de mon père ?
L’accent, c’est ma langue maternelle.
Français sans accent ça veut dire français accent TV personnage principal…. Prendre l’accent TV c’est renoncer à tous les autres. Pas de cumul possible avec l’accent TV…. L’accent qui revient malgré toi, on le remarque et on se moque : T’as l’accent qui pointe.
C’est l’en-dedans qui sort au-dehors. C’est le relief qui fait tomber ta langue dans le domaine public.
A l’école, ce que mes copines disaient des iévreï, des zhidy ça me faisait de la peine. C’était blessant mais il fallait se taire, il fallait tenir. Et j’ai tenu. Que ça se sache - pour ma mère -, qu’on sache qu’elle est juive, c’était ma plus grande peur.
Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur….
C’est un héritage. Savoir que sa mère était libre de porter son prénomme naissance. C’est celui-là que je veux transmettre, pas celui de la peur.
Je veux croire qu’en France je suis libre de porter mon prénom de naissance.
Je veux prendre ce risque-là.
Je m’appelle Polina.
Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déhabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins. S'il y a des voisins, on attend. Bonjour. Bonjour. Quel étage ? Bon appétit.