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Citations de Rainer Maria Rilke (1497)


Mon grand-père les appelait : "la famille" et j'entendais aussi les autres se servir de ce qualificatif très arbitraire. Car, bien que ces quatre personnes fussent liées par de lointaines parentés, elles ne formaient qu'un groupe assez disparate. L'oncle qui était assis à mon côté, était un homme vieux, dont le visage dur et brûlé portait quelques taches noires que j'appris être les suites de l'explosion d'une charge de poudre. De caractère maussade et aigri, il avait pris sa retraite comme commandant, et faisait à présent dans un recoin du château que je ne connaissais pas, des expériences d'alchimie. Il était de plus, entendis-je dire aux domestiques, en relations avec une prison d'où on lui envoyait, une ou deux fois par an, des cadavres avec lesquels il s'enfermait jour et nuit, qu'il découpait et apprêtait d'une manière mystérieuse, de telle sorte qu'ils résistaient à la putréfaction. En face de lui était la place de Mlle Mathilde Brahe. C'était une personne d'âge indéterminé, une cousine éloignée de ma mère, et l'on ne savait rien d'elle si ce n'est qu'elle entretenait une correspondance très régulière avec un spirite autrichien qui s'appelait le Baron Nolde, et à qui elle était si entièrement soumise, qu'elle n'entreprenait rien sans s'assurer d'abord de son consentement et lui demander une sorte de bénédiction. Elle était alors exceptionnellement forte, d'une plénitude molle et paresseuse qui semblait avoir été déversée sans soin dans des vêtements lâches et clairs ; ses mouvements étaient las et indécis et ses yeux coulaient continuellement. Cependant il y avait en elle quelque chose qui me rappelait ma mère si frêle et svelte. Plus je la regardais, plus je retrouvais dans son visage les traits fins et légers dont je n'avais plus, depuis la mort de ma mère, pu me souvenir bien nettement ; à présent seulement, depuis que je voyais quotidiennement Mathilde Brahe, je savais quel avait été le visage de la morte ; peut-être même le savais-je pour la première fois. A présent seulement se composait en moi de cent et cent détails une image de la morte, cette image qui depuis m'accompagne partout. Plus tard il m'est apparu clairement que le visage de Mlle Brahe contenait réellement tous les détails qui déterminaient les traits de ma mère ; mais - comme si un visage étranger s'était intercalé entre eux - ils étaient rompus, faussés et rien ne les raccordait plus.
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Rainer Maria Rilke
Je redoute tant la parole des hommes.
Ils expriment tout de manière si claire:
et cela c'est un chien, et cela s'appelle une maison,
et voici le début, et la fin est là-bas.

M'inquiète aussi leur esprit, leur jeu avec la raillerie,
ils savent tout ce qui sera et qui fut;
ils ne s'émerveillent plus d'aucune montagne;
leur jardin et leur terre confinent directement à Dieu.

Je veux toujours mettre en garde et défendre : restez à distance.
J'écoute si volontiers les choses chanter.
Vous les touchez : elles sont immobiles et muettes.
Vous me tuez toutes les choses.

Œuvres poétiques et théâtrales, trad. Marc de Launay, Gallimard, coll. Bibliothèque de La Pléiade, 1997, p. 121-122.
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Tout ce qui nous effraie est peut-être, au plus profond, une chose sans secours qui attend notre secours.
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Je crois que presque toutes nos tristesses sont des moments de tension que nous ressentons comme une paralysie parce que nos sentiments, saisis d’étrangeté, se sont tus. Parce que nous sommes seuls avec cet étranger qui est entré en nous ; parce que tout ce qui nous est familier et coutumier nous est enlevé pour un instant ; parce que nous sommes au milieu d’un gué où nous ne pouvons pas nous arrêter.
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Seules sont dangereuses et mauvaises les tristesses que l’on emporte parmi la foule pour ne plus les entendre ; comme ces maladies qu’on ne traite qu’en surface et en dépit du bon sens, elles ne refluent qu’un temps pour repartir de plus belle, et alors c’est terrible ; elles s’accumulent à l’intérieur et deviennent vie, elles sont vie non vécue, méprisée, perdue, vie dont on ne peut mourir.
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Rainer Maria Rilke
Rainer Maria Rilke (1875-1926)

Voici un des plus beaux poèmes qui aient jamais été écrits, en tous cas un des plus percutants :

ERNSTE STUNDE


Wer jetz weint irgendwo in der Welt,
ohne Grund weint in der Welt,
weint ûber mich.

Wer jetz lacht irgendwo in der Nacht,
ohne Grund lacht in der Nacht,
lacht mich aus.

Wer jetz geht irgendwo in der Welt,
ohne Grund geht in der Welt,
geht zu mir.

Wer jetz stirbt irgendwo in der Welt,
ohne Grund stirbt in der Welt,
sieht mich an.


(Das Buch der Bilder – 1905)



L’HEURE GRAVE


Quiconque pleure, à présent, quelque part dans le monde,
Sans raison pleure, dans le monde,
Pleure sur moi.

Quiconque rit, à présent, quelque part dans la nuit,
Sans raison rit, dans la nuit,
Rit de moi.

Quiconque marche, à présent, quelque part dans le monde,
Sans raison marche, dans le monde,
Marche vers moi.

Quiconque meurt, à présent, quelque part dans le monde,
Sans raison meurt, dans le monde,
Me regarde.


(Le Livre des images – 1905)
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Reste tranquille, si soudain l'Ange à ta table le décide.
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Aimer, au début, n’est rien qui veuille dire se fondre, s’adonner, s’unir à un autre (car que serait une réunion de choses imprécisées, inachevées, encore inordonnées ?) ; c’est une occasion sublime pour l’individu de mûrir, de devenir quelque chose à l’intérieur de soi, de devenir monde, monde pour soi et pour l’amour d’un autre, c’est une grande et immodeste exigence, quelque chose qui l’élit et le destine au large.
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Ah, qu'emporterons-nous en passant dans l'autre royaume ? Ni ces regards, si lentement appris ici-bas ni rien de ce qui nous est arrivé. Rien. Les souffrances, alors. Oui, avant tout ce poids, la longue science de l'amour, toutes choses inexprimables. Mais plus tard, sous les étoiles, à quoi bon ? Les étoiles sont tellement plus riches dans l'inexprimable. Du bord de la montagne, le voyageur ne rapporte point dans la vallée une main pleine de cette terre indicible pour tous, mais une pure parole acquise, la gentiane jaune et bleue.
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Tout sombre soubresaut du monde connaît ces déshérités qui ont perdu le passé et n'ont pas encore ce qui est proche. Car pour les hommes le plus proche même est très lointain. N'en soyons pas troublés, mais ayons la force de garder la forme que nous avons encore reconnue. Cela s'est élevé une fois parmi les hommes, au milieu du destin destructeur, au cœur même de cette ignorance de tout chemin, debout cela semblait exister et les étoiles des ciels sûrs s'en rapprochaient. Ange, à toi je puis encore montrer cela, afin que ton regard le sauve et finalement l'élève. Colonnes, pylônes, le sphinx, la cathédrale, son ascension arc-boutée qui s'élève, grise, d'une ville mourante ou d'une ville étrangère. [..] Raconte que nous avons été capables de cela, mon propre souffle ne suffit point pour la louange.
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Rien ne peut se comparer. Qu’est ce qui n’est pas entièrement
seul avec soi, en effet, et y eut-il jamais chose à dire ;
nous ne nommons rien, il nous est seulement permis d’endurer
et de nous persuader que çà et là un éclat,
çà et là un regard nous a peut-être effleurés
comme si précisément cela qui est notre vie
vivait à l’intérieur. A qui résiste,
le monde n’advient pas. Et à qui comprend trop,
l’éternel se dérobe. Parfois
dans de grandes nuits pareilles à celle-ci nous sommes comme
hors de danger, partagés en fragments égaux,
répartis en étoiles. Comme elles sont pressantes.
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Faut-il qu’en amour aussi chacun porte sa solitude et n’ait de commun avec l’autre que d’avoir cette solitude ? Ou bien « s’aimer » veut-il dire porter à deux une seule et même solitude et se sentir heureux, plein d’une puissance et d’une assurance insensées, dans la conscience de cette force dédoublée.

Franz Xavier Kappus
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J’ai porté le poids de ma solitude. Aujourd’hui encore elle me pèse, elle qui n’en est qu’à ses débuts. Parfois aussi, je sentais que ma solitude n’était pas assez profonde, pas assez authentique, car j’éprouvais encore quelque chose qui semblait comme un désir de m’arracher à ce monde.

Franz Xavier Kappus
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Car même les meilleurs errent parmi les mots qu’ils ont à exprimer le plus ténu, le presque indicible.
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Les oeuvres d’art sont d’une solitude infinie et rien ne peut moins les atteindre que la critique. Seul l’amour peut les saisir, les retenir et être juste envers elle.
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Je connais trop ces heures silencieuses qui viennent sans qu’on les appelle et aspirent au soleil qui brille si loin d’elles.

Franz Xavier Kappus
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Une oeuvre d’art est bonne quand elle est née d’une nécessité.
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Essayez de remonter au jour les sensations englouties de ce vaste passé ; votre personnalité s’affermira, votre solitude s’élargira, elle deviendra une pénombre où habiter, tout à l’écart du bruit des autres.
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LETTRE À LOU ANDRÉAS-SALOMÉ
9 juin 1897,

Je veux emporter dans ma nuit la bénédiction de tes mains sur mes mains et mes cheveux. Je ne veux parler à personne, pour ne pas gaspiller l’écho de tes paroles qui tremble tel un émail sur les miennes et les fait sonner plus tendres ; et, le soleil couché, je ne veux voir aucune lampe pour allumer au feu de tes yeux mille bûchers secrets…
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Est-il possible qu'on ne sache rien sur les jeunes filles qui cependant existent ? Est-il possible qu'’on dise : « les femmes », « les enfants », « les jeunes garçons » et qu’on ne qu'on ne pressente pas en dépit de toute sa culture, que ces mots n’ont plus de pluriel depuis longtemps, mais seulement une quantité innombrable de singuliers ?
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