Citations de René Guy Cadou (223)
17 juin 43
Tu étais la présence enfantine des rêves
Tes blanches mains venaient s'épanouir sur mon front
Parfois dans la mansarde où je vivais alors
Une aile brusquement refermait la lumière
J'appelais je disais que vienne enfin la grande
La belle la toujours désirable et comblée
Et j'allais regarder souvent à la fenêtre
Comme si le bonheur devait entrer par là (...)
Paysage de mon amour
Tout entier dans ce village
Dont je défais journellement
Les liens de chanvre et de fumée
Tuiles baignées de tourterelles
Qui chantez sous la main du soir
Écailles des saisons nouvelles
Plaques tournantes de l'espoir(...)
Et toi rivière sous les saules
Blanche fenêtre caressée
Par une truite et mon épaule
Et tous les jours qui son passés (...)
La cinquième saison ( extrait)
L'étrave du printemps glisse entre tes genoux
Lentement le soleil s'est approché de nous
Tu traverses la nuit plus douce que la lampe
Tes doigts frêles battant les vitres de ma tempe
Je partage avec toi la cinquième saison
La fleur la branche et l'aile au bord de la maison
Les grands espaces bleus qui cernent ma jeunesse
Sur le mur le dernier reflet d'une caresse.
(" Poésie la vie entière")
L’ENFANT PRÉCOCE
Une lampe naquit sous la mer
Un oiseau chanta
Alors dans un village reculé
Une petite fille se mit à écrire
Pour elle seule
Le plus beau poème
Elle n’avait pas appris l’orthographe
Elle dessinait dans le sable
Des locomotives
Et des wagons pleins de soleil
Elle affrontait les arbres gauchement
Avec des majuscules enlacées et des cœurs
Elle ne disait rien de l’amour
Pour ne pas mentir
Et quand le soir descendait en elle
Par ses joues
Elle appelait son chien doucement
Et disait
« Et maintenant cherche ta vie »
Je m'attarde résolument près des colchique et des saules,
Laissez-moi regarder par-dessus votre épaule,
La route qui poudroie et l'herbe qui verdoie,
Sans jamais désirer autre chose que cela.
30 mai 1942
Il n'y a plus que toi et moi dans la mansarde
Mon père
Les murs sont écroulés
La chair s'est écroulée
Des gravats de ciel bleu tombent de tous côtés
Je vois mieux ton visage
Tu pleures
Et cette nuit nous avons le même âge
Au bord des mains qu'elle a laissées
Dix heures
La pendule qui sonne
Et le sang qui recule
Il n'y a plus personne
Maison fermée
Le vent qui pousse au loin une étoile avancée
Il n'y a plus personne
Et tu es là
Mon père
Et comme un liseron
Mon bras grimpe à ton bras
Tu effaces mes larmes
En te brûlant les doigts
(" Poésie, la vie entière")
SAISONS DU CŒUR
Ne plus penser à rien
N’être là pour personne
Des fleurs sur le chemin
Une cloche qui sonne
Ce visage qui brûle à portée de la main
Et si tu veux mourir
Il fera jour demain
Les poèmes les plus surprenants surprennent d'abord par l'absence de surprises.
SAISONS DU CŒUR
C’est bien toi
Je ne t’ai jamais vu
Et je te reconnais
Tu es celui que j’attendais
Prends la lampe
Appuie-toi sur mon bras
Il n’y a pas de rampe
Monte encore plus haut
Tu sais
On n’est jamais trop près du ciel
Je voudrai je ne pourrai pas
M’habituer aux chevaux et aux fleurs du lilas
Le train qui passe à l’horizon est très ancien
Sa mécanique très moderne n’y fait rein
Il est graissé et sans défaut comme un poème
Mais ce sont les chants du Gaélique que j’aime
L’aéroplane est vieux l’automobile est vieille
Seul le vrombissement mélodieux d’une abeille
Est jeune et jeune aussi ce vieillard attardé
Dans sa marche par la marche d’un scarabée
J'ai toujours habité...
J'ai toujours habité de grandes maisons tristes
Appuyées à la nuit comme un haut vaisselier
Des gens s'y reposaient au hasard des voyages
Et moi je m'arrêtais tremblant dans l'escalier
Hésitant à chercher dans leurs maigres bagages
Peut-être le secret de mon identité
Je préférais laisser planer sur moi comme une eau froide
Le doute d'être un homme Je m'aimais
Dans la splendeur imaginée d'un végétal
D'essence blonde avec des boucles de soleil
Ma vie ne commençait qu'au-delà de moi-même
Ébruitée doucement par un vol de vanneaux
Je m'entendais dans les grelots d'un matin blême
Et c'était toujours les mêmes murs à la chaux
La chambre désolée dans sa coquille vide
Le lit-cage toujours privé de chants d'oiseaux
Mais je m'aimais ah ! je m'aimais comme on élève
Au-dessus de ses yeux un enfant de clarté
Et loin de moi je savais bien me retrouver
Ensoleillé dans les cordages d'un poème.
Art poétique
Quand ce sera la nuit
Et toi tout seul dans une vieille limousine
Quelque part sur une route de forêt
Quand ce sera la nuit noire
Ô mon Poète aie garde d’allumer tes phares
Appuie de toutes tes forces sur le champignon de la beauté
Sans rien savoir
Et sans souci du flot battant ton pare-brise
Enfonce-toi comme un noyé dans la nuit rageuse qui grise
Tu as perdu la direction
Le Nord l’étoile les feux de position
Et tu sens soudain un grand choc
Tu es couché tout près de toi dans la verdure
Tu es comme mille petits trous de serrure
Qui regardent
Dans ta tête éclatée
Les éléments épars de la beauté
Et qui viendrait te chercher là
Quand tu disposes de toi-même
Secrètement pour un destin
Qui ne peut plus te laisser seul
N’appelle pas
Mais entends ce cortège innombrable de pas.
Destin du poète
Le soir qui bouge son oreille
Comme un vieil âne abandonné
Le dernier corset d'une abeille
Oublié sur la cheminée
La cloche triste de l'asile
Et le pas qui répond au pas
Dans la mesure où ce qui veille
Encourage ce qui n'est pas
L'oiseau qui tombe sur la pierre
Le sang qui tombe sur le cœur
La bonne pluie des réverbères
Qui donne à boire au malfaiteur
Le trou d'aiguille par où passe
Le fil ténu de la clarté
La bobine du temps qui roule
Sous les lauriers sous les sommiers
Mais se savoir parmi les hommes
En un présent aventureux
Une petite lampe à huile
Qui peut encor mettre le feu.
Les secrets de l’écriture
Je n’écris pas pour quelques-uns retirés sous la lampe
Ni pour les habitués d’une cité lacustre
Pour l’écolier attentif à son cœur
Non plus pour cet enfant paresseux qui sommeille
Entre mes bras depuis cent ans
Mais pour cet homme qui dépassé par l’orage
N’entend pas la rumeur terrestre de son sang
Ni l’herbe le flatter doucement au visage
J’écris pour divulguer ce qui vient des saisons
La neige pure ainsi qu’une main féminine
Et le pollen éparpillé sur les gazons
Aussi l’agneau qui fait le calme des montagnes
J’écris pour dépasser la crue noire du temps
Tandis que les oiseaux et les fleurs me précèdent
À cette auberge au bord du ciel où les passants
Trouvent des couches étoilées et des vaisselles
Pleines de fruits et des soleils encourageants
Mais reste au fond de moi le plus clair de ma vie
Qui ne supporte pas le poids de la parole
Ces mots d’amour qui ne seront jamais écrits
Et la lumière de mon cœur toujours plus haute
Aveuglante comme une poignée de sel gris.
9 août 1944.
Le coquelicot
Toi qui fus le chant de la plaine
La fraîche tentation des blés
L’amande douce des cocardes
Au loin la crête des clochers
Ô fleur des temps à venir
Fleur du crime
Fleur de sang sur la lèvre épaisse du sillon
Fleur jetée à travers tant et tant de poitrines
Fleurs des démolitions
Ô double végétal des coqs
Cri de la meule
Balafre de clarté au front du petit jour
Fleur ouverte en plein vent
Fenêtre de verdure
Âme du fusillé tournée contre le mur
Sœur Anne des plus hautes tours
Les hommes t’ont nourrie qui dorment sous les pierres
Et de leur longue nuit tu rougis tes paupières
Les morsures de l’eau t’apprennent à souffrir
Tu offres tes cinq plaies pour notre repentir
Ô fleur je t’ai gardée mes mains et mon visage
Qu’ils servent à jamais pour un meilleur usage
Et que tout mon passé rejaillisse sur toi
Fleur grave fleur des champs béante à son corsage.
Je t’offrirai…
Je t’offrirai un beau gâteau de ciel
Ô mariée d’équinoxe !
Et vous conterai à tous
Des guerres civiles d’étoiles,
La capture d’un oiseau lune,
Ce que j’ai appris dans mon dernier voyage
Aux antipodes du printemps.
Un rebouteux m’a remis pour la fête
Un cœur boiteux depuis l’enfance :
Je crois pouvoir être sage.
Si parfois je me trompais
Il me faudrait donner une once de soleil
Et deux gorgées de l’eau des routes.
Les sept péchés capitaux, 1949
La poésie
Je te cherche sous les racines de mon cœur
Comme un enfant à l’intelligence retardée qui a peur
D’entrer dans l’eau qui parle seul et fait bouger ses mains
« Ô mon Dieu permettez que cette eau ne me broie pas comme Votre Moulin »
Je m’attarde résolument près des colchiques et des saules
Laissez-moi regarder par-dessus votre épaule
La route qui poudroie et l’herbe qui verdoie
Sans désirer jamais autre chose que cela
Mais Dieu qui n’entend pas l’amour de cette oreille
« Tu descendras au fond de toi et je surveille
Tes allées et venues Tu me dois de trouver
Dans l’eau de mes regards la noisette tombée »
Les yeux vagues ainsi qu’un veilleur de frontière
De songerie malade et de sens abîmés
Je plonge doucement mes mains dans la lumière
Sans penser un instant à les en retirer
Car il me plaît d’aider un corps qui s’aventure
Et cherche par delà sa forme préférée
Le spectacle d’une âme aveugle qui murmure
Le long du mur en pierre de l’éternité.
Les sept péchés capitaux, 1949
La solitude
Avec une feuille tombée
Avec le trop plein d’un seau
Avec cette lampe aux œufs d’or
Sur la desserte de la neige
Quand il a bien fait froid dehors
Avec une route où s’avance
Un cheval qui n’est pas d’ici
Avec l’enfant glacé tout seul
Dans un autocar de rêve
Avec des villes consumées
Dans le désert de ma mémoire
Un ciel d’épines et de craie
Où le soleil ne vient plus boire
Avec l’idiot désemparé
Devant ses mains qui le prolongent
Et dont le cœur comme une oronge
Suscite un désir de forêt
Avec toi qui me dissimules
Sous les tentures de ta chair
Je recommence le monde.
J'écris pour des oreilles poilues, d'un amour obstiné qui saura bien, un jour, se faire entendre.
J'aimerais assez cette critique de la poésie : la poésie est inutile comme la pluie.